Je voudrais penser comme un fleuve.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Étienne Davodeau, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-seize pages de bande dessinée. En exergue se trouvent deux citations, une de Philippe Descola, extraite de son ouvrage Par-delà nature et culture (2005), une autre d’une allocution de Bruno Latour, devant la Commission du Parlement de Loire, Tours, le 19 octobre 2019.
Un homme traverse à pied le long pont qui enjambe la Loire à Les Ponts-de-Cé. Il parvient au carrefour sur l’autre rive. Cela fait longtemps que Louis n’est pas revenu ici, depuis des années. Il fait encore une partie du chemin en auto-stop, puis il se fait déposer à quelques distances de sa destination, car il a décidé de finir son chemin à pied. Avec son petit sac baluchon à l’épaule, il marche tranquillement le long de la berge. Il croise un cycliste, il passe devant une maison isolée, le fleuve est calme et tranquille, la lumière orangée. Au beau milieu d’un chemin longeant un champ, totalement isolé, il cède à une impulsion du moment, il n’y a personne. Il se déshabille et laisse ses vêtements sur la rive. Il entre progressivement dans l’eau, il s’asperge le visage. Il s’immerge totalement, il se laisse flotter sur le dos, il fait quelques mouvements de crawl. C’est vrai, c’était il y a quelques années et il était plus jeune. Mais il s’est baigné là des dizaines de fois, et jamais il ne s’était fait piéger pas le courant. Lutter ne sert à rien. Essayer de se détendre. Laisser faire. Flotter. Il passe devant un pêcheur et son fils qui lui demandent si tout va bien, il répond : Impeccable. Il dérive le long d’un bateau et il répond qu’il n’a pas besoin d’aide, que tout va bien. Le batelier l’avertit que le coin est dangereux et que ce n’est pas très malin de nager juste dans le chenal.
Louis a dérivé sur deux ou trois kilomètres. Passé le premier moment d’inquiétude, c’est une belle balade. Bon, ça aurait pu être plus simple si le courant ne l’avait pas déposé sur la rive d’en face. Il ne se voit pas sonner à poil chez des gens. Il lui reste donc une solution qui devrait lui sembler complètement idiote. Mais là, non. Attendre la nuit noire. Et hop ! Lui, il est juste revenu pour revoir une vieille amie. Et bien sûr, à ce moment-là, il ignorait tout de ce qui allait suivre. Mais quoi ? Maintenant, il se dit que c’est sans doute la plus belle façon de revenir vers elle. On peut trouver ça un peu ridicule. Passé le pont, il remonte le courant. Et ces quelques kilomètres, c’est comme une remise à flot d’une période de sa vie. Une période heureuse. Avec elle. Tout nu, Louis marche sur le chemin de halage, remontant vers l’endroit où il a laissé ses affaires. Il effraie un oiseau de nuit. Il passe sur un pont en se détournant au passage d’une voiture, il traverse un village totalement endormi. Il continue à marcher le long de la berge. Il découvre qu’il est en train de traverser un champ d’orties, mais après y être entré. Malgré tout ça, il ne regrette rien. C’est une nuit magique.
Le titre se résume à un mot unique qui met en avant le fleuve Loire, et l’image de couverture se trouve dépourvue de présence humaine, le personnage principal étant également la Loire. Au cours du récit, le lecteur parcourt plusieurs pages contemplatives, dépourvues de mot, focalisées sur différents endroits du fleuve et de ses berges, parfois avec des activités humaines : au total vingt-et-une pages, souvent construites sur la base de quatre cases de la largeur de la page pour jouir d’un effet panoramique. Avec le personnage principal, le lecteur observe ainsi les belles couleurs de l’eau, en particulier quand Louis s’y baigne, un impressionnant travail de restitution en couleur directe. Il constate que l’eau est aussi calme de jour que de nuit, avec des teintes nocturnes beaucoup plus restreintes. Il reconnaît aussi bien les chemins de halage que les rives boueuses, les clôtures de champ, les herbes folles, sans oublier l’épisode avec les orties. Il constate à quel point le paysage s’avère changeant en fonction du moment de la journée et des conditions climatiques. Au fil des séquences, il voit également différentes formes de l’activité humaine : les barques de plaisance échouées sur la grève, un petit bateau à moitié coulé, des pécheurs isolés, des enfants qui sautent dans l’eau, un barrage, une station de pompage, une installation artistique, etc.
Le lecteur prend plaisir à cette forme de vagabondage dans des zones semi-naturelles, une balade ordinaire au bord du fleuve, à différents niveaux, chaque fois, avec ce fleuve quasi immobile et toujours indifférent. Il s’adapte au rythme des promenades et des contemplations, qui s’avère parfaitement en phase avec l’histoire. Plutôt qu’une intrigue à proprement parler, il s’agit d’un moment à la fois banal, à la fois totalement particulier dans l’histoire d’une demi-douzaine de personnes qui font connaissance pour la première fois ou presque pour certaines. Le point de départ est exposé dans les premières pages : Agathe a convié, par personne interposée, ses anciens amants à venir la rejoindre dans sa maison à proximité de la Loire. Ainsi, Louis, qui a vécu cinq ans avec elle se rend chez Lydia & Samuel qui ont hérité de la maison d’Agathe, et arrivent bientôt Djalil, qui a vécu trois ans avec elle, Suzanne, puis Nicolas. Ce sera l’occasion également de retrouver Laure, la fille d’Agathe, et de faire connaissance avec Zélie, la fille de Laure. Puis viendra le temps que chacun rentre chez soi. Au travers des brefs échanges, le lecteur comprend que Agathe était une femme très indépendante et libre, qu’elle a dû avoir de nombreux amants et conjoints, dont seulement quatre ont accepté son invitation. Elle a donc eu une fille sans jamais indiquer qui en est le père. Le lecteur adopte le point de vue de Louis, et se projette dans ses attentes. Il lui tarde de retrouver Agathe, ce qui ne se produira pas pour une raison incontournable. Il espère bien en apprendre plus sur cette femme et sur sa vie, au cours des échanges entre ses anciens amants qui vont ainsi l’évoquer, et… il en sera pour ses frais. La présence d’Agathe se fait sentir, toutefois l’objet du récit se trouve ailleurs.
Voilà un récit très particulier dans son approche : le titre est explicite, l’argument initial semble annoncer l’importance d’une femme, son déroulement correspond bien à la Loire comme personnage principal, perçue au travers des protagonistes. La narration visuelle emmène le lecteur au bord du fleuve, avec des traits de contour fins et légers, complétés par une mise en couleur directe nuancée et observatrice. En fonction de son état d’esprit à tel ou tel moment du récit, le lecteur va être plutôt sensible à telle caractéristique qu’à telle autre. Ainsi lors de la promenade nocturne dans le plus simple appareil, son intérêt peut se porter sur la représentation du pont au-dessus de la Loire : la forme du tablier, des piles, le motif géométrique de l’entrecroisement des poutrelles, les courbes inattendues du garde-corps en contraste les angles droits des poutrelles. Plus loin, il ne demande qu’à participer lui aussi à la préparation du repas en terrasse de la maison, une scène banale : découper les tomates, préparer le melon utiliser le moulin à salade, aller chercher de la ciboulette dans un pot derrière a cabane, sortir la bouteille qui est au frais, etc. Il sent une pointe de tristesse s’enfoncer en lui quand Louis se tient sur une chaise dans une chambre d’hôpital au chevet de José que la maladie a empêché de venir. Le bédéaste a opté pour une direction d’acteurs naturaliste, calme et mesurée, sans dramatisation particulière.
D’un côté, ce court séjour en bord de Loire peut paraître bien commun aux yeux du lecteur, s’interrogeant sur l’intérêt d’un séjour si peu touristique. De l’autre, il remarque la diversité de ce qui est représenté, la richesse de l’environnement. Il se fait la réflexion qu’il ne prend parfois conscience de cette multitude de petites choses que fortuitement. En page dix dans une petite case, un oiseau est dérangé par le passage nocturne de Louis. En page vingt-et-un, un bel oiseau prend son envol au-dessus de la surface de l’eau sur un magnifique camaïeu jaune en arrière-plan. En page trente, un renard se tient à l’abri des herbes en observant un point devant lui. En page quarante-six, un héron avance précautionneusement dans l’eau. De temps à autre, un vol d’oiseaux parcourt le ciel. L’auteur a dû effectuer un séjour conséquent dans cette région, et il est doué d’un sens de l’observation attentionné pour rendre ainsi compte des détails d’autant de facettes de cet environnement, pour pouvoir restituer autant de particularités, avec une telle justesse. Au point que l’ouvrage se conclut avec Louis indiquant qu’il voudrait penser comme un fleuve.
La narration visuelle raconte donc les différents aspects des vies humaines, ainsi que de la faune et de la flore dans cette région. Rapidement, l’esprit du lecteur en vient à établir des connexions entre différents éléments, à effectuer des rapprochements, à en déduire des liens de causalités, à y voir des métaphores. Au travers des propos de Louis, il apparaît que sa relation avec Agathe est indissociable de ce lieu, au point que la présence de la Loire peut être ressentie comme une métaphore de celle d’Agathe. Si cette dernière est absente voire morte, qu’est-ce que cela signifie pour le regard que porte Louis sur la Loire ? Il prend l’envie irrépressible à Louis de se baigner nu dans le fleuve, de se défaire de tous ses vêtements : une autre métaphore ? Une façon de se débarrasser de sa façade sociale, entre le déguisement et le fardeau, pour se plonger dans l’élément liquide comme un retour à la naissance ? Lorsqu’elle se présente aux anciens amants, Laure se livre à une véritable profession de foi : elle sait d’où elle vient, elle vient d’ici, elle est d’ici. Elle rend explicite que l’environnement dans lequel elle a grandi et s’est développée l’a façonnée, qu’elle est un produit du terroir. Au cours du récit, il est également question de ne pas opposer ses émotions à sa raison, de ne pas vivre dans le passé, avec un constat conscient du temps qui passe, de la confiance à accorder aux jeunes. Au cours d’un repas, Suzanne raconte une anecdote sur un chevreuil blessé, que l’inconscient de Louis transforme en symbole pendant un rêve, voire en métaphore pour Agathe. Finalement sur le plan narratif, il se passe bien plus de choses qu’un simple séjour en bord de Loire.
Un ouvrage en forme d’ode à la Loire ? Oui, l’auteur la représente avec plaisir, avec un sens de l’observation remarquable, avec des dessins faisant honneur aux ambiances lumineuses, au cours paisible, aux différentes composantes de son écosystème, aussi bien naturelles que la faune et la flore, aussi bien relevant des nombreuses manifestations de l’activité humaine. Un récit nonchalant et indolent, au rythme de l’écoulement quasiment insensible du fleuve ? Les enjeux et les réflexions du récit imprègnent doucement et discrètement le lecteur : le temps qui passe, les disparus et ce que la mémoire garde d’eux, les rencontres qui rapprochent, les souvenirs communs ténus et la distance qui sépare les existences, la pertinence des nouvelles générations, la fugacité de certaines choses (comme l’essor des voyages en avion). Une balade en mode détente, révélant ses saveurs et sa profondeur avec une infinie douceur.
La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ?
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, s’appuyant sur une série de crimes réels. Son édition originale date de 2010. Il a été réalisé par Peer Meter pour le scénario, Barbara Yelin pour les dessins, et Paul Derouet pour la traduction à partir de l’allemand. Il comprend cent-quatre-vingt-dix pages de bande dessinée, en noir & blanc avec des nuances de gris. Il se termine avec une postface de quatre pages présentant les faits historiques, puis les rôles de Friedrich Leopold Voget (avocat de la meurtrière), le docteur Franz Friedrich Droste (sénateur et président du tribunal criminel), et le pasteur Heinrich Wilhelm Rotermund (pasteur et confesseur de la criminelle emprisonnée), puis le devenir des actes du procès, et une présentation de la pierre du crachat à Brême.
Un train à vapeur progresse à bonne allure sur ses rails. Dans un des compartiments, une mère explique à sa fille : Sa dernière œuvre devait en fait s’intituler Le soc, pour bien montrer qu’il s’agit dans ce livre d’un retournement de la morale dominante. Et il continue d’y travailler, bien qu’il soit presque aveugle et ne dispose de personne pour le soigner. Lou répond qu’elle est très impatiente de lui être présentée à Rome. La mère continue : elles découvriront bien assez tôt son fameux professeur Nietzsche. En outre, Rome attendra car elles doivent d’abord régler d’importantes questions éditoriales à Hambourg. Sa famille s’extasie sur le fait que Hoffman & Campe publie les mémoires de sa mère. Lorsqu’elle pense à Heinrich Heine que sa mère a côtoyé presque chaque jour durant ses dernières années parisiennes et à…
Lou est interrompue par le contrôleur qui vient de pénétrer dans leur wagon pour annoncer qu’ils n’atteindront pas Hambourg à l’heure dite. Il faudra plutôt compter avec un gros retard, car leur train doit être détourné par Brême : un accident a coupé la voie vers Hambourg. Un transport militaire a explosé ce matin. Quinze personnes y auraient laissé la vie, et dix-neuf souffriraient d’atroces blessures à l’hôpital de Hambourg. Lou remarque que sa mère est soudain très pâle et elle le lui fait observer. Une femme s’emporte contre le contrôleur car l’annonce lui a causé du désagrément ; il lui présente ses excuses. Lou suggère à sa mère qu’elle aille consulter un médecin lorsqu’elles seront à Hambourg. Sa mère explique que de même que l’arôme d’une madeleine trempée dans le thé peut soudain faire renaître toute une enfance, l’idée du contact imminent avec Brême a ranimé un monde profondément enfoui en elle. Il lui faut d’abord faire le tri. À son propre étonnement, ressurgissent devant elle des événements anciens, aussi frais que s’ils s’étaient produits voici deux mois, et non un demi-siècle. Elle explique qu’elle était à peine plus âgée que sa fille aujourd’hui, lorsque deux journées à Brême menacèrent l’espace d’un instant de bouleverser le cours de son existence. À la demande de sa fille, elle raconte toute l’histoire : c’était en avril de l’année 1831. Il n’y avait pas encore de trains permettant un voyage confortable, tout était pénible.
Une couverture très austère. Un texte de quatrième de couverture qui indique que ce drame historique est basé sur une histoire vraie, celle de Gesche Margarethe Gottfried (1785-1831), surnommée L’ange de Brême. Le lecteur relève trois références littéraires et philosophiques dans le chapitre d’introduction à bord du train : Friedrich Nietzsche (1844-1900), Heinrich Heine (1797-1856) et la madeleine de Marcel Proust (1871-1922), évoquée dans Du côté de chez Swann (1913). Il constate au cours de sa lecture que le personnage principal, la journaliste chargée de réaliser un reportage sur la ville de Brême, n’est jamais nommée. Toutefois, la référence à Nietzsche, associée au prénom Lou qui se rend à Rome pour le rencontrer évoque Lou Andreas-Salomé (1861-1937) qui fut emmenée en Italie par sa mère Louise Wilm (1823-1913) pour des raisons de santé. Toutefois la narratrice est supposée avoir une vingtaine d’années au moment de l’exécution de la meurtrière en 1831, ce qui ne correspond pas avec sa date de naissance, ni avec le fait qu’elle aurait passé plusieurs années avec Heine. Cette dame est également l’amie de Bettina von Arnim (1785-1859) une femme de lettres et une nouvelliste romantique allemande. Au cours de la lecture, peu importe qu’il s’agisse bien de Louise Wilm ou pas, car cela n’a pas d’incidence sur le déroulement du récit. En revanche, les autres références historiques permettent de comprendre l’état d’esprit de l’autrice au cours de ses découvertes, ainsi que son jugement de valeur.
L’illustration de couverture envoûte littéralement le lecteur : ce regard si intense et indéchiffrable, la masse noire et compacte du buste, la coiffe qui cache les cheveux. Il est prêt à juger cette femme sur son apparence. Il entame sa lecture : une illustration en pleine page, la locomotive qui avance dans une sorte de brouillard ou dans le froid, un véritable tableau impressionniste. La séquence introductive dans le train présente des dessins avec des traits de contour parfois un peu lâche, un usage appuyé des zones de gris pour apporter de la consistance à chaque forme détourée, un niveau de détails fluctuant, pour un registre oscillant entre réalisme descriptif et ressenti. Il se retrouve avec une impression partagée : d’un côté des dessins à l’ambiance prenante, de l’autre des représentations parfois un peu naïves car trop simplifiées en particulier pour les représentations de voirie. Oui, mais quand même… Quand même, la vue du port de Brême en page seize présente clairement la disposition des maisons le long du quai, la forme du quai, les bateaux, une petite activité sur les quais, les escaliers d’accès, c’est-à-dire une description consistante et cohérente de ce lieu. Ainsi à plusieurs reprises, le lecteur prend le temps de lire un dessin correspondant à une prise de vue complexe et détaillée : le déploiement de la passerelle pour permettre aux passagers de débarquer, l’ombre agréable sous les arcades, les façades des bâtiments autour de la grand-place, un tonneau roulé sur les pavés, une perspective de la chambre louée par Louise évoquant celle du tableau La Chambre de Van Gogh à Arles (1888), une toiture en tuiles, les poutres apparentes dans la salle d’une auberge, la magnifique promenade pour sortir de la ville, les colonnades du bâtiment abritant la prison, les caves attenantes à l’auberge, la scène de foule à l’occasion de l’exécution publique.
D’ailleurs cette séquence d’exécution capitale met en lumière la qualité particulière de la narration visuelle. Très vite le choix des nuances de gris fait sens : l’écrivaine s’enfonce dans un monde assez sombre qu’elle ne soupçonnait pas, prenant tout d’abord conscience de la monstruosité du comportement meurtrier de la Gottfried, puis s’interrogeant sur ce qui a pu la conduire à empoisonner autant de personnes, dont beaucoup de sa famille la plus proche (jusqu’à ses propres enfants), s’inquiétant que ces affres trouvent un écho dans ses propres sensations de mal-être. De ce fait, l’attention du lecteur se détourne d’un mode représentatif réaliste, pour mieux apprécier le mode émotionnel. Il voit comment les cases font ressentir des sentiments et émotions complexes : le désarroi profond de Louise en apprenant que le train va stationner à Brême, la réserve prudente à chaque fois qu’elle s’adresse à un homme attestant d’une forme de bienséance sociale voulant que chaque femme se montre accommodante avec les hommes qui s’adressent à elle, le comportement très inapproprié du pasteur qui semble compenser une forme de manque de confiance vis-à-vis des femmes en se montrant agressif, l’étonnement sans borne de Louise quand on lui reproche son comportement qui était pour elle une réaction normale, l’attitude très officielle jusqu’à en être théâtrale du président du tribunal quand il prononce sa sentence sur l’échafaud. Et puis, l’attention du lecteur est parfois attirée par la longueur d’une séquence (par exemple l’exécution) ou par ce qui semblent être un décalage dans ce que montrent les images (par exemple ce charretier qui fouette son cheval avec libéralité) et le texte.
Le titre de l’ouvrage promet de découvrir l’histoire de ces crimes d’une tueuse en série, ainsi que peut-être le procès afférent. Le lecteur se rend compte que le récit est entièrement raconté du point de vue de l’écrivaine qui vient réaliser un reportage sur la ville, et qui se trouve confrontée à plusieurs personnes qui souhaitent lui parler de l’exécution imminente et des crimes. Il découvre donc ces meurtres et l’empoisonneuse par personnes interposées, à l’exception d’extraits de compte-rendu d’interrogatoire qui rapportent la parole de Gesch Gottfried. Par ce mode indirect, les crimes sont bien racontés, ainsi que les interrogations des différents interlocuteurs sur la personnalité de l’empoisonneuse, sur ses motivations réelles, avec des points de vue contradictoires sur ces dernières, en fonction de la personne qui raconte. L’écrivaine sert donc de candide découvrant progressivement l’affaire, et de personnage dans lequel le lecteur peut se projeter, lui aussi étant un étranger dans cette ville inconnue.
Au fil des pages, Louise en apprend plus sur les crimes, sur les victimes, sur le mode opératoire, sur ce qui les rend inacceptables dans cette société, cet endroit du monde, à cette époque. Dès le début, le lecteur constate la stature sociale très relative de l’écrivain : elle voyage seule, les aléas de voyage lui ayant conféré une véritable autonomie, tout étant soumise à l’autorité plus ou moins explicite des hommes, parfois simplement d’un point de vue économique d’autre fois social, un vrai patriarcat sous-jacent. Elle finit par se faire la remarque : Il est triste qu’ici aussi, une femme ne soit considérée que comme l’animal de compagnie d’un homme ! Elle constate que certains de ses interlocuteurs ont une idée bien arrêtée sur les motivations de l’empoisonneuse, pour répondre à la question : Quel motif peut-il bien conduire une femme à tuer ou à tourmenter autant de gens avec du poison ? Ainsi celui qui estime que : Une femme devrait rembourser la dette de la vie non par l’action mais par la souffrance, par les douleurs de l’enfantement et la soumission à l’homme, pour qui elle doit être une compagne patiente et agréable. L’avocat estime que : Le juge ne peut être remplacé par le médecin, et il regrette d’avoir dû plaider l’irresponsabilité, contre ses convictions morales.
Or l’écrivaine sent que : Il était de retour ce vague à l’âme qui la prenait parfois. Elle ne se connaissait pas elle-même et elle voulait écrire sur les autres. Mais comment l’être humain peut-il se connaître ? Il n’est qu’une chose sombre et cachée. Tout naturellement elle ressent une forme d’empathie pour la femme Gesche Gottfried, sans pour autant cautionner ses meurtres, ce qui l’amène à s’interroger : La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ? Elle constate que plus les habitants l’entraînent dans leur affaire criminelle, plus l’échec d’une société devient évident. Ils ne pouvaient, en aucun cas, ne fusse qu’évoquer l’idée qu’ils avaient devant eux une femme dont l’âme et l’esprit étaient malades. C’eut été avouer que durant des années ils étaient restés indifférents aux pulsions meurtrières d’une femme malade. Ils n’avaient plus d’autre choix que voir en Gesche Gottfried une femme tuant froidement et par pur égoïsme, qui avait su, toutes ces années, tromper froidement son entourage. Et tout ce qui risquait d’abimer cette image était aussitôt étouffé dans l’œuf. Elle se souvient également d’une réflexion de Novalis (1772-1801) : il était convaincu d’un lien profond et mystérieux entre luxure, religion et cruauté. Elle conclut : Il semble à la lumière de tout ceci, qu’une autre présentation des faits soit possible. Que cette Gesche Gottfried n’est rien d’autre qu’un exemple, poussé jusqu’à la plus complète absurdité, d’une société agressive, sans scrupules, et atteinte dans son âme et son esprit. Le lecteur rapproche cette réflexion de la maltraitance du cheval par le commerçant, comme une métaphore. Et elle se demande si elle avait des points communs avec une femme qui s’était comportée de manière aussi extrême à l’égard de ses contemporains ? Se sentait-elle, elle aussi, dans ce monde dominé par les hommes, comme broyée par de gigantesques meules ? Et tandis que l’écrivaine essayait de supporter cette impuissance par l’écriture, Gottfried avait-elle sombré dans la folie ?
Quel regard intense sur cette couverture ! Le récit d’une empoisonneuse à Brême ayant ainsi tué plus d’une quinzaine de personnes, au travers d’une enquête menée par une journaliste au début du dix-neuvième siècle. Une narration visuelle très grise jouant sur les sensations de malaise de la narratrice. Au fur et à mesure, un vrai polar qui sonde les mécanismes sous-jacents d’une société oppressive. Accablant.
Je rejoins les avis très positifs sur ce comics !
Je n'ai jamais lu le roman, mais j'ai vu jeune la série animée des années 2000 qui apparemment est plus légère que l'histoire originale, et malgré tout je trouvais déjà que le ton de la série était souvent glauque ! Et maintenant que j'ai lu ce qui semble être une adaptation plus fidèle, je vois à quel point ce n'est pas pour les enfants !
Le récit est rapidement prenant et j'ai été captivé du début jusqu'à la fin. Les personnages sont terriblement attachants et j'avais vraiment envie de les voir gagner le droit de vivre enfin en paix après tout ce qu'ils ont vécu ! L'histoire explore des thèmes forts et j'aime bien comment est décrite la vie des lapins. Ils ont même leurs propres mythologies et tout est cohérent. Il y a des scènes fortes, comme la fin qui a réussi à me faire verser une larme. Le dessin est très bon et la mise en scène est dynamique. Alors certes, c'est un peu difficile de différencier les lapins, alors que dans le dessin animé c'était plus facile vu qu'ils avaient des voix différentes, mais cela ne m'a pas trop dérangé, même s'il faut se concentrer pour bien se souvenir de qui est qui.
Une très bonne adaptation qui m'a donné envie de lire le roman !
Une modernité incroyable, des fringues aux décors, cette histoire de la petite américaine des années 50 ravira encore aujourd'hui toutes les gamines de 15 ans (l'âge de l’héroïne).
Cela fût pour moi d'une influence extraordinaire pour ma féminité.
Les histoires étaient marrantes et simples.
Sa maladresse était charmante, et tous les repères de ces années là y étaient.
Je le conseille à tous, même adultes, rien que pour les dessins très détaillés.
Incroyable, superbe, moderne.
J'ai du lire l'album deux fois pour décortiquer ce qui me parle et ce qui me dégoûte . Je l'ai acheté pour soutenir les éditions Ici-même et le post-apo vu depuis l'Australie, ça m'a intriguée...
Cela peut se lire comme une allégorie du capitalisme mondialisé. Son story telling si puissant vend l'exode vers le nord, comme un voyage vers la réussite alors même que toutes les informations son accessibles pour voir que la plupart des migrants seront très maltraités et n'auront comme destin, pour les plus chanceux, que le retour au bercail plus pauvre que jamais... Et dans "La fange", pour les autres... la perte de membres, la maladie, la mort.
Un monde caca d'oie où tout est laid ou presque, et le dessin aux cases très remplies pourrait faire penser à Jano, mais sans cette joie colorée du déglingué, et avec un cynisme qui rappelle un peu Hitchkock par les mécanismes d'escroquerie qui ressemble un peu à ceux de l'espionnage anglais... (Drôle de rapprochement !)
Par ailleurs c'est une histoire familiale, de deux frères avec une mère qui a son préféré, Lippy (pour Lipton). L'exemple type de la mauvaise mère, qui fait les mauvais choix et aime son fils uniquement parce qu'il est le reflet d'elle-même.
C'est aussi l'ambiance d'une ville où le seul mode de survie et soit d'être escroc, soit d'être escroqué. Et les deux héros qui échappent à cette alternative sont ceux auxquels on s'identifie : l'autre fils Penn, ("qui a oublié d'être moche" selon sa propre constatation) et une gamine rouquine qui ne sait pas mentir.
Sans ces deux personnages qui portent un regard en biais, et espèrent confusément autre chose, on ne pourrait rien sauver de cet univers... mais justement ils sont là...
Ce maelström de dégoût et d'espoir finit par faire son boulot.
Je me reconnais bien dans l'avis de Sloane, et je suis curieuse de voir effectivement si une suite pourrait me surprendre...
Après « Le Petit Frère », où il évoquait l’accident tragique qui avait emporté son jeune frère dans les années 70, Jean-Louis Tripp s’attaque à un autre (gros) morceau de son passé familial. Cette fois-ci, c’est son « papa », Francis, qui est au cœur de ce très beau roman graphique. Et vu la taille du livre (350 pages), on se dit qu’il y avait un besoin impérieux de la part du « fiston » de raconter l’histoire de ce personnage haut en couleurs, avec ses failles et ses contradictions.
C’est ainsi que l’auteur va partir de sa propre enfance pour dresser le portrait de son père. Le livre commence par un rêve perturbant où il s’imagine en train de l’ensevelir sous la terre après l’avoir étranglé… une scène qui pose la tonalité du récit, résumant les sentiments ambivalents qui pouvaient parfois l’assaillir lorsque le paternel s’opposait à ses choix, comme par exemple lorsque le vélo de course dont il rêvait à Noël avait été remplacé par le modèle le plus ringard…
Grâce à un dessin très détaillé, ce portrait ambitieux nous emmène dans ces années 60-70 où tous les ressorts d’une nostalgie sans trace de mièvrerie sont activés, et cela ne manque pas de charme. Tripp nous détaille notamment plusieurs anecdotes assez croustillantes où l’on découvre un Francis très énergique, par exemple lors des vacances à la mer où, suite à une panne ayant immobilisé la Dauphine toute neuve, ce roi du système D réussit à ressusciter une vieille 4CV de substitution (une vraie ruine !), pour le plus grand bonheur des enfants. Celui-ci, par ailleurs communiste revendiqué (à une époque où le PC avait encore le vent en poupe), montre un visage émerveillé durant une escapade en RDA, à la limite du déni malgré les lourdeurs administratives aux frontières ou les queues devant les magasins sous-approvisionnés.
Ce fils d’enseignants qui fut aussi l’élève de son père en 6ème, ne cherche pas à enjoliver le personnage lorsqu’il le montre en proie à de terribles sautes d’humeur, ou qu’il relate ces engueulades magistrales avec son épouse, qui ne manquait pas de lui tenir tête. Mais Jean-Louis ne fait ici qu’évoquer le plus objectivement et le plus sincèrement possible l’image qu’il a conservé de son géniteur, et même s’il avait des choses à lui reprocher, cette bio ne comporte aucune acrimonie. La tendresse qu’il laisse émerger envers cette « statue du commandeur », avec toutes ses fissures, révèle que ce livre n’est en fin de compte qu’un exutoire menant au pardon et à la reconnaissance vis-à-vis d’un homme qui malgré ses maladresses ne voulait que le bien de ses enfants. D’ailleurs, lui-même ne cherche pas non plus à se mettre en valeur et ne nie pas sa part de responsabilité dans l’éloignement qui s’était accentué au fil des années (« Depuis toujours, je suis celui qui part », p.322), mais se pose plutôt des questions à l’égard de celui qu’il confessait ne plus reconnaître vers la fin de ses jours, notamment à cause de la maladie. Ce père, à qui il avait pu faire quelques aveux quelques années avant sa mort et qui s’était dit prêt à consulter un psy, même s’il savait qu'il ne le ferait jamais, ce père, à l’image de cette génération d’hommes « qui gardaient pour eux leurs blessures profondes et leurs espoirs perdus ».
Grâce à un dessin d’un réalisme étourdissant, très fouillé, à la tonalité très chaleureuse — l’auteur de « Magasin général » n’a plus grand-chose à prouver quant à son talent —, « Un père » est non seulement un très bel hommage mais aussi un étonnant témoignage historique (oui !), très immersif et captivant à la fois, où les personnages y sont dépeints de façon très expressive. La mise en page demeure quant à elle toujours maîtrisée. Tripp a opté globalement pour le noir et blanc, ne recourant à la couleur que pour certains éléments d’une case ou certains passages, d’une portée toujours signifiante.
« Un père », C’est une tranche de vie ordinaire devenue un portrait passionnant, authentique et très vivant, sous l’œil d’un fils réconcilié non seulement avec son paternel mais aussi avec lui-même. Une histoire à la fois joyeuse et tragique, pleine de tendresse, où l’humour n’est pas en reste. La fin de l’album se conclut sur cette photo qui résume plutôt bien le personnage. Et, si l’on n’oublie pas de déplier le rabat de quatrième de couverture, on pourrait bien tomber en extase devant la photo du magnifique slip de bain très vintage de Francis, celui-là même qu’il portait lors de l’édifiante séquence suisse (mais je n’en dirai pas plus !).
Numéro invalide est l’une de ces œuvres qui devrait être connues de tous. C’est un manga bien narré, avec des dessins percutants qui arrivent à nous faire ressentir toutes les émotions et l’enfer que la mangaka a vécus. La mangaka est très douée pour synthétiser et rendre accessible des informations médicales. C’est une œuvre difficile à lire par sa violence mais nécessaire. À recommander en masse.
Décidément, Benoît Collombat a le tour pour trouver des sujets d'enquêtes qui me passionnent.
Ici, c'est une enquête sur le meurtre de la militante anti-apartheid Dulcie September qui n'a jamais été élucidé et qui cacherait de gros secrets d'états. Il faut dire qu'on en va pas juste avoir une biographie de Dulcie, un résumé de l'enquête qui n'a rien trouvé et des pistes sur qui sont les responsables et les complices de cet assassinat: on va aussi voir l'hypocrisie de la France qui continuait de faire du commerce avec l'Afrique du Sud malgré l'embargo, l'historique des relations entre ses eux pays et bien plus encore !
C'est donc un documentaire un peu lourd qu'on ne peut pas lire d'une traite, à moins d'avoir plusieurs heures de libres. Je pense que certains lecteurs risquent de s'ennuyer, mais moi je trouve cela passionnant parce que cela parle d'affaires d’État, de relations internationales et des ravages du capitalisme avec toutes ces entreprises qui n'ont aucun problème pour faire des affaires avec les pires régimes. Il y a des passages qui vont choquer, quoique je ne suis pas du tout surpris par ce que j'ai lu. C'est aussi un bon rappel historique que pendant plusieurs années Nelson Mandela était vu par plusieurs que comme un terroriste et des élus (et pas seulement ceux d'extrême-droite) pouvaient vanter le régime d'Apartheid.
J'ai trouvé cet album bien complet et captivant à lire, malgré la quantité d'informations que le lecteur doit digérer.
Une société qui se lézarfe
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Ce tome comprend les épisodes 1 à 4 de la minisérie, initialement parue en 2003, formant une histoire complète, relativement indépendante (il faut connaître les caractéristiques principales du premier épisode des Fantastic Four pour l'apprécier). Le scénario est de James Sturm, les dessins et l'encrage de Guy Davis. Robert Sikoryak dessine et encre les cases consacrées au comics de Vapor Girl.
Le récit commence par deux pages de texte dans lesquelles James Sturm explique qu'il s'est rendu compte que Stan Lee et Jack Kirby avaient basé les personnages des Fantastic Four sur des membres de sa propre famille ayant réellement existé. Viennent ensuite une reproduction des pages 9 à 13 de l'épisode 1 de la série Fantastic Four, initialement paru en 1961.
L'histoire commence en 1958, alors que le professeur Reed Richard étudie le comportement de molécules étranges. Il reçoit la visite d'un groupe d'étudiant dont un certain Adrian Lampham assez critique et impertinent. Susan Sturm se conduit en épouse modèle, en veillant sur son petit frère depuis le décès de leurs parents, et en s'occupant des tâches domestiques dans le foyer de Reed Richards (même s'ils ne sont pas mariés). Johnny Sturm zone dans les rues, avec Rich Mannelman son meilleur ami. Ben Grimm est une célébrité locale dans son quartier, entraineur de boxe, apprécié de ces dames (en particulier Myrna, sa compagne du moment).
Quand le lecteur commence sa lecture, il perçoit nettement l'influence d'Alan Moore dans la forme du récit. James Sturm inscrit cette histoire dans une époque déterminée, il rédige des textes venant étoffer le concept de départ qui est que les Sturm, Richards et Grimm étaient des individus ayant vraiment existé, qui auraient servi de modèles à Jack Kirby et Stan Lee pour créer la dynamique familiale des Fantastic Four.
Le lecteur a le plaisir de (re)découvrir les dessins à l'élégance discrète de Guy Davis, dessinateur attitré de la série BPRD pendant plusieurs années, de 2003 à 2011. Ce dessinateur combine une apparence surannée (adaptée aux années 1950), avec un aspect évoquant des croquis rapides (pour une impression de spontanéité), et un degré de précision épatant. Il recrée les années 1950 avec une fidélité et une authenticité sans faille, qu'il s'agisse des vêtements, des constructions, des sous-vêtements (le soutien-gorge de Susan), des véhicules, etc.
Alors même que le lecteur éprouve l'impression donnée par des dessins vite-faits, il constate dans le même temps que le langage corporel est mesuré et expressif, que les individus ont des morphologies variées et réalistes. Guy Davis conçoit des mises en scène qui évitent les suites de têtes en train de parler, au profit de la gestuelle des individus, de leurs déplacements permettant d'avoir d'autres aperçus de leur environnement. Guy Davis est donc un metteur en scène très compétent, doublé d'un accessoiriste intelligent. La reconstitution s'avère passionnante sans être envahissante ou écrasante. La direction d'acteurs est aussi discrète que parlante, le lecteur s'attachant immédiatement à chacun des personnages.
Alors que le titre laisse présager un lien très fort avec les superhéros des Fantastic Four (les fameuses molécules instables dont sont faits leurs costumes), le lecteur constate rapidement que ce récit est plutôt l'occasion de dresser un portrait de la société des États-Unis en 1958, à l'amorce d'une évolution sociale significative.
James Sturm commence par montrer que Susan Sturm se trouve à l'étroit dans son rôle de femme au foyer. Ben Grimm ressent un malaise existentiel, en ressentant ses limites d'individu sans espoir d'évolution. Johnny Sturm ne trouve pas sa place dans l'establishment, pas plus que son ami Rich Mannelman. Reed Richards regrette déjà que Susan Sturm ne lui soit pas inféodée, comme une dépendance au service de sa propre carrière.
James Sturm évoque cette période de l'histoire des États-Unis avec habilité. Susan Sturm lit Peyton Place (1956) de Grace Metalious. Johnny rencontre Joey King qui mène une vie de beatnik et qui lit Sur la route (1957) de Jack Kerouac. Il ne s'agit pas d'une reconstitution de surface. Le scénariste met en scène des problèmes de société (style de vie alternatif, homosexualité, femme au foyer, délinquance juvénile, femme battue, main baladeuse) en montrant en quoi ces caractéristiques sont inacceptables, soit par l'establishment, soit par les victimes. Il montre comment le carcan castrateur de la société de l'époque commence à présenter des fissures, annonciatrices de bouleversements culturels majeurs. De ce point, cette reconstitution est très réussie, et parlante.
Du coup, le lecteur a du mal à comprendre pourquoi le scénariste accorde la même importance à inscrire son récit dans la mythologie Marvel. Il est donc fait référence au premier comics des Fantastic Four. Stan Lee et Jack Kirby font une apparition dans une soirée donnée par les Richards. Il est question de la place sociale des artistes de comics (et même du statut d'un lettreur). Plus pointu, Sturm intègre des références à l'histoire des comics Marvel, à l'époque où cette entreprise n'existait pas encore et portait un autre nom. C'est le cas par exemple de la référence à Patsy Walker, personnage de comics à destination d'un lectorat féminin (bien avant qu'elle ne soit intégrée à l'univers partagé Marvel, comme superhéroïne).
Le sous-texte de ces références à Marvel (Ben Grimm parle aussi de sa tante Petunia) semble insister sur le fait que les comics Marvel sont le produit de cette époque révolue. Plus pernicieux, le fait que Stan Lee ait fait des Fantastic Four une famille soudée contre vents et marées semblent signifier qu'il évoquait un âge d'or révolu, une époque bénie où la cellule familiale constituait une valeur sûre (enfin surtout pour les hommes intégrés à la société, avec des revenus suffisants).
Au final, le lecteur ressort séduit par cette reconstitution visuelle des États-Unis de la fin des années 1950, convaincu par le portrait des lézardes sociales, mais un peu décontenancé par le rattachement forcé aux personnages Marvel. Quatre étoiles si le lecteur est venu pour les Fantastic Four. Cinq étoiles si le lecteur accepte que les thèmes du récit sont assez forts pour faire oublier ce lien imposé de force entre les Sturm et les Storm.
J'adore l'univers proposé dans cette série, j'adorerais un JDR dans cet univers.
J'aime l'originalité des quelques pages à lire dans chaque album, les dessins, les couleurs sont vraiment immersifs et léchés.
J'aime le côté Game of Thrones où il ne faut pas trop s'attacher aux personnages qui ont souvent un destin tragique (spoilers alert).
Le lien entre les albums est subtil et on sent que l'histoire n'en est qu'à ses débuts, il y a un véritable potentiel narratif pour peu que certains personnages perdurent... Comme Yaretsi par exemple.
Bref je conseille cette série.
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Loire
Je voudrais penser comme un fleuve. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Étienne Davodeau, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-seize pages de bande dessinée. En exergue se trouvent deux citations, une de Philippe Descola, extraite de son ouvrage Par-delà nature et culture (2005), une autre d’une allocution de Bruno Latour, devant la Commission du Parlement de Loire, Tours, le 19 octobre 2019. Un homme traverse à pied le long pont qui enjambe la Loire à Les Ponts-de-Cé. Il parvient au carrefour sur l’autre rive. Cela fait longtemps que Louis n’est pas revenu ici, depuis des années. Il fait encore une partie du chemin en auto-stop, puis il se fait déposer à quelques distances de sa destination, car il a décidé de finir son chemin à pied. Avec son petit sac baluchon à l’épaule, il marche tranquillement le long de la berge. Il croise un cycliste, il passe devant une maison isolée, le fleuve est calme et tranquille, la lumière orangée. Au beau milieu d’un chemin longeant un champ, totalement isolé, il cède à une impulsion du moment, il n’y a personne. Il se déshabille et laisse ses vêtements sur la rive. Il entre progressivement dans l’eau, il s’asperge le visage. Il s’immerge totalement, il se laisse flotter sur le dos, il fait quelques mouvements de crawl. C’est vrai, c’était il y a quelques années et il était plus jeune. Mais il s’est baigné là des dizaines de fois, et jamais il ne s’était fait piéger pas le courant. Lutter ne sert à rien. Essayer de se détendre. Laisser faire. Flotter. Il passe devant un pêcheur et son fils qui lui demandent si tout va bien, il répond : Impeccable. Il dérive le long d’un bateau et il répond qu’il n’a pas besoin d’aide, que tout va bien. Le batelier l’avertit que le coin est dangereux et que ce n’est pas très malin de nager juste dans le chenal. Louis a dérivé sur deux ou trois kilomètres. Passé le premier moment d’inquiétude, c’est une belle balade. Bon, ça aurait pu être plus simple si le courant ne l’avait pas déposé sur la rive d’en face. Il ne se voit pas sonner à poil chez des gens. Il lui reste donc une solution qui devrait lui sembler complètement idiote. Mais là, non. Attendre la nuit noire. Et hop ! Lui, il est juste revenu pour revoir une vieille amie. Et bien sûr, à ce moment-là, il ignorait tout de ce qui allait suivre. Mais quoi ? Maintenant, il se dit que c’est sans doute la plus belle façon de revenir vers elle. On peut trouver ça un peu ridicule. Passé le pont, il remonte le courant. Et ces quelques kilomètres, c’est comme une remise à flot d’une période de sa vie. Une période heureuse. Avec elle. Tout nu, Louis marche sur le chemin de halage, remontant vers l’endroit où il a laissé ses affaires. Il effraie un oiseau de nuit. Il passe sur un pont en se détournant au passage d’une voiture, il traverse un village totalement endormi. Il continue à marcher le long de la berge. Il découvre qu’il est en train de traverser un champ d’orties, mais après y être entré. Malgré tout ça, il ne regrette rien. C’est une nuit magique. Le titre se résume à un mot unique qui met en avant le fleuve Loire, et l’image de couverture se trouve dépourvue de présence humaine, le personnage principal étant également la Loire. Au cours du récit, le lecteur parcourt plusieurs pages contemplatives, dépourvues de mot, focalisées sur différents endroits du fleuve et de ses berges, parfois avec des activités humaines : au total vingt-et-une pages, souvent construites sur la base de quatre cases de la largeur de la page pour jouir d’un effet panoramique. Avec le personnage principal, le lecteur observe ainsi les belles couleurs de l’eau, en particulier quand Louis s’y baigne, un impressionnant travail de restitution en couleur directe. Il constate que l’eau est aussi calme de jour que de nuit, avec des teintes nocturnes beaucoup plus restreintes. Il reconnaît aussi bien les chemins de halage que les rives boueuses, les clôtures de champ, les herbes folles, sans oublier l’épisode avec les orties. Il constate à quel point le paysage s’avère changeant en fonction du moment de la journée et des conditions climatiques. Au fil des séquences, il voit également différentes formes de l’activité humaine : les barques de plaisance échouées sur la grève, un petit bateau à moitié coulé, des pécheurs isolés, des enfants qui sautent dans l’eau, un barrage, une station de pompage, une installation artistique, etc. Le lecteur prend plaisir à cette forme de vagabondage dans des zones semi-naturelles, une balade ordinaire au bord du fleuve, à différents niveaux, chaque fois, avec ce fleuve quasi immobile et toujours indifférent. Il s’adapte au rythme des promenades et des contemplations, qui s’avère parfaitement en phase avec l’histoire. Plutôt qu’une intrigue à proprement parler, il s’agit d’un moment à la fois banal, à la fois totalement particulier dans l’histoire d’une demi-douzaine de personnes qui font connaissance pour la première fois ou presque pour certaines. Le point de départ est exposé dans les premières pages : Agathe a convié, par personne interposée, ses anciens amants à venir la rejoindre dans sa maison à proximité de la Loire. Ainsi, Louis, qui a vécu cinq ans avec elle se rend chez Lydia & Samuel qui ont hérité de la maison d’Agathe, et arrivent bientôt Djalil, qui a vécu trois ans avec elle, Suzanne, puis Nicolas. Ce sera l’occasion également de retrouver Laure, la fille d’Agathe, et de faire connaissance avec Zélie, la fille de Laure. Puis viendra le temps que chacun rentre chez soi. Au travers des brefs échanges, le lecteur comprend que Agathe était une femme très indépendante et libre, qu’elle a dû avoir de nombreux amants et conjoints, dont seulement quatre ont accepté son invitation. Elle a donc eu une fille sans jamais indiquer qui en est le père. Le lecteur adopte le point de vue de Louis, et se projette dans ses attentes. Il lui tarde de retrouver Agathe, ce qui ne se produira pas pour une raison incontournable. Il espère bien en apprendre plus sur cette femme et sur sa vie, au cours des échanges entre ses anciens amants qui vont ainsi l’évoquer, et… il en sera pour ses frais. La présence d’Agathe se fait sentir, toutefois l’objet du récit se trouve ailleurs. Voilà un récit très particulier dans son approche : le titre est explicite, l’argument initial semble annoncer l’importance d’une femme, son déroulement correspond bien à la Loire comme personnage principal, perçue au travers des protagonistes. La narration visuelle emmène le lecteur au bord du fleuve, avec des traits de contour fins et légers, complétés par une mise en couleur directe nuancée et observatrice. En fonction de son état d’esprit à tel ou tel moment du récit, le lecteur va être plutôt sensible à telle caractéristique qu’à telle autre. Ainsi lors de la promenade nocturne dans le plus simple appareil, son intérêt peut se porter sur la représentation du pont au-dessus de la Loire : la forme du tablier, des piles, le motif géométrique de l’entrecroisement des poutrelles, les courbes inattendues du garde-corps en contraste les angles droits des poutrelles. Plus loin, il ne demande qu’à participer lui aussi à la préparation du repas en terrasse de la maison, une scène banale : découper les tomates, préparer le melon utiliser le moulin à salade, aller chercher de la ciboulette dans un pot derrière a cabane, sortir la bouteille qui est au frais, etc. Il sent une pointe de tristesse s’enfoncer en lui quand Louis se tient sur une chaise dans une chambre d’hôpital au chevet de José que la maladie a empêché de venir. Le bédéaste a opté pour une direction d’acteurs naturaliste, calme et mesurée, sans dramatisation particulière. D’un côté, ce court séjour en bord de Loire peut paraître bien commun aux yeux du lecteur, s’interrogeant sur l’intérêt d’un séjour si peu touristique. De l’autre, il remarque la diversité de ce qui est représenté, la richesse de l’environnement. Il se fait la réflexion qu’il ne prend parfois conscience de cette multitude de petites choses que fortuitement. En page dix dans une petite case, un oiseau est dérangé par le passage nocturne de Louis. En page vingt-et-un, un bel oiseau prend son envol au-dessus de la surface de l’eau sur un magnifique camaïeu jaune en arrière-plan. En page trente, un renard se tient à l’abri des herbes en observant un point devant lui. En page quarante-six, un héron avance précautionneusement dans l’eau. De temps à autre, un vol d’oiseaux parcourt le ciel. L’auteur a dû effectuer un séjour conséquent dans cette région, et il est doué d’un sens de l’observation attentionné pour rendre ainsi compte des détails d’autant de facettes de cet environnement, pour pouvoir restituer autant de particularités, avec une telle justesse. Au point que l’ouvrage se conclut avec Louis indiquant qu’il voudrait penser comme un fleuve. La narration visuelle raconte donc les différents aspects des vies humaines, ainsi que de la faune et de la flore dans cette région. Rapidement, l’esprit du lecteur en vient à établir des connexions entre différents éléments, à effectuer des rapprochements, à en déduire des liens de causalités, à y voir des métaphores. Au travers des propos de Louis, il apparaît que sa relation avec Agathe est indissociable de ce lieu, au point que la présence de la Loire peut être ressentie comme une métaphore de celle d’Agathe. Si cette dernière est absente voire morte, qu’est-ce que cela signifie pour le regard que porte Louis sur la Loire ? Il prend l’envie irrépressible à Louis de se baigner nu dans le fleuve, de se défaire de tous ses vêtements : une autre métaphore ? Une façon de se débarrasser de sa façade sociale, entre le déguisement et le fardeau, pour se plonger dans l’élément liquide comme un retour à la naissance ? Lorsqu’elle se présente aux anciens amants, Laure se livre à une véritable profession de foi : elle sait d’où elle vient, elle vient d’ici, elle est d’ici. Elle rend explicite que l’environnement dans lequel elle a grandi et s’est développée l’a façonnée, qu’elle est un produit du terroir. Au cours du récit, il est également question de ne pas opposer ses émotions à sa raison, de ne pas vivre dans le passé, avec un constat conscient du temps qui passe, de la confiance à accorder aux jeunes. Au cours d’un repas, Suzanne raconte une anecdote sur un chevreuil blessé, que l’inconscient de Louis transforme en symbole pendant un rêve, voire en métaphore pour Agathe. Finalement sur le plan narratif, il se passe bien plus de choses qu’un simple séjour en bord de Loire. Un ouvrage en forme d’ode à la Loire ? Oui, l’auteur la représente avec plaisir, avec un sens de l’observation remarquable, avec des dessins faisant honneur aux ambiances lumineuses, au cours paisible, aux différentes composantes de son écosystème, aussi bien naturelles que la faune et la flore, aussi bien relevant des nombreuses manifestations de l’activité humaine. Un récit nonchalant et indolent, au rythme de l’écoulement quasiment insensible du fleuve ? Les enjeux et les réflexions du récit imprègnent doucement et discrètement le lecteur : le temps qui passe, les disparus et ce que la mémoire garde d’eux, les rencontres qui rapprochent, les souvenirs communs ténus et la distance qui sépare les existences, la pertinence des nouvelles générations, la fugacité de certaines choses (comme l’essor des voyages en avion). Une balade en mode détente, révélant ses saveurs et sa profondeur avec une infinie douceur.
L'Empoisonneuse
La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ? - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, s’appuyant sur une série de crimes réels. Son édition originale date de 2010. Il a été réalisé par Peer Meter pour le scénario, Barbara Yelin pour les dessins, et Paul Derouet pour la traduction à partir de l’allemand. Il comprend cent-quatre-vingt-dix pages de bande dessinée, en noir & blanc avec des nuances de gris. Il se termine avec une postface de quatre pages présentant les faits historiques, puis les rôles de Friedrich Leopold Voget (avocat de la meurtrière), le docteur Franz Friedrich Droste (sénateur et président du tribunal criminel), et le pasteur Heinrich Wilhelm Rotermund (pasteur et confesseur de la criminelle emprisonnée), puis le devenir des actes du procès, et une présentation de la pierre du crachat à Brême. Un train à vapeur progresse à bonne allure sur ses rails. Dans un des compartiments, une mère explique à sa fille : Sa dernière œuvre devait en fait s’intituler Le soc, pour bien montrer qu’il s’agit dans ce livre d’un retournement de la morale dominante. Et il continue d’y travailler, bien qu’il soit presque aveugle et ne dispose de personne pour le soigner. Lou répond qu’elle est très impatiente de lui être présentée à Rome. La mère continue : elles découvriront bien assez tôt son fameux professeur Nietzsche. En outre, Rome attendra car elles doivent d’abord régler d’importantes questions éditoriales à Hambourg. Sa famille s’extasie sur le fait que Hoffman & Campe publie les mémoires de sa mère. Lorsqu’elle pense à Heinrich Heine que sa mère a côtoyé presque chaque jour durant ses dernières années parisiennes et à… Lou est interrompue par le contrôleur qui vient de pénétrer dans leur wagon pour annoncer qu’ils n’atteindront pas Hambourg à l’heure dite. Il faudra plutôt compter avec un gros retard, car leur train doit être détourné par Brême : un accident a coupé la voie vers Hambourg. Un transport militaire a explosé ce matin. Quinze personnes y auraient laissé la vie, et dix-neuf souffriraient d’atroces blessures à l’hôpital de Hambourg. Lou remarque que sa mère est soudain très pâle et elle le lui fait observer. Une femme s’emporte contre le contrôleur car l’annonce lui a causé du désagrément ; il lui présente ses excuses. Lou suggère à sa mère qu’elle aille consulter un médecin lorsqu’elles seront à Hambourg. Sa mère explique que de même que l’arôme d’une madeleine trempée dans le thé peut soudain faire renaître toute une enfance, l’idée du contact imminent avec Brême a ranimé un monde profondément enfoui en elle. Il lui faut d’abord faire le tri. À son propre étonnement, ressurgissent devant elle des événements anciens, aussi frais que s’ils s’étaient produits voici deux mois, et non un demi-siècle. Elle explique qu’elle était à peine plus âgée que sa fille aujourd’hui, lorsque deux journées à Brême menacèrent l’espace d’un instant de bouleverser le cours de son existence. À la demande de sa fille, elle raconte toute l’histoire : c’était en avril de l’année 1831. Il n’y avait pas encore de trains permettant un voyage confortable, tout était pénible. Une couverture très austère. Un texte de quatrième de couverture qui indique que ce drame historique est basé sur une histoire vraie, celle de Gesche Margarethe Gottfried (1785-1831), surnommée L’ange de Brême. Le lecteur relève trois références littéraires et philosophiques dans le chapitre d’introduction à bord du train : Friedrich Nietzsche (1844-1900), Heinrich Heine (1797-1856) et la madeleine de Marcel Proust (1871-1922), évoquée dans Du côté de chez Swann (1913). Il constate au cours de sa lecture que le personnage principal, la journaliste chargée de réaliser un reportage sur la ville de Brême, n’est jamais nommée. Toutefois, la référence à Nietzsche, associée au prénom Lou qui se rend à Rome pour le rencontrer évoque Lou Andreas-Salomé (1861-1937) qui fut emmenée en Italie par sa mère Louise Wilm (1823-1913) pour des raisons de santé. Toutefois la narratrice est supposée avoir une vingtaine d’années au moment de l’exécution de la meurtrière en 1831, ce qui ne correspond pas avec sa date de naissance, ni avec le fait qu’elle aurait passé plusieurs années avec Heine. Cette dame est également l’amie de Bettina von Arnim (1785-1859) une femme de lettres et une nouvelliste romantique allemande. Au cours de la lecture, peu importe qu’il s’agisse bien de Louise Wilm ou pas, car cela n’a pas d’incidence sur le déroulement du récit. En revanche, les autres références historiques permettent de comprendre l’état d’esprit de l’autrice au cours de ses découvertes, ainsi que son jugement de valeur. L’illustration de couverture envoûte littéralement le lecteur : ce regard si intense et indéchiffrable, la masse noire et compacte du buste, la coiffe qui cache les cheveux. Il est prêt à juger cette femme sur son apparence. Il entame sa lecture : une illustration en pleine page, la locomotive qui avance dans une sorte de brouillard ou dans le froid, un véritable tableau impressionniste. La séquence introductive dans le train présente des dessins avec des traits de contour parfois un peu lâche, un usage appuyé des zones de gris pour apporter de la consistance à chaque forme détourée, un niveau de détails fluctuant, pour un registre oscillant entre réalisme descriptif et ressenti. Il se retrouve avec une impression partagée : d’un côté des dessins à l’ambiance prenante, de l’autre des représentations parfois un peu naïves car trop simplifiées en particulier pour les représentations de voirie. Oui, mais quand même… Quand même, la vue du port de Brême en page seize présente clairement la disposition des maisons le long du quai, la forme du quai, les bateaux, une petite activité sur les quais, les escaliers d’accès, c’est-à-dire une description consistante et cohérente de ce lieu. Ainsi à plusieurs reprises, le lecteur prend le temps de lire un dessin correspondant à une prise de vue complexe et détaillée : le déploiement de la passerelle pour permettre aux passagers de débarquer, l’ombre agréable sous les arcades, les façades des bâtiments autour de la grand-place, un tonneau roulé sur les pavés, une perspective de la chambre louée par Louise évoquant celle du tableau La Chambre de Van Gogh à Arles (1888), une toiture en tuiles, les poutres apparentes dans la salle d’une auberge, la magnifique promenade pour sortir de la ville, les colonnades du bâtiment abritant la prison, les caves attenantes à l’auberge, la scène de foule à l’occasion de l’exécution publique. D’ailleurs cette séquence d’exécution capitale met en lumière la qualité particulière de la narration visuelle. Très vite le choix des nuances de gris fait sens : l’écrivaine s’enfonce dans un monde assez sombre qu’elle ne soupçonnait pas, prenant tout d’abord conscience de la monstruosité du comportement meurtrier de la Gottfried, puis s’interrogeant sur ce qui a pu la conduire à empoisonner autant de personnes, dont beaucoup de sa famille la plus proche (jusqu’à ses propres enfants), s’inquiétant que ces affres trouvent un écho dans ses propres sensations de mal-être. De ce fait, l’attention du lecteur se détourne d’un mode représentatif réaliste, pour mieux apprécier le mode émotionnel. Il voit comment les cases font ressentir des sentiments et émotions complexes : le désarroi profond de Louise en apprenant que le train va stationner à Brême, la réserve prudente à chaque fois qu’elle s’adresse à un homme attestant d’une forme de bienséance sociale voulant que chaque femme se montre accommodante avec les hommes qui s’adressent à elle, le comportement très inapproprié du pasteur qui semble compenser une forme de manque de confiance vis-à-vis des femmes en se montrant agressif, l’étonnement sans borne de Louise quand on lui reproche son comportement qui était pour elle une réaction normale, l’attitude très officielle jusqu’à en être théâtrale du président du tribunal quand il prononce sa sentence sur l’échafaud. Et puis, l’attention du lecteur est parfois attirée par la longueur d’une séquence (par exemple l’exécution) ou par ce qui semblent être un décalage dans ce que montrent les images (par exemple ce charretier qui fouette son cheval avec libéralité) et le texte. Le titre de l’ouvrage promet de découvrir l’histoire de ces crimes d’une tueuse en série, ainsi que peut-être le procès afférent. Le lecteur se rend compte que le récit est entièrement raconté du point de vue de l’écrivaine qui vient réaliser un reportage sur la ville, et qui se trouve confrontée à plusieurs personnes qui souhaitent lui parler de l’exécution imminente et des crimes. Il découvre donc ces meurtres et l’empoisonneuse par personnes interposées, à l’exception d’extraits de compte-rendu d’interrogatoire qui rapportent la parole de Gesch Gottfried. Par ce mode indirect, les crimes sont bien racontés, ainsi que les interrogations des différents interlocuteurs sur la personnalité de l’empoisonneuse, sur ses motivations réelles, avec des points de vue contradictoires sur ces dernières, en fonction de la personne qui raconte. L’écrivaine sert donc de candide découvrant progressivement l’affaire, et de personnage dans lequel le lecteur peut se projeter, lui aussi étant un étranger dans cette ville inconnue. Au fil des pages, Louise en apprend plus sur les crimes, sur les victimes, sur le mode opératoire, sur ce qui les rend inacceptables dans cette société, cet endroit du monde, à cette époque. Dès le début, le lecteur constate la stature sociale très relative de l’écrivain : elle voyage seule, les aléas de voyage lui ayant conféré une véritable autonomie, tout étant soumise à l’autorité plus ou moins explicite des hommes, parfois simplement d’un point de vue économique d’autre fois social, un vrai patriarcat sous-jacent. Elle finit par se faire la remarque : Il est triste qu’ici aussi, une femme ne soit considérée que comme l’animal de compagnie d’un homme ! Elle constate que certains de ses interlocuteurs ont une idée bien arrêtée sur les motivations de l’empoisonneuse, pour répondre à la question : Quel motif peut-il bien conduire une femme à tuer ou à tourmenter autant de gens avec du poison ? Ainsi celui qui estime que : Une femme devrait rembourser la dette de la vie non par l’action mais par la souffrance, par les douleurs de l’enfantement et la soumission à l’homme, pour qui elle doit être une compagne patiente et agréable. L’avocat estime que : Le juge ne peut être remplacé par le médecin, et il regrette d’avoir dû plaider l’irresponsabilité, contre ses convictions morales. Or l’écrivaine sent que : Il était de retour ce vague à l’âme qui la prenait parfois. Elle ne se connaissait pas elle-même et elle voulait écrire sur les autres. Mais comment l’être humain peut-il se connaître ? Il n’est qu’une chose sombre et cachée. Tout naturellement elle ressent une forme d’empathie pour la femme Gesche Gottfried, sans pour autant cautionner ses meurtres, ce qui l’amène à s’interroger : La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ? Elle constate que plus les habitants l’entraînent dans leur affaire criminelle, plus l’échec d’une société devient évident. Ils ne pouvaient, en aucun cas, ne fusse qu’évoquer l’idée qu’ils avaient devant eux une femme dont l’âme et l’esprit étaient malades. C’eut été avouer que durant des années ils étaient restés indifférents aux pulsions meurtrières d’une femme malade. Ils n’avaient plus d’autre choix que voir en Gesche Gottfried une femme tuant froidement et par pur égoïsme, qui avait su, toutes ces années, tromper froidement son entourage. Et tout ce qui risquait d’abimer cette image était aussitôt étouffé dans l’œuf. Elle se souvient également d’une réflexion de Novalis (1772-1801) : il était convaincu d’un lien profond et mystérieux entre luxure, religion et cruauté. Elle conclut : Il semble à la lumière de tout ceci, qu’une autre présentation des faits soit possible. Que cette Gesche Gottfried n’est rien d’autre qu’un exemple, poussé jusqu’à la plus complète absurdité, d’une société agressive, sans scrupules, et atteinte dans son âme et son esprit. Le lecteur rapproche cette réflexion de la maltraitance du cheval par le commerçant, comme une métaphore. Et elle se demande si elle avait des points communs avec une femme qui s’était comportée de manière aussi extrême à l’égard de ses contemporains ? Se sentait-elle, elle aussi, dans ce monde dominé par les hommes, comme broyée par de gigantesques meules ? Et tandis que l’écrivaine essayait de supporter cette impuissance par l’écriture, Gottfried avait-elle sombré dans la folie ? Quel regard intense sur cette couverture ! Le récit d’une empoisonneuse à Brême ayant ainsi tué plus d’une quinzaine de personnes, au travers d’une enquête menée par une journaliste au début du dix-neuvième siècle. Une narration visuelle très grise jouant sur les sensations de malaise de la narratrice. Au fur et à mesure, un vrai polar qui sonde les mécanismes sous-jacents d’une société oppressive. Accablant.
Watership Down
Je rejoins les avis très positifs sur ce comics ! Je n'ai jamais lu le roman, mais j'ai vu jeune la série animée des années 2000 qui apparemment est plus légère que l'histoire originale, et malgré tout je trouvais déjà que le ton de la série était souvent glauque ! Et maintenant que j'ai lu ce qui semble être une adaptation plus fidèle, je vois à quel point ce n'est pas pour les enfants ! Le récit est rapidement prenant et j'ai été captivé du début jusqu'à la fin. Les personnages sont terriblement attachants et j'avais vraiment envie de les voir gagner le droit de vivre enfin en paix après tout ce qu'ils ont vécu ! L'histoire explore des thèmes forts et j'aime bien comment est décrite la vie des lapins. Ils ont même leurs propres mythologies et tout est cohérent. Il y a des scènes fortes, comme la fin qui a réussi à me faire verser une larme. Le dessin est très bon et la mise en scène est dynamique. Alors certes, c'est un peu difficile de différencier les lapins, alors que dans le dessin animé c'était plus facile vu qu'ils avaient des voix différentes, mais cela ne m'a pas trop dérangé, même s'il faut se concentrer pour bien se souvenir de qui est qui. Une très bonne adaptation qui m'a donné envie de lire le roman !
Aggie
Une modernité incroyable, des fringues aux décors, cette histoire de la petite américaine des années 50 ravira encore aujourd'hui toutes les gamines de 15 ans (l'âge de l’héroïne). Cela fût pour moi d'une influence extraordinaire pour ma féminité. Les histoires étaient marrantes et simples. Sa maladresse était charmante, et tous les repères de ces années là y étaient. Je le conseille à tous, même adultes, rien que pour les dessins très détaillés. Incroyable, superbe, moderne.
La Fange
J'ai du lire l'album deux fois pour décortiquer ce qui me parle et ce qui me dégoûte . Je l'ai acheté pour soutenir les éditions Ici-même et le post-apo vu depuis l'Australie, ça m'a intriguée... Cela peut se lire comme une allégorie du capitalisme mondialisé. Son story telling si puissant vend l'exode vers le nord, comme un voyage vers la réussite alors même que toutes les informations son accessibles pour voir que la plupart des migrants seront très maltraités et n'auront comme destin, pour les plus chanceux, que le retour au bercail plus pauvre que jamais... Et dans "La fange", pour les autres... la perte de membres, la maladie, la mort. Un monde caca d'oie où tout est laid ou presque, et le dessin aux cases très remplies pourrait faire penser à Jano, mais sans cette joie colorée du déglingué, et avec un cynisme qui rappelle un peu Hitchkock par les mécanismes d'escroquerie qui ressemble un peu à ceux de l'espionnage anglais... (Drôle de rapprochement !) Par ailleurs c'est une histoire familiale, de deux frères avec une mère qui a son préféré, Lippy (pour Lipton). L'exemple type de la mauvaise mère, qui fait les mauvais choix et aime son fils uniquement parce qu'il est le reflet d'elle-même. C'est aussi l'ambiance d'une ville où le seul mode de survie et soit d'être escroc, soit d'être escroqué. Et les deux héros qui échappent à cette alternative sont ceux auxquels on s'identifie : l'autre fils Penn, ("qui a oublié d'être moche" selon sa propre constatation) et une gamine rouquine qui ne sait pas mentir. Sans ces deux personnages qui portent un regard en biais, et espèrent confusément autre chose, on ne pourrait rien sauver de cet univers... mais justement ils sont là... Ce maelström de dégoût et d'espoir finit par faire son boulot. Je me reconnais bien dans l'avis de Sloane, et je suis curieuse de voir effectivement si une suite pourrait me surprendre...
Un père
Après « Le Petit Frère », où il évoquait l’accident tragique qui avait emporté son jeune frère dans les années 70, Jean-Louis Tripp s’attaque à un autre (gros) morceau de son passé familial. Cette fois-ci, c’est son « papa », Francis, qui est au cœur de ce très beau roman graphique. Et vu la taille du livre (350 pages), on se dit qu’il y avait un besoin impérieux de la part du « fiston » de raconter l’histoire de ce personnage haut en couleurs, avec ses failles et ses contradictions. C’est ainsi que l’auteur va partir de sa propre enfance pour dresser le portrait de son père. Le livre commence par un rêve perturbant où il s’imagine en train de l’ensevelir sous la terre après l’avoir étranglé… une scène qui pose la tonalité du récit, résumant les sentiments ambivalents qui pouvaient parfois l’assaillir lorsque le paternel s’opposait à ses choix, comme par exemple lorsque le vélo de course dont il rêvait à Noël avait été remplacé par le modèle le plus ringard… Grâce à un dessin très détaillé, ce portrait ambitieux nous emmène dans ces années 60-70 où tous les ressorts d’une nostalgie sans trace de mièvrerie sont activés, et cela ne manque pas de charme. Tripp nous détaille notamment plusieurs anecdotes assez croustillantes où l’on découvre un Francis très énergique, par exemple lors des vacances à la mer où, suite à une panne ayant immobilisé la Dauphine toute neuve, ce roi du système D réussit à ressusciter une vieille 4CV de substitution (une vraie ruine !), pour le plus grand bonheur des enfants. Celui-ci, par ailleurs communiste revendiqué (à une époque où le PC avait encore le vent en poupe), montre un visage émerveillé durant une escapade en RDA, à la limite du déni malgré les lourdeurs administratives aux frontières ou les queues devant les magasins sous-approvisionnés. Ce fils d’enseignants qui fut aussi l’élève de son père en 6ème, ne cherche pas à enjoliver le personnage lorsqu’il le montre en proie à de terribles sautes d’humeur, ou qu’il relate ces engueulades magistrales avec son épouse, qui ne manquait pas de lui tenir tête. Mais Jean-Louis ne fait ici qu’évoquer le plus objectivement et le plus sincèrement possible l’image qu’il a conservé de son géniteur, et même s’il avait des choses à lui reprocher, cette bio ne comporte aucune acrimonie. La tendresse qu’il laisse émerger envers cette « statue du commandeur », avec toutes ses fissures, révèle que ce livre n’est en fin de compte qu’un exutoire menant au pardon et à la reconnaissance vis-à-vis d’un homme qui malgré ses maladresses ne voulait que le bien de ses enfants. D’ailleurs, lui-même ne cherche pas non plus à se mettre en valeur et ne nie pas sa part de responsabilité dans l’éloignement qui s’était accentué au fil des années (« Depuis toujours, je suis celui qui part », p.322), mais se pose plutôt des questions à l’égard de celui qu’il confessait ne plus reconnaître vers la fin de ses jours, notamment à cause de la maladie. Ce père, à qui il avait pu faire quelques aveux quelques années avant sa mort et qui s’était dit prêt à consulter un psy, même s’il savait qu'il ne le ferait jamais, ce père, à l’image de cette génération d’hommes « qui gardaient pour eux leurs blessures profondes et leurs espoirs perdus ». Grâce à un dessin d’un réalisme étourdissant, très fouillé, à la tonalité très chaleureuse — l’auteur de « Magasin général » n’a plus grand-chose à prouver quant à son talent —, « Un père » est non seulement un très bel hommage mais aussi un étonnant témoignage historique (oui !), très immersif et captivant à la fois, où les personnages y sont dépeints de façon très expressive. La mise en page demeure quant à elle toujours maîtrisée. Tripp a opté globalement pour le noir et blanc, ne recourant à la couleur que pour certains éléments d’une case ou certains passages, d’une portée toujours signifiante. « Un père », C’est une tranche de vie ordinaire devenue un portrait passionnant, authentique et très vivant, sous l’œil d’un fils réconcilié non seulement avec son paternel mais aussi avec lui-même. Une histoire à la fois joyeuse et tragique, pleine de tendresse, où l’humour n’est pas en reste. La fin de l’album se conclut sur cette photo qui résume plutôt bien le personnage. Et, si l’on n’oublie pas de déplier le rabat de quatrième de couverture, on pourrait bien tomber en extase devant la photo du magnifique slip de bain très vintage de Francis, celui-là même qu’il portait lors de l’édifiante séquence suisse (mais je n’en dirai pas plus !).
Numéro Invalide
Numéro invalide est l’une de ces œuvres qui devrait être connues de tous. C’est un manga bien narré, avec des dessins percutants qui arrivent à nous faire ressentir toutes les émotions et l’enfer que la mangaka a vécus. La mangaka est très douée pour synthétiser et rendre accessible des informations médicales. C’est une œuvre difficile à lire par sa violence mais nécessaire. À recommander en masse.
Dulcie - Du Cap à Paris, enquête sur l'assassinat d'une militante anti-apartheid
Décidément, Benoît Collombat a le tour pour trouver des sujets d'enquêtes qui me passionnent. Ici, c'est une enquête sur le meurtre de la militante anti-apartheid Dulcie September qui n'a jamais été élucidé et qui cacherait de gros secrets d'états. Il faut dire qu'on en va pas juste avoir une biographie de Dulcie, un résumé de l'enquête qui n'a rien trouvé et des pistes sur qui sont les responsables et les complices de cet assassinat: on va aussi voir l'hypocrisie de la France qui continuait de faire du commerce avec l'Afrique du Sud malgré l'embargo, l'historique des relations entre ses eux pays et bien plus encore ! C'est donc un documentaire un peu lourd qu'on ne peut pas lire d'une traite, à moins d'avoir plusieurs heures de libres. Je pense que certains lecteurs risquent de s'ennuyer, mais moi je trouve cela passionnant parce que cela parle d'affaires d’État, de relations internationales et des ravages du capitalisme avec toutes ces entreprises qui n'ont aucun problème pour faire des affaires avec les pires régimes. Il y a des passages qui vont choquer, quoique je ne suis pas du tout surpris par ce que j'ai lu. C'est aussi un bon rappel historique que pendant plusieurs années Nelson Mandela était vu par plusieurs que comme un terroriste et des élus (et pas seulement ceux d'extrême-droite) pouvaient vanter le régime d'Apartheid. J'ai trouvé cet album bien complet et captivant à lire, malgré la quantité d'informations que le lecteur doit digérer.
Fantastic Four - Molécules instables
Une société qui se lézarfe - Ce tome comprend les épisodes 1 à 4 de la minisérie, initialement parue en 2003, formant une histoire complète, relativement indépendante (il faut connaître les caractéristiques principales du premier épisode des Fantastic Four pour l'apprécier). Le scénario est de James Sturm, les dessins et l'encrage de Guy Davis. Robert Sikoryak dessine et encre les cases consacrées au comics de Vapor Girl. Le récit commence par deux pages de texte dans lesquelles James Sturm explique qu'il s'est rendu compte que Stan Lee et Jack Kirby avaient basé les personnages des Fantastic Four sur des membres de sa propre famille ayant réellement existé. Viennent ensuite une reproduction des pages 9 à 13 de l'épisode 1 de la série Fantastic Four, initialement paru en 1961. L'histoire commence en 1958, alors que le professeur Reed Richard étudie le comportement de molécules étranges. Il reçoit la visite d'un groupe d'étudiant dont un certain Adrian Lampham assez critique et impertinent. Susan Sturm se conduit en épouse modèle, en veillant sur son petit frère depuis le décès de leurs parents, et en s'occupant des tâches domestiques dans le foyer de Reed Richards (même s'ils ne sont pas mariés). Johnny Sturm zone dans les rues, avec Rich Mannelman son meilleur ami. Ben Grimm est une célébrité locale dans son quartier, entraineur de boxe, apprécié de ces dames (en particulier Myrna, sa compagne du moment). Quand le lecteur commence sa lecture, il perçoit nettement l'influence d'Alan Moore dans la forme du récit. James Sturm inscrit cette histoire dans une époque déterminée, il rédige des textes venant étoffer le concept de départ qui est que les Sturm, Richards et Grimm étaient des individus ayant vraiment existé, qui auraient servi de modèles à Jack Kirby et Stan Lee pour créer la dynamique familiale des Fantastic Four. Le lecteur a le plaisir de (re)découvrir les dessins à l'élégance discrète de Guy Davis, dessinateur attitré de la série BPRD pendant plusieurs années, de 2003 à 2011. Ce dessinateur combine une apparence surannée (adaptée aux années 1950), avec un aspect évoquant des croquis rapides (pour une impression de spontanéité), et un degré de précision épatant. Il recrée les années 1950 avec une fidélité et une authenticité sans faille, qu'il s'agisse des vêtements, des constructions, des sous-vêtements (le soutien-gorge de Susan), des véhicules, etc. Alors même que le lecteur éprouve l'impression donnée par des dessins vite-faits, il constate dans le même temps que le langage corporel est mesuré et expressif, que les individus ont des morphologies variées et réalistes. Guy Davis conçoit des mises en scène qui évitent les suites de têtes en train de parler, au profit de la gestuelle des individus, de leurs déplacements permettant d'avoir d'autres aperçus de leur environnement. Guy Davis est donc un metteur en scène très compétent, doublé d'un accessoiriste intelligent. La reconstitution s'avère passionnante sans être envahissante ou écrasante. La direction d'acteurs est aussi discrète que parlante, le lecteur s'attachant immédiatement à chacun des personnages. Alors que le titre laisse présager un lien très fort avec les superhéros des Fantastic Four (les fameuses molécules instables dont sont faits leurs costumes), le lecteur constate rapidement que ce récit est plutôt l'occasion de dresser un portrait de la société des États-Unis en 1958, à l'amorce d'une évolution sociale significative. James Sturm commence par montrer que Susan Sturm se trouve à l'étroit dans son rôle de femme au foyer. Ben Grimm ressent un malaise existentiel, en ressentant ses limites d'individu sans espoir d'évolution. Johnny Sturm ne trouve pas sa place dans l'establishment, pas plus que son ami Rich Mannelman. Reed Richards regrette déjà que Susan Sturm ne lui soit pas inféodée, comme une dépendance au service de sa propre carrière. James Sturm évoque cette période de l'histoire des États-Unis avec habilité. Susan Sturm lit Peyton Place (1956) de Grace Metalious. Johnny rencontre Joey King qui mène une vie de beatnik et qui lit Sur la route (1957) de Jack Kerouac. Il ne s'agit pas d'une reconstitution de surface. Le scénariste met en scène des problèmes de société (style de vie alternatif, homosexualité, femme au foyer, délinquance juvénile, femme battue, main baladeuse) en montrant en quoi ces caractéristiques sont inacceptables, soit par l'establishment, soit par les victimes. Il montre comment le carcan castrateur de la société de l'époque commence à présenter des fissures, annonciatrices de bouleversements culturels majeurs. De ce point, cette reconstitution est très réussie, et parlante. Du coup, le lecteur a du mal à comprendre pourquoi le scénariste accorde la même importance à inscrire son récit dans la mythologie Marvel. Il est donc fait référence au premier comics des Fantastic Four. Stan Lee et Jack Kirby font une apparition dans une soirée donnée par les Richards. Il est question de la place sociale des artistes de comics (et même du statut d'un lettreur). Plus pointu, Sturm intègre des références à l'histoire des comics Marvel, à l'époque où cette entreprise n'existait pas encore et portait un autre nom. C'est le cas par exemple de la référence à Patsy Walker, personnage de comics à destination d'un lectorat féminin (bien avant qu'elle ne soit intégrée à l'univers partagé Marvel, comme superhéroïne). Le sous-texte de ces références à Marvel (Ben Grimm parle aussi de sa tante Petunia) semble insister sur le fait que les comics Marvel sont le produit de cette époque révolue. Plus pernicieux, le fait que Stan Lee ait fait des Fantastic Four une famille soudée contre vents et marées semblent signifier qu'il évoquait un âge d'or révolu, une époque bénie où la cellule familiale constituait une valeur sûre (enfin surtout pour les hommes intégrés à la société, avec des revenus suffisants). Au final, le lecteur ressort séduit par cette reconstitution visuelle des États-Unis de la fin des années 1950, convaincu par le portrait des lézardes sociales, mais un peu décontenancé par le rattachement forcé aux personnages Marvel. Quatre étoiles si le lecteur est venu pour les Fantastic Four. Cinq étoiles si le lecteur accepte que les thèmes du récit sont assez forts pour faire oublier ce lien imposé de force entre les Sturm et les Storm.
West Fantasy
J'adore l'univers proposé dans cette série, j'adorerais un JDR dans cet univers. J'aime l'originalité des quelques pages à lire dans chaque album, les dessins, les couleurs sont vraiment immersifs et léchés. J'aime le côté Game of Thrones où il ne faut pas trop s'attacher aux personnages qui ont souvent un destin tragique (spoilers alert). Le lien entre les albums est subtil et on sent que l'histoire n'en est qu'à ses débuts, il y a un véritable potentiel narratif pour peu que certains personnages perdurent... Comme Yaretsi par exemple. Bref je conseille cette série.