Je vais être partial sur ce coup-là, parce que le sujet est selon moi bien trop capital pour qu'on brocarde cette BD.
Je n'ai pas trouvé le dessin très super, et je ne partage pas toujours l'humour distillé dans ces pages. Mais ! Mais cette BD permet de parler du seul sujet qui sans doute nous concerne toutes et tous : la fin de la vie, la mort de la planète Terre, l'extinction de l'espèce humaine. L'écologie n'est plus une option.
Après avoir lu cette BD, j'ai lu le rapport du GIEC (la version condensée), j'ai suivi certaines personnalités interviewées ici. Et mine de rien, autant le sujet est tragique et urgent, autant ça m'a mis un sacré coup de pied au cul, tout en me redonnant un peu d'espoir. Je ne sais plus quelle scientifique évoque cette question, mais le fait d'entendre des hommes et femmes de Science outrepasser le principe de neutralité en raison précisément de l'urgence imposée par la situation est extrêmement porteur. Nous n'avons plus d'autre choix que de tourner le dos au capitalisme !
Voilà une série jeunesse que j'avais découverte à Angoulême il y a fort longtemps et qui était venu enrichir les bacs de la médiathèque où je travaille.
Depuis, elle continue de ravir notre jeune lectorat grâce à une heroïc fantasy humoristique drôle et efficace !
Ced et Jean-Philippe Morin ont su trouver le bon équilibre dans ce mélange des genres, avec des personnages truculents. Si l'histoire déroule sur la longueur, chaque planche trouve sa chute, petit plus qu'apprécie beaucoup le jeune lectorat.
Bref, un petit bonbon acidulé de fantasy qui fait plaisir à lire, même en tant qu'adulte !
Oooh, je vais rejoindre Canarde : je crois que celui-ci fait également partie de mes préférés de la collection.
Le dessin est magnifique, le découpage est vif et travaillé (même si peut-être un chouïa brouillon par moment), le contraste entre le récit plein d'action et de cauchemars et la chute est savoureux, … C'est du bon, à n'en pas douter.
Après, malheureusement, comme pour le reste de la collection, la lecture étant très courte, même si cette dernière est pleine de qualité on se retrouve finalement avoir assez peu à dire sous peine de finalement décrire absolument tout ce qui s'y trouve.
(Note réelle 3,5)
Une lecture salutaire.
Un album indispensable dans toutes les bibliothèques.
Un album dont on ne peut ressortir que révolté, et le mot est faible. Je n'ai pas bien sûr attendu cette lecture pour savoir que notre société est gangrenée par le système capitaliste, mais elle m'a ouvert les yeux sur le monde de la finance. Un monde qui m'était obscure et un système qui détruit des vies mais aussi la planète.
Aline Fares a travaillé de nombreuses années pour la banque Dexia, elle nous fait un constat sur la finance qui donne la gerbe. Elle se met en scène tout le long de l'album pour nous expliquer tous les rouages de la finance et des conséquences bien réelles dans notre quotidien. Alors oui la lecture est dense (avec une petite dose d'humour) et demande de la concentration (tout en restant accessible), elle permet de comprendre comment et pourquoi on en est arrivé là, mais surtout de désigner les responsables de notre société pourrie : les banques et les politiques (de tous pays). Et c'est toujours les mêmes qui payent l'addition quand ça dérape (crises financières) : les travailleurs qui doivent supporter l'austérité (ben voyons, il est question de nous retirer 2 jours fériés pour résorber la dette) comme remède miracle. Les seuls gagnants sont les gros actionnaires avec leurs dividendes. L'argent appelle l'argent, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres...
Heureusement la lecture se termine avec une dose d'espoir, puisqu'Aline Fares propose des solutions pour casser le système, des propositions auxquelles nous tous pouvons apporter notre pierre à l'édifice. Il faut juste un peu de courage, se préparer à des moments difficiles et arrêter d'être spectateurs. Pas impossible !
Je tiens à souligner le très beau travail de Jérémy Van Houtte qui met son dessin simple et expressif au service des arguments d'Aline Fares avec une mise en page efficace et démonstrative.
Un album à lire, indiscutablement.
Coup de cœur.
Je suis un grand amateur des productions de Fabcaro – je crois bien que je possède tous ses albums, et j’ai très rarement été déçu.
Et là, je dois dire que c’est clairement l’une de ses meilleures réussites. Je ne m’étonne pas que cet album ait reçu plusieurs prix, car il est vraiment bon, tout en restant relativement atypique.
C’est clairement un florilège d’humour totalement absurde, parfois nonsensique, toujours très con, et parfois noir. Un excellent cocktail dont je suis très friand.
Du sourire au rire franc, quasiment tous les gags (s’il y a une histoire « linéaire », toutes les pages ou les deux pages un gag ponctue ce « road movie » absurde) sont réussis. Si vous êtes adeptes de ce genre d’humour, n’hésitez pas, c’est franchement bien fichu !
Et le ton est donné dès le départ, puisque le déclenchement de cette traque est dû à l’oubli d’une carte de fidélité d’un grand magasin au moment de payer. On devine peu à peu que Fabcaro se met en scène lui-même comme victime de cette course poursuite surmédiatisée. Autodérision, travail autobiographique, réflexion ironique sur le métier de bédéiste : on retrouve là quelques sujets récurrents chez Fabcaro (en particulier dans ses albums publiés chez La Cafetière).
Bref, d’une anecdote insignifiante, Fabcaro va pousser jusqu’au bout du bout l’emballement médiatique (on retrouve là quelques travers déjà moqués dans le second tome de Nic Oumouk de Larcenet). Les petites lâchetés du quotidien, les petits ou les grands cons de notre entourage ou des médias, la société de consommation, la dictature de la routine, les grands élans de générosité creuse (excellente parodie des « tubes humanitaires » !), tout est passé à la moulinette, dans une histoire dont on peut supposer que Fabcaro l’a menée en légère improvisation, emporté par son élan : j’étais prêt à le suivre encore plus loin et longtemps.
C’est d’ailleurs mon seul regret après ma lecture, c’est que cette « connerie » s’arrête. Du coup, je l’ai déjà relue trois fois ! Et vous encourage à en faire autant.
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10 ans jour pour jour après la parution de ce joyau d'humour - et de leur plus gros succès (plus de 400 000 albums vendus à ce jour !), les éditions 6 pieds sous terre ont publié une édition anniversaire, avec une couverture rigide classieuse. Ça a été pour moi l'occasion de rererelire cette histoire (et donc de me marrer encore, même si la surprise ne joue plus).
Je n'ai pas été convaincu par certaines "modifications" apportées par une dizaine d'auteurs (voir détails sur la fiche), intervention insérées au coeur du récit d'origine. Parmi les bonus et entretiens inclus en fin d'album (d'intérêt inégal), j'ai par contre été intéressé par la correspondance entre Fabcaro et son éditeur au moment de la genèse de l'ouvrage. Les amateurs de Fabcaro et de cet album apprécieront sans doute cet ajout.
ZZZZ reste de toute façon un chef d'oeuvre d'humour absurde et intelligent qu'on ne peut laisser de côté !
Dernièrement Runberg m’a plutôt déçu avec ses séries SF, mais je dois dire que cette série me réconcilie avec lui. En effet, malgré une certaine inégalité, c’est globalement réussi et intéressant, la lecture est plaisante.
D’abord grâce au travail graphique de Pellé. Son dessin est finalement simple, mais agréable et fluide, et j’ai aussi aimé sa colorisation. Il développe un univers dynamique et assez original, avec tous ces peuples extra-terrestres. Les décors ne sont pas trop développés, les races extra-terrestres ne sont pas forcément hyper originales, mais l’ambiance générale est vraiment plaisante.
L’intrigue de Runberg est centrée sur deux personnages, qui travaillent pour une organisation tentant de régler les conflits entre « peuples » (l’ODI, sorte de transposition de l’ONU), un Humain, Caleb, et un/une Sandjarr, Mézoké. Caleb ressemble à Cosmik Roger (à tel point que j’ai un temps cru que Solé s’en était inspiré pour le parodier, mais en fait « Orbital » est postérieure).
Si les luttes entre peuples, les complots, sur une planète ou dans l’espace sont pas mal vu ailleurs, Runberg a fait preuve d’une certaine originalité avec ces deux personnages plus diplomates que justiciers. Même si forcément on pense au duo de Valérian et Laureline !
Il n’y a pas non plus de bombasse – et d’ailleurs quasiment aucune femme – et la love story que je voyais poindre entre Caleb et Mézoké dès le premier tome n’existe pas.
Les récits sont dynamiques, on ne s’ennuie pas. Runberg use de flash-backs, distillés tout au long des tomes, pour mieux nous faire connaître les deux héros, leur donnant une belle profondeur psychologique.
Si les deux premiers albums posent bien décors et personnages, et forment un diptyque, il faut vraiment lire les albums dans l’ordre. Car de nombreux retours sur ce diptyque sont faits par la suite, et surtout le découpage en diptyque annoncé en quatrième de couverture ne correspond pas vraiment à ce que j’ai lu. En effet, les tomes 3 à 6 forment une histoire, un nouveau cycle commençant avec les tomes 7 et 8 (la frangine de Caleb revenant dans le jeu), même si, comme je l’ai dit, c’est davantage une histoire complète que des cycles hermétiquement découpés. D’ailleurs ce tome 8 se conclut avec le même type de cliffhanger qu’à la fin du tome 4 !
En tout cas, voilà une série que j’ai découverte tardivement, mais qui se révèle largement dans la bonne moyenne du genre SF, et qui devrait plaire aux amateurs.
Note réelle 3,5/5.
Déjà le sous-titre (Rockers maudits et grandes prêtresses du son) résonne : tout un programme !!!!
Il n'en fallait pas plus pour attirer un chaland tel que moi vers cette énÔrme BD rouge et noire dont la couverture magnifique évoque furieusement celle de l'indépassable Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band. Et bien m'en a pris car hormis quelques marronniers dont la présence dans ce copieux menu peut raisonnablement surprendre a priori (je pense en particulier à Patti Smith, mondialement connue), les autres artistes cités sont incontestablement des icones de l'underground. Au sommaire, parmi tous les noms énoncés, une dizaine ne m'évoque absolument rien. "C'est beaucoup" m'étonnais-je moi-même !
Je ne dis pas ça pour me vanter, mais en règle général, on s'étonne souvent de l'étendue de ma culture musicale. C'est comme ça, depuis que je suis tout minot, même pas encore en âge de parler, la musique est mon truc, la faute à mon grand refré qui m'a donné le virus (il est tout excusé). J'en écoute énormément, tous les jours. Ca rythme ma vie au quotidien. Comme si cela ne suffisait pas, il se trouve que je suis responsable du fonds rock (et BD accessoirement) d'une médiathèque. Le gars qui en veut quoi ! Pour dire : mon premier disque, qui était alors une K7, acheté avec mes propres deniers, c'était Thriller de Michael Jackson. On était en 1982, j'avais 8 ans...
Mais ceci n'étant pas une chronique sur ma vie affligeante, je reprends le fil de mon propos. Donc oui ! Beaucoup de vrai(e)s inconnu(e)s au programme, et ça fait plaisir. Cette lecture est l'occasion d'approfondir, voire de découvrir des tonnes de trucs. Personnellement, j'ai (re)écouté tout Alex Chilton dont je connaissais déjà l'implication au sein de The Box Tops puis de Big Star. Et bien, ce n'est pas une surprise mais ce type est un génie. Dans l'album Bach's Bottom par exemple, enregistré principalement live en 1975 mais sorti en 1982 seulement, il a su capter l'énergie du punk naissant qu'il a abondement arrosé de soul, de rock'n'roll, de glam... J'ai aussi exploré l'œuvre de Moondog dont je ne connaissais que deux ou trois morceaux (que tout le monde connait par ailleurs sans le savoir, si si). J'ai tenté de dégoter des morceaux des Légions Noires, sans grand succès. J'ai découvert Eugene Chadbourne, John Fahey, Merrell Fankhauser...
Enfin bref ! Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog signent avec Underground une petite Bible des artistes les plus emblématiques, si je puis dire, de la scène underground, tous genres confondus, dont les puristes ne pourront finalement que regretter la trop courte Guest List. Sortie en même temps que l'excellentissime Les Amants d'Hérouville dont le personnage principal, Michel Magne en l'occurrence, aurait tout à fait pu faire l'objet d'une insertion dans ce catalogue, Underground entretient la flamme d'un rock dont l'Histoire rhizomique se forge souvent dans les marges.
Cet ouvrage n'a finalement qu'un inconvénient : il n'est que la base d'un travail d'exploration sonore que tout lecteur consciencieux accomplira avec délice en se lançant toutes oreilles cessantes dans l'écoute des tonnes de musique promises par nos deux complices... Oh yeah !
Et rebelotte pour le tome 2 ! Sauf qu'il figure encore plus d'inconnu-e-s au programme, que les deux compères Moog et Le Gouefflec donnent furieusement envie de découvrir ! Top ! Allez, je mets un cœur...
Obéissez à la loi, mais attention à vos âmes, elles sont en danger…
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Ce tome est une anthologie regroupant trois récits indépendants autour du thème des légendes et des contes. Son édition originale française date de 2013, et une réédition en 2025 avec une nouvelle couverture. Il a été réalisé par Sergio Toppi (1932-2012) pour le scénario et les dessins. Ce tome comprend cinquante-trois pages de bande dessinée.
Ogoniok, publié pour la première fois en 1992, quatorze pages. Semion Gennadovich Polumin marchait depuis de longues heures dans la taïga sur les traces d’un renard. Il avait perdu le contact avec son expédition de chasse, mais il ne s’inquiète pas. N’est-il pas directeur de deuxième classe au ministère des finances ? Fidèle serviteur du tsar, un homme de poids… Il est sûr de lui. Il arrive devant une grande tente où il est accueilli par trois indigènes, à qui il demande du thé. Ceux-ci lui en offrent un de bon cœur, sans contrepartie. Il fait observer qu’il a vu beaucoup de traces de gibier : c’est une bonne zone de chasse par ici. Il continue : le coin paraît bon, en attendant qu’on vienne le chercher, il va faire quelques cartons.
La quatrième de couverture annonce : Trois histoires russes avec des chamans qu’il aurait mieux valu ne pas provoquer… Dans cette première histoire, le lecteur relève le nom du protagoniste qui sonne indubitablement russe. Le commentaire du narrateur omniscient indique qu’il marche depuis de longues heures dans la taïga, c’est-à-dire une forêt de conifères de climat boréal. Il est accueilli dans une tente par trois autochtones certainement nomades. L’un d’eux raconte l’histoire de la belle Koticq et de son union avec un esprit dont naquit Ogoniok, qui dispose de pouvoirs surnaturels, ce qui fait de lui un chaman. La promesse est bien tenue. Le scénariste se montre facétieux : le chasseur venu de la ville n’a aucune chance, c’est une évidence dès la première page. Il se retrouve dans une situation de décalage culturel dont il s’avère incapable de mesurer la portée et les conséquences. Les trois nomades se montrent accueillants, honnêtes et soucieux de la sécurité de leur hôte. Ce dernier se montre incapable de les écouter et d’entendre ce qu’ils disent, d’accepter leur sagesse, de prendre en compte leur avertissement, pourtant explicite.
D’un autre côté, il est vraisemblable que le lecteur, amateur de ce créateur ou novice, ait été attiré par la saisissante illustration de couverture, ou après avoir feuilleté l’ouvrage et être tombé sous le charme unique des dessins finement ouvragés, avec une saveur à nulle autre pareille. Dès la première planche, il retrouve cette forme de composition très personnelle : des illustrations comme mises côte à côte, avec un texte dans un cartouche, ou une tirade copieuse d’un personnage. C’est particulier. Pour la première planche : quatre cases. Une de la hauteur de la page pour mettre en valeur un long tronc dénudé, avec un oiseau perché sur une fine branche fragile en hauteur. Puis à gauche, la case comprenant le titre, ainsi que la moitié supérieure du crâne d’un renne avec ses bois. En dessous deux cases, une case également tout en finesse pour mettre en valeur une loutre dont le museau dépasse sur la case adjacente, et enfin une vue en plan éloigné avec les arbres au premier plan, et la petite silhouette du chasseur en arrière-plan marchant sur la neige immaculée. Le texte lie ces différentes vues, expliquant qui est le chasseur et ce qu’il fait là.
Ainsi cette première histoire fait la part belle aux cases illustratives, qui trouvent cependant leur place naturelle dans la narration séquentielle. Le lecteur se délecte des différents animaux : des chiens attachés à la tente, la tête d’un mammouth aux longues défenses recourbées, un magnifique oiseau aux ailes complexes ornées de motifs intriqués (un exemple remarquable du travail de texture à l’encre), un extraordinaire élan d’Europe avec des bois exceptionnels et un pelage remarquable, et enfin un lapin très commun. Le lecteur se trouve subjugué par cette chasse enchantée, devenant soupçonneux comme Semion Gennadovich Polumin quant à ce que pouvait contenir le thé qu’on lui a offert. Le récit se termine dans une forme de justice immanente venant châtier l’hubris de ce chasseur.
Kas-Cej, publié pour la première fois en 1994, vingt-cinq pages. Dans son riche appartement, Viktor Tikonovitch Barushkin reçoit son ami le Conseiller. Ce dernier est ravi de son retour et le félicite pour la qualité de son champagne en lui demandant l’autorisation de féliciter sa cuisinière. L’hôte demande à Eudoxie Arkadovia si elle a entendu monsieur le Conseiller, il leur rend hommage à tous les deux, elle pour son art culinaire, lui pour son amitié. C’est un honneur exceptionnel pour un modeste universitaire comme lui. Puis à la demande de son invité, il commence à raconter la dernière mission que lui a confiée l’institution : Il s’agissait d’aller exhumer de vieux ossements d’une tribu sibérienne insignifiante, qui fut décimée par la variole, il y a fort longtemps. Un travail ingrat et inutile, une preuve tangible de sa disgrâce… Un véritable exil…
Cette deuxième histoire présente une plus grande consistance du fait sa pagination. Un autre conte, à la morale bien différente. Un autre homme de la ville qui se trouve à se rendre dans un petit village perdu dans la taïga. Il s’agit cette fois d’un universitaire, venant faire des recherches sur un peuple autochtone samoyède de Russie, ayant vécu à proximité du cercle polaire : les Nénètses, une des vingt-six ethnies de la Sibérie. L’auteur met à nouveau en scène un individu venant d’un environnement socioculturel plus sophistiqué, et qui est accueilli avec les honneurs, protégé par le gendarme Ghennadj Efimovitc, qui fait travailler la population pour les fouilles, le maintien de l’ordre étant assuré par le fait qu’il possède un fusil. Le récit se développe alors suivant deux thématiques : celle de l’individu ayant fait des études et intervenant dans un monde paysan, et celle de la manière dont s’exerce le pouvoir du tsar dans un village si reculé.
En fonction des séquences, le bédéaste réalise des planches à la composition plus classique, avec des cases disposées en bande. Pour autant, le lecteur voit bien que sa personnalité déborde de partout : que ce soient les copieux phylactères qui dépassent sur la case adjacente, ou les illustrations très composées. L’artiste est au summum de son art : fins traits venant donner de la texture et du volume dans des entrelacs sophistiqués, aplats de noir aux contours irréguliers venant donner du poids à un ou plusieurs éléments de la composition, zones de blanc immaculé offrant une respiration dans la page. Chaque protagoniste dégage une personnalité intense : le très chic Barushkin avec ses incroyables moustaches, le plus solennel conseiller et ses petites moustaches, le vieux sage du village et sa barbe blanche, le gendarme, sa coupe improbable et sa bouille ronde, le pope avec sa toque et son regard intense et habité, les paysans méfiants. Cette histoire donne lieu à de magnifiques paysages, et la découverte du cadavre de Kas-Cej dans un état de conservation exceptionnel.
Une narration visuelle somptueuse et minutieuse, une intrigue consistante, donnant pour une fois le beau rôle à l’étranger cultivé, même si le flambeau de la science contraint de battre en retraite devant les forces de l’obscurantisme qui écrase les âmes des gens simples…
Transibérien, publié pour la première fois en 2011, quatorze pages. C’est ici que le fleuve impétueux traversait la taïga, s’élargissait et que ses eaux s’apaisaient. C’est là que Gennady Efremovic attendait, et c’est à cet endroit qu’il travaillait comme son père avant lui et sans doute son grand-père. Pour quelques kopecks, il transbordait sur l’autre rive tous ceux qui le lui demandaient. Gennady Efremovic se moquait bien de savoir à qui il rendait ce service pourvu qu’on le payât. Venus des sentiers cachés de la taïga, des chasseurs arrivaient des fugitifs, des marchands, des saints hommes, des gens qui ne desserraient pas les dents et ne posaient aucune question. Une seule chose causait souci à Gennady Efremovic… C’était le petit sac en peau dans lequel s’accumulaient, bien cachés, les kopecks durement gagnés.
Le lecteur ressent tout de suite que deux décennies ont passé : les traits encrés sont plus secs, un peu plus lâches, plus bruts. La narration visuelle prend ainsi un ton plus âpre, plus direct, plus à l’essentiel. L’artiste se focalise plus sur les personnages et sur les visages, des individus évoluant dans un environnement sans pitié, endurcis jusqu’au mutisme, consacrant toute leur énergie à vivre. Le récit se fait également plus cruel. Le personnage est un passeur qui fait traverser le fleuve pour quelques kopecks dans une région perdue dans la taïga. Il constate progressivement qu’il n’a plus de client. Finalement l’un des derniers lui apprend que le train traverse cette zone depuis peu. Après plusieurs jours sans voir personne, arrive un dernier client, un baladin avec un singe sur son épaule, un conteur qui raconte des histoires niaises de gens qui sont morts, comme cela arrivera à tous, comme lui fait observer le passeur. L’auteur se montre sans illusion sur la nature humaine que ce soient les espoirs sans lendemain, ou que tous les moyens sont bons pour vivre, y compris escroquer plus pauvre ou moins malin que soi.
Trois histoires se déroulant dans la taïga, trois personnages principaux différents, trois accueils différents. La narration visuelle enchante à chaque page, un élégant dosage entre des illustrations exceptionnelles, et une narration séquentielle, de copieux phylactères où les personnages exposent le récit ou leurs remarques… Et pourtant la lecture s’avère fluide et facile, agréable et incroyablement dépaysante. Sergio Toppi sait créer comme personne l’enchantement visuel, un délice de roi. Des contes avec une chute, comprenant aussi quelques observations sociales adultes, et des comportements allant de la mise en œuvre de l’intelligence, à la prédation du plus faible. Magnifique et pénétrant.
Bon, l'album a déchaîné les passions l'année dernière sur le site, je ne pouvais pas passer à côté !
Je ne connais pas le roman d'origine, je serais donc incapable de faire un quelconque comparatif entre les deux visions de ce même récit, mais de mon regard sans attente ni connaissance préalable particulière j'ai tout de même trouvé l'œuvre bonne.
C'est une œuvre post-apocalyptique qui, comme toute œuvre du genre, nous dépeint les travers de l'humain poussé à l'extrême lorsque les civilisations s'effondrent. C'est sale, monstrueux, les paysages sont désolés, inhospitaliers, et les quelques survivants commettent des actes tous plus immondes les uns que les autres. Tout le sel de ce récit vient justement du fait que nous suivons un père cherchant par tous les moyens à protéger son fils du monde qui l'entoure. Il tente de lui cacher du mieux qu'il peut les horreurs qu'ils croisent, l'empêche de le suivre dans les bâtiments devenus charniers, tente de lui présenter le monde dans un prisme manichéen où ils seraient les gentils et où tous-tes les autres seraient les méchants.
Leur quête à travers les États-Unis pour trouver un climat plus sain, plus viable, loin des incendies, des pillards et des pluies de cendre, est prenante. On craint à chaque instant, à chaque arrêt sur leur trajet. Chaque rencontre est un risque, chaque mort évitée une leçon cruelle pour le jeune enfant qui refuse pourtant toujours jusqu'au bout de devenir un monstre lui-même.
Ce qui démarque cet album d'autres récits post-apocalyptiques est indéniablement le magnifique travail graphique de Larcenet. Je ne lui connaissais que son style "gros nez" donc j'avoue avoir été bien surprise de voir ici ses traits bien plus durs, moins cartoonesques.
Le travail de la couleur est particulièrement intéressant, ne mélangeant que les teintes de noir, de gris, quelques fois de sépia et d'orange pour nous représenter cette menace du feu ayant brûlé le monde et étant toujours présente. Seuls de rares (très rares) éclats de couleurs vives brillent par moment, l'exemple le plus notable étant la canette de soda apparaissant presque comme un phare au milieu de toute cette grisaille.
C'est un bon album, pas de doute là-dessus, je comprends pourquoi tout le monde l'a apprécié. Je ménagerais tout de même mon enthousiasme quant à sa qualité, l'œuvre n'est pas non plus révolutionnaire (étant friande de récit post-apo j'ai déjà vu/lu des dizaines de récits présentant les mêmes problématiques, le même désespoir et le même contraste entre l'espoir enfantin et la désillusion et cruauté du monde adulte). Encore une fois, l'album brille ici surtout par le travail graphique de Larcenet, sans lui l’œuvre m'aurait semblé bien moins intéressante je pense.
L'album et son récit restent bons, j'insiste, je ne cherche pas à amoindrir ses qualités, mais pas la peine non plus de s'extasier et de crier au miracle face à une œuvre loin d'être aussi parfaite ou marquante que ce que j'avais pu entendre.
Encore une fois, pas lu le roman d'origine, mais je m'y essaierai volontiers car je me dis que les réflexions internes et les perceptions/narrations biaisées des personnages, propres à la dimension littéraire, doivent rendre le récit plus vivant, plus marquant.
(Note réelle 3,5)
À la manière de la série RG qui explorait les rouages des Renseignements Généraux avec l'appui d'un ancien de la maison, Intelligences propose une immersion similaire dans l'univers de la DGSI, épaulée ici par Hugo de Bénat, ex-agent du contre-espionnage français. La DGSI (Direction générale de la Sécurité intérieure) est l'équivalent français du FBI : une structure rattachée à la police, dédiée à la lutte contre le terrorisme et les ingérences étrangères, en collectant et transmettant des renseignements aux autorités compétentes. Nous sommes donc dans le domaine du contre-espionnage, non de l'espionnage. Dans cet album, il s'agit de coopérer avec le Mossad pour récupérer des données sensibles contenues dans l'ordinateur d'un ingénieur iranien en visite éclair en France… mais évidemment, rien ne se passe comme prévu.
Le résultat est un polar crédible et réaliste. Gontran Toussaint livre un dessin maîtrisé, proche du style de Philippe Francq pour Largo Winch, jusque dans la typographie. La mise en scène est soignée, centrée sur les personnages et leurs dialogues, davantage que sur l'action. Les décors plus dépouillés et les couleurs plus ternes renforcent le ton sérieux, au prix d'une certaine austérité visuelle.
J'ai apprécié le réalisme du récit et la découverte du fonctionnement interne de la DGSI, à mi-chemin entre une équipe policière classique et un service de renseignement menant des opérations audacieuses (comme implanter des outils informatiques indétectables dans du matériel étranger). Le contexte, fixé en 2019, évite les bouleversements géopolitiques récents (guerre à Gaza, isolement de la Russie, chute éventuelle de Bachar Al-Assad), ce qui donne un ton un peu daté mais renforce aussi la crédibilité du scénario et la possibilité qu'une partie de ces événements soit inspirée de faits réels.
Tout n'est pas irréprochable : certaines incohérences m'ont laissé dubitatif, comme l'absence d'images satellites pour vérifier une cible à bombarder ou la raison exacte du retour de l'ingénieur iranien, dont la mission semblait déjà accomplie. Malgré cela, l'histoire reste captivante et instructive, portée par des personnages solides, mêlant dimension humaine, intrigue policière et tension d'espionnage.
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Horizons climatiques - Rencontre avec neuf scientifiques du G.I.E.C.
Je vais être partial sur ce coup-là, parce que le sujet est selon moi bien trop capital pour qu'on brocarde cette BD. Je n'ai pas trouvé le dessin très super, et je ne partage pas toujours l'humour distillé dans ces pages. Mais ! Mais cette BD permet de parler du seul sujet qui sans doute nous concerne toutes et tous : la fin de la vie, la mort de la planète Terre, l'extinction de l'espèce humaine. L'écologie n'est plus une option. Après avoir lu cette BD, j'ai lu le rapport du GIEC (la version condensée), j'ai suivi certaines personnalités interviewées ici. Et mine de rien, autant le sujet est tragique et urgent, autant ça m'a mis un sacré coup de pied au cul, tout en me redonnant un peu d'espoir. Je ne sais plus quelle scientifique évoque cette question, mais le fait d'entendre des hommes et femmes de Science outrepasser le principe de neutralité en raison précisément de l'urgence imposée par la situation est extrêmement porteur. Nous n'avons plus d'autre choix que de tourner le dos au capitalisme !
A.S.T.
Voilà une série jeunesse que j'avais découverte à Angoulême il y a fort longtemps et qui était venu enrichir les bacs de la médiathèque où je travaille. Depuis, elle continue de ravir notre jeune lectorat grâce à une heroïc fantasy humoristique drôle et efficace ! Ced et Jean-Philippe Morin ont su trouver le bon équilibre dans ce mélange des genres, avec des personnages truculents. Si l'histoire déroule sur la longueur, chaque planche trouve sa chute, petit plus qu'apprécie beaucoup le jeune lectorat. Bref, un petit bonbon acidulé de fantasy qui fait plaisir à lire, même en tant qu'adulte !
Le Chat du ronin
Oooh, je vais rejoindre Canarde : je crois que celui-ci fait également partie de mes préférés de la collection. Le dessin est magnifique, le découpage est vif et travaillé (même si peut-être un chouïa brouillon par moment), le contraste entre le récit plein d'action et de cauchemars et la chute est savoureux, … C'est du bon, à n'en pas douter. Après, malheureusement, comme pour le reste de la collection, la lecture étant très courte, même si cette dernière est pleine de qualité on se retrouve finalement avoir assez peu à dire sous peine de finalement décrire absolument tout ce qui s'y trouve. (Note réelle 3,5)
La Machine à détruire - Pourquoi il faut en finir avec la finance
Une lecture salutaire. Un album indispensable dans toutes les bibliothèques. Un album dont on ne peut ressortir que révolté, et le mot est faible. Je n'ai pas bien sûr attendu cette lecture pour savoir que notre société est gangrenée par le système capitaliste, mais elle m'a ouvert les yeux sur le monde de la finance. Un monde qui m'était obscure et un système qui détruit des vies mais aussi la planète. Aline Fares a travaillé de nombreuses années pour la banque Dexia, elle nous fait un constat sur la finance qui donne la gerbe. Elle se met en scène tout le long de l'album pour nous expliquer tous les rouages de la finance et des conséquences bien réelles dans notre quotidien. Alors oui la lecture est dense (avec une petite dose d'humour) et demande de la concentration (tout en restant accessible), elle permet de comprendre comment et pourquoi on en est arrivé là, mais surtout de désigner les responsables de notre société pourrie : les banques et les politiques (de tous pays). Et c'est toujours les mêmes qui payent l'addition quand ça dérape (crises financières) : les travailleurs qui doivent supporter l'austérité (ben voyons, il est question de nous retirer 2 jours fériés pour résorber la dette) comme remède miracle. Les seuls gagnants sont les gros actionnaires avec leurs dividendes. L'argent appelle l'argent, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres... Heureusement la lecture se termine avec une dose d'espoir, puisqu'Aline Fares propose des solutions pour casser le système, des propositions auxquelles nous tous pouvons apporter notre pierre à l'édifice. Il faut juste un peu de courage, se préparer à des moments difficiles et arrêter d'être spectateurs. Pas impossible ! Je tiens à souligner le très beau travail de Jérémy Van Houtte qui met son dessin simple et expressif au service des arguments d'Aline Fares avec une mise en page efficace et démonstrative. Un album à lire, indiscutablement. Coup de cœur.
Zaï Zaï Zaï Zaï
Je suis un grand amateur des productions de Fabcaro – je crois bien que je possède tous ses albums, et j’ai très rarement été déçu. Et là, je dois dire que c’est clairement l’une de ses meilleures réussites. Je ne m’étonne pas que cet album ait reçu plusieurs prix, car il est vraiment bon, tout en restant relativement atypique. C’est clairement un florilège d’humour totalement absurde, parfois nonsensique, toujours très con, et parfois noir. Un excellent cocktail dont je suis très friand. Du sourire au rire franc, quasiment tous les gags (s’il y a une histoire « linéaire », toutes les pages ou les deux pages un gag ponctue ce « road movie » absurde) sont réussis. Si vous êtes adeptes de ce genre d’humour, n’hésitez pas, c’est franchement bien fichu ! Et le ton est donné dès le départ, puisque le déclenchement de cette traque est dû à l’oubli d’une carte de fidélité d’un grand magasin au moment de payer. On devine peu à peu que Fabcaro se met en scène lui-même comme victime de cette course poursuite surmédiatisée. Autodérision, travail autobiographique, réflexion ironique sur le métier de bédéiste : on retrouve là quelques sujets récurrents chez Fabcaro (en particulier dans ses albums publiés chez La Cafetière). Bref, d’une anecdote insignifiante, Fabcaro va pousser jusqu’au bout du bout l’emballement médiatique (on retrouve là quelques travers déjà moqués dans le second tome de Nic Oumouk de Larcenet). Les petites lâchetés du quotidien, les petits ou les grands cons de notre entourage ou des médias, la société de consommation, la dictature de la routine, les grands élans de générosité creuse (excellente parodie des « tubes humanitaires » !), tout est passé à la moulinette, dans une histoire dont on peut supposer que Fabcaro l’a menée en légère improvisation, emporté par son élan : j’étais prêt à le suivre encore plus loin et longtemps. C’est d’ailleurs mon seul regret après ma lecture, c’est que cette « connerie » s’arrête. Du coup, je l’ai déjà relue trois fois ! Et vous encourage à en faire autant. ******************************** 10 ans jour pour jour après la parution de ce joyau d'humour - et de leur plus gros succès (plus de 400 000 albums vendus à ce jour !), les éditions 6 pieds sous terre ont publié une édition anniversaire, avec une couverture rigide classieuse. Ça a été pour moi l'occasion de rererelire cette histoire (et donc de me marrer encore, même si la surprise ne joue plus). Je n'ai pas été convaincu par certaines "modifications" apportées par une dizaine d'auteurs (voir détails sur la fiche), intervention insérées au coeur du récit d'origine. Parmi les bonus et entretiens inclus en fin d'album (d'intérêt inégal), j'ai par contre été intéressé par la correspondance entre Fabcaro et son éditeur au moment de la genèse de l'ouvrage. Les amateurs de Fabcaro et de cet album apprécieront sans doute cet ajout. ZZZZ reste de toute façon un chef d'oeuvre d'humour absurde et intelligent qu'on ne peut laisser de côté !
Orbital
Dernièrement Runberg m’a plutôt déçu avec ses séries SF, mais je dois dire que cette série me réconcilie avec lui. En effet, malgré une certaine inégalité, c’est globalement réussi et intéressant, la lecture est plaisante. D’abord grâce au travail graphique de Pellé. Son dessin est finalement simple, mais agréable et fluide, et j’ai aussi aimé sa colorisation. Il développe un univers dynamique et assez original, avec tous ces peuples extra-terrestres. Les décors ne sont pas trop développés, les races extra-terrestres ne sont pas forcément hyper originales, mais l’ambiance générale est vraiment plaisante. L’intrigue de Runberg est centrée sur deux personnages, qui travaillent pour une organisation tentant de régler les conflits entre « peuples » (l’ODI, sorte de transposition de l’ONU), un Humain, Caleb, et un/une Sandjarr, Mézoké. Caleb ressemble à Cosmik Roger (à tel point que j’ai un temps cru que Solé s’en était inspiré pour le parodier, mais en fait « Orbital » est postérieure). Si les luttes entre peuples, les complots, sur une planète ou dans l’espace sont pas mal vu ailleurs, Runberg a fait preuve d’une certaine originalité avec ces deux personnages plus diplomates que justiciers. Même si forcément on pense au duo de Valérian et Laureline ! Il n’y a pas non plus de bombasse – et d’ailleurs quasiment aucune femme – et la love story que je voyais poindre entre Caleb et Mézoké dès le premier tome n’existe pas. Les récits sont dynamiques, on ne s’ennuie pas. Runberg use de flash-backs, distillés tout au long des tomes, pour mieux nous faire connaître les deux héros, leur donnant une belle profondeur psychologique. Si les deux premiers albums posent bien décors et personnages, et forment un diptyque, il faut vraiment lire les albums dans l’ordre. Car de nombreux retours sur ce diptyque sont faits par la suite, et surtout le découpage en diptyque annoncé en quatrième de couverture ne correspond pas vraiment à ce que j’ai lu. En effet, les tomes 3 à 6 forment une histoire, un nouveau cycle commençant avec les tomes 7 et 8 (la frangine de Caleb revenant dans le jeu), même si, comme je l’ai dit, c’est davantage une histoire complète que des cycles hermétiquement découpés. D’ailleurs ce tome 8 se conclut avec le même type de cliffhanger qu’à la fin du tome 4 ! En tout cas, voilà une série que j’ai découverte tardivement, mais qui se révèle largement dans la bonne moyenne du genre SF, et qui devrait plaire aux amateurs. Note réelle 3,5/5.
Underground
Déjà le sous-titre (Rockers maudits et grandes prêtresses du son) résonne : tout un programme !!!! Il n'en fallait pas plus pour attirer un chaland tel que moi vers cette énÔrme BD rouge et noire dont la couverture magnifique évoque furieusement celle de l'indépassable Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band. Et bien m'en a pris car hormis quelques marronniers dont la présence dans ce copieux menu peut raisonnablement surprendre a priori (je pense en particulier à Patti Smith, mondialement connue), les autres artistes cités sont incontestablement des icones de l'underground. Au sommaire, parmi tous les noms énoncés, une dizaine ne m'évoque absolument rien. "C'est beaucoup" m'étonnais-je moi-même ! Je ne dis pas ça pour me vanter, mais en règle général, on s'étonne souvent de l'étendue de ma culture musicale. C'est comme ça, depuis que je suis tout minot, même pas encore en âge de parler, la musique est mon truc, la faute à mon grand refré qui m'a donné le virus (il est tout excusé). J'en écoute énormément, tous les jours. Ca rythme ma vie au quotidien. Comme si cela ne suffisait pas, il se trouve que je suis responsable du fonds rock (et BD accessoirement) d'une médiathèque. Le gars qui en veut quoi ! Pour dire : mon premier disque, qui était alors une K7, acheté avec mes propres deniers, c'était Thriller de Michael Jackson. On était en 1982, j'avais 8 ans... Mais ceci n'étant pas une chronique sur ma vie affligeante, je reprends le fil de mon propos. Donc oui ! Beaucoup de vrai(e)s inconnu(e)s au programme, et ça fait plaisir. Cette lecture est l'occasion d'approfondir, voire de découvrir des tonnes de trucs. Personnellement, j'ai (re)écouté tout Alex Chilton dont je connaissais déjà l'implication au sein de The Box Tops puis de Big Star. Et bien, ce n'est pas une surprise mais ce type est un génie. Dans l'album Bach's Bottom par exemple, enregistré principalement live en 1975 mais sorti en 1982 seulement, il a su capter l'énergie du punk naissant qu'il a abondement arrosé de soul, de rock'n'roll, de glam... J'ai aussi exploré l'œuvre de Moondog dont je ne connaissais que deux ou trois morceaux (que tout le monde connait par ailleurs sans le savoir, si si). J'ai tenté de dégoter des morceaux des Légions Noires, sans grand succès. J'ai découvert Eugene Chadbourne, John Fahey, Merrell Fankhauser... Enfin bref ! Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog signent avec Underground une petite Bible des artistes les plus emblématiques, si je puis dire, de la scène underground, tous genres confondus, dont les puristes ne pourront finalement que regretter la trop courte Guest List. Sortie en même temps que l'excellentissime Les Amants d'Hérouville dont le personnage principal, Michel Magne en l'occurrence, aurait tout à fait pu faire l'objet d'une insertion dans ce catalogue, Underground entretient la flamme d'un rock dont l'Histoire rhizomique se forge souvent dans les marges. Cet ouvrage n'a finalement qu'un inconvénient : il n'est que la base d'un travail d'exploration sonore que tout lecteur consciencieux accomplira avec délice en se lançant toutes oreilles cessantes dans l'écoute des tonnes de musique promises par nos deux complices... Oh yeah ! Et rebelotte pour le tome 2 ! Sauf qu'il figure encore plus d'inconnu-e-s au programme, que les deux compères Moog et Le Gouefflec donnent furieusement envie de découvrir ! Top ! Allez, je mets un cœur...
Ogoniok
Obéissez à la loi, mais attention à vos âmes, elles sont en danger… - Ce tome est une anthologie regroupant trois récits indépendants autour du thème des légendes et des contes. Son édition originale française date de 2013, et une réédition en 2025 avec une nouvelle couverture. Il a été réalisé par Sergio Toppi (1932-2012) pour le scénario et les dessins. Ce tome comprend cinquante-trois pages de bande dessinée. Ogoniok, publié pour la première fois en 1992, quatorze pages. Semion Gennadovich Polumin marchait depuis de longues heures dans la taïga sur les traces d’un renard. Il avait perdu le contact avec son expédition de chasse, mais il ne s’inquiète pas. N’est-il pas directeur de deuxième classe au ministère des finances ? Fidèle serviteur du tsar, un homme de poids… Il est sûr de lui. Il arrive devant une grande tente où il est accueilli par trois indigènes, à qui il demande du thé. Ceux-ci lui en offrent un de bon cœur, sans contrepartie. Il fait observer qu’il a vu beaucoup de traces de gibier : c’est une bonne zone de chasse par ici. Il continue : le coin paraît bon, en attendant qu’on vienne le chercher, il va faire quelques cartons. La quatrième de couverture annonce : Trois histoires russes avec des chamans qu’il aurait mieux valu ne pas provoquer… Dans cette première histoire, le lecteur relève le nom du protagoniste qui sonne indubitablement russe. Le commentaire du narrateur omniscient indique qu’il marche depuis de longues heures dans la taïga, c’est-à-dire une forêt de conifères de climat boréal. Il est accueilli dans une tente par trois autochtones certainement nomades. L’un d’eux raconte l’histoire de la belle Koticq et de son union avec un esprit dont naquit Ogoniok, qui dispose de pouvoirs surnaturels, ce qui fait de lui un chaman. La promesse est bien tenue. Le scénariste se montre facétieux : le chasseur venu de la ville n’a aucune chance, c’est une évidence dès la première page. Il se retrouve dans une situation de décalage culturel dont il s’avère incapable de mesurer la portée et les conséquences. Les trois nomades se montrent accueillants, honnêtes et soucieux de la sécurité de leur hôte. Ce dernier se montre incapable de les écouter et d’entendre ce qu’ils disent, d’accepter leur sagesse, de prendre en compte leur avertissement, pourtant explicite. D’un autre côté, il est vraisemblable que le lecteur, amateur de ce créateur ou novice, ait été attiré par la saisissante illustration de couverture, ou après avoir feuilleté l’ouvrage et être tombé sous le charme unique des dessins finement ouvragés, avec une saveur à nulle autre pareille. Dès la première planche, il retrouve cette forme de composition très personnelle : des illustrations comme mises côte à côte, avec un texte dans un cartouche, ou une tirade copieuse d’un personnage. C’est particulier. Pour la première planche : quatre cases. Une de la hauteur de la page pour mettre en valeur un long tronc dénudé, avec un oiseau perché sur une fine branche fragile en hauteur. Puis à gauche, la case comprenant le titre, ainsi que la moitié supérieure du crâne d’un renne avec ses bois. En dessous deux cases, une case également tout en finesse pour mettre en valeur une loutre dont le museau dépasse sur la case adjacente, et enfin une vue en plan éloigné avec les arbres au premier plan, et la petite silhouette du chasseur en arrière-plan marchant sur la neige immaculée. Le texte lie ces différentes vues, expliquant qui est le chasseur et ce qu’il fait là. Ainsi cette première histoire fait la part belle aux cases illustratives, qui trouvent cependant leur place naturelle dans la narration séquentielle. Le lecteur se délecte des différents animaux : des chiens attachés à la tente, la tête d’un mammouth aux longues défenses recourbées, un magnifique oiseau aux ailes complexes ornées de motifs intriqués (un exemple remarquable du travail de texture à l’encre), un extraordinaire élan d’Europe avec des bois exceptionnels et un pelage remarquable, et enfin un lapin très commun. Le lecteur se trouve subjugué par cette chasse enchantée, devenant soupçonneux comme Semion Gennadovich Polumin quant à ce que pouvait contenir le thé qu’on lui a offert. Le récit se termine dans une forme de justice immanente venant châtier l’hubris de ce chasseur. Kas-Cej, publié pour la première fois en 1994, vingt-cinq pages. Dans son riche appartement, Viktor Tikonovitch Barushkin reçoit son ami le Conseiller. Ce dernier est ravi de son retour et le félicite pour la qualité de son champagne en lui demandant l’autorisation de féliciter sa cuisinière. L’hôte demande à Eudoxie Arkadovia si elle a entendu monsieur le Conseiller, il leur rend hommage à tous les deux, elle pour son art culinaire, lui pour son amitié. C’est un honneur exceptionnel pour un modeste universitaire comme lui. Puis à la demande de son invité, il commence à raconter la dernière mission que lui a confiée l’institution : Il s’agissait d’aller exhumer de vieux ossements d’une tribu sibérienne insignifiante, qui fut décimée par la variole, il y a fort longtemps. Un travail ingrat et inutile, une preuve tangible de sa disgrâce… Un véritable exil… Cette deuxième histoire présente une plus grande consistance du fait sa pagination. Un autre conte, à la morale bien différente. Un autre homme de la ville qui se trouve à se rendre dans un petit village perdu dans la taïga. Il s’agit cette fois d’un universitaire, venant faire des recherches sur un peuple autochtone samoyède de Russie, ayant vécu à proximité du cercle polaire : les Nénètses, une des vingt-six ethnies de la Sibérie. L’auteur met à nouveau en scène un individu venant d’un environnement socioculturel plus sophistiqué, et qui est accueilli avec les honneurs, protégé par le gendarme Ghennadj Efimovitc, qui fait travailler la population pour les fouilles, le maintien de l’ordre étant assuré par le fait qu’il possède un fusil. Le récit se développe alors suivant deux thématiques : celle de l’individu ayant fait des études et intervenant dans un monde paysan, et celle de la manière dont s’exerce le pouvoir du tsar dans un village si reculé. En fonction des séquences, le bédéaste réalise des planches à la composition plus classique, avec des cases disposées en bande. Pour autant, le lecteur voit bien que sa personnalité déborde de partout : que ce soient les copieux phylactères qui dépassent sur la case adjacente, ou les illustrations très composées. L’artiste est au summum de son art : fins traits venant donner de la texture et du volume dans des entrelacs sophistiqués, aplats de noir aux contours irréguliers venant donner du poids à un ou plusieurs éléments de la composition, zones de blanc immaculé offrant une respiration dans la page. Chaque protagoniste dégage une personnalité intense : le très chic Barushkin avec ses incroyables moustaches, le plus solennel conseiller et ses petites moustaches, le vieux sage du village et sa barbe blanche, le gendarme, sa coupe improbable et sa bouille ronde, le pope avec sa toque et son regard intense et habité, les paysans méfiants. Cette histoire donne lieu à de magnifiques paysages, et la découverte du cadavre de Kas-Cej dans un état de conservation exceptionnel. Une narration visuelle somptueuse et minutieuse, une intrigue consistante, donnant pour une fois le beau rôle à l’étranger cultivé, même si le flambeau de la science contraint de battre en retraite devant les forces de l’obscurantisme qui écrase les âmes des gens simples… Transibérien, publié pour la première fois en 2011, quatorze pages. C’est ici que le fleuve impétueux traversait la taïga, s’élargissait et que ses eaux s’apaisaient. C’est là que Gennady Efremovic attendait, et c’est à cet endroit qu’il travaillait comme son père avant lui et sans doute son grand-père. Pour quelques kopecks, il transbordait sur l’autre rive tous ceux qui le lui demandaient. Gennady Efremovic se moquait bien de savoir à qui il rendait ce service pourvu qu’on le payât. Venus des sentiers cachés de la taïga, des chasseurs arrivaient des fugitifs, des marchands, des saints hommes, des gens qui ne desserraient pas les dents et ne posaient aucune question. Une seule chose causait souci à Gennady Efremovic… C’était le petit sac en peau dans lequel s’accumulaient, bien cachés, les kopecks durement gagnés. Le lecteur ressent tout de suite que deux décennies ont passé : les traits encrés sont plus secs, un peu plus lâches, plus bruts. La narration visuelle prend ainsi un ton plus âpre, plus direct, plus à l’essentiel. L’artiste se focalise plus sur les personnages et sur les visages, des individus évoluant dans un environnement sans pitié, endurcis jusqu’au mutisme, consacrant toute leur énergie à vivre. Le récit se fait également plus cruel. Le personnage est un passeur qui fait traverser le fleuve pour quelques kopecks dans une région perdue dans la taïga. Il constate progressivement qu’il n’a plus de client. Finalement l’un des derniers lui apprend que le train traverse cette zone depuis peu. Après plusieurs jours sans voir personne, arrive un dernier client, un baladin avec un singe sur son épaule, un conteur qui raconte des histoires niaises de gens qui sont morts, comme cela arrivera à tous, comme lui fait observer le passeur. L’auteur se montre sans illusion sur la nature humaine que ce soient les espoirs sans lendemain, ou que tous les moyens sont bons pour vivre, y compris escroquer plus pauvre ou moins malin que soi. Trois histoires se déroulant dans la taïga, trois personnages principaux différents, trois accueils différents. La narration visuelle enchante à chaque page, un élégant dosage entre des illustrations exceptionnelles, et une narration séquentielle, de copieux phylactères où les personnages exposent le récit ou leurs remarques… Et pourtant la lecture s’avère fluide et facile, agréable et incroyablement dépaysante. Sergio Toppi sait créer comme personne l’enchantement visuel, un délice de roi. Des contes avec une chute, comprenant aussi quelques observations sociales adultes, et des comportements allant de la mise en œuvre de l’intelligence, à la prédation du plus faible. Magnifique et pénétrant.
La Route
Bon, l'album a déchaîné les passions l'année dernière sur le site, je ne pouvais pas passer à côté ! Je ne connais pas le roman d'origine, je serais donc incapable de faire un quelconque comparatif entre les deux visions de ce même récit, mais de mon regard sans attente ni connaissance préalable particulière j'ai tout de même trouvé l'œuvre bonne. C'est une œuvre post-apocalyptique qui, comme toute œuvre du genre, nous dépeint les travers de l'humain poussé à l'extrême lorsque les civilisations s'effondrent. C'est sale, monstrueux, les paysages sont désolés, inhospitaliers, et les quelques survivants commettent des actes tous plus immondes les uns que les autres. Tout le sel de ce récit vient justement du fait que nous suivons un père cherchant par tous les moyens à protéger son fils du monde qui l'entoure. Il tente de lui cacher du mieux qu'il peut les horreurs qu'ils croisent, l'empêche de le suivre dans les bâtiments devenus charniers, tente de lui présenter le monde dans un prisme manichéen où ils seraient les gentils et où tous-tes les autres seraient les méchants. Leur quête à travers les États-Unis pour trouver un climat plus sain, plus viable, loin des incendies, des pillards et des pluies de cendre, est prenante. On craint à chaque instant, à chaque arrêt sur leur trajet. Chaque rencontre est un risque, chaque mort évitée une leçon cruelle pour le jeune enfant qui refuse pourtant toujours jusqu'au bout de devenir un monstre lui-même. Ce qui démarque cet album d'autres récits post-apocalyptiques est indéniablement le magnifique travail graphique de Larcenet. Je ne lui connaissais que son style "gros nez" donc j'avoue avoir été bien surprise de voir ici ses traits bien plus durs, moins cartoonesques. Le travail de la couleur est particulièrement intéressant, ne mélangeant que les teintes de noir, de gris, quelques fois de sépia et d'orange pour nous représenter cette menace du feu ayant brûlé le monde et étant toujours présente. Seuls de rares (très rares) éclats de couleurs vives brillent par moment, l'exemple le plus notable étant la canette de soda apparaissant presque comme un phare au milieu de toute cette grisaille. C'est un bon album, pas de doute là-dessus, je comprends pourquoi tout le monde l'a apprécié. Je ménagerais tout de même mon enthousiasme quant à sa qualité, l'œuvre n'est pas non plus révolutionnaire (étant friande de récit post-apo j'ai déjà vu/lu des dizaines de récits présentant les mêmes problématiques, le même désespoir et le même contraste entre l'espoir enfantin et la désillusion et cruauté du monde adulte). Encore une fois, l'album brille ici surtout par le travail graphique de Larcenet, sans lui l’œuvre m'aurait semblé bien moins intéressante je pense. L'album et son récit restent bons, j'insiste, je ne cherche pas à amoindrir ses qualités, mais pas la peine non plus de s'extasier et de crier au miracle face à une œuvre loin d'être aussi parfaite ou marquante que ce que j'avais pu entendre. Encore une fois, pas lu le roman d'origine, mais je m'y essaierai volontiers car je me dis que les réflexions internes et les perceptions/narrations biaisées des personnages, propres à la dimension littéraire, doivent rendre le récit plus vivant, plus marquant. (Note réelle 3,5)
Intelligences - Espionner, manipuler, trahir
À la manière de la série RG qui explorait les rouages des Renseignements Généraux avec l'appui d'un ancien de la maison, Intelligences propose une immersion similaire dans l'univers de la DGSI, épaulée ici par Hugo de Bénat, ex-agent du contre-espionnage français. La DGSI (Direction générale de la Sécurité intérieure) est l'équivalent français du FBI : une structure rattachée à la police, dédiée à la lutte contre le terrorisme et les ingérences étrangères, en collectant et transmettant des renseignements aux autorités compétentes. Nous sommes donc dans le domaine du contre-espionnage, non de l'espionnage. Dans cet album, il s'agit de coopérer avec le Mossad pour récupérer des données sensibles contenues dans l'ordinateur d'un ingénieur iranien en visite éclair en France… mais évidemment, rien ne se passe comme prévu. Le résultat est un polar crédible et réaliste. Gontran Toussaint livre un dessin maîtrisé, proche du style de Philippe Francq pour Largo Winch, jusque dans la typographie. La mise en scène est soignée, centrée sur les personnages et leurs dialogues, davantage que sur l'action. Les décors plus dépouillés et les couleurs plus ternes renforcent le ton sérieux, au prix d'une certaine austérité visuelle. J'ai apprécié le réalisme du récit et la découverte du fonctionnement interne de la DGSI, à mi-chemin entre une équipe policière classique et un service de renseignement menant des opérations audacieuses (comme implanter des outils informatiques indétectables dans du matériel étranger). Le contexte, fixé en 2019, évite les bouleversements géopolitiques récents (guerre à Gaza, isolement de la Russie, chute éventuelle de Bachar Al-Assad), ce qui donne un ton un peu daté mais renforce aussi la crédibilité du scénario et la possibilité qu'une partie de ces événements soit inspirée de faits réels. Tout n'est pas irréprochable : certaines incohérences m'ont laissé dubitatif, comme l'absence d'images satellites pour vérifier une cible à bombarder ou la raison exacte du retour de l'ingénieur iranien, dont la mission semblait déjà accomplie. Malgré cela, l'histoire reste captivante et instructive, portée par des personnages solides, mêlant dimension humaine, intrigue policière et tension d'espionnage.