Les derniers avis (7 avis)

Par Jessamy
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Rebis
Rebis

Elle occupe une place singulière dans mon cœur cette bd. À chaque fois que je la parcours, j’ai l’impression d’avoir un storyboard sous les yeux avant qu’il ne se transforme en film d’animation. C’est un style de dessin qui foisonne et qui vit par ces paysages forestiers omniprésents et ces couleurs à la fois douces et vibrantes. J’aime également le trait, avec ces détails fins et cette attention si singulière sur certains visages. Je pense ne surprendre personne ayant commenté ici en disant que j’aime particulièrement le visage de Viviana avec ces coulées de larmes noires comme de la suie. C’est une femme qui a subi des violences et qui a perdu l’amour de sa vie, Beldie. Au delà de la douleur de lui avoir survécu et d’être désormais seule, elle portera les traces de son deuil sur son visage, une marque qui ne pourra jamais s’effacer, même après l’arrivée de Martino dans sa vie. Dès le début de l’histoire, nous sommes happés par la composition qui se jouera en miroir via des notions au premier abord contraires mais qui se révèlent en réalité complémentaires (naissance/mort, rejet/renaissance, perte/transmission, communauté/émancipation, masculin/féminin). La figure de la sorcière jouit aussi de cette symétrie très contemporaine (femme diabolique/femme émancipée, libre). En cela, elle n’est pas aussi caricaturale qu’on pourrait le penser puisqu’elle a l’avantage de poser un cadre reconnaissable et universel (d’un point de vu occidental tout du moins), marquant une rupture forte dans notre façon de penser l’autre, ici notamment la femme et la place qu’on lui attribue. Viviana et Beldie ne sont pas punies pour être des sorcières, elle sont punies pour avoir transgressé leur place, d’avoir voulu s’exercer à la libre-pensée, loin des dogmes religieux et des injonctions de leur communauté. Elles ont voulu être des femmes plus libres, on les a enchaîné à l’image de sorcière afin de susciter la peur et le rejet. C’est aussi une bd qui aborde la question du genre sous un angle différent, à savoir la façon dont nous façonnent les personnes importantes pour nous. En fait, la question qu’aborde cette bd serait celle-ci : quelles sont les personnes qui nous aident à nous définir ? C’est à travers les yeux de Martino que nous aurons une réponse à cette question. Si ce petit garçon est rejeté pour ce qu’il n’a pas choisi d’être, à savoir albinos, il va alors décider de devenir une personne nouvelle auprès des personnes qui l’acceptent et le soutiennent. Pour cela, il va se reconstruire à travers les yeux bienveillants de Viviana. Cette reconstruction sera double, puisqu’elle aidera Viviana à apaiser son deuil : « On peut s’aider à vivre » lui dit-elle. C’est ainsi qu’il va aspirer à vivre comme une femme, plus précisément comme ces femmes, ces sorcières, sa nouvelle famille. Il adopte leur mode de vie, apprend d’elles l’herbologie pour se soigner, à cultiver et cuisiner pour être auto-suffisant, à s’habiller comme elles, à aimer comme elles. Vous l’aurez compris, tout au long de l’histoire, Martino qui deviendra Rebis, n’aura pour modèle bienveillant que des femmes. Sa mère et ses sœurs tout d’abord, puis Viviana et les amies de celle-ci, mais aussi le souvenir de Beldie, personnage à part entière dont l’aura s’incarnera à travers Rebis. Comme une touche d’espoir, la perpétuation d’un cycle de tolérance et de liberté. À me lire, on pourrait croire que la bd raconte avec un fort parti pris et sans subtilités que les femmes sont les seuls bons exemples à suivre. Je ne pense pas que le message soit aussi tranché. Si la question du genre est diluée dans le récit, c’est pour montrer que la façon dont on se définit si l’on est entouré par de bonnes personnes se fait naturellement. Face à son mal-être, Martino aspire a devenir un être au féminin, Rebis, parce que les seuls exemples aimants et bienveillants qu’il ait jamais connu sont des femmes, tout simplement. Rebis choisit cet espace de sororité avant tout parce qu’iel si sent bien. On pourrait donc reprocher au récit de ne pas introduire un personnage masculin plus empathique et compréhensif dans la balance. Pourtant ce serait oublier que parfois nous n’avons pas toujours la possibilité d’élargir nos relations, que nous sommes longtemps confrontés aux mêmes schémas néfastes (familiaux notamment) avant de pouvoir s’en extraire en allant vers ceux qui leur sont opposés. Pour conclure, Rebis, au delà de son terme latin signifiant littéralement « chose double », désigne également un processus alchimique de transformation qui vise à unifier deux choses, autrement dit le masculin et le féminin. Comme si l’idée était de créer un parfait équilibre, se sentir en phase avec soi, avec tout ce qui nous définit en tant que femme et en tant qu’homme. En bref, posséder une juste part des deux côtés pour mieux s’accepter, se comprendre et comprendre les autres. Comme quoi, la bd ne rejette pas le masculin finalement ! :p

08/07/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 3/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Et soudain le futur
Et soudain le futur

Le véritable défi de cet ouvrage, qui aborde le thème de la décroissance, autre défi sociétal voire utopie irréalisable avec nos yeux de 2025, consistait à produire un documentaire pédagogique allié à une fiction crédible, se situant dans un avenir proche et avec des personnages consistants. Mathieu Burniat n’a donc pas ménagé sa peine, et qui plus est, il lui fallait éviter de tomber dans la facilité en recourant par exemple au registre post-apocalyptique. Alors bien sûr, l’idée, si originale soit-elle, d’avoir choisie l’île de la Cité, en plein cœur de Paris, pour évoquer une expérience grandeur nature d’une société décroissante, n’en est pas moins saugrenue. Mais il faut voir cela comme un parti pris, non dépourvu d’humour au demeurant, que le lecteur se doit d’accepter afin d’entrer pleinement dans la narration. Bien sûr, il sera très facile d’en critiquer le pitch (on ne sait d’ailleurs pas vraiment si on a demandé l’avis des habitants de la micro-île pour participer à l’expérience, ni celui de ceux qui occupaient l’île avant sa mise en place et comment on les a relogés). Bref, il faudra accepter cette dinguerie idyllique en faisant un petit effort d’imagination. Certes, on peut déjà deviner les sourires moqueurs en voyant ce quartier typiquement parisien garnis de jardins potagers, à deux pas de Notre-Dame, désormais utilisée pour les assemblées générales de la communauté, ou en découvrant le Tribunal de commerce transformé en atelier de réparation et de recyclage d’objets divers. Mathieu Burniat s’est efforcé d’anticiper les moqueries prévisibles en prenant le contre-pied. Tout d’abord, celui qui est vraisemblablement son double dans le récit (Carl Mermot, dessinateur-reporter en mission commandée sur l'île de la Cité), est confronté à l’angoisse de la page blanche et n’a pas été fichu de produire quelque chose de valable en l’espace de six ans, alors que l’échéance du projet approche… parce que oui, le sujet n’est pas forcément enthousiasmant pour tout le monde et qu’il ne faut pas ennuyer les gens ! De plus, pour que l’expérience soit concluante, toutes les sensibilités politiques doivent cohabiter, y compris ces « Cornucopiens » qui s’accrochent au mythe de la croissance éternelle ! Ceux-ci fournissent à Burniat l’occasion d’exposer les arguments des uns et des autres, ne se limitant pas au simple exercice pédagogique à sens unique, et en cela, l’ouvrage est plutôt pertinent. De plus, il sait faire preuve d’une certaine (auto-)dérision en exposant les petites contradictions de ceux qui prêchent la bonne parole, Carl Mermot compris, victime d’une rechute coca-colaesque. L’ouvrage, tout en déconstruisant le mirage de la « corne d’abondance » chère au capitalisme toujours en vigueur et plus agressif que jamais, fournit un argumentaire plausible et propose des pistes à ceux qui envisagent de tourner le dos à leurs habitudes consuméristes pour adopter un mode de vie décroissant. Le dessin à l’aquarelle de Dominique Mermoux, proche de l’esquisse et sans effets de manche, colle plutôt bien au propos. La mise en page est dynamique, à l’image de la narration portant la patte de Burniat, lequel nous a habitués à des ouvrages très énergiques. « Et soudain le futur », en évitant l’écueil du pensum écolo assommant, livre un plaidoyer pour un monde viable pour les générations futures, en évitant culpabilité et anxiété. Sur un mode non dénué d’humour, il fournit les arguments pour permettre à chacun de se responsabiliser, pour faire en sorte que la décroissance infuse les consciences — et pas seulement celles de « bobos parisiens déconnectés » —, qu’elle ne soit pas subie mais acceptée par l’ensemble des citoyens. Pour cela, les auteurs ont tenté de montrer, sans pour idéaliser le concept à outrance — lequel n’est pas forcément exempt de failles, mais pour le savoir, il faudrait peut-être essayer, alors qu’en revanche on connaît les dégâts terribles engendrés par le capitalisme —, qu’elle pouvait être conduite de manière positive et sereine, que nous avions certainement beaucoup plus à y gagner. Telle était la mission de leur confrère imaginaire, Carl, dont la « mission était de réenchanter le futur ». Bien sûr, ceux qui sont totalement accros au consumérisme (par exemple, en changeant de smartphone tous les trois mois) risquent de souffrir en lisant cette bande dessinée, mais ils seront peut-être un peu mieux préparés à l’« effondrement » d’un système (avec toutes les nuances que comporte cette expression), désormais devenu inéluctable.

06/07/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série L'Ogre Lion
L'Ogre Lion

Voilà une chouette BD d'heroic-fantasy ! Ou plutôt de Sword & Sorcery tant le héros s'apparente au fameux Conan le Barbare, dans ce qu'il a de plus tragique. Mais c'est ici de la Sword & Sorcery dans un cadre animalier, une société animale où les créatures sont bien anthropomorphes mais où les carnivores jouent les rôles de carnivores, les herbivores leurs rôles de proie, les taupes creusent et les souris peuvent mourir à tout instant d'un infarctus car leur petit cœur bat trop vite. Ce mélange de style permet la création d'un univers original, à la fois sombre et léger. Cette légèreté dans le récit provient en grande partie du jeune garçon qui se décide à coller aux basques du héros. Aussi mignon que débrouillard, il apporte la touche de fraicheur qui donne son charme à ce récit qui aurait pu paraitre autrement trop sérieux. Sur la fin du premier tome, une charmante voleuse renarde vient elle aussi ajouter une touche plus féminine et rusée. Et même le mystérieux démon caprin qui prend régulièrement possession du corps du roi lion a sa dose de profondeur et d'intérêt. L'équilibre de ce récit m'a pleinement séduit. Le ton est juste, réaliste, avec des jeux de pouvoir bien menés, des combats épiques et une belle alchimie entre rudesse et légèreté. L'humour est présent, tant dans les dialogues que dans certaines situations, ponctué de clins d'œil anachroniques suffisamment discrets pour ne jamais déranger. Le dessin est remarquable : les animaux anthropomorphes sont superbement rendus, avec une touche Disneyenne légère, les décors soignés, et la mise en scène, comme la narration graphique, parfaitement maîtrisées. Les couleurs, elles aussi, sont d'une grande qualité, renforçant l'ensemble. L'intrigue, simple en apparence, s'enrichit de nombreux éléments, de personnages bien construits et d'une part de mystère qui retient l'attention. Le rythme est fluide, les péripéties s'enchaînent avec cohérence, et l'ensemble fonctionne grâce à un vrai sens de l'aventure. L'envie de découvrir la vérité sur le passé oublié du héros, le sort de ses enfants, et les intentions de son frère ajoute à l'attrait de l'histoire. J'ai aussi beaucoup aimé la manière dont l'univers s'inspire des royaumes africains, en particulier celui de Koush, dont l'histoire affiche directement le nom. Ce monde est construit avec finesse et un réalisme d'une belle maturité. Cette sobriété dans le récit se maintient jusqu'à la fin, avec un dénouement touchant et réussi, au terme d'un affrontement final simple mais intelligemment mis en scène. L'ensemble a la beauté d'un film d'action sobre, qui ne cherche pas à en mettre plein la vue, mais à raconter une histoire captivante, crédible, et profondément immersive.

28/01/2022 (MAJ le 05/07/2025) (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Divine - Vie(s) de Sarah Bernhardt
Divine - Vie(s) de Sarah Bernhardt

Chacun de mes pas me rapproche de mon idéal ! - Ce tome constitue une biographie de Sarah Bernhardt (1844-1923). Son édition originale date de 2020. Il a été réalisé par Eddy Simon pour le scénario, et par Marie Avril pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-soixante-huit pages de bande dessinée. Il se termine avec une photographie de l’actrice, et un article de trois pages, intitulé Sarah Bernhardt chronologie, retraçant rapidement des moments emblématiques de la vie de l’actrice, agrémenté d’une petite photographie d’elle dans son rôle de Fedora. Ces auteurs ont également réalisé l’adaptation du roman de Saphia Azzedine : Confidences à Allah (2015). Acte I L’insoumise. En 1847, à la campagne, de part et d’autre d’une étroite rivière, son cousin incite Sarah à sauter par-dessus, en la houspillant, lui disant qu’il parie qu’elle n’osera jamais, parce qu’elle est une trouillarde de fille. De son côté, l’enfant se convainc elle-même qu’elle va y arriver, et elle finit par prendre son élan pour sauter. Un peu plus tard, Camille et Sarah se trouvent devant la mère du premier. Celle-ci exige qu’ils lui expliquent ce qui s’est passé. Sarah dit que c’est de la faute de son cousin si elle a les genoux écorchés et si ses habits sont sales, c’est Camille qui l’a provoquée. Sa tante la sermonne : Une jeune citadine ne doit pas se comporter comme une vulgaire campagnarde, ce n’est pas convenable ! Sarah rétorque vivement qu’elle recommencera quand même, si on la défie encore. Et elle fera toute sa vie ce qu’elle a envie de faire ! Quand même ! Le cinq janvier 1871, pendant le siège de Paris, Sarah Bernhardt travaille comme infirmière auprès des blessés. Alors qu’elle panse un soldat alité, une autre infirmière vient la chercher pour lui indiquer qu’un certain comte de Kératry qui se dit être le nouveau préfet de police demande à la voir. Pour sortir, elle traverse les différentes pièces du théâtre transformé en hôpital, tout en maugréant : Maudite engeance que la guerre… Une fois dehors, elle retrouve le préfet : Émile de Kératry. Celui-ci commente la cargaison de la charrette qui est en train d’être déchargée : Comme promis, même si cela ne s’est pas fait sans mal, voilà la livraison de vivres, vins, biscuits, café œufs… Sarah lui répond que cela devrait permettre de nourrir ses blessés pendant quelque temps, et elle demande les dernières nouvelles du front des horreurs. Il lui répond d’abord des banalités, puis à la demande de la jeune femme, il rentre dans le détail : En vérité la situation n’est guère brillante. Depuis la reddition de l’empereur, c’est la déroute : chaque jour, les troupes françaises battent en retraite et perdent du terrain sous la férocité des assauts de l’armée prussienne. Léon Gambetta et son gouvernement de défense nationale tentent bien d’organiser la résistance au nord de la Loire, mais la cause…. Semble bel et bien perdue ! Il conclut : Paris sera sans doute très bientôt une forteresse assiégée par les bataillons de Von Bismarck. Il suggère à Sarah de rejoindre sa famille en Normandie, personne ne l’en blâmera. Elle répond avec fougue : Jamais de la vie ! Dans l’inconscient collectif, Sarah Bernhardt est restée comme une actrice de légende, et pour ceux qui en ont déjà entendu parler, également comme une actrice ayant connu le succès aux États-Unis, ayant su faire fructifier son image, et étant enterrée au cimetière du Père-Lachaise. Les autrices font des choix dans leur approche biographique. De débuter par une courte scène de sa jeune enfance pour montrer un caractère bien trempé et une détermination en réaction à son cousin qui lui dit qu’elle est incapable de faire quelque chose : c’est sûr elle ne se laissera plus jamais dicter sa conduite, ou imposer des limites. Puis le récit passe de 1847 à 1871, en omettant une phase de la vie de Sarah, celle où la police des mœurs la classe parmi les dames galantes, où elle mène une vie de demi-mondaine entretenue par des clients généreux. Autre parti pris : évoquer plutôt sa vie privée que la pratique de son art, que ce soit son apprentissage ou ses performances. Pour autant, cette biographie montre comment cette dame mène sa vie, majoritairement sur le plan professionnel. En fonction de ses attentes, le lecteur peut se trouver quelque peu décontenancé par cette approche, surtout s’il venait pour une facette particulière telle sa vie mondaine, ou ses qualités d’actrice. D’un autre côté, il constate que le récit est d’une grande richesse, abordant de nombreuses facettes d’une vie particulièrement remplie, que ce soit en rencontres, en voyages, ou en entreprises professionnelles. Il n’y avait pas la place de tout mettre. Cette biographie est racontée du point de vue de l’intéressée, amenant ainsi le lecteur à prendre fait et cause pour elle, à pouvoir découvrir ses motivations, ses réactions émotionnelles, la conception et la réalisation de ses projets, ses convictions et comment elle les met en pratique. En effet, il s’agit d’une vie riche et dense. Bernhardt se dévoue comme infirmière pour les blessés du siège de Paris pendant la guerre franco-allemande de 1870. Elle ira jouer pour les poilus au parc de Commercy dans la Meuse le dix mai 1916. Elle se fera même emmener au plus près des tranchées alors que son nom figure sur la liste des otages que les Allemands veulent capturer. Elle fera plusieurs voyages, d’abord à Londres en 1878, puis à Louisville aux États-Unis, traversant les étendues sauvages en train. Là encore, le lecteur peut se trouver surpris que les autrices ne développent pas plus cette odyssée, tout en comprenant qu’il aurait fallu y consacrer un tome entier. Au cours de sa vie et de sa carrière, elle va rencontrer ou travailler avec de nombreuses personnalités : Léon Gambetta (1838-1882), Victor Hugo (1802-1885), Mounet -Sully (1841-1916, acteur de théâtre), Louise Abbema (1853-1927, peintre, graveuse, illustratrice, sculptrice), Oscar Wilde (1854-1900), Alfons Mucha (1861-1939), Edmond Rostand (1868-1918), sans même parler de ses amants ou d’autres auteurs de théâtre. L’illustration de couverture attire l’œil, mettant en avant le monde intérieur qui emplit l’esprit de cette créatrice. Puis le lecteur découvre celle en pleine page servant d’annonce de l’acte I, avec le titre L’insoumise. Il va ainsi admirer une douzaine, pour les trois actes, l’entracte, et des tableaux intermédiaires : L’insoumise, L’étoile, Memento Mori, L’indomptable, Barnum, L’aventurière, Fantasque, La muse, Je me quitte, L’impératrice, One of us. La dessinatrice reprend le principe des affiches pour une composition simple mettant en valeur l’actrice dans une situation exotique ou métaphorique, ce qui constitue un écho à la fois à ses rôles, à la fois à la phase de sa vie. Vient ensuite la première scène de narration séquentielle proprement dite : le lecteur découvre les traits de contours fins et fragiles, esquissant rapidement les formes, la représentation étant réalisée ensuite en couleur directe. Cela donne un ressenti assez complexe, entre simplicité des formes, évidence des situations, et nuances émotionnelles apportées par les couleurs. Le lecteur passe ainsi de l’insouciance teintée de l’intense gravité de l’enfance, à l’horreur des cadavres sur le champ de bataille enneigé, à des dialogues de personnages sur fond uni comme sur une scène sans décor. Les épisodes de la vie de Sarah Bernhardt se révèlent d’une grande richesse, au point que leur contenu en vient à éclipser le reste. Toutefois, s’il y prête attention, le lecteur voit que la dessinatrice met en œuvre de nombreuses techniques narratives variées, ce qui enrichit encore le récit. Quelques exemples : page neuf, une planche silencieuse, dans laquelle Sarah se regarde en passant dans un miroir, évoquant l’importance de son apparence pour son métier d’actrice. Page quatorze : le théâtre des opérations, la scène du théâtre se trouvant devant la scène de bataille. Les superbes paysages de montagne lors d’un voyage en train, une composition en double page de représentations théâtrales avec pour fond chaque livret faisant apparaître le titre et l’auteur, deux spectres semblant flotter autour de Sarah dans la rue par un temps brumeux pour évoquer l’incertitude de l’identité de son père, Sarah promenant son improbable ménagerie dans les rues de Londres, des coupures de presse retraçant les moments les plus improbables de sa première tournée aux États-Unis, un fac-similé d’affiche de Gismonda par Alfons Mucha, et quelques moments de représentations en particulier Bernhardt dans le costume de l’Aiglon pour la tirade de Flambeau. En fonction de sa familiarité avec la vie de l’actrice, le lecteur en découvre de belles. Il voit se dessiner le portrait d’une artiste ambitieuse. Il constate par l’intermédiaire de son succès et des louanges dressées par des personnalités de référence, que ses qualités d’actrice sont remarquables, voire exceptionnelles. Les autrices montrent un être humain animé par la passion du théâtre, veillant à rester indépendante, et maître de ses choix. En creux, apparaît sa capacité à faire sa promotion, par des décisions innovantes : le recours à la photographie, l’image choc comme dormir dans son cercueil, la présence d’esprit de s’attacher les services d’Alfons Mucha, et même l’apparition de produits dérivés, parfois initiés par elle, parfois par des profiteurs avec le sens du commerce. Elle apparaît comme une artiste faisant ses preuves dans des pièces de moindre importance, dans des classiques, puis dans des œuvres contemporaines, certaines engagées, implication qui se retrouve dans son soutien de Louise Michel (1830-1905) militante anarchiste, et du capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935) accusé à tort d’être un espion au service de l’Empire allemand. Le point de vue narratif est intentionnellement partie prenante pour la Divine, sans regard critique : tout en étant conscient de ce choix, le lecteur éprouve une admiration pour une artiste aussi formidable dans son art, dans ses convictions, dans son énergie pour entreprendre, dans sa démesure. Quelle put bien être la vie de Sarah Bernhardt pour passer à la postérité ? Les autrices racontent une démarche artistique incroyable, une existence débordant de succès et de prises de risque, une vie personnelle tout aussi riche. La narration visuelle rend compte de cette diversité avec une élégance légère et pleine d’émotions. Les pages se tournent toutes seules, et le lecteur termine l’ouvrage surpris par la densité de ce qu’il a vécu. Tourbillonnant.

05/07/2025 (modifier)
Par Gotham007
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série RASL
RASL

Peut-on exister après avoir réalisé un chef d’œuvre du niveau de Bone? Jeff Smith a démontré il y a plus de 10 ans désormais que c’était tout à fait possible. RASL est un ovni incroyablement dense qui réussit à faire peur, à émouvoir, à faire rire, etc. Mais pourquoi, pourquoi Jeff ne produit il plus rien ou presque depuis tout ce temps… Quelle tristesse. Ce type est un génie du 9eme art.

03/07/2025 (modifier)
Par Charly
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Saga
Saga

En lisant Saga, j'ai été transporté dans un univers sans limites, peuplé de créatures étranges et de mondes en guerre. L'histoire d'amour entre Alana et Marko, deux amants que tout oppose, m'a profondément touché. Leur fuite désespérée pour protéger leur fille, Hazel, m'a tenue en haleine à chaque page. Les dialogues sont vifs, parfois crus, mais toujours authentiques. J'ai ri, j'ai frissonné, et j'ai même versé une larme. Les personnages, qu'ils soient humains, robots ou extraterrestres, sont complexes et attachants. J'ai aimé les suivre dans leurs aventures, leurs doutes et leurs combats. Le dessin, bien que déroutant au début, s'est révélé parfaitement adapté à cet univers foisonnant. Les couleurs contrastées ajoutent une dimension visuelle unique. Et puis, cette idée de mélanger space opera et soap opera, c'est tout simplement génial ! Saga est une série qui m'a captivé du début à la fin. Si vous cherchez une BD originale, pleine d'action, d'amour et d'humour, je vous la recommande chaudement.

03/07/2024 (MAJ le 02/07/2025) (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Dans les couloirs du Conseil constitutionnel
Dans les couloirs du Conseil constitutionnel

La Constitution prime sur la loi. - Ce tome constitue une présentation des différentes facettes du Conseil constitutionnel créé en 1958. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Marie Bardiaux-Vaïente pour le scénario, par Gally pour les dessins, et par cette dernière et Grinette pour les couleurs. Il comprend cent-neuf pages de bande dessinée. Deux rue Montpensier dans le premier arrondissement de Paris, Marie & Gally passent les contrôles d’accès : scan des sacs et détection de métaux, pour entrer dans le bâtiment du Conseil constitutionnel. La première a des étoiles plein les yeux, la seconde se demande encore pourquoi elle a accepté, en reconnaissant toutefois le caractère exceptionnel de l’architecture du bâtiment. Elle demande à la scénariste à quoi sert le Conseil. Marie commence son exposé : Quand on se réfère au Conseil constitutionnel, on pense immédiatement à l’élection présidentielle. Tout le monde sait qu’il a un rôle à jouer dans la bonne tenue de cet événement majeur de la vie publique française. Mais dès son origine, cette institution créée en même temps que la Ve République avait d’autres motivations. Le 1er juin 1958, la IVe République se décompose littéralement. René Coty fait appel au général De Gaule pour former un gouvernement et réformer les institutions. Le général sollicite alors l’investiture de l’Assemblée nationale. […] Investi des pleins pouvoirs le 3 juin, il obtient des parlementaires de mettre en place une nouvelle constitution dans les six mois qui suivent. Lors de son discours devant l’Assemblée nationale, le général De Gaulle déclare que le gouvernement qu’il va former moyennant la confiance des députés, saisira l’Assemblée sans délai d’un projet de réforme de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat au gouvernement d’élaborer, puis de proposer au pays par la voie du référendum, les changements indispensables. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le gouvernement et le parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le dernier garde des Sceaux de la IVe République est chargé d’établir un projet de constitution. Cet homme, c’est Michel Debré. Il établit qu’Un comité constitutionnel dégagé de toute attache, aura qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont lieu régulièrement. De Gaulle lui précise que toute loi devra dorénavant respecter la norme suprême : la Constitution. Le projet de nouvelle constitution est soumis à référendum le 28 septembre. En outre-mer, la question posée comporte une double signification : les électeurs et électrices expriment aussi leur volonté de demeurer liés à la France sous une forme à déterminer. C’est un succès. 85,07% des votants approuvent la nouvelle constitution. Le Conseil constitutionnel en bande dessinée ? Au moins, les autrices font preuve d’ambition pour rendre intelligible cette institution française au plus grand nombre. Pour cette œuvre pédagogique de vulgarisation, elles adoptent un dispositif narratif classique et éprouvé pour ce genre d’ouvrage : se mettre en scène sous forme d’avatar simplifié aux réactions parfois exagérées ce qui introduit une saveur humoristique, sans pour autant dénaturer le propos. Marie joue le rôle de bonne élève désireuse d’apprendre, disposant déjà des notions de base sur le sujet, respectueuse et même admiratrice de cette institution. Galy joue le rôle de mauvais élève : pas intéressée a priori, présentant quelques troubles de déficit de l’attention, facilement distraite par ce qui se passe autour d’elle, par les actions des uns et des autres. La narration visuelle happe de suite le lecteur, montrant beaucoup et de manière diversifiée. Réaliser un exposé en bande dessiné représente un défi narratif : il faut parvenir à dépasser la suite d’illustrations accolées à un texte copieux et didactique. Dans les premières pages, le lecteur suit les deux autrices : il passe le contrôle à l’entrée avec elles, il monte l’escalier et admire l’architecture, il assite au discours du général De Gaulle comme s’il visionnait un document d’archive, il se trouve dans le salon où se réunissent les onze membres originels pour la première fois, il se promène au milieu des colonnes de Buren, il assiste au discours de Camille Desmoulins, il voit les schémas plaçant les différentes ordres civil, pénal et administratif et leur organes, ou encore la pyramide des normes, dite de Kelsen. L’utilisation de dispositifs visuels variés peut dans un premier temps apparaître comme un effort d’apporter de la diversité dans les cases. Le lecteur commence par l’envisager, et progressivement il prend conscience qu’ils apportent d’autres choses à la narration. Cela apparaît une évidence que les deux avatars se promènent dans les locaux du Conseil constitutionnel, permettant ainsi au lecteur de la visiter. Il peut trouver plaisant ou rigolo de bénéficier d’une vue imprenable sur l’installation Les deux plateaux (1986) de Daniel Buren (1938-), ou les Hommes de Bessines (réalisés en 1991) de l’artiste Fabrice Hyber crachant de l’eau par tous les orifices, de constater le moelleux des fauteuils, de faire le touriste avec les ruches sur le toit, treize cartouches de cuivre émaillées cloutées sur parquet de bois, la réparation du cadran d’une grande horloge murale par le secrétaire général lui-même, ou encore l’installation d’une boule à facettes géante pour la décoration hall en vue de fêter l’entrée dans la nouvelle année, etc. Les autrices font également un usage raisonné du décalage, que ce soit les regards enamourés de Marie pour l’institution, ses cœurs dans les yeux quand elles reçoivent des cadeaux (des produits marqués du sigle du Conseil), ou une irrésistible disposition de page singeant l’émission de jeux télévisuelle de l’Académie des neuf. Il se rend compte que ces éléments et ces détails rendent l’institution tangible et concrète dans sa matérialité bâtimentaire et fonctionnelle, administrative et humaine, son incarnation pragmatique. En progressant dans l’ouvrage, le lecteur se prend à sourire des facéties de Marie et de Gally, chacune avec un trait de caractère appuyé, l’admiration sans borne pour l’une, le dilettantisme du cancre pour l’autre. Là encore, la direction d’actrices montre leurs réactions, parfois un peu appuyées, aux différentes étapes de leur visite, en particulier la chance de pouvoir ainsi explorer les locaux du 2 rue Montpensier, et les rencontres avec des hommes politiques de premier plan dans un contexte privilégié. Le lecteur peut éventuellement regretter une forme de consensualité dans la façon de les présenter, ou il peut l’envisager comme une forme de respect poli correspondant à la démarche de vulgarisation. Quoi qu’il en soit, ces moments participent également à montrer qu’il s’agit d’êtres humains comme les autres, une manière supplémentaire de faire s’incarner l’institution, des professionnels faisant leur travail, que ce soit l’apiculteur, le secrétaire général, et même les députés s’opposant à la loi sur l’I.V.G. La scénariste a conçu une structure d’exposé qui mêle l’ordre chronologique et les questions thématiques. Elle commence par aborder l’historique de la création du Conseil constitutionnel à l’occasion de la création de la Ve République, puis sa composition, son rôle dans l’élection présidentielle, l’articulation entre Constitution française et Constitution européenne. Puis elle présente le développement du rôle du Conseil, en évoquant sa décision contre le ministère de l’Intérieur concernant la création d’une association de soutien à l’organisation La gauche prolétarienne en 1971, puis l’élargissement de la saisine du Conseil, initialement réservée aux présidents de la République, Premier ministre, ou président de l'une ou l'autre assemblée, qui est élargie avec la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974, à soixante députés ou soixante sénateurs. Viennent ensuite le processus de la Question Prioritaire Constitutionnelle (QPC), l’intégration de la charte de l’Environnement à la Constitution, la conformité à la Constitution du régime de garde à vue, etc. Ces évolutions de fonctionnement sont présentées par le biais de cas concrets, comme la saisine par Cédric Herrou (agriculteur habitant dans la vallée de La Roya) qui a déposé une QPC devant la Cour de cassation qui l’a transmise au Conseil constitutionnel le neuf mai 2018, la décision de ce dernier donnant une portée juridique au principe de Fraternité, en l’occurrence la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. Parmi les autres missions réalisées par le Conseil constitutionnel, les autrices consacrent six pages à la décision I.V.G. : il répond sur le droit et non sur le sujet de l’I.V.G. Par ailleurs il s’appuie sur la notion de liberté, et plus précisément la liberté des femmes à disposer de leur corps. La dernière partie explique à quoi sert le Conseil pour l’élection présidentielle : il veille à la régularité de cette élection. Les deux autrices suivent le processus de détermination des candidats à l’issue de la période dite des parrainages, puis elles accompagnent, chacune de leur côté, un délégué du Conseil de constitutionnel pour les opérations de contrôle des bureaux de votes. Tout observer avant de se présenter aux assesseurs : le nombre de bulletins et tous les noms des candidates et candidats présents, l’affichage de la loi au mur, la présence des procès-verbaux à disposition du public, l’ordre des opérations de vote (c’est-à-dire qu’il faut mettre son bulletin dans l’urne, puis signer), la transparence de l’urne et ses cadenas qui confirment qu’elle bien fermée, l’accessibilité aux isoloirs, et la détention de chacun une clé par assesseur. Ce chapitre comprend une dizaine de cas d’entorse ayant donné lieu à l’annulation des votes du bureau concerné. La promesse de visiter les couloirs d’une telle institution peut intimider a priori le lecteur. Il bénéficie de l’accompagnement de deux autrices bienveillantes, pédagogues et pleines d’entrain avec un humour bien dosé. Il se rend compte qu’avec de telles guides l’histoire et le rôle du Conseil constitutionnel se découvrent et s’apprennent aisément, deviennent passionnants et l’emmènent dans des situations inattendues aussi bien historiques (la loi sur l’I.V.G.), qu’artistiques (les colonnes de Buren), sociales (venir en aide à des personnes en situation irrégulière) et même anecdotiques (le miel du Conseil). Édifiant et indispensable.

02/07/2025 (modifier)