Les derniers avis (65 avis)

Couverture de la série Les Aventuriers du Cubisme
Les Aventuriers du Cubisme

Je m’intéresse à l’histoire de l’art en général, et à l’art moderne en particulier. Donc, même si le cubisme n’est pas ma période préférée, le sujet m’attirait (j’aime quand même bien ce qu’ont fait Picasso, et surtout Braque à cette époque), et je connais un peu ça car l’effervescence artistique dont est issu le cubisme va en partie mener certains vers dada et le surréalisme (qui eux m’intéressent au plus haut point). L’album est vite lu, globalement pas déplaisant, mais j’en suis sorti en restant un peu sur ma faim. La narration s’attache à quelques personnages, passant de l’un à l’autre pour essayer de rencontrer un maximum de personnes ayant joué un rôle dans la naissance du cubisme. Du coup j’ai trouvé ça un peu brouillon, saccadé, décousu. Une bonne partie de l’album (plus d’un tiers en tout cas) est consacré à des artistes ou mouvements ayant précédé le cubisme (les fauves en particulier), et du coup le cubisme lui-même – qui il est vrai n’est pas vraiment un « mouvement » - n’apparait que tardivement, et de façon selon moi très parcellaire. Picasso et Braque certes, mais les autres artistes sont escamotés. Comme le sont les revues et les poètes, qui ont joué durant la première moitié du XXème siècle un rôle majeur : rien sur Reverdy ou la revue Nord-Sud, Apollinaire n’apparait qu’en dernière page. Seul Max Jacob apparait clairement. C’est se priver d’un pan important de l’histoire de l’art, et du cubisme donc. Enfin, autre bémol. Voilà un album traitant d’art, voulant présenter pas mal de tableaux et montrer leur importance dans l’art moderne, la rupture qu’ils proclamaient, mais qui, du fait du format réduit et des cases petites, rend quasi illisibles lesdits tableaux. Le lecteur a donc intérêt, voire obligation de bien connaitre ces tableaux, ou alors d’aller les voir ailleurs, pour saisir le propos. Un sujet intéressant, mais dont le traitement m’a un peu laissé sur ma faim. Note réelle 2,5/5.

06/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Carma de Portepoisse
Carma de Portepoisse

Carma de Portepoisse, c'est le nom de la mercenaire plus qu'atypique que l'on suit lors de ce récit. Comme son nom pourrait vous l'indiquer, Carma est obnubilée par les questions de chance, de malchance et de balance cosmique. Toute sa famille souffre d'une terrible malédiction les forçant à toujours n'avoir ni trop de bonheur ni trop de malheur dans leur vie sous peine d'une mort affreuse, Carma est donc obligée de toujours vérifier les ascendances, les origines familiales et les reliques recherchées lorsque quelqu'un la missionne. C'est une vie on ne peut plus compliquée mais Carma s'y fait. Pourtant, lorsqu'elle croise un jour le chemin de Lomélie "Morteguigne" Bonafata, une légendaire porteuse de malheur ayant réduit son royaume en ruines, toute la vie de Carma se retrouve sans dessus-dessous. C'est un récit qui, comme vous pouvez vous en douter avec ce résumé, tourne énormément autour du sujet de la chance et du destin, mais propose assez surprenamment un joli message sur le libre arbitre et l'importance des choix que nous prenons. Sans rentrer dans trop de détail, la situation de Carma est particulièrement triste, elle est incapable de réellement vivre à force de toujours craindre un cruel coup du sort et sa rencontre avec Lomélie lui permet de remettre sa situation en cause et de se poser des questions sur ce qu'elle pourrait vraiment faire face à ça. Pas révolutionnaire mais tout de même intéressant. Bon, l'œuvre n'est pas non plus parfaite. Elle souffre majoritairement d'un point très simple : c'est trop peu. Je ne parle pas nécessairement de durée de l'histoire, quoique cela aurait pu être une piste d'amélioration parmi tant d'autres, mais bien du fait que le récit ne m'a pas semblé pleinement profiter de ses enjeux et surtout de son potentiel. Il y avait là de quoi faire une vrai quête épique jouant davantage sur cette malchance absurdement grandiose ou même d'appuyer plus sincèrement sur le drame et le poids des situations de Carma et Lomélie (qui sont quand-même tragiques). Le résultat tel que présent n'est pas mauvais, la lecture reste sympathique, mais on sent vraiment un potentiel manqué. Il y avait là les graines pour une histoire vraiment très bonne et même un propos plus poussé sur cette histoire de dichotomie entre les forces divines perçues et la volonté humaine. Il y a aussi le fait que le rythme retombe un peu sur la fin, mais honnêtement je suis plus gênée par le défaut susnommé. J'insiste sur la qualité de l'album, il reste honnêtement très sympathique et l'album n'est vraiment pas désagréable, mais le petit potentiel gâché m'empêche de monter jusqu'au 3,5 et d'arrondir à 4.

06/05/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 5/5
Couverture de la série Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement
Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement

Mon dieu, quelle horreur... J'ai mis des mois à réussir à lire cette BD que j'ai dû reposer au moins trois ou quatre fois, en ne voulant plus y toucher le temps de me calmer. J'ai rarement été autant énervé par une BD. Réellement énervé, au point de ne pas avoir l'envie de lire la suite et que je me sentais obligé d'aller faire autre chose et ne plus y penser. Balayons directement la question de la forme : vous avez aimé Algues vertes - L'Histoire interdite ? Foncez, c'est tout aussi bon et clair, didactique et étayé. Le dessin est efficace, la narration pas trop lourde et quelques fulgurances traversent la BD comme cette envolée des paysans qui disparaissent, montant au ciel les bras en croix. Symbole et métaphore, tout est clair. Pour le reste, par contre... Quelle claque, quelle horreur. A écrire ces mots après une lecture finie récemment, je suis encore plus en colère. Cette BD, ce n'est pas le genre d'informations qui m'a fait comprendre quelque chose qui m'effraye, lié au changement climatique, à la dégradation des sols et l'épuisement des ressources. Elle est allée au-delà, elle m'a mis en fureur. Celle qui m'a fait tourner en rond chez moi en ressassant des pensées pendant des heures. Le sous-titre de catastrophe écologique et sociale est amplement méritée. Au vu des informations que j'avais déjà et au sortir de cette lecture, j'ose affirmer que ce dont elle parle est probablement la plus grande catastrophe du XXè siècle. Au-delà des génocides, des dictateurs, des bombes nucléaires, ce qui s'est joué là a brisé quelque chose de fondamental dans l'humanité, quelque chose qui s'est construit pendant des milliers d'années et qui a définitivement disparu : la transmission de l'agriculture et des terres, des pratiques, de tout ce qui a été fait. Voir ces paysages dévastés, ces gens méprisés, exploités et désormais devenus esclaves d'une chaine de production, relégués au statut d'ouvrier d'usine mais croulant sous les dettes, toujours moins nombreux sur toujours plus de terre, avec toujours plus de matériel. Sincèrement, j'ai rarement été énervé à ce point par une BD qui met en lumière ce qu'est réellement ce remembrement, premier acte d'une transformation radicale de l'agriculture. Je pense que personne ne peut mesurer l'ampleur de son action, la dévastation des campagnes, de nos eaux et de nos airs. La façon dont cette transformation de l'agriculture a impacté si fort notre mode de consommation, nos vies, nos systèmes sociaux, notre conception du monde... Il y a des témoignages qui donnent envie de pleurer et d'autres qui donnent envie de sortir le fusil pour aller tuer certaines têtes précises. Mais surtout, la BD oblige presque le lecteur à se battre contre cela, à s'investir pour sauver ce qui peut encore l'être. Nous sommes passés à moins de 400.000 agriculteurs en France, il faudrait au moins 1 million de plus... Qui va y aller ? Parce qu'il devient crucial de le faire...

06/05/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 2/5
Couverture de la série Lebensborn
Lebensborn

En effet, ce n'est pas du tout une BD sur les lebensborns, les pouponnières du IIIe Reich, mais sur une femme qui enquête sur son passé, plus exactement celui de sa propre mère, elle-même née dans une telle institution. Alors oui, c'est une histoire familiale tout à fait singulière qui valait certainement d'être racontée. Seulement voilà, Isabelle Maroger, l'autrice, n'évite pas certains écueils. En premier lieu l'anecdotisation de la chose. J'imaginais en effet quelque chose de très perturbant, occasion de s'interroger sur une pelletée de sujets comme le racisme, le lien avec les origines, et par-delà le réel, sur le parcours de vie, la prédestination, la génétique, que sais-je encore. Rien de tout cela ici, ou alors à peine esquissé. Le propos reste terre à terre, et mon sentiment d'être passé à côté de quelque chose s'est fait cruellement sentir à la fin de ma lecture. Le dessin vient comme corroborer cette impression : outre qu'il ne me titille pas la rétine plus que ça, il demeure illustratif, s'en tient au concret et jamais ne prend des libertés avec le réel. D'ailleurs, les pages ne sont pas très nourrissantes visuellement, animées seulement de trois ou quatre dessins. Bon, c'est bien, c'est un peu émouvant quand même, mais Lebensborn ne vaut selon moi guère mieux que l'épisode d'un youtubeur qui consacrerait une vidéo de cinq minutes au sujet. C'est un peu méchant, je le reconnais, mais comment cacher ma déception devant cette BD qui passe en dessous de son sujet ?

06/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Sector 5
Sector 5

Quand on sait que le salaire moyen pour une femme à Bucarest est de 400 euros… - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Christophe Bec pour le scénario, par Christian Pacariu pour les dessins, et par Alex Guimares pour la couleur. Il comprend quatre-vingt-dix-sept pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte introductif d’une page, rédigé par le scénariste qui indique que les hasards de la vie l’ont amené à faire plusieurs voyages en Roumanie et à y rester quelque temps. Il continue : en additionnant tous ces séjours, il a en fait vécu plusieurs mois à Bucarest, dans le Secteur 5 précisément, bien loin des parcours de la capitale. Il attire l’attention sur le fait qu’en réalité, le peuple roumain est un peuple latin et non pas slave, accueillant, joyeux et chaleureux. Dans le même temps, en observant, en parlant avec certains habitants, en réfléchissant sur les différences entre la France et la Roumanie, il a eu l’envie d’écrire un récit, et des choses qu’il a pu entrapercevoir, telle l’omniprésence de la corruption, de la mafia et de l’industrie du sexe, à demi dissimulées, l’ont rapidement dirigé vers un récit de genre, entre le polar noir et le Thriller. À San Diego, dans le sud de la Californie, aux États-Unis, un homme handicapé, nu dans son fauteuil roulant, a plusieurs capteurs et stimulateurs sur le corps, dont un dans la verge. Il mate un écran dont le programme produit un effet stimulant intense, qui se répercute dans son corps, dans son rythme cardiaque. Sans qu’il ne s’en soit aperçu, un homme dont le visage est masqué par une capuche est entré dans la pièce. Quand il s’en rend compte, il est déjà trop tard : l’intrus a augmenté les stimuli à travers les électrodes, et le paralytique succombe à une surexcitation fatale. Au centre régional de transit de Bucarest, Calea Giulesti, dans le secteur 1, Peyo Carbajal ouvre le courrier qu’il a reçu et se frappe la tête contre le montant de son vestiaire : sa demande de mutation dans le secteur 5 a été rejetée une nouvelle fois., ça fait la dixième fois. Ses collègues sortent du vestiaire, le laissant seul. Puis Simona y entre à son tour, une jeune femme avenante, elle lui demande si ça va. Il lui répond que non et qu’il va aller se prendre une murge dans la vieille ville. Elle lui recommande prendre soin de lui. Peyo Carbajal se rend dans un bar à danseuses, et il s’assoit pour siroter une bière. Une pole-danseuse lui propose de s’isoler et qu’elle lui fasse un extra. Il la repousse sans ménagement. Dans le secteur 5, l’inspecteur Marian Ferentari arrive sur le lieu d’un crime : une villa cossue. Les policiers sont en train d’évacuer les deux enfants et l’épouse. Ils surnomment l’inspecteur avec le terme de Cafard, comme dans les couloirs du commissariat, comme ces cafards qui ne voient jamais le jour. Lorsqu’il passe devant eux, ils le saluent froidement. Il arrive dans le salon où gît encore le cadavre. Il demande au policier présent de lui faire le topo, sans fioriture. Son interlocuteur s’exécute : les deux gamins sont en état de choc, ils ont été amenés dans le secteur 1, à l’hôpital central des enfants.la victime était avocat en droit de la famille, casier vierge. Pas d’ennemi connu, mouillé dans aucune affaire de corruption, aucun lien avec la mafia. Pas de caméra de surveillance. A priori, une simple série B, un polar au ton dur et cynique de circonstance pour un tel exercice de style, des meurtres répugnants, la traque d’un tueur en série dans Bucarest, pour une affaire forcément liée à une des facettes de l‘industrie du sexe, en cohérence avec la réputation de cette capitale. Le lecteur découvre les premières pages et son a priori se voit confirmé. Un premier crime avec nudité masculine, tueur mystérieux à l’identité cachée par sa capuche, handicapé en pleine pratique d’excitation sexuelle, en solitaire. Petite exagération visuelle avec deux ou trois zones de combustion corporelle. Une bonne densité de cases : une dizaine par page, un gros plan sur le sexe en érection. Une mise en couleurs sombre et un encrage appuyé. Impression confirmée avec les deux scènes suivantes : couleurs cafardeuses, dessins descriptifs et réalistes, avec des contours non lissés, donnant une impression âpre et brut de décoffrage. À nouveau une dizaine de cases par page, voire plus, avec des cadrages donnant une sensation d’étroitesse, entre focalisation sur des détails sordides ou dégradants, et un ressenti d’enfermement dans un quotidien à l’horizon bouché. Enfants témoins de l’assassinat de leur père, mutilation du corps comme pour un rituel évoquant la maladie mentale du meurtrier, studio photographique dans le sous-sol avec des centaines de clichés de femmes nues, des jeunes, des moins jeunes, des vieilles même. Le ton est donné : glauque. Rapidement, le lecteur ressent bien les conventions du polar, ainsi que la profondeur qu’il attend de ce genre. L’usage des figures de style associées à ce genre vont plus loin que les situations ou les visuels crades pour choquer ou pour racoler. Le personnage principal présente toutes les caractéristiques attendues de l’enquêteur tendance perdant de la vie. Pour une raison ou pour une autre, il a été écarté des affaires sensibles ou intéressantes, il est mal considéré de ses collègues qui le qualifient de cafard, parfois en sa présence quand ils oublient de faire attention. Sa femme l’a quitté, et il se complaît dans cette situation familiale, convaincu que les femmes qu’il juge belles ne sont intéressées que par les hommes disposant d’argent et le dépensant avec libéralité, roulant dans de grosses bagnoles tape-à-l’œil. Il a recours aux prostituées mais uniquement pour des fellations, craignant trop de se choper une maladie. Il se montre brut de décoffrage dans ses relations avec autrui. Il se montre totalement dépourvu d’empathie en interrogeant les deux enfants ayant vu leur père assassiné sous leurs yeux. Il s’avère incapable d’une parole réconfortante vis-à-vis de la veuve prosternée devant lui en l’implorant de retrouver l’assassin. En son for intérieur, il a pleinement conscience de cette faille dans son caractère, il se dit que : Les effusions, l’empathie, ce genre de choses, ça n’a jamais vraiment été sa came, pour ça il est une sorte d’handicapé émotionnel. Il sait qu’il aurait dû serrer cette pauvre femme dans ses bras, la rassurer, mais c’est quelque chose dont il est totalement incapable. Les dessins montrent un individu normalement constitué, avec une carrure un peu carrée, portant un imperméable par-dessus une chemise blanche et une cravate, avec le visage souvent fermé, ne souriant jamais. Le lecteur peut voir un individu n’éprouvant pas de plaisir dans la vie, ni dans ses moments de solitude, ni dans ses relations sociales, tout en restant animé par une forme de vague envie d’être utile dans la fonction de la police. Les auteurs savent montrer que cette forme de résignation à la fatalité de l’ordre choses tel qu’il habite d’autres personnages comme la camgirl Amalya Buluci, le tueur bien sûr, et quelques autres. Du coup, il suffit du comportement normal des deux policiers Mihai & Stefania pour souligner l’accablement qui pèse sur les autres. Le scénariste fait mener une enquête à son personnage principal, en respectant les phases de recherche d’indice, d’interrogatoire, de chance, un travail professionnel laborieux et sans éclat, lent et incertain. La narration visuelle sait montrer le quotidien très ordinaire de ces phases : être assis à un bureau très quelconque, rentrer chez soi en transport en commun, la solitude du petit appartement, le constat pragmatique des circonstances de la mort sur le lieu d’un crime, les recherches internet, les périodes de réflexion. Le lecteur se rend compte que le nombre élevé de cases par page, leur petite taille fonctionnent parfaitement pour rendre compte de ce quotidien. Les auteurs savent alterner cette routine professionnelle avec le quotidien tout aussi prosaïque du tueur dans son milieu professionnel et dans sa vie privée tout aussi banale et commune, et les moments où il passe à l’acte, des scènes violentes et soudaines, méthodiques et froides. Enfin, il y a donc ces meurtres, presque des exécutions : là encore le scénariste ne s’embarrasse pas de fioritures et le dessinateur reste dans un registre très factuel. Il montre clairement la brutalité et la mort violente, sans en rajouter ni dans le spectaculaire, ni dans une envolée romantique. Le lecteur en ressort avec sa dose de violence et de sexe, de comportements charriant une forme de renoncement à l’espoir d’un monde meilleur, d’accablement du quotidien et d’une société gangrénée par une criminalité systémique qui ne laisse d’autre choix que d’en être partie prenante. La narration visuelle reste à un niveau terre à terre, rien d’enthousiasmant, si ce n’est son efficacité. D’ailleurs, ces caractéristiques finissent par s’imprimer dans la tête du lecteur : des dessins fonctionnels, en fait à l’unisson d’une narration tout aussi fonctionnelle. Une production d’un trio d’artisans (scénariste, dessinateur, coloriste) maîtrisant leur métier, réalisant un polar très correct. Un peu plus que correct même. Il y a peut-être une exagération dans le sens où ils choisissent les points de vue venant insister sur ces aspects déprimants de la vie, sans jamais en mettre en scène d’autres : zéro chaleur humaine, zéro solidarité, zéro plaisir, juste une accumulation d’éléments négatifs. Le lecteur se dit que cela correspond à la vision que Marian Ferentari a de la vie. Ses pensées intérieures viennent conforter cette impression : les Bucarestois préfèrent s’endetter sur vingt-cinq ans pour acquérir une BM ou une Benz, se serrer la ceinture et remplir le réservoir de gasoil plutôt que le frigo, inhaler à longueur de journée du monoxyde de carbone, du dioxyde d’azote et des particules fines d’hydrocarbures cancérogènes. Ou encore : Quand bien même chaque Bucarestois raquerait docilement pour prendre les transports en commun, cette manne serait détournée pour tomber directement dans les poches d’employés corrompus du ministère, qui s’enverraient l’air avec des escort girls de luxe dans les suites douillettes des cinq étoiles de la capitale. Tout est biaisé, vérolé, rongé jusqu’à la moelle ! Et encore : Les salaires des flics sont une misère, alors pour arrondir les fins de mois, soit on se laisse arroser, soit on tente des coups au jeu ou au casino. Personne n’a le choix ici. De toute façon, c’est la règle quand tout marche de traviole. Des milliers de personnes manifestent devant le parlement depuis des mois, mais rien ne change. Le nouveau président, qui s’est fait élire sur un programme anti-corruption, a dû virer quasiment tout son gouvernement… Trop d’entre eux trempaient dans de sales histoires : drogue, sexe, corruption… Quand c’était pas les trois à la fois. Un polar de plus, à base d’industrie du sexe et de crimes sans pitié pour attirer le lecteur ? Il y a un peu de ça de prime abord, avec en plus la réputation de Bucarest pour ses filles et sa mafia. D’ailleurs la narration visuelle semble très fonctionnelle, et le scénario plutôt linéaire. D’un autre côté, c’est un polar réussi qui tient en haleine du début à la fin, avec les conventions de genre attendues, et juste ce qu’il faut d’originalité pour ne pas pouvoir être réduit à un produit industriel. L’effet cumulatif se fait progressivement ressentir, entre l’état d’esprit blasé et résigné du personnage principal, la bonne connaissance de la ville et de cette partie de la population, l’intrigue bien construite : une vision prosaïque de la banalité du quotidien, une plausibilité qui finit par faire froid dans le dos, entre la pulsion sexuelle des hommes, et la célébrité internationale des camgirls. Loin d’être inoffensif.

06/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Je suis leur silence
Je suis leur silence

Bon je réécris mon avis car il était, effectivement, bien trop dithyrambique. J'aime beaucoup cet album et le trouve honnêtement très réussi, mais je m'étais bien trop emballée dans mes propos et ai ensuite essayé de corriger plusieurs fois pour adoucir mon discours sans jamais vraiment parvenir à refléter ce que je pense vraiment de l'album. Alors, après avoir mis cinq étoiles pour appuyer mon ressenti sur la qualité technique de l’œuvre, puis quatre et un coup de cœur pour revenir en arrière mais tout de même appuyer mon ressenti positif, je me rabat finalement sur un quatre étoiles tout rond, bien plus proche de mon ressenti réel. L'album reste très bon, je le trouve toujours très frais et agréable à lire, mais je vais me montrer plus modérée dans mes paroles. Pourquoi m'étais-je autant emballée à la base ? Parce que l'album est bon, très bon même. Pas une révolution dans son genre ni une source de réflexions profondes mais une œuvre finement construite. En fait, pour faire court, je trouve la construction de l'album excellente, ne serait-ce que du point de vue technique : le rythme parvient à rester prenant sans jamais réellement faire de pauses, les dialogues sont vifs, le personnage principal est une grande-gueule à l'égo surdimensionné et à la psyché chaotique qui parvient à rester attachante tout du long, le dessin de Lafebre est beau, vif et travaillé, … Bref, sur le plan technique, c'est du bon. Bon, tout n'est pas parfait non plus. Encore une fois, l'album ne révolutionne pas le genre du polar et ne va pas nécessairement chambouler votre vision du monde (ou même vous pousser à la réflexion sur un sujet), il se contente simplement de raconter une histoire prenante par le simple fait de sa construction narrative sur deux plans et son personnages principal dont la personnalité d'apparence plus que farfelue est moteur de l'intrigue. Du bon, donc, mais encore faut-il apprécier le genre. Personnellement j'aime beaucoup les narrations non-linéaires, les histoires centrées sur la psychologie et les personnages qui sous leur apparence loufoque cache un être plus complexe, donc même si les polars ne sont pas nécessairement mes récits préférés (les poncifs du genre me laissent de marbre) je partais avec de bonnes appréhensions. Mais même si l'album brille par la personnalité d'Eva et ses méthodes peu conventionnelles, l'enquête n'en est pas moins un peu trop simple et convenue par moment. L'œuvre reste très bonne, une lecture sincèrement très agréable et de très bonne qualité. Je tenais simplement à venir réécrire cet avis dans lequel je m'étais malheureusement un peu trop emballée.

03/05/2025 (MAJ le 06/05/2025) (modifier)
Par Gaston
Note: 3/5
Couverture de la série Witch Watch
Witch Watch

Une série sympathique, mais qui s'adresse surtout aux adolescents. Je pense que j'aurais vraiment adoré cette série étant jeune. Il y a le genre d'humour que j'aimais bien à cette époque et les personnages sont attachants. Mais voilà j'ai vieilli et plusieurs gags qui m'auraient fait rigoler il y a 10-15 ans me font uniquement sourire voir même me semble loufdingue. Il y a plusieurs situations qui m'ont semblé être du déjà vu et même si j'aime bien certains personnages, ils sont des archétypes du genre le rival en amour qui va se mettre entre les deux personnages principaux qui sont bien sûr un gars et une fille qui vont sûrement finir ensemble même s'il y aura des obstacles tout le long de la série contre leur amour. En fait, c'est le problème récurrent des séries qui sortent de Shonen Jump, le plus gros magazine du Japon où les éditeurs ont encore plus de pouvoirs sur les auteurs que dans d'autres magazines et font en sorte que les séries soient formatées pour être des succès (et si c'est pas le cas la série se fait vite annuler après 2-3 tomes). C'est pas dérangeant quand on est jeune, mais pour un adulte comme moi qui lit des séries shonen depuis maintenant deux décennies, je vois surtout les clichés surutilisés qu'on utilise encore parce que ça marche avec des lecteurs novices. Et ça dur trop de tomes, je n'ai plus la force de lire des dizaines et des dizaines de tomes d'une série que je trouve sympathiques sans plus. Il reste le dessin qui est très bon. Un manga qui va plaire au public-cible.

05/05/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 3/5
Couverture de la série Brunilda à la Plata
Brunilda à la Plata

Il est très difficile de parler d’une œuvre comme celle-là, qui sort des codes de la BD traditionnelle et plaira à coup sûr aux amateurs d’OVNI. Le reste des lecteurs risquent en revanche de rester sur le carreau. Car « Brunilda à la Plata » ne se laisse pas apprivoiser aussi facilement. Le mieux est peut-être de n’avoir aucun a priori et se laisser porter par cet étrange récit pour mieux y accéder. Car, c'est certain, « Brunilda à la Plata » déroute, interroge, agace, surprend, tenant constamment le lecteur à distance avec mille digressions imprévisibles et en apparence dénuées de sens. Visiblement, cette bande dessinée tenait à cœur à son auteur, Genís Rigol. Il a pour cela été soutenu par ses proches et amis dans sa conception, et l’éditeur Virages graphiques semble avoir été tout autant convaincu, au vu du superbe travail d’édition réalisé en grand format. Rigol s’est librement inspiré d’un de ses rêves, ce qui explique la tonalité très onirique de l’objet. Par un procédé de mise en abyme, où le réel se confond avec l’imaginaire, l’auteur nous met dans la position de spectateur d’une représentation théâtrale totalement absurde dont le dénouement n’a pas encore été écrit, évoquant ainsi les affres de la création artistique. Les personnages, plus ou moins polymorphes, évoluent dans une sorte de sarabande chorégraphiée au milieu de vastes décors géométriques rappelant plus ou moins l’art abstrait de Kandinsky. Comédiens, techniciens et régisseur s’affairent dans tous les sens, en attendant que le dramaturge (« M. le dramaturge »), en proie à la panique, trouve une conclusion à la pièce en train de se jouer sous nos yeux. Pendant ce temps, Norman, un être lunaire, un peu maladroit et quasi silencieux, est enrôlé dans la troupe sans avoir rien demandé. Le jeune homme veut juste retrouver celle pour qui il vient d’avoir un coup de foudre, « Brunilda » dans le restaurant La Plata connu pour ses délicieux anchois… Pour y aller, il faudrait qu’il traverse la scène, ce qui risquerait de perturber davantage la représentation. Soumis à l’intense pression de la page blanche, Mr le dramaturge cherche comment accoucher du chef d’œuvre qui suscitera l’admiration de tous, en particulier de cette mystérieuse Zelmira venue assister à la Première et dont l’avis compte plus que tout aux yeux de celui-ci. Le problème, c’est que notre dramaturge est saisi par le doute, convaincu d’être un auteur médiocre et qui plus est peu soutenu par son conseiller personnel, sorte de Gemini Cricket dénué d’empathie… La partie graphique, plutôt originale, est le premier atout de l’ouvrage, suscitant d’emblée l’intérêt rien qu’en feuilletant quelques pages. Genís Rigol recourt un style un brin vintage, qui pourrait être un croisement entre Winsor McCay, et donc un clin d’œil possible à « Little Nemo », personnage qui évoluait lui aussi dans le monde des rêves, et Joost Swarte, auteur underground qui avec sa ligne claire moderniste faisait la part belle à une architecture épurée et aux espaces géométriques. Faut-il obligatoirement trouver un sens à une œuvre dans un monde qui semble souvent n’en avoir aucun ? Qu’est ce qui définit un chef d’œuvre ? Telle est la question centrale de cet étrange objet dénarrativé, qui a au moins le mérite de pousser à la réflexion avec ses textes ciselés et sa touche ironique voire acerbe. Une œuvre qui peut nécessiter plusieurs lectures tant elle joue sur l’absurde, le secret étant peut-être d’accepter de ne pas tout comprendre pour pouvoir assembler les éléments du puzzle. Et il n’est pas impossible de finir par l’apprécier, le temps qu’elle se diffuse à travers vos neurones incrédules ! Quant à savoir si « Brunilda à la Plata » est un chef d’œuvre ou pas, je dirais que la réponse est dans son propos lui-même. Pour cela, il appartiendra à chacun de se faire sa propre opinion.

05/05/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 3/5
Couverture de la série Le Premier Amour
Le Premier Amour

Bien qu'il s'agisse de l'adaptation d'un texte de Marcel Pagnol, cette œuvre inédite à l'écran nous entraîne loin des collines provençales du début du XXe siècle auxquelles l'auteur nous avait habitués. C'est en effet dans un univers préhistorique fantasmé, peuplé à la fois de premiers humains et de dinosaures, que prend place ce récit étonnant. Inspiré à Pagnol par La Guerre du Feu, ce monde primitif repose sur une loi fondamentale : tous les hommes sont frères et ne doivent jamais s'affronter, tandis que les femmes n'appartiennent à personne. La procréation est régie par un rituel où le hasard désigne les unions d'un jour, assurant ainsi la survie de la tribu. Jusqu'au jour où un jeune homme transgresse la règle en revendiquant celle qu'il désire. Ensemble, ils seront bannis, contraints de vivre seuls et donnant ainsi naissance au premier amour de l'humanité. Malgré ce cadre insolite, on retrouve les thématiques chères à Pagnol : l'absence de véritables antagonistes, des personnages mus par des convictions sincères, souvent prêts à discuter, même s'il faut du temps pour que la sagesse du cœur l'emporte sur la rigueur des traditions. Comme souvent chez lui, ce sont les jeunes qui remettent en question l'ordre établi, et l'amour ainsi que l'amitié deviennent les leviers du changement. Ce conte, à la fois naïf et singulier, amuse par sa vision idéalisée de la préhistoire, mais séduit par sa douceur et son humanité. Il constitue une curiosité charmante dans l'œuvre de Pagnol, un écart dépaysant mais fidèle à son esprit. Une lecture qui mérite l'attention, ne serait-ce que pour découvrir cette facette inattendue de son talent.

05/05/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série #J'Accuse...!
#J'Accuse...!

Voila sans doute l'un des documents les plus précis que je n'ai jamais lus sur l'affaire Dreyfus. Connu et reconnu comme une des plus grandes erreurs judiciaires françaises, elle est surtout la source d'un déchirement profond de la troisième république qui malheureusement restera en souffrance longtemps durant ... Cette affaire parfois résumée dans la caricature légendaire de monsieur Caran-D'Ache est pourtant d'une incroyable richesse pour aujourd'hui. Pensez donc, une affaire politique, sociale, militaire, judiciaire, médiatique, antisémite ... Le tout dans une France encore traumatisé d'une guerre et d'un bain de sang récent, dans une république qui peine encore à s'affirmer. Un vrai feuilleton ! Jean Dytar décide ici de s'amuser sur la forme mais de rester tout à fait formel sur le fond. Reprenant l'affaire dans l'ordre chronologique et avec les mots même de ceux qui la vécurent, proches, amis, parents, journalistes, hommes politiques etc ..., il trace le portrait de cette affaire dont finalement la réalité est le moins intéressant. Dreyfus était innocent, le coupable était Esterhazy. Voila l'essentiel du fond et sans doute le plus inutile. Le reste est par contre passionnant, allant jusqu'à des tentatives s'apparentant à des coups d’État. C'est aussi une bonne représentation du climat politique français de cette époque où se déclarer antisémite était une tendance politique comme on dirait écolo aujourd'hui. La BD arrive à rendre compte des nombreuses voix, parfois pour parfois contre, souvent indécises sur toute cette affaire qui semble si claire aujourd'hui mais qui était bien plus complexe à appréhender à l'époque. Le format joue sur des outils contemporains (sites d'infos, interview à la Thinkerview, tweets, vidéo à chaud, etc ...), le propos est parfois plus abordable à un contemporain qu'une n-ième compilation de textes lourds et parfois indigestes. La lecture n'est pas rapide pour autant, et j'ai personnellement mis trois jours à finir ce petit pavé bien fourni mais qui apporte son lot de détails parfois hallucinant. La proportion de l'erreur est monumentale une fois toute l'entremise déployée. Une BD documentaire un peu lourde et épaisse, parfaitement bien mise en scène et en image, qui permet de retracer pour comprendre toute l'histoire singulière de cette affaire si importante. Et je dis cela en étant sincèrement convaincu que nous avons, en 2025, beaucoup à apprendre de l'affaire Dreyfus. Rien que la question de l'importance des médias dans un traitement judiciaire devrait nous faire tilter, ces médias ayant encore plus gagnés en importance ces dernières années, tout comme l'importance des faux documents/témoignages/citations qui fleurissent cette affaire hors-norme. A un moment donné, l'opinion devient plus fort que la vérité, et cela est encore plus fort aujourd'hui à mon goût.

05/05/2025 (modifier)