Les derniers avis (131 avis)

Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Love in Vain
Love in Vain

Robert Johnson, figure mythologique de la musique. Clamant avoir vendu son âme pour une musique sans précédent, créateur du rock pour bon nombre d'artiste, musicien parmi les plus influent du XXè siècle, mort dans la jeunesse, vivant dans la misère et la richesse (selon ses jours), membre éternel du club des 27 ... Que dire sur le personnage qui n'a pas déjà été dit ? J'ai personnellement revu sa figure dans l'excellent Mojo que je rapproche de cette BD, puisque nous découvrons le monde de la musique soul et blues dans les années 40, préparant le terrain à l'explosion post-seconde guerre mondiale. La biographie permets de mettre en lumière les différentes phases de sa vie, notamment les deuils qui le dévastèrent avant qu'il ne se plonge à corps perdu dans la musique. Le dessin rajoute à l'ensemble avec un noir et blanc travaillé, donnant l'impression d'anciennes gravures et surtout une très belle mise en scène de ce monde de danseurs, de cabanes à musique et d'années de ségrégation. La lecture est instructive et plaisante, mais surtout un bel hommage à Robert Johnson dont les enregistrements le sauvèrent de l'oubli. Lecture recommandée !

16/04/2024 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Je suis leur silence
Je suis leur silence

Cet album est assez dense, légèrement confus et on ne sait pas toujours si l'auteur sait bien où il veut aller, mais je l'ai lu avec beaucoup de plaisir. Il tient avant tout sur la personnalité de son héroïne. Outre sa beauté et sa finesse d'esprit, celle-ci est d'un caractère volontairement étonnant, difficile à cerner, entre exubérance imprudente et intelligence avec beaucoup de recul. L'auteur rend hommage en fin d'album aux personnes bipolaires mais je n'ai pas l'impression que son héroïne le soit. Oui, elle fait preuve d'hyperactivité et de troubles maniaques, mais on ne lui voit quasiment pas de phase de dépression qui viennent les contrebalancer si ce n'est une séance de pleurs mais pas vraiment sans raison. Par contre, on peut l'observer dans une sorte d'éternelle fuite en avant, incapable de restreindre ses émotions et ses envies ni de se brider, par peur d'un traumatisme de son passé qu'on découvrira peu à peu. Ça en fait un personnage très original et charmant malgré ses défauts et son côté parfois casse-pieds. L'histoire pour sa part est très rythmée, complexe et intéressante même si parfois légèrement embrouillée. Les personnages y sont tous bons et les situations sortent assez des sentiers battus. Quant au dessin de Jordi Lafebre, il est excellent comme toujours. Ce n'est pas un scénario complètement ficelé avec un déroulement clair et une fin percutante, mais c'est une histoire très sympathique, avec une bonne dose d'humour et une héroïne joyeusement "attachiante".

16/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Les Guerres de Lucas
Les Guerres de Lucas

Il y a longtemps, dans une Californie lointaine, très lointaine... Incontournable pour les adeptes de la saga, ce roman graphique super bien foutu pourra également intéresser les amateurs de backstage de cinéma tellement l’œuvre regorge d’anecdotes tout en étant dotée d’une narration fluide et assimilable par n’importe qui. Ce livre ce lit comme un vrai page-turner, j’ai été scotché de bout en bout et pourtant je ne suis pas un néophyte : j’ai vu les 6 premiers films des dizaines de fois chacun, j’ai lu des comics, des romans, fait tous les jeux vidéos, je me suis intéressé à d’autres médias, bref, je connais plutôt bien l’univers Star Wars par rapport à la moyenne. Après pour certaines personnes c’est quasiment une religion il faut dire, donc des trucs diverses et variés on peut en apprendre tout les jours. J’ignorais par exemple que les interprètes de C3PO et R2-D2 ne pouvaient pas se blairer sur le tournage (est-ce toujours le cas ? ), l’infarctus de Lucas, sa jeunesse rebelle dont je n’avais pas le moindre soupçon (quand on voit Lucas il fait plus pépère tranquille, même lorsqu’il était jeune), je ne vais pas vous gâcher le plaisir de lecture en vous spoilant le récit mais il y a à boire et à manger là-dedans. Ce qui est diablement intéressant, et c’est le tour de Force des auteurs, c’est d’avoir réussi à conjuguer une biographie intimiste de Georges Lucas tout en étant à la fois une histoire sur la production du tout premier « La Guerre des étoiles », de l’envie du réalisateur de créer quelque chose qui lui ressemble et qui sort des sentiers battus à la sortie dudit film et le ras-de-marée culturel qu’il a représenté. C’est une véritable aventure en parallèle de ce space fantasy qui nous est contée, et de for belle manière : Lucas cet homme taiseux et affable m’a touché par sa réserve, les gens de la 20st Century Fox au contraire apparaissent comme des méchants de James Bond tant ils sont vénales et calculateurs (c’est romancé mais est-ce si éloigné de la réalité ? ), certains personnages m’ont déçu : je savais par exemple qu’Alec Guinness trouvé les dialogues enfantins, ou que pas grand monde parmi le crew ne croyait au projet, mais j’ai été surpris que des Ford, Fisher ou Kenny Baker, c’est-à-dire des moins que rien avant ce film, se foutent ouvertement de ce film « de merde ». Cela a été plus qu’un parcours du combattant la réalisation de ce film, dans la lignée de ces films maudits comme Fitzcarraldo, Don Quichotte ou Waterworld. Lucas a sué sang et eau pour le mener au bout et il est intéressant de remarquer que si son succès repose pour l’immense partie sur les épaules de Lucas imself, quelques noms de notables sont à ajouter, des gens qui ont cru au projet et en l’homme : sa femme Marcia Lucas sa première critique et relectrice et son équipe de monteurs, Gary Kurtz le producteur exécutif le Sam de l’équipe, Tom Pollock son avocat qui a négocié le contrat du siècle, Ben Burtt prodige des effets sonores, John Williams l’un des plus grands compositeurs de cinéma, Alan Ladd indéfectible soutient de Lucas envers et contre tous, George Mather qui a remis de l’ordre dans le bordel des studios I.L.M ; Willard et Gloria Huyck les dialoguistes (sans eux ça ne ressemblerai à rien vu que Lucas « ne sait pas écrire »), Fred Roos le directeur de casting qui a eu du flair. Ah oui ! Et le dessin est juste parfait, aux petits oignons, il sert parfaitement la narration, le code couleur est génial, y rien à redire, c’est très plaisant à regarder.

16/04/2024 (modifier)
Par karibou79
Note: 4/5
Couverture de la série La Traque - L'Affaire de Ligonnés
La Traque - L'Affaire de Ligonnés

De la piste de la DEA en passant par l'univers mystique d'une secte, d'extraits de blogs à séances d'interrogatoires, on a accès à toutes les informations révélées plus ou moins confidentiellement de l'affaire XDDL qui a défrayé les chroniques durant plus 8 ans (et peut-être encore plus si de nouvelles pistes font surface). Les faits sont mis en image à hauteur d'homme, les spéléologues effectuant les fouilles souterraines portent des noms et des visages. Et des protagonistes il y a en a : famille, amis de longue date, policiers, scientifiques, ecclésisastiques... Je suis admiratif de l'alternance si fluide de flashbacks en BD biographique, d'investigation en BD documentaire, de reproductions de lettres, mails, notes de blogs, de texte compléementaires, de suggestions de lecture. Les 200 pages de cet album sont justifiées, les chapitres sont également pondérés. Tout le monde prendra donc plaisir à gratter une piste plus qu'une autre. Car cette traque est toujours en cours, à l'instar de celle de la Chouette d'Or, relancée aux USA par la série Netflix dont je n'avais pas entendu parler. Car de locale, l'enquête a vite pris une tournure nationale puis européenne et maintenant mondiale. Et ce bel ouvrage de Petit-Valette risque d'en inspirer d'autres tant tous les ingrédients d'une course-poursuite sans fin sont là. Les dernières pages le confirment en empilant les avis de spécialistes, proches et autres concernant la question pourtant simple de la vie ou de la mort de l'insaisissable XDDL. Une expérience passionante chaudement recommandée aux amateurs de polar et de faits divers.

16/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Celui que tu aimes dans les ténèbres
Celui que tu aimes dans les ténèbres

Perte de confiance - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les cinq épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits par Skottie Young, dessinés et encrés par Jorge Corona, avec une mise en couleurs de Jean-François Beaulieu. Dans une petite ville de campagne aux États-Unis, Rowena Meadows se tient devant une demeure de caractère, avec un étage et des combles. Elle indique à l'agente immobilière derrière elle que ça correspond exactement à ce qu'elle recherche. Étrangement l'autre essaye de l'en dissuader en lui indiquant que de nombreux propriétaires se sont succédé à un rythme rapide et que la maison a la réputation d'être hantée. Ro s'y installe et se sert un verre de vin rouge pour fêter ça. En plaisantant, elle dit à haute voix que le fantôme, s'il est réel, pourrait l'aider à déballer ses affaires. Elle se rend au salon, où elle sort un vinyle de la collection et le pose sur la platine. Elle écoute la musique, tout en sirotant son verre de vin, et en regardant la toile vierge sur son chevalet, posée devant une grande fenêtre par laquelle entre la chaude lumière du soleil. Elle va pour commencer à dessiner, mais sans parvenir à poser la pointe de son crayon sur la toile. Elle le repose, se ressert un verre de vin, et contemple fixement le blanc de la toile, sans plus prêter d'attention à la musique. La nuit tombe, et la toile reste immaculée. Le lendemain, elle continue à parler à haute voix comme un jeu, en disant qu'il pourrait au moins lancer le disque, et lui servir un verre de vin. En tout état de cause, il devrait au minimum lui servir de source d'inspiration. Ro Meadows reproduit ce rituel chaque jour, et au bout de quelques semaines, elle n'est parvenue à rien : pas un seul trait sur la toile. Le fantôme n'a donné aucun signe de vie. Elle va se coucher après encore une journée infructueuse. Le lendemain matin, elle descend, et le disque est train de jouer alors qu'elle se sert un verre dans la cuisine. Elle se rend dans le salon, et l'aiguille de la platine parcourt effectivement le sillon. Elle a du mal à croire qu'elle ait assez bu la veille pour ne pas se souvenir d'avoir laissé le disque tourner. La sonnerie de son portable la fait sursauter : il s'agit de son agent Attison. Il lui dit bonjour et lui demande s'il la dérange à un moment inopportun où elle serait en train de s'occuper d'elle. Après un bref échange de politesses, il lui demande où elle en est. Elle répond que ça avance bien. Il ne la croit pas un instant et il lui rappelle qu'il faut qu'elle fournisse de nouvelles œuvres pour sa prochaine exposition, car les fonds commencent à manquer. Une fois qu'ils ont raccroché, Ro se dit qu'il est temps qu'elle s'y mette pour de vrai, qu'elle l'a déjà fait des millions de fois : dessiner, bouger sa main… Elle prend un crayon et se lance. Au bout de quelques temps, elle s'arrête et prend du recul : c'est nul et elle balance son verre de vin sur la toile. Puis elle balance le chevalet et son tabouret. Elle se dit qu'il faudrait peut-être qu'elle se retrouve à devoir travailler comme serveuse pour à nouveau être motivée. Elle formule sa réflexion à haute voix : doit-elle redevenir une barista ? Une voix désincarnée lui répond que non, elle ne devrait pas. Ces deux créateurs avaient précédemment collaboré ensemble pour la série Middlewest (2018-2020), en 18 épisodes, plutôt à destination de jeunes lecteurs. La couverture annonce une maison hantée et quelque chose tapie dans les ténèbres. Le dessin ne permet pas de se faire une idée du public visé. Une fois la lecture entamée, les choix visuels situent le récit à la croisée d'une sensibilité adolescente, d'un regard un peu plus adulte. La silhouette de Ro Meadows présente des caractéristiques un peu exagérées : finesse des bras, finesse du cou, grosses lunettes qui lui donnent des yeux un peu plus gros que la normale, pieds très petits et effilés, salopette très large. Le lecteur peut déceler comme une influence manga, bien digérée, et entièrement assimilée, à un degré devenu totalement naturel et organique. L'histoire met en scène très peu de personnages : l'agente immobilière le temps de deux pages, Attison dans moins d'une dizaine de pages, le fantôme mais d'une manière particulière, et quelques figurants le temps d'une page ou deux. Il observe également le langage corporel et les expressions de visage : il ressent l'état d'esprit de Ro dans chaque scène, ses variations d'humeur, y compris dans les nuances. Sa frustration à ne pas réussir à apposer un simple trait sur la toile, sa déprime à l'idée de ne pas réussir à créer, sa colère contre elle-même quand elle casse tout, son angoisse quand elle comprend que le fantôme se déplace à sa guise dans toutes les pièces de la demeure et à tout moment ne lui laissant potentiellement aucune intimité, le retour de son sourire quand elle parvient enfin à avancer dans une toile, etc. La narration visuelle crée ainsi un bon niveau d'empathie avec la peintre, sans effet de voyeurisme. Le lecteur considère alors une autre composante visuelle : l'environnement dans lequel elle évolue. Il découvre une vue générale de la façade extérieure principale de la demeure dans une dessin en double page, et dans les pages bonus se trouvent les plans par étage, ainsi qu'une modélisation 3D. Les auteurs ne font pas étalage de cette conception détaillée du bâtiment, mais elle se trouve en filigrane du récit, apportant une réelle consistance grâce à la cohérence des plans de prise de vue, en référence à ces plans, par opposition à des vues au petit bonheur la chance. Une fois Ro à l'intérieur, les cases montrent l'aménagement assez générique des pièces, les meubles sans beaucoup de personnalité, et la grande baie vitrée en arrondi, dans la pièce où elle peint. La majeure partie du récit se déroule à l'intérieur de la maison. De temps à autre, les auteurs insèrent un plan à l'extérieur ce qui fournit une respiration avec des décors également bien décrits : dehors sous la pluie sur le trottoir avec la demeure en arrière-plan, la galerie où les œuvres de Ro sont exposées, un petit coin de Central Park d'où Attison téléphone à Ro. Les plans de prise de vue sont conçus spécifiquement pour chaque scène, avec des variations de cadrage, certains s'arrêtant sur un détail comme les pinceaux de Ro dans leur pot, ou intégrant un élément conceptuel comme les volutes pour figurer la musique qui circule dans la pièce. Les détails enrichissent la narration, le lecteur se rendant compte qu'il prend le temps de les observer, ce qui donne un rythme de lecture plus posé. Il apprécie l'élégance des volutes pour la musique et comment elles s'intègrent au fantôme. Il se demande pour quelle raison Ro ne porte plus ses lunettes à partir de la deuxième moitié de l'épisode 4. Le coloriste réalise un travail très agréable à l'œil, complètement intégré aux traits encrés, augmentant la distinction entre les différents éléments dessinés, développant l'ambiance lumineuse, avec des nuances sophistiquées et discrètes, participant significativement à la narration visuelle, bien au-delà d'une colorisation des cases. En entamant cette histoire, le lecteur sait que le scénariste ne dispose pas de beaucoup d'options : soit ce fantôme existe comme esprit surnaturel, soit c'est une fiction dans l'esprit du personnage principal, ou un peu de des deux. Il s'agit d'un récit de genre, avec des conventions assez contraignantes, et un nombre restreint de degrés de liberté. Les auteurs parviennent à faire exister Ro dès les premières pages, et le lecteur ressent une réelle empathie pour elle et sa situation. Il constate qu'ils ne tardent pas à établir un contact entre elle et le fantôme, ce dernier étant capable d'interagir avec le monde physique de manière limitée. L'histoire acquiert alors une dimension ludique : le lecteur essaye d'anticiper dans quelle direction va se développer la relation entre Ro Meadows et son fantôme. Il relève également les indices qui lui permettraient d'en savoir plus sur la nature de ce fantôme. L'histoire ne se transforme pas en un récit d'action et le syndrome de la page blanche reste au cœur du récit. Il est à la fois possible de le lire au premier degré avec un vrai fantôme et une relation d'amour abusif. Il est également possible de le lire au second degré et de voir en cet esprit surnaturel, une métaphore claire de ce que traverse Ro. Pas facile de réaliser une histoire de fantôme et assez prenante. Skottie Young, Jorge Corona et Jean-François Beaulieu installent une peintre qui a l'air assez jeune, peut-être pas encore la trentaine dans une maison prétendument hantée, un point de départ aussi classique que convenu. Le lecteur relève tout de suite la qualité de la narration visuelle qui lui permet de se projeter dans chaque pièce de la maison, et il constate dans les pages de fin que cette demeure a été conçue avec soin. Il se sent tout de suite proche du personnage principal, voyant ses états d'esprit, partageant son découragement à l'idée de ne plus pouvoir réaliser une toile qui ait du sens pour elle, ne plus avoir des hoses en elle qui méritent d'être exprimées. Il n'est pas très surpris par la tournure que prend l'intrigue, tout en constatant qu'elle ne devient pas générique pour autant grâce à l'épaisseur acquise par le personnage de Ro. Il se retrouve surpris à deux ou trois reprises par un événement ou un acte qu'il n'avait pas prévu, sortant des rails de ce type de récit de genre, et totalement cohérents avec le reste du récit. Une bonne histoire d'horreur, à la fois avec un monstre, à la fois psychologique.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Basketful of heads
Basketful of heads

Tranchant et macabre - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. C'est la première à avoir été publiée dans la branche Hill House de DC Comics, des histoires placées sous la tutelle de Joe Hill. Ce tome regroupe les 7 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019/2020, écrits par Joe Hill, dessinés et encrés par Leomacs, mis en couleurs par Dave Stewart. Les couvertures ont été réalisées par Reiko Murakami. le tome comprend également les couvertures variantes réalisées par Joshua Middleton, Clayton Crain, Tula Lotay, Becky Cloonan, Matteo Scalera, Igor Kordey, Gabriel Rodriguez. Il comprend également une courte interview (3 questions) de Joe Hill, et une un peu plus longue (5 questions) de Leomacs. De nuit sur un pont, sous la pluie, une jeune femme en ciré avance avec à son bras un panier sur lequel est posé un drapeau américain. Il s'en échappe des voix. Elle porte une hache viking dans l'autre main. Elle pose le panier sur le parapet du pont. Une voiture s'arrête et le conducteur lui demande ce qu'elle fait sous la pluie, avec ce panier. Avant, en septembre 1983, à Brody Island, June Branch est assise sur le même parapet métallique par une belle journée d'été, à balancer ses jambes dans le vide. Une voiture de police s'arrête à sa hauteur et l'adjoint Liam Ellsworth en descend. Ils échangent quelques paroles, et ils s'embrassent comme des amoureux. Il lui indique qu'il a fini son service depuis cinq minutes. Ils remontent dans le buggy de la police et elle parle d'acheter leur propre voiture, mais il n'a aucun argent de côté. Elle est assez déçue qu'il ne souhaite pas acheter une voiture avec elle, mais elle le rassure : elle n'avait aucune intention de se suicider en se jetant du haut du parapet. Il indique qu'il a aidé à récupérer une suicidée à ce même endroit, peu de temps auparavant. Elle avait sauté avec un sac à dos rempli de cailloux pour être sûre d'en finir. Mais Liam demande à récupérer sa chemise d'uniforme parce que la police est en train d'intervenir. Tout en remettant sa chemise dans son pantalon, Liam Ellsworth se dirige vers Wade Glausen, le shérif, tout en regardant les 6 prisonniers en uniforme orange allongés ventre à terre avec les mains sur la tête. Liam présente June au shérif qui l'invite à manger pour le soir, mais Liam lui indique que son épouse Roberta Glausen l'a déjà fait. Ned Hamilton, important homme d'affaires de l'île, est en train de se plaindre auprès du shérif qu'il faut qu'il retrouve au plus vite les quatre fuyards. le shérif répond qu'il ne s'agit pas de la pire engeance, mais juste de deux consommateurs de cannabis, d'un chauffard et d'un proxénète. Il ajoute qu'il s'en occupe et il donne l'ordre à Liam de se rendre au plus vite au repas préparé par son épouse. Arrivé à la demeure des Glausen, Liam présente June à Hank Clausen, le fils de Wade, puis à son épouse Roberta. Celle-ci les emmène dans un immense salon décoré avec de véritables pièces de musée viking, dont une figure de proue de drakkar, et une immense hache, que des pièces datant du neuvième siècle. Roberta, Hank, Liam et June prennent le dîner sur la terrasse ; ils sont servis pas l'employé de maison Gabby Thurston. Au moment du dessert, le téléphone sonne : Wade Clausen souhaite parler à Liam pour qu'il revienne parce qu'un des détenus en fuite a tué Noel Flanagan, un des policiers. S'il a lu la série Locke and Key, le lecteur n'éprouve pas un seul instant d'hésitation en découvrant un nouveau comics écrit par Joe Hill. Il s'agit du premier à être publié par DC Comics dans une branche créée spécialement pour l'occasion Hill House, pour des récits d'horreur, a priori triés sur le volet par Hill lui-même. le titre et la couverture l'annoncent clairement : c'est un récit d'horreur dans lequel un individu mystérieux coupe des têtes avec une hache et les met dans un panier. La couverture n'est pas mensongère, et en plus une fois coupées, les têtes en question continuent de parler, en l'occurrence à leur meurtrier, mais aussi entre elles. En découvrant progressivement le récit, le lecteur peut sentir l'influence de Stephen King le père de l'auteur dans le lieu choisi : une île reliée au continent par un passage qui se retrouve inondé du fait d'une tempête et cette dernière fait sauter le réseau électrique. C'est parti pour une nuit éprouvante au cours de laquelle toutes les horreurs peuvent survenir. Le lecteur peut se retrouver décontenancé par le ton de la narration. Il y a ce principe de têtes séparées de leur corps et qui continuent à parler comme par enchantement. le scénariste évoque en passant cette particularité mais sans s'y attarder, ce n'est pas important pour l'intrigue. En fait, si c'est important parce que les échanges qui s'installent entre elles et le tueur vont fortement influer sur le comportement de ce dernier. le dessinateur les représente de manière réaliste : il est possible de voir les lèvres bouger, les yeux bouger, de les voir prendre des expressions diverses. Elles continuent de parler alors qu'il n'y a plus ni cordes vocales, ni poumons. À l'évidence, le lecteur doit accorder le degré de suspension d'incrédulité consentie nécessaire pour prendre cet état de fait comme il vient, sans poser de question, sinon la narration ne fonctionne pas. Sous réserve d'y consentir, il peut alors apprécier un thriller bien noir et macabre, assez retors avec une touche d'humour noir. S'il en déjà lues, il pense aux histoires à chute des EC Comics, et se dit que la filiation est bien là, voire même une forme d'hommage aux éléments surnaturels que pouvaient contenir une partie de ces histoires. S'il a cette touche d'humour en tête, le lecteur prend plus de plaisir encore aux expressions des têtes coupées en train de parler dans le fameux panier. Sinon, il prend les dessins au premier degré, et apprécie le naturel de la narration visuelle, ainsi que sa qualité descriptive. Leomacs détoure chaque forme avec un trait précis et avec un soupçon de lâché dans leur tracé qui apporte une sensation de vie dans les personnages, très naturelle. Il utilise les cases sans décor en fond avec modération et pertinence. Il passe du temps à représenter les environnements, dans la plupart des cases, avec un niveau de détail parfaitement dosé. le lecteur éprouve la sensation de trouver dans les différents endroits de l'île : le pont métallique au-dessus du bras de mer, la vue en hauteur surplombant la spacieuse demeure des Clausen, leur salon richement décoré, le ponton au-dessus de la mer, le panier à linge où s'est réfugié June alors que les fuyards visitent la maison pendant la panne d'électricité, la berge rocailleuse où été retrouvé le corps d'Emily Dunn avec son sac à dos, la route déserte avec un arbre en travers, le 4*4 de Ned Hamilton, le poste de police et ses cellules, le yacht de Wade Clausen, le fond de l'eau. Toujours avec l'idée d'une touche d'humour noir en tête, le lecteur se prend à sourire au jeu des acteurs qui paraîtraient sinon un peu forcé. À l'évidence, Leomacs rend lui aussi hommage au EC Comics et à la forme d'expression un peu dramatisée des personnages. D'un autre côté, au vu de ce qui leur arrive (et pas qu'aux décapités), il y a de quoi avoir des réactions émotionnelles intenses. Pour autant, l'artiste n'en fait pas des tonnes, et prend bien garde à ne pas passer dans l'outrance ou dans le grotesque. Il fait en sorte de raconter l'histoire au premier degré et que ses visuels ne sortent pas du domaine du plausible. du coup, malgré les têtes coupées qui parlent, le lecteur ressent une véritable empathie pour les personnages, et prend immédiatement fait et cause pour la pauvre June Branch qui va passer une sale nuit. La dynamique du thriller fonctionne à plein, et le tueur a la main lourde avec sa hache. le récit dépasse la simple course-poursuite, car Joe Hill a construit une intrigue soignée pleine de révélations et de retournements, qui ne repose pas sur les tranchages de cou, ou le gore. le lecteur commence par se demander ce qui a bien pousser Eily Dunn à se suicider en sautant dans une rivière avec un sac à dos rempli de pierre. Puis il doute que les quatre évadés soient si inoffensifs que l'a déclaré le shérif. Puis il tremble pour June et Liam alors que les quatre fuyards fouillent la maison du shérif de fond en comble de nuit sans électricité, en se demandant bien ce qu'ils peuvent chercher. Alors que June se fait courser par Salvatore Puzo en combinaison orange, il se demande ce qui est en train d'arriver à Liam aux mains des trois autres. le scénariste a conçu une intrigue avec une précision d'horlogerie, et un rythme maîtrisé de bout en bout, qui donne le temps au lecteur d'apprécier ce qu'il est en train de découvrir, tout en le tenant en haleine, et en lui faisant abandonner l'idée de faire une pause. Pari réussi pour le co-auteur de Locke and Key : écrire un récit aussi prenant, tout en étant plus court. Joe Hill déroule un thriller imparable, avec une touche d'horreur (les têtes coupées) et une touche d'humour macabre (les têtes coupées qui parlent), avec une héroïne immédiatement attachante qui est faillible, mais qui ne joue ni les potiches, ni les victimes. La narration visuelle est incroyablement bien adaptée à la nature du récit, avec que ce soit pour les exigences descriptives que l'intégration organique de la touche macabre.

15/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Ocean City
Ocean City

Une histoire de base pas forcément hyper originale. Et pourtant, ça donne un diptyque très sympathique. Ça part sur du polar classique tendance mafieux de seconde zone. Mais au bout d'un moment la sauce prend, grâce à quelques personnages gratinés (Maurice, sorte d'autiste illuminé en tête), et à une construction savoureuse. En effet, nous découvrons plusieurs scènes clés de différents points de vue. Ça donne souvent des touches d'humour noir, et renforce le côté loser et bras cassé qui colle à la plupart des protagonistes. Ce procédé, qui est parfois artificiel, dynamise clairement l'intrigue. Chauvel à produit pas mal de séries polar, et celle-ci se place dans le haut de son panier - bien rempli. Une lecture assez chouette.

15/04/2024 (modifier)
Par Cleck
Note: 4/5
Couverture de la série La Distinction
La Distinction

Que ce projet était délicat ! Comment adapter en BD un stimulant essai de sociologie aussi précis et fondamental qu'austère ? Une gageure et un pari à bien des égards relevé sinon impossible ! Vous avez dit inadaptable ? Tiphaine Rivière a la belle idée de mettre en situation l'essai de Bourdieu, de créer des personnages permettant de fuir l'adaptation/vulgarisation pour privilégier une pertinente illustration du propos, autrement plus accessible, à même d'en révéler les principes essentiels. Faisant accessoirement ressortir sa contemporanéité. Nos chantres de l'égalité républicaine et les individualistes se rêvant libres penseurs peuvent ergoter, les déterminismes sociaux (reproduction sociale, distinction culturelle...) sont une vérité sociologique indiscutable nourrissant une lutte des classes férocement menée et gagnée par nos "élites" économiques et politiques. Une "vulgarisation" très habile et réussie, peu mise en valeur par un trait et un noir et blanc convenus et sans relief : un "petit 4", surnoté pour la beauté de l'entreprise.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Not All Robots
Not All Robots

Obsolescence humaine - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits par Mark Russell, dessinés et encrés par Mike Deodato, avec une mise en couleurs de Lee Loughridge. Il contient les couvertures réalisées par Rahzzah, ainsi que les couvertures variantes de Mike Deodato (*1), Leila Leiz (*1), et une postface du scénariste sur son inspiration, ainsi qu'une de l'artiste sur ses inquiétudes à réaliser un tel type d'histoire. En 2056, la race humaine a tellement massacré l'environnement qu'elle est reléguée à vivre dans des métropoles mises sous cloches, comme Bulle Atlanta, et les robots ont pris le contrôle des opérations. Ils sont doués d'une forme de conscience. Ils ont remplacé les humains dans tous les métiers, sauf coiffeur. Chaque cellule familiale s'est vu attribuer un robot de forme anthropoïde avec bras, jambes, tronc et tête, mais d'apparence très mécanique. Ce robot va au travail et son salaire sert à faire vivre le ménage et les enfants s'il y en a. Les entreprises qui fabriquent les robots sont en train de finaliser leur recherche sur la conception d'androïdes, des robots avec un corps similaire à celui d'un être humain. Ce soir-là, à l'émission de débat Talkin' Bot, le robot animateur reçoit un autre robot et Megan, une humaine. le thème du débat : est-ce que l'obsolescence humaine est une bonne chose ? le robot invité Slice-a-tron expose les faits : le comportement humain est erratique et dicté par des émotions. Les humains sont fainéants et grâce au travail du robot dans chaque foyer, ils peuvent se relaxer, ce qui semble être leur spécialité. Megan oppose le fait que la révolution robotique était sensée libérer les humains, mais que dans la réalité le contrôle de leur vie leur échappe toujours plus. le robot invité répond que la gestion des affaires humaines par les robots a permis d'améliorer la situation sur tous les plans. Dans leur salon, autour de la table la famille Walkers s'apprêtent à manger, tout en commentant le débat. le père Donny commence par rendre grâce à Dieu, puis il remercie Razorball, leur robot, dont le salaire a permis qu'ils aient à manger. La fille adolescente Cora fait remarquer que c'est déjà assez pénible de vivre dans la même maison que ce robot, qu'elle ne va pas en plus le remercier. le fils adolescent Sven dit qu'il a l'impression que le robot le regarde comme s'il était un robinet qui fuit. La mère Cheryl ajoute qu'il fait peur à rentrer en coup de vent, puis à aller s'enfermer dans son atelier au garage toute la nuit, sans qu'on sache ce qu'il y fait. Elle demande à son mari ce qu'il pense qu'il y fait. Donny coupe court à cette conversation car Razorball rentre du boulot. Il lui demande si sa journée a été bonne : Razorball répond que non, comme d'habitude. La réponse est toujours non. Donny lui demande s'il veut qu'il lui prépare un bain d'huile chaud. le robot lui demande de le laisser tranquille, que c'est tout ce qu'il veut. Et il va s'enfermer au garage pour se livrer à son occupation solitaire. Le lecteur qui suit la carrière de Mark Russell situe rapidement la nature du récit : appartenant au genre science-fiction, et évoquant une situation sociale toxique, comme il avait pu le faire dans Billionaire Island (2020) avec Steve Pugh. le scénariste sait poser les bases de cette société du futur en quelques pages : désastres écologiques, êtres humains obligés de vivre dans des mégapoles mises sous cloche, et omniprésence des robots qui sont devenus 99,99% de la force de travail, les humains dépendant d'eux pour leur subsistance, gîte et couvert. Russell ne s'attarde pas trop sur le principe de fonctionnement de l'intelligence artificielle des robots : pas de lois de la robotique comme chez Isaac Asimov (1920-1992), pas de théorie sur l'intelligence artificielle, juste des êtres mécaniques avec des capacités professionnelles, une logique mathématique, et une forme de conscience d'eux-mêmes, avec un processeur d'empathie à l'amplitude limitée. Cela génère un sentiment de frustration chez les robots qui travaillent pour des humains qui se tournent les pouces, qui sont moins efficients qu'eux, et qui ont laissé la Terre dans un état de délabrement avancé. Il a fallu que ce soient eux, les robots, qui reprennent les choses en main pour préserver ce qui pouvait encore l'être, pour assurer l'intendance permettant aux humains de vivre, en leur assurant leurs besoins primaires. Cela génère un sentiment de ressentiment chez certains humains, en état de dépendance, ne servant plus à rien, dépossédés de leur capacité à décider par eux-mêmes. Le lecteur ressent pleinement ce malaise partagé, ce ressentiment mutuel non exprimé, la pression du travail qui pèse sur les robots, sans parler des accidents qui peuvent se produire quand un robot blesse ou tue un humain ou plusieurs par inadvertance quand il se produit un bug. La tension monte entre les deux communautés, même s'il reste des individus des deux camps qui croient en une cohabitation pacifique et mutuellement profitable… sauf que certaines usines commencent déjà à produire une version améliorée de robots, avec une allure totalement humaine, et un microprocesseur empathique plus performant. Dans la postface, l'artiste explique que ce récit représentait un défi pour lui pour deux raisons : représenter des robots d'allure mécanique et parvenir à trouver un langage corporel un tant soit peu expressif, mettre en scène une comédie satirique qui est également une critique sociale. Même un dessinateur aussi chevronné que lui a eu besoin des encouragements de son responsable éditorial pour avoir assez confiance en lui. Quand il entame l'ouvrage, le lecteur ne ressent pas du tout cette inquiétude. Il retrouve les dessins proches d'un photoréalisme de Deodato, avec un haut niveau de détails, des trames mécanographiées qui apportent des textures et augmentent le relief, des séparations en case parfois arbitraire, plus pour l'allure générale que pour la narration. Il admire toujours autant son usage des ombrages pour accentuer le relief, dramatiser certains éclairages à bon escient, sans systématisme. L'artiste a très bien réussi à donner un minimum d'expressivité aux robots, sans aucun trait de visage, simplement avec des postures cohérentes avec les articulations de leur corps. du coup, ces masses métalliques ne sont pas que des objets, mais sans être humanisées, ce qui est parfaitement en phase avec la forme d'intelligence que leur a attribuée le scénariste. le contraste est d'autant plus grand avec la nouvelle génération de robot, plutôt des androïdes à l'apparence exactement identique à celle d'un être humain. D'un autre côté, quand le lecteur assiste à un défilé de robots mécaniques, il reçoit avec force la menace constituée par cette foule à la force physique impressionnante, totalement déconnectée de l'humanité. Pour les êtres humains le dessinateur reste dans un registre majoritairement réaliste, même si la diversité des morphologies reste très limitée. de plus, il n'exagère pas le langage corporel : il reste bien dans une comédie dramatique, et il ne passe pas en mode action ou aventure. Comme à son habitude, il épate le lecteur par la consistance de ses décors, et par leur niveau de détails, avec une forme de représentation quasi photographique. La mise en couleurs de Lee Loughridge s'avère assez foncée, ce qui renforce encore l'impression de cases très denses en informations visuelles. Au fur et à mesure, le lecteur peut, s'il le souhaite, ralentir un peu son rythme de lecture pour savourer les cases et les environnements qui y sont décrits et mieux prendre la mesure du niveau de détails pour les bâtiments, les bureaux, le salon des Walters, les salles de réunion, la pelouse du pavillon, etc. La tension entre humains et robots augmente très progressivement, en allant en se généralisant. Dans un premier temps, le lecteur voit bien que le robot de la famille est la personne qui ramène l'argent par son travail, le gagneur, mais aussi un individu renfermé sur lui-même, coupé des personnes qui dépendent de lui, sans possibilité de reconnaissance de leur part. En outre, l'emploi de chaque robot semble aliénant et sans joie. le lecteur voit bien le parallèle se dessiner avec un foyer où seul le père travaille, et le reste de la famille dépend de lui sur le plan financier. Dans la postface, Russell explicite clairement que cette situation lui permet ainsi de mettre en scène la masculinité toxique, le titre évoquant le hashtag NotAllMen. le lecteur peut être un peu surpris car le propos semble de plus grande envergure, et pas forcément focalisé sur ce thème. Pour commencer, il n'est possible d'attribuer un sexe aux robots travailleurs, pas plus mâle que femelle. Ensuite le père de famille prend le parti de leur robot, et ce sont son épouse et ses enfants qui lui manifestent une hostilité feutrée. Enfin, le travail du robot leur permet effectivement de bénéficier d'une vie de loisirs, même si ceux-ci ne sont pas évoqués. Au fil des pages, le lecteur ressent plus un commentaire sur le travail et sur la force de travail. Lors d'un débat, un robot dit clairement que les humains sont moins efficaces, moins résistants, et qu'en plus ils prennent des pauses nocturnes pour dormir : une métaphore implacable sur la mise sur la touche des travailleurs fatigués ou moins productifs, et de la valeur absolue de la productivité. le récit devient plus dramatique encore quand cette génération de robots mécaniques devient elle-même obsolète, avec l'arrivée des androïdes. Vu sous cet angle, le récit est alors aussi caustique qu'impitoyable, aussi cruel que pénétrant. L'association de Mark Russell et Mike Deodato junior donne naissance à un récit concis, à la narration visuelle dense et très concrète, faisant exister ce futur proche. L'intrigue réserve des surprises et est intéressante pour elle-même. Les thèmes développés ressortent avec plus d'acuité du fait de l'utilisation très élégante des conventions de la science-fiction pour mieux montrer ces mécanismes sous un jour nouveau et parlant.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série B.O. comme un dieu
B.O. comme un dieu

On peut tout faire du moment qu'on est dans le bon tempo. - Ce tome contient une histoire à caractère pornographique, complète et indépendante de toute autre. Il s'agit d'une bande dessinée en couleurs, de cent-dix-neuf pages, réalisée par Ugo Bienvenu, scénario, dessins et couleurs. Sa première édition date de 2020, et elle porte le numéro vingt-trois dans la collection BD.cul des éditions Les requins marteaux. Le robot B.O a sept cent soixante-douze ans. Il y a beaucoup de probabilités dans l'univers. Tout un tas de probabilités auxquelles vient s'ajouter celle-ci : il a sûrement couché avec l'une des ancêtres de ceux qui le lisent. Une arrière-grand-mère, une tante, peut-être la mère. Et il peut assurer qu'elles ont aimé ! Il est un professionnel. Même mieux ! Il a été créé pour ça. Et son créateur l'a bien fait. On n'a sûrement jamais entendu parler de lui. Aucune mère, aucune fille, aucune soeur, aucune amie n'osera jamais dire qu'elle a eu recours à ses services. Et pourtant il les a fait jouir ! Il est le dernier robot sexuel de la galaxie. Avant toute chose, il sait que ça peut paraître étrange, mais il est un robot hétérosexuel. Il n'y peut strictement rien. Il a été programmé comme ça. Ça limite fortement sa clientèle potentielle. Mais c'est mieux comme ça… il a déjà du mal à honorer ses contrats. B.O voyage à travers le vide de l'espace à bord d'un vaisseau. Sa trajectoire le fait passer devant des planètes, des lunes, dans le vide interstellaire. Il est le dernier robot sexuel de la galaxie. B.O atterrit sur une planète, devant une maison à l'écart de toute civilisation, chez sa plus fidèle cliente : Joulia. La plupart du temps, il doit venir la voir plusieurs fois par semaine. Parfois elle lui demande de rester pour la journée ou pour la nuit. Elle a les moyens, ce qui est nécessaire car il n'est pas donné. B.O sort de sa petite fusée et se dirige vers elle, car elle l'attend et elle court vers lui. Elle l'enserre dans ses bras et le dirige séance tenante vers la chambre pour débuter incontinent les ébats. Joulia est un mannequin intergalactique. Tous les humains rêvent de coucher avec elle. Mais c'est avec lui qu'elle baise. Tous les humains rêvent d'être aimés par elle. Mais c'est lui qu'elle aime. Alors qu'elle est allongée nue sur le lit, il commence par un cunnilingus. Il sait qu'elle l'aime. Elle ne l'a pas encore formulé, mais il le sait. Son cerveau quantique a analysé tous les signes. Sa marge d'erreur étant d'un milliardième, il peut qualifier son amour pour lui de certitude absolue. Il n'en tire aucune fierté, aucun plaisir. C'est un robot. S'il raconte ça, c'est qu'il trouve les humains absurdes. La partie de plaisir continue et elle le chevauche. Les humains sont toujours à vouloir quelque chose qu'ils n'auront pas. Toujours à vouloir compliquer les choses. C'est sûrement dû à la simplicité de fonctionnement de l'être humain. Ce dernier est sensible à une chose : le rythme ! Là par exemple, il va falloir que BO accélère la cadence. C'est comme en musique. Ils changent de position : elle debout devant, lui derrière. B.O se rend compte qu'elle est sur le point de jouir. Il calme un peu le jeu, puis il y va à fond. Depuis le premier tome, cette collection tient ses promesses : des récits explicites, ouvertement pornographiques, avec des représentations de pénétrations en gros plans, des positions variées, des éjaculations et des jouissances sexuelles. Cette bande dessinée ne déroge pas à la règle. de prime abord, le lecteur peut être un instant décontenancé par le choix de l'artiste qui donne une peau grise avec des reflets de lumière à BO, comme s'il s'agissait d'une enveloppe métallique, avec des quelques jointures apparentes. Toutefois, la représentation des actes sexuels montre que ces dames apprécient la texture du robot, que son apparence ne les rebute en rien, n'obère pas leur plaisir. le lecteur effectue l'ajustement dans son esprit et comprend que ce choix de représentation remplit l'objectif de lui faire se souvenir qu'il s'agit d'un robot avec une apparence artificielle, à chaque séquence, une machine créée pour satisfaire le plaisir de ses partenaires. Il sourit quand il lit la remarque de B.O sur son hétérosexualité : il a été créé comme ça. Les partenaires de ce robot disposent toutes d'une morphologie humanoïde. Joulia, la première, est une femme humaine, et sa nudité permet de n'entretenir aucun doute à ce propos. Les clientes suivantes présentent une caractéristique ou deux attestant de leur caractère extraterrestre : la couleur de peau, des paires de sein surnuméraires pour une, des antennes pour une autre, mais des attributs sexuels (vagin, seins, fesses, bouche) exactement identiques à la physiologie humaine. Les représentations des actes sexuels sont donc explicites, avec des gros plans de pénétration et d'autres pratiques, toutes restant dans un registre classique, sans aller vers des pratiques parfois qualifiées de déviances. le robot dispose d'un engin de gros calibre : il précise lors d'une prestation, dans son flux de pensée, que c'est ce qu'attendent les clientes. Les femmes ont toutes un corps jeune et de mannequin. Il y a des gros plans et des très gros plans. Cette bande dessinée présente des dimensions plus petites que celles d'un format franco-belge : 13,2cm * 18cm. Les pages comprennent parfois deux cases, l'une au-dessus de l'autre, jamais plus, il y a de nombreux dessins en pleine page, et plusieurs en double page ne laissant rien ignorer de l'acte sexuel. L'artiste réalise des dessins dans un registre descriptif et réaliste. Il détoure les formes d'un trait fin. Il représente régulièrement les décors : le vide interstellaire, la fusée De BO, les montagnes entourant la propriété de Joulia, la chambre à coucher de Joulia, la chambre à coucher de Maartaa, le salon de Joulia. Ugo Bienvenu aime bien également dessiner le vide de l'espace, le contour d'une planète ou d'une lune, éclairé par une lumière rasante. Après son départ de chez Maartaa, B.O arrête sn vaisseau dans l'espace, sort sur la coque et s'y assoit dessus pour contempler les étoiles scintillant. le lecteur de comics peut penser à Silver Surfer faisant de même assis sur sa planche. Le scénariste propose un ouvrage pornographique quelque peu déstabilisant. Effectivement, il peut se lire d'une seule main, sous réserve de fétichiser les orifices féminins, et de ne pas s'attacher à la couleur de peau, ou à la nature extraterrestre des clientes. La dynamique du récit est imparable : un robot-plaisir à usage des femmes, le dernier de sa race, qui fait son métier, ce pour quoi il a été programmé, et qui le fait bien. le meilleur tombeur de ces dames, celui qui s'estime être un cadeau de Dieu fait aux femmes, peut peut-être se reconnaître dans un tel avatar. Un objet de plaisir tout entier conçu pour celui de sa partenaire, infatigable bien sûr, mais aussi doté de senseurs lui permettant de capter le moindre changement de respiration, de tension musculaire, de posture, pour réagir au plus efficace, être parfaitement en phase avec sa partenaire. Dans son flux de pensées s'adressant au lecteur, B.O explique que se clientes lui demandent de leur faire des choses qu'elles ne feraient jamais avec un partenaire humain. Tout simplement parce qu'elles se foutent de ce qu'il pense. Ou plus précisément parce qu'elles savent qu'il n'a ni morale, ni tabou, qu'il n'attend rien. Avec lui, elles peuvent dire et faire ce qui leur plaît. Elles n'ont aucune retenue à avoir, aucune performance à tenir, aucun complexe de quelque sorte. La seule chose qu'elles ont à penser avec lui, c'est leur plaisir. À l'évidence, peu d'hommes peuvent faire preuve d'un tel désintéressement, d'un tel altruisme, et même d'un tel niveau d'empathie pendant un rapport sexuel. Le lecteur ne s'attache pas forcément à ce robot qui est présenté comme une machine. Il suit sa première mission, puis ses considérations sur l'expérience acquise au cours de toutes ces décennies d'activité, et lors de sa deuxième séance. de manière inattendue, le scénariste étoffe son récit, avec des éléments explicatifs, sur le fait qu'il n'existe plus qu'un unique robot-plaisir, sur son coût de maintenance, sur la manière dont il cache son existence aux autorités, sur la disparition des robots-plaisir. Dans la dernière séquence, le lecteur découvre qu'il y avait même une intrigue, ténue mais débouchant sur une résolution. Il apprécie que Ugo Bienvenu utilise les conventions propres au genre de la science-fiction pour mettre en scène les rapports sexuels, avec ce dispositif de robot qui permet de prendre du recul, de la présenter sous une facette décalée. B.O incarne le gigolo ultime : il se fait payer et ses services sont d'un niveau de qualité optimale. Son esprit programmé lui permet d'accomplir sa tâche avec efficience, et l'amène également à observer la race humaine dans ce qu'elle lui apparaît comme illogique. Il trouve les humains absurdes : Toujours à vouloir quelque chose qu'ils n'auront pas. Toujours à vouloir compliquer les choses. Ou encore : à installer des cadres moraux… Et rien ne leur fait plus plaisir que leur transgression. Ou encore : à éprouver le plus grand des plaisirs à identifier un motif, et à avoir très vite besoin qu'il soit remplacé par un autre, d'une nature différente, de la manière la plus inattendue possible. La couverture et la quatrième de couverture annonce clairement la nature de cette bande dessinée : un ouvrage pornographique. La lecture confirme que l'auteur a respecté cette nature, en la servant avec des dessins représentatifs de grande qualité, un sens de la mise en scène, et une absence d'hypocrisie évidente au travers des gros plans. le lecteur assiste donc aux performances de ce robot-plaisir avec des clientes qui peuvent se lâcher sans crainte, sans arrière-pensée. Tout du long du récit, le lecteur découvre les pensées de B.O qui viennent expliquer sa situation, le fait qu'il soit le dernier de ce genre, ainsi que ses observations sur le comportement humain. Contre toute attente, Ugo Bienvenu se sort haut la main d'un exercice périlleux : utiliser les conventions du genre pornographique, mêlées à celles de la science-fiction, pour mettre en lumière des facettes du genre humain.

15/04/2024 (modifier)