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Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Le Démon de midi
Le Démon de midi

Comment a-t-il pu me mentir, me trahir, me tromper, me berner, me blouser, m'embobiner à ce point… - Ce tome contient une histoire indépendante de toute autre. Il peut aussi s'envisager comme le premier d'une trilogie, avec le Démon d'après-midi… (2005), et le Démon du soir ou la Ménopause héroïque (2013). Il s'agit d'une bande dessinée en couleurs comprenant 58 planches en couleurs, écrite, dessinée et mise en couleurs par Florence Cestac, avec l'aide d'Alexis Cestac pour les couleurs. La première édition date de 1996. Ces trois oeuvres ont été rééditées dans Les démons de l'existence, avec une introduction supplémentaire de trois pages en bandes dessinées. Anne a eu une enfance campagnarde, entourée d'animaux de tout poil. Très vite elle a entendu jaspiner de la sale bête, c'est-à-dire : le démon ! Dans sa tête de petite fille, c'était une espèce de fantôme maléfique qui s'abattait sur les bêtes et les rendait cinglées. Et quand le fantôme s'attaquait aux gros gabarit, genre taureaux, bovidés, chevaux, ça devenait spectaculaire !!! Elle et son frère devaient faire avec le comportement parfois étrange de leur chien Youki s'excitant sur leur jambe. Ils observaient le père en train de séparer le taureau Popol et la vache Marguerite, à coup de fouet. Pour une raison inexpliquée, leurs parents ne souhaitaient pas en parler. Un jour, alors qu'ils venaient chercher leur quatre heures, les femmes étaient rassemblées dans la cuisine : l'ambiance n'était pas à la rigolade, et la cousine Cécile pleurait dans son torchon. Au tour d'elle, cinq autres femmes de la famille qui essayaient toutes de la consoler. Les enfants comprirent que c'était l'oncle Henry dont il était question, le mari de Cécile, et le mot fut lâché : c'est le démon de midi. Florence comprend que ce démon s'attaque aussi aux hommes, sans savoir pourquoi celui-là est qualifié de démon de midi, pourquoi midi ? Quelques années plus tard, Florence allait être confrontée à la bête et comprendrait enfin la signification du midi : la moitié de la vie. Imaginer un gentil couple : elle 40 ans, lui 45. Ils ont fait un bon bout de chemin ensemble. le nid est construit : le ou les enfants sont là (elle va n'en mettre qu'un pour simplifier), beau comme leur maman, vif et intelligent comme leur papa. Lorsqu'il rentrait de sa journée de travail, le papa avait des idées, il se montrait tendre et affectueux, délicat, câlin, chou quoi. Bouquet de fleurs, restaurant, cadeau. Il était content de retrouver son foyer. Mais surtout, il parlait, il racontait, le couple se racontait, partageait jusque tard dans la nuit. Mais depuis quelque temps, le papa est plutôt aimanté par le poste de TV lorsqu'il rentre. Gerbé au fond de son fauteuil, les pieds au chaud dans ses charentaises, il est comme hypnotisé par l'écran, et là son épouse peut tout essayer. le gâteau préféré, la mise en pli avec une robe neuve et des chaussures neuves, la tenue affriolante. Et le mari ne sait que répondre excédé, qu'elle se pousse car son équipe mène trois à deux. Cette bande dessinée a été adaptée deux fois : la première sous la forme d'une pièce de théâtre en 2000 créée par Marie-Pascale Ostterieth et Michèle Bernier, la seconde fois sous la forme d'un film en 2015, réalisé par Marie-Pascale Osterrieth, avec Michèle Bernier dans le premier rôle d'Anne Cestac. Elle a reçu le prix de l'Alph-Art de l'humour en 1997, au festival international de la bande dessinée à Angoulême. le lecteur découvre une narration de nature humoristique, avec des exagérations de mouvement, d'expression de visage, des situations comiques, et une acceptation douce-amère de la situation dramatique, très adulte. Cette situation est exposée du point de vue de l'épouse qui est trompée par son mari, et qui doit faire avec cette découverte à une époque de publication où le divorce commence à se répandre. de ce point de vue, la présentation faite de la situation peut s'apparenter à des évidences du fait de l'évolution de la société sur ce plan. le lecteur peut également être désorienté par la manière dont le sujet est illustré, c'est-à-dire avec des personnages dit de type Gros Nez. L'autrice adopte donc le point de vue de l'épouse pour évoquer plusieurs phases de cet adultère. Son avatar a bien conscience de ne pas être parfaite, et que leur couple a évolué depuis leur première rencontre, et leur mise en ménage. Il semble, même si ce n'est pas dit explicitement que Anne soit une mère au foyer, sans beaucoup d'activités à côté, mais avec des amies. Cestac met en scène l'amour intense des débuts de la relation, et la conviction des deux tourtereaux qu'au départ, ils étaient persuadés de ne pas être un couple ordinaire. Puis vient la réalité du travail pour monsieur qui rentre fatigué, qui s'empâte, qui est de plus en plus souvent de mauvaise humeur, qui rentre de plus en plus tard, qui trouve que tout est nul, la dégradation des liens affectifs, et sa volonté de se remettre en forme et de changer de garde-robe et d'apparence. Il est bien sûr question de sa maîtresse même si elle n'apparaît pas dans les cases, qui est plus jeune qu'Anne. Comme il s'agit d'adultes installés, la situation s'avère compliquée et elle ne se règle pas par une simple séparation une fois la tromperie mise à jour. La lecture s'avère fort divertissante car la dessinatrice utilise des caractéristiques de la bande dessinée humoristique et même tout public. Les personnages sont affublés de gros nez très ronds et trop gros. le lecteur est conquis par l'expressivité de leur visage, toutefois quand il prend un instant pour les regarder, il se rend compte de leur composition très exagérée éloignée du photoréalisme. le nez est tellement gros, que l'artiste doit placer la bouche complètement sur l'un ou l'autre côté du visage, quasiment en bas d'une joue, et avec une forme soit réduite à un trait, soit évoquant celle d'un fer à cheval. Les yeux sont tous déformés : pas d'iris, le blanc des deux yeux qui peuvent se toucher, voire ne former qu'une seule et même surface, un trait pour chaque sourcil, quatre doigts à chaque main (avec quelques exceptions quand la dessinatrice leur en représente cinq), des lèvres trop grosses pour les femmes, des corps parfois un peu caoutchouteux permettant aux personnages d'adopter des positions d'une rare souplesse. Florence Cestac fait usage d'autres conventions graphiques humoristiques comme l'énergie inépuisable des enfants, les onomatopées comiques, les petits coeurs pour exprimer le sentiment amoureux, et même un petit Cupidon avec son arc et ses flèches, sans oublier un coeur brisé, un personnage dessiné la tête réellement dans le postérieur, Anne avec un magnétoscope à la place du front, un personnage en forme de cochon dans le lit d'Anne, etc. De même, dans la narration, l'autrice utilise des dispositifs comiques tels qu'une petite chaumière perdue au fond des bois pour évoquer un conte de fée, l'intervention d'un réalisateur pour critiquer un emploi trop poussé de la licence artistique, une femme en chapeau haut de forme et en juste-au-corps passant la tête entre deux rideaux rouges comme sur une scène de spectacle, faire la gourde dans un magasin de bricolage, un défilé de huit amants en deux pages, ou encore une possibilité multiple de fins. le lecteur sourit du début à la fin, que ce soit devant le comportement pitoyable du mari ne sachant plus trop où il en est entre sa jeune conquête et son foyer, les conseils de ses copines pour se refaire une beauté afin de dégoter un amant, la reprise de contact avec ses amoureux de jeunesse, les différentes possibilités de fin sous forme de recombinaison de familles recomposées. Il est touché par des comportements très justes et sensibles : la dépression de l'épouse trompée, le constat du temps qui a passé en essayant de sortir à nouveau en boîte, les troubles chez l'enfant, etc. D'un autre côté, le temps a fait son effet : la situation d'une femme trompée, l'indécision du mari entre la nouvelle et l'ancienne, le retour sur le marché des célibataires et la position inconfortable de l'enfant sont devenus monnaie courante dans la société qui a lâché la bride aux possibilités de divorce. le récit n'apparaît pas tant daté, que plutôt charriant des lieux communs qui n'en étaient pas à l'époque de sa publication. Florence Cestac évoque l'usure du couple et l'infidélité de l'époux avec une femme plus jeune, vu du côté de l'épouse. Ses dessins très vivants donnent de l'entrain aux situations, les dédramatisant, sans pour autant neutraliser leur dimension dramatique. Quand Anne passe par une phase de dépression, le lecteur ressent sa détresse et la disparition de ses envies. du fait du point de vue féminin, l'épouse a plutôt le beau rôle, et le benêt de mari, le mauvais, même si elle évoque la pulsion sexuelle impérieuse ce qui le dédouane pour partie. D'un autre côté, il se conduit comme un individu immature, pas satisfait de sa situation présente, sans jamais se demander s'il ne va pas répéter les mêmes schémas avec une épouse plus jeune. La verve de l'autrice emporte le lecteur, même si l'évolution de la société a banalisé nombre des situations qui sont dépeintes.

13/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série The Wake
The Wake

2 femmes séparées par 200 ans, chacune confrontée à un mystère de l'évolution - Il s'agit d'un récit complet et indépendant de tout autre initialement paru sous la forme de 10 épisodes de juillet 2013 à septembre 2014. Le scénario est de Scott Snyder, les dessins et l'encrage de Sean Murphy, et la mise en couleurs de Matt Hollingsworth. La première séquence se déroule dans le futur, Leeward (une jeune femme) survole les flots qui ont envahi une ville américaine, avec une aile delta disposant de moyen de propulsion. Elle est suivie par un dauphin dans l'eau. 200 ans dans le passé (de nos jours), Lee Archer (mère de Parker, un garçon) suit une baleine en zodiac. Elle est interrompue par Astor Cruz, un représentant du gouvernement qui vient la recruter pour une mission secrète d'une semaine. Lee Archer se retrouve dans une base sous-marine clandestine (dédiée au forage pétrolier) au large de l'Alaska, à la tête d'une équipe de 4 personnes : le docteur Marin (expert universitaire en mythologie et folklore), Meeks (chasseur professionnel, spécialisé dans les espèces dangereuses en voie de disparition), Bob Wrainwright (son ancien patron), et Cruz lui-même. Sur place elle découvre une créature agressive, mi-homme mi-poisson (une sorte de sirène mâle) et Cruz lui fait écouter son cri. En 2013, cette histoire bénéficie de l'aura de ses créateurs. Scott Snyder pilote la série Batman depuis sa relance dans le cadre du redémarrage à zéro de l'univers partagé DC (à commencer par The court of owls . Sean Murphy a marqué les esprits avec Punk Rock Jesus et Joe the barbarian (ce dernier avec Grant Morrison). Le début du récit indique clairement qu'il se déroule à 2 époques différentes (et même un peu plus puisque des mammouths apparaissent dans une courte scène) et qu'il comprend une composante horrifique (la dentition et l'agressivité de la créature poisson ne laissent planer aucun doute). Dès la première page, la qualité des dessins de Sean Murphy transporte le lecteur dans un environnement très concret présentant une grande capacité évocatrice. Les personnages sont aisément reconnaissables et un peu typés du fait de la présence d'angles obtus discrets dans leur physionomie. Chaque personnage dispose de sa tenue vestimentaire propre, avec une mention spéciale pour la veste rayée de l'agent Cruz. Murphy dose avec intelligence et pertinence la présence des décors en arrière plan, de manière à ce que les cases ne paraissent jamais vides, ni trop surchargées. Il réalise régulièrement de magnifiques décors, comme par exemple l'intérieur du sous-marin, ou l'avion qui sert d'habitation à Leeward. Qu'il s'agisse de l'époque actuelle ou du futur, les personnages évoluent dans des endroits spécifiques, ne donnant jamais l'impression de carton-pâte. Lorsque le lecteur pénètre avec les personnages dans la cabine du navire de Lee Archer, il peut en examiner le plancher, les équipements électriques et électroniques et le niveau de bazar. Snyder a pris le parti de montrer la grosse bébête qui fait peur dès le premier épisode du récit. Murphy s'est montré à la hauteur de la tâche, en lui donnant des dents bien acérées, un visage dépourvu d'humanité et une silhouette gracile et allongée, raccord avec son statut de poisson capable d'une grande agilité dans l'eau. Côté scénario, Snyder présente avec grâce ses personnages et attaque rapidement dans le vif du sujet puisqu'à l'issue du premier épisode tout est en place. Il consacre la première moitié du récit au temps présent pour l’affrontement contre le monstre, avec une prise de conscience progressive de l'ampleur des dégâts et de la menace. 200 ans plus tard, le lecteur retrouve l'humanité et ce qu'il reste de sa civilisation pour un nouvel affrontement à la forme très inattendue. Du début jusqu'à la fin, l'intrigue tient bien la route, avec de nombreuses surprises et une résolution évitant les stéréotypes. Du côté narration proprement dite, Snyder se montre un peu moins habile. Pour la première partie, il commence par intégrer des informations scientifiques sur la faune marine, tirant ainsi son récit vers le haut, au dessus des approximations et généralités en la matière. Mais lorsque que les personnages doivent sortir de la base sous-marine, ils n'éprouvent aucune gêne du fait de la pression (en contradiction avec les précisions apportées par l'agent Cruz lors de la descente). De même lorsque qu'une bébête vraiment beaucoup plus grosse sort de sa cachette, il n'y a pas d'explication à sa taille démesurée par rapport à celle des autres. De la même manière, le développement de la technologie 200 ans dans le futur laisse rêveur. Il est difficile de réconcilier le recul de la civilisation humaine, avec des progrès scientifiques qui permettrait de faire voler une forteresse d'une telle ampleur (Murphy n'améliore pas les choses en rajoutant un biplan de la première guerre mondiale dans le même espace aérien). De son côté, Sean Murphy intègre également quelques éléments visuels qui apportent un coté ludique aux images, aux dépends de la cohérence interne du récit. Sa conception graphique des sirènes est tellement convaincante, que le lecteur a bien du mal à croire que les êtres humains puissent disposer de la moindre chance contre eux dans leur élément naturel. Avec un tel corps fait pour le milieu aquatique et leur rapidité, aucun être humain ne peut rivaliser, ou même leur tenir tête plus de 10 secondes. Le corps de ces créatures présente de petits cercles lumineux, dont le lecteur est bien en peine de pouvoir déterminer leur fonction, ou même l'évolution de l'espèce qui a pu conduire à leur apparition. Dans la deuxième partie (200 ans après), Sean Murphy concocte une monde post apocalyptique des plus séduisants, avec des images attestant de la récupération des réalisations du passé, par les vivants (un superbe paquebot avec des rangées de rame, la récupération de la carlingue d'un avion, etc.). Mais dans le même temps il montre des réalisations technologiques qui attestent d'une civilisation industrielle et technologique plus avancée que la nôtre, ce qui est en décalage avec le récit. Quand il montre ce même paquebot s'abîmer dans les flots, il ne prend pas en compte l'effet des remous sur les individus présents dans l'eau à proximité. Lorsque les protagonistes se retrouvent sur la banquise, leurs tenues vestimentaires ne sont pas adaptées à la température. Ces incohérences narratives internes finissent par nuire au charme et à l'intelligence du récit. Si le lecteur se laisse emporter par l'ampleur du récit et les 2 héroïnes pleine d'entrain et de ressources, il est possible qu'il ne les remarque pas, et il apprécie une intrigue retorse et singulière, des scènes d'action spectaculaires et des dessins créant un environnement très étoffé. S'il ne pas passer outre ces maladresses, son plaisir de lecteur s'en trouvera un peu diminué.

13/04/2024 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Les Guerres de Lucas
Les Guerres de Lucas

Si ceux qui comme moi auront vibré en découvrant « Star Wars » dans leur prime jeunesse — et bien sûr par extension les fans les plus récents de la saga — seront sans aucun doute totalement emballés à la lecture de cette bande dessinée, il n’est pas impossible que les plus réfractaires l’apprécient. En effet, c’est d’abord l’ascension extraordinaire d’un homme mû par un imaginaire foisonnant et surtout l’histoire d’un film culte qui est présenté ici. On peut donc être simplement amateur de cinéma pour se plonger dans cette lecture… Abondamment documenté, l’ouvrage a été mené de main de maître par les deux auteurs, avec une symbiose parfaite entre les partitions graphique et narrative. On y découvre d’abord le personnage de Georges Lucas, cet enfant rebelle dont les rêves étaient « bigger than life ». L’homme, déjà tout gosse, avait une personnalité hors du commun, tête brûlée dans son adolescence et plutôt renfermé, il semblait habité par une volonté de fer pour donner corps à ses rêves…et il lui en aura fallu de la volonté pour franchir les innombrables écueils qu’il subit avant la sortie en salles du film, dans la douleur qui plus est… Même si Lucas avait déjà sa trilogie en tête, c’est le succès inattendu de ce premier opus au box office qui fut le catalyseur de l’impressionnante saga et de ses innombrables spin-offs, très inégaux il faut bien l’avouer, que nous connaissons aujourd’hui. C’est avec bonheur que l’on avale les 200 pages du livre, qui, en plus d’un personnage à la « vie intérieure bouillonnante », nous dévoile la genèse du tout premier Star Wars. On découvre que la compagne de George, Marcia, aura été d’un énorme soutien dans l’aboutissement de son projet, remanié mille fois avant sa version définitive ! Si les relations furent souvent houleuses avec les producteurs de studios, davantage préoccupés par l’appât du gain, celles avec les cinéastes furent heureusement plus amicales. On y croise ainsi Francis Ford Coppola, Steven Spielberg, l’autre homme qui aura transformé le cinéma dans ces années-là, Irvin Kershner (qui à l’époque n’avait pas encore réalisé « L’Empire contre-attaque »), Martin Scorsese et d’autres. Et puis les acteurs bien sûr, le trio magique composé d’Harrison Ford (recruté par défaut !), Carrie Fisher et Mark Hammill, mais aussi les seconds rôles, notamment l’acteur britannique Alec Guinness qui aura apporté son aura bienveillante au film. Le tout est passionnant, très complet, et truffé d’anecdotes croustillantes. On se gausse par exemple en apprenant que Han Solo aurait dû porter un col Claudine au lieu de sa fameuse tunique échancrée, si son interprète, par un réflexe salutaire, n’avait pas décidé de l’arracher. Le dessin de Renaud Roche est d’une efficacité redoutable dans sa simplicité. Il accompagne à merveille la narration extrêmement fluide. On apprend, de façon peu étonnante, qu’il a une expérience dans le storyboard. La mise en page va à l’essentiel et insuffle beaucoup de dynamisme au récit. La particularité graphique de cet album est qu’il n’est ni en noir et blanc ni en couleurs, l’auteur s’étant contenté d’ajouter ça et là des touches de couleurs pour souligner les éléments importants, renforçant encore le punch narratif. A croire que Roche a travaillé au pinceau-laser ! Si « Les Guerres de Lucas » ne représente que sa première bande dessinée en tant que co-auteur, on se dit que le jeune homme, illustrateur formé à l’école des Gobelins, a de l’avenir… Encore une fois, cette bande dessinée pourra largement captiver un lectorat au-delà des amateurs de la saga Star Wars. Sur une autre grille de lecture, elle montre le parcours admirable d’un homme qui en ayant concrétisé ses rêves par la puissance de sa « force » intérieure (on ne saurait mieux dire, et Lucas était loin d’être un communicant expansif, encore moins vénal !), nous offre une véritable leçon de vie. On peut dire que les Editions Deman, plutôt spécialisée dans la presse jusqu’à récemment, auront frappé fort avec la – seulement - troisième BD de leur collection. Déjà récompensée de prix divers (France Info, Fnac-France Inter), « Les Guerres de Lucas » ont rencontré également un succès critique et public. Laurent Hopman, à la fois co-fondateur de la société et scénariste de l’ouvrage, semble avoir eu du flair, inspiré peut-être par une force mystérieuse venue d’outre-espace…

12/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Even
Even

Nous sommes programmés pour jouir, pas pour souffrir. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il s'agit d'une bande dessinée en couleurs, de quatre-vingts pages. Elle a été réalisée par Zidrou (Benoît Drousie) pour le scénario, et Alexeï Kispredilov pour les dessins et les couleurs. Un long spot publicitaire : Ceci est un communiqué du ministère de la santé et de la communauté européenne. Bienvenue à l'érospital de Montpellier 2 ! Centre thérapeutique agréé par le ministère de la santé de la communauté européenne. – Nos services sont uniquement accessibles aux Swiiits - Élargir le champe de la santé publique à l'intimité sexuelle a toujours visé à améliorer le bien-être socio-affectif de chaque citoyen, et, par là-même, celui de la société tout entière. – Ils sont formellement interdits aux ugs. – Dans le cadre du programme euro-communautaire de réhabilitation émotivo-sexuelle, l'érospital de Montpellier 2 est heureux de vous proposer un choix de traitements individuels, de couple, voire de groupe, et quelles que soient vos préférences sexuelles. - * Pour la liste des pratiques sexuelles légales, veuillez consulter le site du ministère de la Santé de la Communauté européenne. – L'érospital de Montpellier 2 est particulièrement fier de proposer le premier traitement émotivo-sexuel au monde par réplico-thérapie : Even. Even est une entité virtuelle neutre, malléable et auto-ajustable selon ses désirs, capable de prendre le sexe et l'apparence humaine uniquement du choix du patient. La sienne s'il le souhaite, ou celle d'un défunt qui lui était cher, sur présentation de son codigA.D.N. le bonheur sexuel est un droit. Contribuer à celui du client est le devoir de l'érospital. Érospital Montpellier 2, esplanade Romano Prodi, Montpellier 2, cedex II. Dans une salle de traitement de l'érospital de Montpellier II, Enzo Calahorro se tient nu en attendant l'entrée d'un Even. Celle-ci apparaît, nue également avec une apparence de vielle femme. Il la trouve aussi belle que Serena. Elle lui demande pourquoi après toutes ces années, il a fallu qu'il… Elle s'interrompt : est-ce qu'il se souvient de la dernière chose qu'il lui a dite avant de prendre ce maudit avion. Il lui avait demandé de rester telle qu'elle était, telle qu'il l'aimait. Elle ajoute qu'elle n'a pas pu, et elle lui demande pardon. La séance se poursuite. Dehors il fait nuit et les lettres formant le mot Even s'affiche sur le ciel au-dessus de l'établissement. le jour se fait : quelques employés et quelques malades arrivent sous un beau soleil. Meghan, une femme de ménage, rentre dans la salle où se trouvait Enzo qui la croise en en sortant. Elle passe un aspirateur, enlevant les traces de fluide corporel. Enzo s'est rendu dans le bureau du docteur Sidibe pour son rendez-vous. Ce dernier lui reproche d'avoir raté deux séances cette semaine. Enzo tente de s'excuser : se taper deux fois par jour tout ce chemin pour venir s'astiquer la banane dans cet érospital… Est-ce qu'il ne pourrait pas plutôt faire ça chez lui avec sa fiancée ? Sidibe est inflexible : Enzo peut baiser sa fiancée autant qu'il veut, mais en dehors de ses deux séances quotidiennes de thérapie. Une couverture assez mystérieuse avec une touche d'érotisme un brin menaçant ou macabre. Une séquence d'ouverture en forme de communication officielle du ministère de la santé, un site basé à Montpellier, des mots de vocabulaires sibyllins (Swiits, ugs), et une forme de malaise avec une image d'homme enchaîné, avec un slogan aux relents totalitaires : le bonheur sexuel est un droit, contribuer à celui de l'individu est le devoir des établissements de type érospital. L'histoire proprement dite commence donc après la page de titre qui suit ladite communication. le scénariste entretient le mystère : une séance à but thérapeutique sur un individu qui est vraisemblablement accusé de meurtre, ou de complicité de meurtre, deux pages ne comprenant qu'un seul phylactère montrant les installations dans un long travelling arrière. Une scène de striptease où le corps de la femme n'est que partiellement visible, mangé par les aplats de noir de fond de case, et un homme qui ne parvient pas à se faire jouir en se masturbant à ce spectacle. Puis l'arrivée d'une journaliste, Ann Seymour du New Scientist, pour un rendez-vous avec le docteur Sidibe, vraisemblablement le directeur de cet érospital. L'attention du lecteur a été captée, à la fois par la promesse de parvenir à deviner les schémas qui lient ces éléments, à la fois par certains contours de forme arrondis, par les caractéristiques visuelles du genre Anticipation, et par la mise en couleurs jouant sur les aplats de noir et une teinte majeure par séquence, déclinée en nuances. La scène d'introduction établit que la composante sexuelle est au centre du récit. Pour autant, il n'y a pas de rapport sexuel à toutes les pages, et il ne s'agit pas d'un ouvrage érotique. La nudité est représentée de manière frontale, sans gros plan, ni très gros plan. La première image dénudée correspond à cet homme enchaîné avec le dos arqué et une érection bien visible, sur fond noir. Les modèles Eden sont également dénudés, apparaissant également sur fond noir. Lors des séances thérapeutiques, les individus se trouvent dans une pièce noire, avec un fond noir. L'activité sexuelle ne se fait jamais au grand jour : elle n'est jamais joyeuse, ni épanouie. Cela se comprend puisque les personnages concernés sont dans un processus thérapeutique, mais en même temps la représentation de cette activité montre de la souffrance psychique, de l'insatisfaction, la concrétisation d'un mal être profond. Les situations ne sont pas obscènes, n'impliquent pas des actes contre nature, mais les paroles prononcées révèlent des conflits intérieurs, des obstacles insurmontables pour espérer tout épanouissement dans l'activité sexuelle, pour même envisager un rapport normal. Les dessins de la première séance de thérapie montrent un homme avec une expression de visage trahissant un état d'esprit pervers, et une vielle femme s'excusant de ne pas être capable de répondre à ses attentes. le rendez-vous qui suit entre Enzo et son médecin montrent un homme avec des postures agressives pour le premier, et un individu froid et rationnel pour le second avec une ambiance lumineuse verdâtre soulignant le malaise ambiant. L'arrivée de la journaliste se fait dans des couleurs orangées plus chaudes, mais aussi un peu brunes comme l'annonce ou le signe d'un pourrissement. Par le langage corporel de la journaliste, du patient Frederico Belinsky, le lecteur comprend qu'il y a des suspicions de malversation, de maltraitance, de manipulation, et peut-être de crime. La dynamique du récit devient donc celle d'une enquête. le scénariste laisse planer un doute sur le personnage principal : la journaliste ? le patient Frederico ? La femme de ménage ? La forme reste celle d'un récit choral entre ces trois personnages, pour dresser le portrait par petites touches de la défunte : Jahida Belinsky, une des scientifiques de l'érospital. Aguiché par la charge sexuelle, le lecteur se rend compte qu'il se prête au jeu, par automatisme, à l'enquête. Que s'est-il passé ? Quel fut le mobile ? Y a-t-il eu meurtre ? Quelle part de responsabilité porte tel ou tel personnage ? Sous réserve qu'il ne soit pas allergique à cette façon fragmentée de découvrir les pièces du puzzle, d'accepter de ne pas tout comprendre d‘entrée de jeu, le lecteur plonge dans un vrai polar d'anticipation : une enquête qui amène les personnages à fouiller dans des recoins peu reluisants, qui met à jour des rouages de la société. Il y a donc cette forme insidieuse de totalitarisme à culpabiliser les individus qui ne font pas tout pour atteindre le bonheur sexuel, mais aussi cette scission de fait de la société entre les beaux et les laids. Scénariste et dessinateur savent donner de l'épaisseur à chaque personnage par petites touches, une remarque en passant, un regard, une tristesse sous-jacente dans ses propos, une posture de victime ou de résignation. En outre, Zidrou connaît son affaire en matière d'anticipation : quelques éléments bien dosés entre concret et sous-entendu sur ces érospitaux. Rehaussés par une anecdote plausible sur les pratiques sexuelles de Mao Zedong (1893-1973). Anecdote qui donne à la fois très envie d'aller vérifier ce qu'il en est, si le conseiller Kang Sheng a bien existé (oui, il a vécu de 1898 à 1975) et s'il s'est adonné à ce genre de collection (ça reste à prouver). Petit à petit, le lecteur ressent que son investissement a payé, et qu'il a eu raison de faire confiance au scénariste. Il fait progressivement connaissance avec la défunte, et il voit les effets de sa mort sur les personnes de son entourage, c'est-à-dire un autre thème, celui de l'impact du comportement d'un individu sur les personnes qu'il côtoie. La couverture annonce un récit de genre : effectivement il s'agit d'une histoire d'anticipation, avec une composante sexuelle, fonctionnant sur la dynamique d'une enquête un peu diffuse. La narration visuelle s'avère très agréable à l'oeil, inventive sans être déstabilisante, avec une maîtrise de la couleur pour installer des ambiances inquiétantes, un savoir-faire remarquable pour intégrer des éléments visuels d'anticipation, et des personnages bien incarnés visiblement tourmentés par traumatismes plus ou moins profonds. Sous réserve d'accepter de s'investir un peu au démarrage, le lecteur prend vite plaisir à connecter les pièces du puzzle, à se confronter à la rancoeur, à l'injustice, à l'identité corporelle parfois en inadéquation avec l'identité psychologique.

12/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série L'Humanité de mes couilles
L'Humanité de mes couilles

Où que tu ailles, tu emporteras ton malaise avec toi. - Ce tome constitue une histoire complète indépendante de toute autre, qui s'apprécie mieux avec une connaissance superficielle de la genèse biblique sous l'angle mythologique. Sa publication date de 2023. Il a été entièrement réalisé par Emmanuel Moynot, pour le scénario, les dessins et les couleurs, bédéiste également connu pour ses albums de Nestor Burma. Il comprend cinquante-trois pages de bande dessinée À l'époque des hommes des cavernes, Adam est en train de se coudre un pagne avec un lien de cuir et une grosse aiguille. Il est très satisfait du résultat et il le revêt. Il va se présenter à sa mère assise dans la grotte, en lui annonçant qu'il a inventé un truc. Elle le calme direct en lui demandant d'y aller mollo sur les superlatifs et de lui montrer le truc. Il avance vers elle, disant qu'il trouve que ça lui va vachement bien. Elle répond du tac au tac, que c'est complètement idiot son truc, on ne voit plus son pénis. S'il croit que c'est avec son intellect qu'il va impressionner les gonzesses… Bref, il s'est planté. Elle lui demande d'aller cueillir des cailloux pour faire la purée de lézard. Il râle, parce qu'il en a marre de la purée de lézard. Elle lui rétorque qu'il n'a qu'à inventer l'arc et les flèches et alors ils pourront en reparler. Il sort ramasser des cailloux tout en marmonnant pour lui-même qu'un jour il inventera la religion et qu'on verra bien c'est qui qui rigole. Il se rend compte qu'Ève se tient devant lui : elle lui demande pourquoi il planque son pénis, s'il a rétréci ou s'il a chopé la chtouille. Il répond sèchement que les gonzesses n'y comprennent rien à la mode, et que si un jour il y a des grands couturiers, ce ne sera pas les femmes qui feront la tendance. Peu impressionnée par sa répartie, Ève demande à Adam s'il veut faire du sexe. Elle va se coucher sur le dos dans l'herbe, dans la position du missionnaire, tout en lui indiquant qu'elle aimerait bien le faire à la normale une fois de temps en temps. Il répond qu'il évolue, qu'il n'a plus d'os pénien, et que le faire comme des bêtes ne lui occasionne plus d'érection. À l'entrée de la grotte, la mère d'Adam s'époumone à l'appeler. Il finit par l'entendre et il peste contre elle, ne pouvant pas être tranquille. Il décide que le jour où il va écrire ses mémoires, il va l'en évincer. Ève rentre chez ses parents, et sa mère lui fait la leçon parce qu'elle a encore été traîner avec l'autre demeuré. Elle leur répond qu'ils profitent bien d'être crétins maintenant parce que la préhistoire ne va pas durer pour toujours. Elle va trouver refuge dans les branches d'un arbre, où un serpent bleu vient lui prodiguer des conseils. La jeunesse, c'est le printemps de la vie ! C'est là qu'il faut cueillir les plus beaux fruits, se remplir du suc de l'existence pour ne pas finir comme un vieux pruneau tout fripé. Où qu'elle aille, elle emportera son malaise avec elle. Elle finit par suivre son conseil et croquer dans une pomme, ce qu'elle regrette immédiatement car elle n'est pas mûre. Elle est persuadée que l'herbe est plus verte ailleurs : il faut qu'elle s'en aille, et ainsi ses parents la laisseront tranquille. Un titre qui claque bien et qui ne laisse pas place au doute : l'auteur ne va pas faire l'éloge des êtres humains. Il place son récit à la naissance de l'humanité, dans l'âge mythologique de la Genèse selon la Bible, dans une version quelque peu revue et corrigée. Il s'agit d'un album publié par l'éditeur Fluide Glacial, et le lecteur peut y reconnaître l'humour maison, un peu gras, souvent en-dessous de la ceinture, et aussi impertinent que pertinent et pénétrant. La première page propose un gag reposant sur un anachronisme, de la couture, filé par la suite avec l'évocation du métier à inventer de couturier, et de la mode qui sera certainement plus masculine que féminine. Par la suite, le lecteur sourit à l'emploi d'anachronismes qui abondent tout au long de l'album : la mention d'une pension alimentaire en retard, le régime végétarien, le rôle traditionnel de la femme voire rétrograde, les démarcheurs Vendeur Représentant Placier (VRP), le principe d'éduquer le palais (la gastronomie), les jours de la semaine, le fromage, la prospection les clients potentiels pour réaliser une étude de marché, le fait de parler face caméra, l'existence de la forêt primaire, etc. L'auteur joue également sur les attendus du lecteur, en prenant à rebrousse-poil le déroulement de la Genèse tel qu'établi dans la Bible. le lecteur sourit quand Abel explique la notion de sacrifier un bélier pour que ça lui porte chance : un détournement du sacrifice à Dieu, transformé en une croyance sans fondement sur le fonctionnement de la chance, une interprétation erronée d'une occurrence de corrélation, sans aucune causalité. Un peu plus loin, Adam reçoit l'étrange visite d'un individu à la peau noire, visiblement un Africain, ce qui l'amène à se mettre en colère, en demandant qu'on le laisse construire sa légende tranquille, et à se regarder le nombril en disant que, oui, il en a un ! Cette séquence intègre également une autre forme de dérision, cette fois-ci s'appliquant à l'Histoire, et dans ce cas particulier à l'histoire évolutive de la lignée humaine, contrastant fortement au récit de la Genèse. Dans une séquence, Caïn se met à inventer le concept de cité et de logements mitoyens, faisant ainsi ressortir le fait qu'Adam et ses parents habitent dans une caverne. Il est également question de mots de vocabulaires divergents entre les deux frères, prémices de la naissance des langues, et du mythe de la tour de Babel. Ou encore Abel s'est déjà installé comme éleveur, et Caïn comme agriculteur. En cohérence avec l'époque et les personnages qu'il a choisis, l'artiste a fait le choix de les représenter nus tout du long de l'album avec une approche majoritairement réaliste, et donc des fesses, des poitrines et des pénis apparents, ce qui est même visible sur la couverture pour Adam. Cela ne fait pas de cette bande dessinée un ouvrage érotique ou pornographique, plutôt naturiste. Lorsque Ève et Adam s'accouplent, cela ne dure que le temps d'une unique case fort chaste. le dessinateur montre des individus en bonne santé physique, les parents étant marqués par l'âge, les Africains (apparaissant dans une séquence) étant peut-être plus athlétiques. Les dessins s'inscrivent dans un registre descriptif et réaliste, avec un degré de détails de niveau moyen. L'artiste ne se contente pas de formes génériques, mais le degré de précision ne permet pas de reconnaître les essences de végétaux, par exemple. Il emploie un mélange de traits très fins pour des portions de contour, et de traits plus épais pour donner plus relief et de texture aux formes détourées. le lecteur observe une belle variété dans les visages, dans les postures corporelles et dans les expressions de visage. Il voit passer des représentants de différentes espèces animales : le serpent bleu vil tentateur, un pauvre lapin qui finit le crâne éclaté sous une pierre, une girafe, une biche, un lézard, des moutons, deux aurochs, un poisson, un lion et une lionne, deux chiens et des chiots. Le dessinateur réalise des décors qui donnent une impression de chaque lieu, sans les décrire dans le détail. Pour autant, les personnages évoluent dans des environnements diversifiés : des grottes (quelques-unes bénéficiant de peintures rupestres), des zones boisées avec même des arbres à liane, des collines permettant de voir loin, un mont avec des grottes, une savane, un champ de blé, une hutte en bois, un fleuve, une immense cité en pierre, et même un véritable jardin d'Éden. le lecteur apprécie la fluidité de la narration visuelle et sa variété, avec des scènes mémorables : le serpent évoluant autour d'Ève assise sur une branche d'arbre, Caïn se prenant une mandale pour avoir tenté de tuer Abel encore nouveau-né, Adam tuant un lapin par surprise, les deux démarcheurs essayant de fourguer un balais présenté comme l'une des dernières innovations en matière d'entretien ménager, Abel s'adonnant à la peinture rupestre, Adam plongeant pour pêcher un poisson à main nue, deux lions en train d'observer des humains se recueillir sur un corps enseveli, l'incroyable cité en pierre, le principe de la géante de neuf mètres en train de se faire féconder. En fonction de sa familiarité avec l'histoire d'Adam et Ève, le lecteur se rend compte que l'auteur n'en reste pas à une parodie moqueuse et sarcastique. En sous-entendu, il s'amuse également avec des questionnements divers. Cela commence dès la première page avec Adam en train de coudre : quel être humain a pu avoir cette idée, comment lui est-elle venue à l'esprit ? Ce type d'interrogation revient à l'esprit du lecteur en voyant les uns et les autres faire des essais de nourriture : Caïn très content de mâcher des feuilles de plante qui semblent le détendre, Adam ramenant un lion et Ève ne sachant pas comment le cuisiner. Abel s'allongeant sous un mouton pour boire le lait à même le pis. La famille d'Adam se demandant ce qu'il lui prend de ramener un poisson : comment a-t-il pu avoir l'idée que ça pouvait se manger ? Moynot s'amuse également à opposer la version de la genèse de l'humanité légèrement bronzée à la réalité de son origine en Afrique noire. La notion d'un dieu le père tout puissant avec un homme à la barbe blanche qui regarde silencieusement Abel, et la notion de premier homme puisque Adam a un nombril, et même une mère. Il montre Ève et Adam quittant la grotte familiale pour tenter de s'installer dans une maison. Dans la dernière séquence, il joue avec le principe d'une genèse alternative quand Adam raconte ce conte avec des hommes paresseux et une femme géante. Il joue avec la notion de péché originel lorsque Ève indique à Seth, un de ses fils, que quand son père et elle ne seront plus de ce monde, l'avenir de l'humanité reposera sur lui. Ce n'est donc plus l'acte de croquer dans la pomme qui pèse sur la condition humaine de tous les hommes à venir, mais les choix de Seth. Un titre politiquement incorrect pour indiquer une relecture inconvenante et irrespectueuse de l'origine de l'humanité selon la Genèse. Une narration visuelle bien dosée entre pragmatisme et humour, pour une reconstitution entre naturalisme et fantaisie. Une suite de six chapitres entre quatre et seize pages, évoquant l'invention du pagne cousu, la naissance d'Abel, la chasse, le premier agriculteur et le premier éleveur, le principe du sacrifice pour s'attirer la chance, et une autre possibilité pour un récit des origines. L'auteur entremêle avec une habileté élégante mythologie et histoire, assaisonné de dérision et de sarcasme pour mieux remettre en question quelques notions fondatrices qui exigent beaucoup de crédulité, sans se montrer condescendant ou méprisant.

12/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série La Fabrique pornographique
La Fabrique pornographique

Betty et Howard débutent dans le milieu pornographique. - Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc de 158 pages, initialement parue en 2016. Elle a été réalisée par Lisa Mandel, une auteur de bandes dessinées (par exemple Crazy seventies : de 1974 à 1982 souvenirs infirmiers, ou Princesse aime princesse). Pour cet ouvrage, elle a adapté une enquête sociologique de Mathieu Trachman : le travail pornographique. Howard est un grand Black bien galbé qui est vigile dans un grand magasin de fringues Les Galeries Farfouillettes (toute ressemblance avec une enseigne existante est certainement voulue). le soir dans son petit appartement, il aime bien mater du porno, et il voue une grande admiration à l'actrice Paméla. le week-end, il se rend à Eroland, le quatrième salon de l'érotisme, où il peut aborder Paméla qui lui propose de venir tenir un petit rôle (mais pas de figurant) dans sa prochaine production (juste la semaine suivante). Ça se passe plutôt bien pour Howard qui tient la distance. Aux Galeries Farfouillettes, il fait la connaissance d'une vendeuse prénommée Betty, et ça se passe plutôt bien avec elle, dès le premier soir au lit. de fil en aiguille, il lui parle de son deuxième boulot, et du fait qu'il va aller tourner en Espagne, tous frais payés et rémunéré, avec le réalisateur Franky. Pas coincée, elle accepte de l'accompagner, et même de tourner quelques scènes, mais exclusivement avec lui. Sur place l'ambiance est détendue et professionnelle. Outre l'assistant réalisateur-technicien son & lumière, il y a la photographe, le script monteur et 4 autres acteurs : Tania (qui a écrit le scénario), José, Delby & Marcello (un couple hongrois). En 2016, Lisa Mandel a lancé la collection Sociorama chez Casterman, en partenariat avec la sociologue Yasmine Bouagga. le principe de cette collection est d'adapter en bande dessinée les recherches de sociologues. Il ne s'agit pas d'une adaptation littérale de l'ouvrage, ou de vignettes servant à l'illustrer, mais d'une histoire originale permettant d'exposer les éléments de recherche. En ce qui concerne le présent ouvrage, l'auteure a choisi de mettre en scène un homme (Howard) et une femme (Betty) se connaissant depuis peu, et faisant leurs débuts dans l'industrie pornographique, en tant qu'acteurs. Il y a donc bien une trame narrative dans laquelle ils effectuent leurs premières fois (premier tournage, première soirée en club échangiste, premier tournage sur un site à l'étranger, premiers échanges d'expérience avec d'autres acteurs, etc.) qui se prêtent régulièrement à des observations sociologiques sur ce milieu professionnel. Lisa Mandel réalise des dessins professionnels, à l'apparence assez simple. Les doigts des personnages restent à l'état de saucisses allongées, sans ongles, sans phalanges. Les pieds sont des gros pâtés informes. Il ne s'agit donc pas de réaliser des dessins photoréalistes, mais de rendre l'impression donnée par les personnages. de fait, chaque homme ou femme a une apparence physique légèrement arrondie, simplifiée, les rendant immédiatement sympathiques. Les femmes ont bien sûr une poitrine avec un bonnet important, des seins tout ronds et proéminent. Les hommes présentent une musculature bien développée, voire sont des culturistes. Les uns comme les autres sont épilés et rasés, il ne reste plus trace de toison pubienne, si ce n'est à de rares occasions un petit ticket de métro. Les yeux sont presque systématiquement des ronds avec un point noir au milieu. Les bouches sont en forme d'ovale étiré (souvent avec un sourire), les dents sont rarement représentées. Pour autant, chaque personnage se distingue facilement d'un autre, par sa couleur de peau, sa couleur et sa coupe de cheveux, sa taille, et parfois sa morphologie. Le lecteur côtoie donc des individus de différentes origines généralement souriant, dont l'apparence indique un certain contentement de la vie qu'ils mènent. le lecteur comprend dès la couverture que l'artiste ne joue pas la carte de l'hypocrisie visuelle, et que les actes pornographiques sont représentés de manière explicite, voire en gros plan pendant les tournages. Elle reprend donc les codes des films pornographiques et les montre tels qu'ils existent : sexe masculin en érection, fellation, pénétration vaginale, pénétration anale, éjaculation faciale, etc. Elle affine son trait pour les plans de tournage, pour devenir un peu plus réaliste. Il ne s'agit d'émoustiller le lecteur mais de montrer concrètement le plan, en conservant le point de vue des acteurs. Lisa Mandel a donc réalisé un travail de réflexion en amont pour définir son approche graphique, et l'adapter à la nature du sujet. Ce choix de rendre compte des techniques professionnelles des acteurs pornographiques apportent de la crédibilité à son propos, et a pour conséquence d'inscrire son propre ouvrage dans un registre également pornographique, graphiquement explicite. Ainsi un quart de l'ouvrage est consacré à représenter des tournages de films ; d'un autre côté, il y a beaucoup de phylactères. La raison d'être de cet ouvrage étant d'évoquer la sociologie du milieu pornographique, il comprend également de nombreuses scènes de dialogue et d'explications habillées sous forme de monologue. Les pages comprennent donc souvent des scènes de dialogue, sans tomber dans des enfilades interminables de cases ne contenant que des têtes avec des phylactères. L'artiste varie les angles de vue, évite les plans trop rapprochés, contextualise la scène avec un ou deux accessoires, et plante le décor au moins en début de séquence. Ainsi le lecteur n'a pas l'impression de lire des dialogues dénués d'intérêt visuel, même quand les bulles occupent 50% de la page. Lisa Mandel met en scène 4 personnages principaux. Il y a les nouveaux Betty et Howard qui découvrent le milieu, les compétences professionnelles, les conditions de travail, et il y a Franky (le réalisateur producteur d'une quarantaine d'années) ainsi que Tania (une actrice de 32 ans avec 12 ans de métier qui réfléchit à une reconversion tout en restant dans le milieu). L'auteure a donc choisi le dispositif qui consiste à faire expliquer les conventions et les pratiques professionnelles à 2 nouveaux. Il apparaît rapidement que l'histoire personnelle de Betty et Howard ne sera pas abordée. Il s'agit de 2 jeunes gens de bonne composition, d'humeur égale, souhaitant bien faire leur travail, sans attache familiale, sans problèmes. La motivation d'Howard réside dans la volonté de sortir d'un métier de base purement alimentaire (vigile), ainsi qu'un goût pour le sexe et une envie d'avoir des relations avec les actrices qui le font bander. La motivation de Betty est des plus floues. Elle apprécie le plaisir que lui procure les relations sexuelles, et elle a envie d'expérimenter. Elle apprécie la bonne humeur qui règne pendant les tournages, et la possibilité de franchir les étapes progressivement. Betty et Howard fournissent donc le minimum comme point d'ancrage pour le lecteur pour qu'il puisse s'identifier à eux. Il ne s'agit guère plus que d'un minimum car il s'agit de 2 beaux jeunes gens, sans inhibition particulière, sans problème de santé, sans histoire personnelle, sans aspiration, juste curieux et prêts à profiter du moment présent, sans aller jusqu'à être dépendants de l'acte sexuel. le récit permet à l'auteure d'aborder de nombreux aspects de cette industrie, en restant au niveau des acteurs et du réalisateur. La question des salaires est abordée, mais guère détaillée, le lecteur en ressort avec une vague idée de ce qu'un acteur peut gagner par tournage. Par contre, il n'y a aucun élément sur le bénéficie dégagé par le réalisateur, sur les modalités de distribution du film, sur le budget, sur les salaires des autres membres de l'équipe (photographe, monteur, etc.). La protection sociale et la couverture santé des acteurs ne sont pas non plus détaillées, juste vaguement évoquées au détour d'une seule phrase. Il n'y a pas non plus de problèmes relationnels sur les tournages, juste un acteur un peu grossier en dehors du tournage. Les propos de Lisa Mandel se concentrent donc sur le traitement différent des femmes et des hommes (les premières étant mieux payées, mais leur carrière étant beaucoup plus courtes car les spectateurs réclament de la chair fraîche), sur la distinction entre accouplement à titre professionnel et relation sexuelle dans la sphère privée. En particulier, elle montre comment les prises de vue des films exigent une grande souplesse de la part des acteurs pour que le spectateur puisse avoir une vue dégagée. Elle évoque rapidement l'origine de la profession dans les années 1970, la première qualification historique des acteurs en tant que cascadeurs, et l'impossibilité de remplir les conditions pour être reconnu comme intermittent du spectacle (pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la morale). Elle évoque la fluctuation des goûts du public, justifiant ainsi une forme discrète (mais bien réelle) de racisme dans les productions. Elle établit l'écart qui existe entre le professionnalisme français et celui américain. À la fin du tome, le lecteur quitte avec regret les personnages qui étaient sympathiques, même si assez superficiels. Sa représentation mentale des acteurs pornographiques a évolué, vers une approche plus professionnelle, assez exigeante en termes de compétences physiques et sexuelles (tenir l'érection, maîtriser l'éjaculation féminine). Par contre, il en ressort avec une impression de société sans réel problème, sans conséquence particulière du métier sur ceux qui l'exercent, sans vision économique du fonctionnement capitaliste de ces outils de production. Par contre, il a bénéficié d'une présentation sans hypocrisie, débarrassée de tout point de vue moral, mais aussi de tout point de vue psychologique. 4 étoiles pour un ouvrage qui permet de découvrir un pan de l'industrie cinématographique pornographique, mais qui reste très finalement très édulcoré, plus une initiation qu'une véritable étude sociologique.

12/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série The Dream
The Dream

Toujours intéressant l'envers du décor. - Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il est initialement paru en janvier 2018, écrit par Jean Dufaux, dessiné, encré et mis en couleurs par Guillem March. Dufaux est un scénariste réputé et prolifique de BD franco-belge ayant oeuvré dans de nombreux genres. March est un dessinateur espagnol de bandes dessinés et de comics, ayant travaillé pour DC Comics, sur des séries comme Batman, Catwoman et Gotham City Sirens. Dans un quartier de Broadway, une belle jeune femme blonde (Megan) se rend dans une boîte de nuit qu'on lui a recommandée pour son spectacle pornographique. Lorsqu'elle y pénètre, elle constate effectivement qu'il ne s'agit pas d'un établissement pour touristes. Elle envoie paître sans ménagement un jeune cadre qui essayait de la draguer, et s'installe pour profiter du spectacle. Jude entre en scène, nu, un beau jeune homme à la musculature bien dessinée sans être gonflée. Sa partenaire Ona le rejoint sur scène. Ils commencent à onduler au son des bongos, puis à s'accoupler en rythme. Les clients sont en transe devant le spectacle. Une jeune femme commence à entamer le mouvement pour rejoindre les artistes sur scène. Elle est arrêtée par son compagnon qui a remarqué l'entrée dans la boîte d'une femme asiatique (Sina Songh), accompagnée de 3 gardes du corps dont Owen Di. Elle se met à fumer malgré l'interdiction, alors que le patron lui-même vient lui offrir à boire, offert par la maison. Megan sort pour fumer et demande au videur de lui indiquer la loge de Jude, après lui avoir graissé la patte. Elle va s'installer dans sa loge, sur son canapé, et l'attend. En arrivant, Jude lui demande ce qu'elle fait là après lui avoir dit qu'elle n'a pas le droit de fumer dans les loges. Megan ne se démonte pas et lui indique qu'elle est venue le recruter pour le premier rôle dans un film réalisé par Saul Epstein. Elle lui indique que si tout travail mérite salaire, Jude doit encore faire la preuve qu'il mérite un travail. Il s'agit d'un film retraçant un mois de la vie du poète Jon Keats (1795-1821). Jude ayant pris sa douche et s'étant habillé, ils sortent par l'arrière du bâtiment, où les attend Ona appuyée sur sa grosse moto. Mais sur ces entrefaites, Sina Songh arrive avec ses gardes du corps et l'un d'eux interpelle Ona. Elle ne se laisse pas faire, il la frappe, la met à terre et lui casse 2 ou 3 côtes à coup de pied. Sina Songh indique à Jude qu'il doit la suivre. Elle l'emmène piqueniquer sur a plage, et exige de faire l'amour avant sous la surveillance d'Owen Di. Difficile de résister à la séduction vénéneuse de la couverture qui montre une belle femme élancée, avec un individu en serviette de bain qui s'avance vers elle, sa silhouette se reflétant dans le miroir. de plus le lecteur a l'assurance d'un scénario de bonne qualité du fait de l'expérience de Jean Dufaux. Un rapide feuilletage du tome montre des dessins très soignés, avec une mise en couleurs sophistiquée évoquant l'aquarelle, mais peut-être réalisée à l'infographie. le début du récit installe rapidement la dynamique : un travailleur du sexe (Jude) est recruté par une rabatteuse (Megan) pour tourner dans un film à gros budget, sous réserve de passer quelques tests. Dans le même temps, une jeune héritière (Sina Songh) profite de l'agent de papa (Hue Songh) pour contraindre Jude à devenir son amant. Il s'agit donc d'un thriller, avec une touche de polar, et une ambiance de violence et de sexe, servi par des dessins très agréables à l'oeil. Guillem March est connu pour son travail sur des séries de premier plan de DC Comics, mais aussi pour ses pinups aux poses lascives et suggestives, en particulier avec une couverture polémique de Catwoman. Dès la première page, le lecteur a le plaisir de voir que pour cet album, il a adopté un mode de représentation correspondant à une bande dessinée franco-belge, dans un registre descriptif plus dense. le lecteur peut donc admirer les lumières de la ville dans la perspective de la rue du quartier de Broadway, avec une belle teinte rose générée par les néons. La rue à l'arrière de la boîte présente un urbanisme réaliste, avec des façades réalistes, baignant dans une lumière jaunâtre un peu grisâtre correspondant bien à ce type de rue. Si le lecteur lève la tête (euh, non pardon, regarde le haut de la case supérieure en page10), il peut voir les nuages rétro-éclairés par la lumière lunaire. le lecteur éprouve la sensation de se trouver aux côtés de Sina & Jude sur la plage. Juste après il découvre Megan et Jude en train de prendre un verre à une terrasse de café, protégé par un parasol, d'un chaud et doux soleil d'été. L'effet est remarquable, avec des ombres projetées des feuilletages, représentées à l'aquarelle, transcrivant avec délicatesse l'impression ressentie sous cet ombrage discret et changeant. Tout du long du récit, Guillem March donne à voir des endroits bien consistants, avec un fort niveau de détails, sans donner l'impression de surcharger les cases. le lecteur se projette avec plaisir dans ces endroits qui échappent aux stéréotypes visuels, qui existent avec conviction et qui sont réellement habités, utilisés, parcourus par les personnages. Ce ressenti est accentué par la mise en couleurs sophistiquée, sans être clinquante. March utilise des couleurs un peu délavées, avec un premier effet d'ambiance, grâce à une teinte majoritaire par séquence, un rose tirant sur le violet pour le spectacle dans la boîte de nuit, une teinte jaune entre beurre frais et topaze pour la loge de Jude, un gris bleuté pour le premier essai de film avec Pakap Salem, un jaune plus vif pour la boîte très spéciale The Butcher. Il utilise également les couleurs pour faire ressortir les surfaces les unes par rapport aux autres, et pour apporter des textures aux tissus ou aux surfaces. le lecteur apprécie aussi la manière dont les couleurs l'informent sur la qualité de l'éclairage naturel ou artificiel, la chaude lumière en terrasse, ou la lumière très cru du restaurant dans lequel Jude fait la connaissance d'Hue Songh, le père de Sina. Guillem March apporte le même soin pour camper les personnages. Il leur attribue des silhouettes athlétiques sans être celles de culturistes, avec des visages facilement mémorisables, sans être exagérés. le lecteur peut percevoir l'état d'esprit de chaque protagoniste dans son visage et sa posture. L'artiste s'investit tout autant dans les tenues vestimentaires : les robes de Sina Songh, les toilettes élégantes de Megan, les tenues décontractées de Jude, les fringues gothiques de The Strange, le costume strict d'Owen Di. Au travers des dessins, le lecteur plonge donc un monde riche, lui permettant de s'immerger dans ces milieux, ces endroits allant de boîte de nuit, en plage tranquille, en passant par un superbe appartement sur un bateau. Ces endroits présentent une telle consistance que le lecteur finit par se demander où ils se situent, comment Jude peut avoir une petite maison sur la plage, en étant aussi proche de Broadway. Il accepte de supposer que les séquences sont distantes de plusieurs heures, et que les auteurs n'ont pas souhaité consacrer des cases à expliquer les déplacements. Dès la première séquence, le scénario montre explicitement que Jude est un travailleur du sexe, et que ce métier joue un rôle essentiel dans l'intrigue, et ne se résume pas à une simple excuse pour montrer des corps dénudés. du coup, les auteurs ont dû faire des choix quant à la représentation de cette nudité. Ils ont choisi une forme de compromis, avec une nudité frontale (et dorsale aussi), montrant les fesses et les torses nus, mais pas les organes sexuels masculins ou féminins situés au niveau du pelvis. Il y a également des relations sexuelles, mais sans gros plans de pénétration. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut en être déçu, ou au contraire estimer que cela est déjà trop. Néanmoins ce choix fait sens dans l'histoire. Guillem March et Jean Dufaux font en sorte de ne pas stigmatiser ce métier, de ne pas être dans le registre de la pornographie, de rester dans une forme d'érotisme qui n'est pas racoleur. Ainsi la narration n'a rien de sordide, mais n'édulcore pas non plus la nature du métier de Jude. Il y a 3 scènes de relations sexuelles explicites, permettant d'admirer la musculature de Jude, et la poitrine de sa partenaire. Le lecteur s'immerge donc totalement dans l'historie grâce à des planches superbes, denses et gracieuses, à la séduction palpable. Il découvre un récit basé sur un mystère. Quelle est cette mystérieuse organisation Invisible Art Production ? Quel est son but ou son objectif ? D'où proviennent ces fonds conséquents ? Il n'y a pas de réponse dans ce tome. Jean Dufaux met en place les différentes phases d'initiation de Jude, avec un soupçon de surnaturel, et une touche d'horreur. Là encore le lecteur prend les choses comme elles viennent, sans trop savoir comment se positionner. le portrait psychologique de Jude reste superficiel, et celui de Megan encore plus. le scénariste s'amuse avec quelques thèmes comme le pouvoir de l'argent (le comportement de Sina Songh, ou celui de son père), l'attrait d'un milieu sulfureux (le monde des travailleurs du sexe). Il pimente son récit d'un peu de violence (la ratonnade d'Ona, les méthodes de gangster d'Hue Songh), et de surnaturelle (les capacités de The Strange, peut-être un succube). À la fin, la situation de Jude a avancé, sans qu'il ait commencé à travailler pour IAP. le lecteur comprend également que la mission de Megan vis-à-vis de lui est arrivée à son terme. Et c'est tout. Effectivement s'il s'en tient à l'intrigue, le lecteur se retrouve un peu déçu par une narration visuelle magnifique, mais une histoire qui n'aboutit pas vraiment. Il y a bien eu une ou deux références culturelles comme à Mad Men, à Kiera Knghtley, ou aux 4 réalisateurs borgnes (John Ford, Fritz Lang, Raoul Walsh, André de Toth). Il jette alors un dernier coup d'oeil au titre : le rêve. Effectivement, Megan promet le rêve de la célébrité à Jude, mais sans que le récit n'aille jusqu'à sa concrétisation dans ce tome. le lecteur voit aussi qu'il y a quelques commentaires sur la nature du désir, assouvi ou inassouvi, sur le désir physique qui rend les hommes idiots. Au fil des pages, son esprit à également enregistré quelques phrases qui sonnent comme des observations sur la nature de la vie. Les personnages évoquent en passant que connaître l'envers du décor est toujours intéressant, que la valeur de chaque individu est estimée comme s'il était un produit, que les plus forts finissent toujours par se heurter à plus forts qu'eux, que tout se résume à une transaction monétaire. Sous réserve d'être sensible à cette fibre, le lecteur découvre alors une interrogation sur le sens de la vie, sur ce que l'individu doit sacrifier pour essayer de réaliser ses rêves, sur l'obligation de devoir se vendre comme un produit. Sous des dehors de récit facile et joli, il apparaît une vision noire de la vie et de ses nécessités. Ce premier tome tient ses promesses d'une histoire mettant en scène un professionnel du sexe, dans la recherche de l'atteinte de son rêve. Guillem March réalise des planches somptueuses et fluides, emmenant le lecteur dans le monde de Jude et de Megan. Jean Dufaux donne l'impression de dérouler un mystère s'apparentant à un artifice bien pratique, avec des personnages un peu superficiels, le tout saupoudré d'un peu de violence, de sexe et de surnaturel pour faire bonne mesure. La fin donne l'impression d'avoir lu un chapitre qui ne se suffit pas à lui-même. Mais sous les apparences, les auteurs évoquent la condition humaine, dans sa noirceur et son désir sans espoir d'être un jour assouvi.

12/04/2024 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5
Couverture de la série Le Fantôme de Canterville (Marcelé/Rodolphe)
Le Fantôme de Canterville (Marcelé/Rodolphe)

Je ne connais pas vraiment l’œuvre de Oscar Wilde. Je n’ai lu aucun de ses romans ou histoires courtes, et en BD je n’ai lu que Dorian Gray (qui m’a d’ailleurs beaucoup plu). Je ne savais donc pas trop à quoi m’attendre en lisant l’adaptation de ces deux contes par Rodolphe et Marcelé, mais comme j’aime généralement les albums de ce duo d’auteurs, je me suis lancé, et je ressors satisfait de ma lecture. Le ton humoristique m’a surpris, je m’attendais à des histoires victoriennes un peu déprimantes, mais il s’agit plutôt de farces teintées de fantastique, de contes farfelus aux personnages hauts en couleurs, remplis de situations absurdes et cocasses (les mômes terribles qui font peur au fantôme de la demeure hantée, quelle chouette idée !) On retrouve le trait charbonneux de Marcelé, que j’aime beaucoup, mais qui est peut-être plus adapté à l’ambiance « château hanté » de la première histoire. Un chouette moment de lecture en tout cas.

12/04/2024 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5
Couverture de la série The Velvet Underground
The Velvet Underground

C'est donc Koren Shadmi qui s'est attaqué à un mythe de l'Histoire du rock, à savoir The Velvet Underground. Je croyais ne pas connaitre ce jeune auteur, mais en fait si puisqu'il a déjà commis (entre autre) une BD consacré à la vie de Rod Serling, génie méconnu et créateur de la série de SF La Quatrième Dimension, une BD que j'avais déjà trouvée de très bonne tenue. Les présentation étant faite, entrons dans le vif du sujet. Et par la face graphique tout d'abord. De ce point de vue, c'est tout à fait efficace. Le rendu fait bonne impression. On reconnait bien les personnages qui sont tous parfaitement caractérisés. C'est sur, on pourra trouvé que Lou Reed est affublé d'une tête un peu étrange, genre hydrocéphale, mais après tout, son visage reste particulier, et l'auteur a bien saisi cette particularité. La mise en couleur est bonne, tout en étant assez classique, et la narration graphique reste fluide tout le long. Quant aux faits évoqués, il sont tous là, en ce qui concerne les plus importants, et sont vrais. Enfin, Shadmi parvient à construire son récit de manière à ce que les anecdotes choisies résonnent avec le propos tout en apportant de la nuance, et au passage à donner un sens plus large que la seule histoire du groupe. Certes, l'histoire se concentre sur les liens entre le groupe et Andy Warhol. Ca limite peut-être le propos, mais en même temps, c'est un excellent angle d'attaque car le groupe est fondamentalement lié au mentor de Lou Reed. Sans Warhol, pas de Velvet... On pourra bien entendu regretter le fait que l'auteur passe sous silence le nom de certains personnages. Il le fait parfois (pour Julian Schnabel entre autres), mais fait l'impasse sur d'autres. Gerard Malanga lui, par exemple, ne bénéficie pas de cet honneur. Pourquoi ? D'ailleurs, est-ce réellement lui qui est cité et représenté ? En tant que lecteur, j'ai plusieurs fois été confronté à ce doute, ce qui génère un petit agacement quand même. Là se trouve à mon avis la plus grosse (et la seule) source de critique. Sinon, tout bien ! Ca m'a donné sacrément envie de réécouter The Velvet Underground & Nico qui est effectivement un disque majeur de l'Histoire du rock !

12/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Comme un poisson dans l'huile
Comme un poisson dans l'huile

Un album qui n’a pas trop la côte si je me fie aux notes. Je viens bousculer un peu tout ça, je le connais depuis sa sortie et je l’apprécie beaucoup. Rien de bien sorcier je l’accorde, plutôt linéaire et minimaliste dans le fond et la forme, mais personnellement il me parle bien. Pas directement (j’ai fait des études scientifiques) mais j’ai un peu côtoyé ce petit monde « artistique » via quelques bonnes connaissances. Je leur avais d’ailleurs fais découvrir le présent album, ils avaient tous adoré se reconnaissant dans de nombreuses situations. Dans ce tome, Guillaume Long narre sa première année aux Beaux Arts, entre vie étudiante et élitisme, il y ajoute pas mal d’autodérision au passage et ne s’épargne pas, de nombreux passages m’ont amusé : les non non non des profs, le snobisme ambiant, l’approfondissement impérative du milieu pour chercher des influences (et accessoirement des poses), le Land-Art de son pote, l’origine du nom de l’album, la SNCF … L’humour est spécial mais je m’y suis bien retrouvé, j’ai vraiment aimé le ton distillé par l’auteur, décalé et un rien absurde. Et finalement le parti pris de la narration participe bien à l’ambiance. Une œuvre de jeunesse légèrement insouciante et qui garde ma sympathie bien des années après. Nota : par contre je suis un peu deg’, j’ai commandé il y a un peu Une sardine à la mer, pensant que c’était la suite (de la suite) avant de m’apercevoir, après coup, que c’était une compile des 2 albums avec quelques inédits. My bad :(

12/04/2024 (modifier)