Le tourisme de masse vaincra !
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Cet ouvrage est une anthologie de gags sur le thème du tourisme destructeur. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Zidrou pour le scénario, Éric Maltaite pour les dessins, la colorisation ayant été réalisée par Philippe Ory & Hosmane Benahmed. Il comprend cinquante-trois pages de bande dessinée. Ces créateurs ont également réalisé le diptyque Hollywoodland (Maltaite/Zidrou) (2022 & 2023), ainsi que L'Instant d'après (2020).
Venise : un couple de touristes tire leur valise à roulettes, perdus dans les ruelles, à la recherche du port où est amarré leur paquebot M.S.T. (Marine Solidaire Tantrique). Le mari se plaint du poids de sa valise, et son épouse explique qu’elle contient le gorgonzola qu’elle a acheté pour remercier la voisine d’avoir nourri leurs perruches et fouiné partout dans la maison. Soudain le monsieur repère une gondole abandonnée, et ils montent dedans, le mari se chargeant de manier la rame. Il demande à son épouse de chercher le grand canal sur Gougle Maps, c’est leur A7 à eux. Elle ne parvient pas à lire la réponse qui affiche Canale grand di Venezia. Elle opte pour taper leur adresse en France, pour rejoindre leur pavillon en gondole. Ils sont interceptés par un commando du groupe terroriste FZT.
Au Machu-Picchu, deux lamas regardent la foule de touristes, tout en se faisant photographier. L’un demande à l’autre, ce qu’il y a de plus bête qu’un touriste. Réponse 2.789 touristes. Il développe son propos critique : Mais regarde-moi ces trépanés du cervelet. Franchement ! Grimper à 2.340 mètres au-dessus du niveau de la mer pour tomber aussi bas ! Y a que des ruines, ici ! Des ruines qui visitent d’autres ruines. Une civilisation perdue qui visite une autre civilisation perdue. C’est bon, ils ont leurs selfies pouraves avec le site du Machu-Picchu en arrière-plan, et eux – comme il se doit – au premier plan. Ils peuvent barrer Machu-Picchu de leur To do list. Et remonter dans leur avion low-cost, pour retrouver leur vie Lacoste dans leur pays : en Egoland. Non sans avoir au préalable acheté à l’aéroport une peluche de condor Made in China pour leur gamine qui en leur absence a nourri les plantes et arrosé le chat.
Route d’accès à la station de ski Val d’Hiver, un groupe des trois amies monte vers la station en voiture, tout en commençant à regretter de ne pas avoir mis de chaînes. Elles doivent s’arrêter devant un barrage de police. Elles sortent de voiture, et une policière leur explique qu’il a plu à monsieur Fusk de privatiser Val d’Hiver pour son bon plaisir et celui de sa 11e épouse. Il a privatisé toute la station, pour un budget correspondant à l’équivalent du P.I.B. du Mali… sauf qu’il n’y a pas une montagne digne de ce nom au Mali. Les trois copines demandent s’il a également privatisé le téléphérique de la Grande Chartreuse, le spa du Magic Hotel, la terrasse du restaurant panoramique du Mont Beige. La réponse est sans équivoque, tout est privatisé, et une flottille de drones a été déployée pour repérer les immigrants clandestins.
Une bande dessinée éditée par Fluide Glacial, un titre sciemment provocateur (dont les initiales forment l’acronyme FZT, le nom du groupe terroriste anti-touristes), une illustration clairement critique de cette race de décérébrés, avec la représentation de ce couple apparaissant au mieux comme des imbéciles heureux qu’il convient d’exterminer. Les auteurs s’inscrivent avec énergie dans le registre comique associé à cet éditeur et au mensuel afférent, y faisant même une référence explicite. Un touriste explique qu’à Auschwitz-Birkenau, il faut payer un supplément pour entrer dans les chambres à gaz depuis qu’un vandale a tagué : Fluide Glacial umour et bandessinées disponible en kiosque tous les mois. S’il est un habitué de la sensibilité humaniste du scénariste, le lecteur peut s’attendre à un choc en découvrant un humour réellement mordant. En phase avec cette démarche, l’artiste ne ménage pas l’apparence visuelle des différents touristes : gras du bide, habillés de manière voyante et vulgaire, ou au contraire aguichante pour un selfie, avec souvent des expressions de visages trahissant un QI bas du front, leur condescendance pleine de morgue, leur entrain pour consommer des paysages et des lieux avec une appétence proche de la dévoration, et une suffisance sans limite. Chaque lecteur se retrouve à se reconnaître dans un comportement ou un autre. Accablant.
Dans le même temps, les auteurs font preuve d’une forme d’empathie envers ces touristes au comportement crétin et destructeur, irresponsable. D’accord, le couple de quadragénaires ou quinquagénaires à Venise se sent supérieur avec une légitimité à être traité prioritairement sur les autochtones : leur condition de touriste implique que leur environnement existe pour satisfaire leurs exigences d’exotisme, et doit se conformer à leurs attentes. Toutefois, ils apparaissent sympathiques, constructifs dans leurs actions pour pouvoir jouir de leur voyage, totalement vulnérables quand ils se retrouvent dans la situation dépeinte sur la couverture. La deuxième histoire est racontée du point de vue de deux lamas, qui suscitent également la sympathie du lecteur, mais c’est un peu différent, pas vraiment des touristes. Dans la troisième histoire, les trois jeunes femmes sont fort sympathiques, cherchant juste à skier, profondément et sincèrement choquées qu’un seul individu puisse privatiser une grande station de ski. Impossible d’éprouver de la sympathie pour le troupeau de touristes venus assister au débarquement de migrants dans une embarcation de fortune. En revanche, impossible de se retenir d’en éprouver une pointe pour ce couple souhaitant photographier le dernier rhinocéros vivant au monde, pour le collectionneur de guides du Routard, pour la ribambelle de gugusses souhaitant réaliser un selfie souvenir qui en mettra plein la vue à leurs amis, avec eux au premier plan, et le site remarquable en arrière-plan… et pourtant leur comportement est insupportable, tout en étant simplement humain.
L’illustration de couverture rend évident le talent de l’artiste pour croquer des individus normaux, avec une touche caricaturale, que ce soit la bouille ronde et bonhomme de monsieur, ou le double menton et les bijoux massifs et en toc de madame. Ce dosage entre détails réalistes et exagération rend chaque personnage très vivant, que ce soit les acharnés de la photographie ou du selfie, le mari fier de sa moustache et de son chapeau safari, Chantal qui fait penser à Mademoiselle Jeanne, le petit groupe de Belges joueurs de pétanque, la jolie guide blonde touristique maniant le pistolet à bord du bus de touristes, les vieilles dames âgées touristes aussi avides que les autres, la quinquagénaire plantureuse qui pose ses seins dénudés sur la table pour faire admirer les tatouages qui les ornent, le couple homosexuel passant en revue les options de destination dans une agence de voyage (sans S), etc. Le lecteur constate rapidement que le dessinateur réalise des planches avec un fort niveaux de détails, donnant à voir chaque lieu avec des éléments visuels consistants, attestant d’un vrai travail de recherche de référence, de repérage. Il est possible de voir les gondoles et les canaux de la cité des doges, et aussi les quais, les façades, le type de lampadaires, etc. L’histoire sur la station de ski permet d’admirer l’implantation des chalets et des installations sur la montagne, un téléphérique, le spa en plein air d’un hôtel, etc. La visite de Barcelone montre la Sagrada Familia, le Mercat, la façade du grand théâtre du Liceu, le quartier gothique, la plage. L’avant-dernière histoire offrent de magnifiques cases de balades dans la campagne française. Etc.
La verve comique des deux auteurs repose sur une attaque virulente du tourisme de masse et de ses ravages. Ils réagissent en créant des situations aussi énormes que ce phénomène, allant jusqu’à l’absurde. Le lecteur apprécie qu’ils se lâchent ainsi : un groupe terroriste dézinguant les touristes pour préserver leur environnement quotidien de cette horde d’envahisseurs sans cesse renouvelée, la privatisation d’une station de ski de grande envergure, le débarquement de migrants transformé en spectacle pour touristes, la réplique grandeur nature visitable de la statue de la Liberté pour ne pas abîmer l’originale, les quatre-vingt-trois ans de liste d’attente avant de pouvoir visiter le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, l’île paradisiaque s’enfonçant dans les eaux sous le poids des touristes, etc. Avec une tonalité misanthrope dirigée contre cette engeance que sont les touristes en groupe, également avec une belle inventivité. Le scénariste se moque de marques bien connues au travers de détournement comme Diatribadvisor, Gougle Maps, MST (Marine Solidaire Tantrique), Cretinstagram. Il évoque des personnalités comme Elon Musk, Liliane Bettencourt, Philippe Gloaguen. Ces aventures reposent sur des phénomènes concrets, aussi bien par la fausse dérision (l’interdiction de l’usage des pailles) que par la réalité des ravages du surtourisme, la privatisation par les indécemment riches, l’immigration avec des embarcations du fortune sur la mer Méditerranée, la vague d’extinction des espèces animales, la montée des eaux, la marchandisation universelle… jusqu’à la disparition, ou plutôt l’extermination de la notion de bien commun. Rien ne peut s’opposer à la marchandisation des lieux et des populations, cette pratique abêtifie ceux qui la pratiquent en masse, s’abattant tel un fléau sur leur destination, tel un ogre dont rien ne peut arrêter la dévoration… quitte à ce qu’il périsse lui-même dans ses actions vaines pour rassasier sa faim inextinguible.
Un vrai plaisir de retrouver l’humour mordant et critique de ce duo d’auteurs s’exerçant contre le touriste en groupe, la chute en flèche de son Q.I., sa conviction que tout lui est dû et tout lui est permis, et que sa destination n’existe que pour le satisfaire. Le dessinateur réalise des planches à l’équilibre parfait entre solides descriptions et exagération comique. Le scénariste pousse le curseur de l’exagération à la dimension de l’horreur du surtourisme, alors même que son humanisme lui fait conserver une sympathie pour ces êtres humains, tout en brossant le portrait d’une pratique destructrice dans un monde déjà livré aux démons du capitalisme, du manque de culture, et de l’indifférence à la souffrance humaine. Salvateur.
Comme d'autres avis, j'ai trouvé cette lecture bien, et puis c'est à peu près tout ...
J'aime beaucoup le travail graphique de Claire Fauvel, dont je découvre la bibliographie petit à petit. C'est le dessin qui donne l'atmosphère à la BD, retranscrivant l’Égypte et son désert dans des pages qui prennent le temps de poser des pleines cases qui parsèment le récit.
Récit qui, par contre, est assez étrangement rythmé. Il parle d'un jeune russe malade qui se rend en Égypte, pour soigner son corps mais surtout son âme malade. L'âme russe, donc. Le récit est curieux, avec un début qui semble se poser sur son voyage et son mensonge de poète, puis le récit bascule avec la rencontre de cette belle femme avant de partir sur une recherche à travers le désert. Dans l'ensemble, les relations se tissent entre les personnages. C'est bien amenés, rien n'est acquis jusqu'au bout et la fin n'est pas évidente au début de l'aventure. Sauf que le revers de la médaille, c'est que l'histoire reste assez anecdotique au final. J'ai lu avec plaisir, mais je pense que j'oublierais trop rapidement cette histoire qui ne laisse pas d'instant mémorable en tête.
C'est juste une jolie aventure en Égypte avec une fin sympathique qui reste sur le ton "léger" de l'histoire. Je n'en tire pas plus qu'une jolie promenade et je crois bien que c'est déjà suffisant pour une lecture. Dommage qu'il n'y ait pas le petite ajout qui fasse basculer vers plus !
Un auteur est né ! La dame a un style épuré qui pourtant ne manque pas de chaire, que ce soit dans le récit ou dans le coup de trait ! Le faux coupable et le flic fatigué me plaisent bien dans leur relation à la fois distante et filiale. L'auteur sait montrer le ciel, le métro, l'appartement, des visages fins, surtout celui du jeune héros, d'une manière différente, les fait redécouvrir. Les deux personnages principaux ne sont pas des Blancs sans que pour autant on se focalise sur cette caractéristique : bien trop pris par l'intrigue pour en faire plus de cas que par le vide qui règne toujours plus ou moins dans les cases. Solitudes des personnages, esthétique, philosophie bouddhique ? En tout cas, il intrigue, plus prenant que la ville et presque que l'intrigue… Des traits si purs et un vide qui n'étouffe pas mais qui oscille entre écrin de solitude et respiration sont rares.
Avec Gaston, on oscille entre rire, sourire et tendresse… Si Gaston nous libère par sa fantaisie, on aime tout le monde. Bien sûr, je dirais comme tout le monde, tous ses potes, et la mouette, et le chat, et l'instrument de musique qui fait fuir les taupes du champ des paysans où il va l'essayer. Mais aussi tout le monde, tout le monde ! Les collègues de Gaston, qui sont gentils avec lui, l'agent de police psychorigide mais pas méchant, l'homme d'affaires qui n'arrive pas à signer les contrats mais ne demande jamais qu'on saque Gaston. Et il y a le trait incisif et tendre de Franquin ! Son dynamisme. Assez de détails pour qu'on ait plaisir à relire, mais pas trop pour ne pas ralentir la lecture. Il fait aimer le moindre objet, les voitures notamment, normales, et plus encore étranges comme le char de notre héros. Les frites ? On en sent l'odeur et on a envie de les manger. Et l'idylle avec M'oiselle Jeanne. Bref, en écrivant, je me sens fondre, ce qui méritera un coup de cœur !
Cet BD assez glaçante sur le fond est particulièrement colorée et guillerette sur la forme. Le dessin présente des personnages à têtes d'animaux, bien joufflus et patauds qui laissent imaginer une dégoulinade de bons sentiments. La transparence de l'aquarelle avec le léger modelé des ombres au gris de Payne, le plaisir de représenter tous les détails du quotidien : tout cela rapproche l'ambiance générale de celle d'un livre pour enfant où tu pourrais designer chaque objet en faisant deviner le mot à un tout jeune enfant...
Mais dès la page 11, tu comprends que tu ne pourras pas faire lire ça à ton gamin.
Une intrigue très simple finalement mais plutôt inattendue, une tension gore, des meurtres en série... c'est prenant mais la construction manque de solidité, c'est surtout l'ambiance qui est réussie. La fin est beaucoup plus convenue que le démarrage.
Sans doute parce que la psychologie des personnages n'est pas si creusée qu'elle le pourrait. Les seconds rôles sont réduits à une masse de gentils nounours sans histoire ou des psychopathes dissimulés. Les deux rôles principaux sont des horribles meurtriers en série et l'auteur ne cherche pas à expliquer vraiment cette violence sans but. En réalité on est face d'une histoire absurde, on ne peut pas en tirer ni de morale ni non plus de plaisir si ce n'est celui d'avoir été berné à la page 11. (Même si tout est déjà là sur la couverture)
Cela suit sans doute un modèle américain du film gore qui ne m'attire pas a priori. Le lecteur est accompagné par une voix off qui suit la pensée bizarre du personnage principal mais sans aucune trace d'humour (rien à voir avec "C'est arrivé près de chez vous" qui pourrait se définir comme un scary movie à la belge et avant tout le monde en 1992). Pour autant, je pense que ce mauvais tour me restera en mémoire.
Depuis « René·e aux bois dormants », un premier album acclamé par la critique et auréolé du Grand Prix ACDB, Elene Usdin ne s’est pas reposée sur ses lauriers. L’autrice française nous revient ici avec un ouvrage produit à quatre mains, avec Boni, quasi-inconnu dans la bande dessinée mais référencé comme « artiste pluridisciplinaire », « compositeur, scénariste, artiste visuel, multi-instrumentiste et développeur sonore ». Les deux artistes ont ainsi mis en commun leur savoir-faire graphique et scénaristique pour produire « Detroit Roma », un objet que l’on peut qualifier de monumental, à mi-chemin entre l’ « art séquentiel » cher à Will Eisner et le livre d’art, et bénéficiant de la qualité éditoriale, désormais proverbiale, de l’éditeur Sarbacane
Et ce qui saute aux yeux ici, c’est bien la puissance visuelle qui se déploie sur ces pages au format à l’italienne, un choix assez logique au regard du titre, mais un format qui rappelle également le septième art, une thématique qui imprègne tout le livre.
Ce dont parle « Detroit Roma » en quelques mots, c’est cette fascination des Européens pour le fameux rêve américain, en confrontation avec les histoires les plus sordides dans un pays où l’argent est roi, où la cupidité de quelques-uns conduit une vaste frange de la population au bord de la pauvreté. C’est ainsi que démarre le récit, avec l’arrivée dans un motel des deux protagonistes, Summer et Becki, avec une référence bien trouvée au cultissime « Thelma & Louise ». Issue d’une famille très modeste, Becki en sera la narratrice, évoquant son enfance difficile à Detroit, ville touchée de plein fouet par le déclin industriel, la mort de sa mère noyée dans sa baignoire ou le combat quotidien de son père pour subvenir aux besoins du foyer. Elle trouvera son salut dans sa passion pour le dessin et le « street art ». Quant à Summer, elle est son antithèse absolue en apparence. Fille d’une ancienne actrice aisée mais désormais en fin de course, elle est loin d’être dans le besoin mais cherche une échappatoire entre cette mère aigrie et alcoolique, et un père queutard se complaisant dans les orgies. Summer côtoie les milieux artistiques underground, au grand dam de sa mère. Becki, en quête de petits boulots pour pouvoir satisfaire sa passion artistique, va être recrutée par Gloria en tant qu’aide à domicile et sera amenée à faire la connaissance de Summer. Les deux jeunes filles découvriront bientôt les raisons de l’étrange complicité qui les unit. Notons que ces deux personnages sont assez réalistes psychologiquement et également touchants dans leur fragilité.
On ne rentre pas si facilement dans ce récit globalement assez lent et à la narration morcelée. Mais heureusement, l’incroyable force du graphisme permet de patienter jusqu’à la moitié du livre, c’est alors que les éléments commencent à se mettre en place, avec des révélations qui pourront émouvoir les cœurs les plus sensibles.
Mais clairement, c’est bien le graphisme le gros point fort de « Detroit Roma ». Le travail à quatre mains donne lieu à une succession de styles très variés mais qui mystérieusement parviennent à trouver leur équilibre et leur cohérence. On retrouve bien la patte d’Elene Usdin avec son art maîtrisé de la couleur dont elle avait fait preuve avec « Renée aux bois dormants ». On pourra en déduire que les séquences monochromes, plus sombres, ont été réalisées par Boni. Les séquences cinématographiques, contemplatives et plus « optimistes », avec moult références au cinéma hollywoodien ou italien du XXe siècle (Fellini, Pasolini, Jarmusch, Cassavetes, Coppola ou encore Wim Wenders), mais également à la Rome antique, s’enchaînent avec les scènes plus âpres, teintés d’onirisme, où souvent la violence et l’anxiété entrent en jeu.
Mais au-delà des représentations clichées (et pleinement assumées) de l’Amérique des grands espaces, des drive-in et de l’imaginaire collectif, Usdin transcende par sa palette arc-en-ciel un monde où le bonheur résiderait, à tort ou à raison, dans le clinquant consumériste. Sous son pinceau, elle parvient à rendre « artistique » un très moche rayonnage de supermarché ou une zone commerciale hérissée d’enseignes KFC ou H&M. Et ça, c’est très fort, et ça rappelle un peu ce qu’avait fait Edward Hopper avec son célèbre tableau « Essence ». Dans cette Amérique sans passé, les constructions, souvent délabrés, prennent parfois des airs de décors de cinéma, dégageant un sentiment de grande solitude. Ponctuant la narration, les portraits en esquisse d’anonymes d’une Amérique pré-trumpiste, loin des spots, confèrent un côté authentique à l’objet.
Si « Detroit Roma », incontestablement un ouvrage qui marquera cette année 2025 (un OVNI peut-être, mais pas pour autant hermétique), confirme le talent d’Elene Usdin, il révélera aussi celui de Boni, dont c’est la première incursion dans le neuvième art. Ce road trip dense et visuellement généreux comblera sans aucun doute les cinéphiles, mais aussi celles et ceux qui aiment l’ « Amérique » pour ce qu’elle est — ou plus précisément ce qu’elle a été, étant donné le contexte actuel —, avec ses qualités et ses travers. Celles et ceux qui savent qu’à côté des rêves les plus ostentatoires, le cauchemar demeure en embuscade, et parfois vient gangréner toute une société.
Je suis vraiment pas sur de ce que je dois penser de Liv Strömquist. J'aime son discours, je suis complètement d'accord avec ses idées, j'aime la façon dont elle lie les thématiques de lutte sociale, écologie, féminisme et anti-capitalisme. Mais en même temps, je dois avouer que je me suis emmerdé à la lecture. Et c'est un problème ...
Si je dois être honnête, ma lecture a été lente et surtout j'ai sauté quelques passages, n'ayant pas envie de m'infliger ça. La raison, c'est que Strömquist a un style de dessin que je qualifierais de bordélique. Rien que les quelques pages visibles en galerie donnent le ton, c'est plein de textes en tout sens avec quelques personnages pas très bien dessinés en plein milieu. C'est vite illisible à mes yeux et plusieurs fois j'ai vu des pages que je n'avais pas envie de lire, fatigué d'avance de la quantité de texte mis en tout sens. En fait, ça m'a évoqué la BD de Klou Bagarre érotique - Récits d'une travailleuse du sexe mais sauf que là, franchement, j'étais vite saturé des informations.
Ce qui est dommage, la BD est clairement intéressantes, avec des chapitres sur différents éléments de la culture capitaliste que nous vivons et ses différentes facettes. On reparle ici d'Ayn Rand et son importance capitale dans le néo-libéralisme, mais aussi des problématiques psychologiques des riches ou de la gauche, les questions sur la classe moyenne sur-représentée, etc ... Ce qui est dommage, c'est que parfois son discours clairement radical est tempéré par une volonté de ne pas taper sur des gens trop durement. Pour ma part, j'estime qu'on peut y aller franco, ça ne fait pas de mal face aux dérives de ce système qui est en train de faire crever doucement l'humanité.
C'est donc un album de BD que je ne recommande pas. Il est lourd à lire, porté par un dessin pas très beau mais surtout une mise en page très peu lisible, qui ne donne pas envie de s'y attaquer et parfois trop brouillon, au moins en apparence. Le propos a beau être intéressant et les idées franchement bonnes, je n'arrive pas à recommander la lecture parce que la mienne fut laborieuse et que je pense qu'elle le sera sans doute pour vous aussi.
Une BD étrange, qui n'a pas été sans me rappeler le livre de Frank Herbert "L'étoile et le fouet" qui parle lui aussi de l'incommunication entre êtres fondamentalement différents. Et si la BD présente pas mal de situations similaires, notamment une enquête permettant de comprendre ce qu'il en est de l'impossibilité de comprendre une autre espèce sans s'intéresser à tout ce qui le concerne (physiologie, culture, histoire ...) il est aussi vraie que la BD est étrangement dispersée.
L'histoire de la BD est lente, assez lente pour explorer plusieurs choses qui ne seront jamais vraiment développées, puisque le propos reste centré sur cet immortel, ses questionnements intérieurs et son enquête sur ces créatures étranges qui ne parviennent pas à communiquer. Sauf qu'il y a la question de son ami qui est mort sans l'avoir revu, sa copine qui le questionne sur son immobilité physiologique et qui semble avoir d'autres questionnements pas vraiment développés autour de la sexualité (que j'avoue ne pas avoir compris ni intégré au reste), et d'autres petits détails (comme la perception de l'art ou la question de la mémoire). Et franchement, je ne suis pas sur d'avoir compris le final, qui s'arrête sur une considération qu'il n'est pas facile de relier à tout le reste. Son immortalité s'arrête, pourquoi ? Qu'il puisse revivre pleinement ?
En dehors de ces questions, la BD est plutôt bien réalisée. Il y a de nombreuses thématiques qui parsèment l'ouvrage, notamment l'impossibilité de se comprendre qui touche évidemment des espèces différentes mais reste aussi palpable au niveau humain. On sent la difficulté de comprendre sincèrement l'autre, de savoir si ce qu'on comprend est réellement ce que l'autre veut dire, etc ... Le personnage principal reste aussi intéressant avec ses doutes qu'on comprend à demi-mot, sa vie qui semble si chaotique.
Bref, une BD intéressante mais pas complètement aboutie, qui m'a paru trop cryptique sur certains points mais globalement bien gérée dans l'ensemble. Une lecture que je recommande tout de même !
Comme les westerns, les récits de pirates semblent ne jamais être démodés. Ce n’est a priori pas pour me déplaire, mais cela met aussi la pression sur les auteurs, qui doivent a minima s’écarter du déjà-vu, et proposer quelque chose d’originale pour captiver un lecteur un peu blasé.
Ici je suis clairement resté sur ma faim. Jarry est un auteur hyper productif, qui multiplie les séries de genre. Il sait donc a priori bâtir une intrigue. Mais celle-ci, malgré quelques bonnes idées, ne m’a pas convaincu.
C’est semble-t-il adapté d’un jeu vidéo (que je ne connais pas). Cela explique peut-être pourquoi l’action est prioritaire sur la profondeur de l’intrigue ou la psychologie des personnages. C’est du coup un divertissement léger, qui ne va pas aller au-delà de quelques clichés ou facilités. Que les pirates soient ici dirigés par une femme, pourquoi pas ? Mais qu’elle ne soit habillée que d’un bustier me laisse circonspect : l’aspect sexy a semble-t-il prévalu sur une certaine crédibilité.
Jarry mélange des influences européennes et asiatiques (Asie du sud-est plus précisément), ce qui donne une touche originale – hélas pas forcément très ancré dans l’Histoire réelle, et donc pas exploité au maximum.
Le dessin de Pelliccia fait le boulot, mais sans plus me concernant. Dessin et colorisation en fait manquent eux aussi de profondeur, de détails.
Un album honnête, mais pas ma came.
J'ai commencé sur la foi d'un bon dessin mais j'ai laissé tomber. Le dessin qui m'a fait survoler une BD où rien n'est approfondi ni porte au rêve ? Il me sera au moins une occasion de redire de lire voire acheter et relire Le vent des dieux, et surtout, surtout, les deux cycles des Eaux de Mortelune !
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Fuck ze tourists !
Le tourisme de masse vaincra ! - Cet ouvrage est une anthologie de gags sur le thème du tourisme destructeur. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Zidrou pour le scénario, Éric Maltaite pour les dessins, la colorisation ayant été réalisée par Philippe Ory & Hosmane Benahmed. Il comprend cinquante-trois pages de bande dessinée. Ces créateurs ont également réalisé le diptyque Hollywoodland (Maltaite/Zidrou) (2022 & 2023), ainsi que L'Instant d'après (2020). Venise : un couple de touristes tire leur valise à roulettes, perdus dans les ruelles, à la recherche du port où est amarré leur paquebot M.S.T. (Marine Solidaire Tantrique). Le mari se plaint du poids de sa valise, et son épouse explique qu’elle contient le gorgonzola qu’elle a acheté pour remercier la voisine d’avoir nourri leurs perruches et fouiné partout dans la maison. Soudain le monsieur repère une gondole abandonnée, et ils montent dedans, le mari se chargeant de manier la rame. Il demande à son épouse de chercher le grand canal sur Gougle Maps, c’est leur A7 à eux. Elle ne parvient pas à lire la réponse qui affiche Canale grand di Venezia. Elle opte pour taper leur adresse en France, pour rejoindre leur pavillon en gondole. Ils sont interceptés par un commando du groupe terroriste FZT. Au Machu-Picchu, deux lamas regardent la foule de touristes, tout en se faisant photographier. L’un demande à l’autre, ce qu’il y a de plus bête qu’un touriste. Réponse 2.789 touristes. Il développe son propos critique : Mais regarde-moi ces trépanés du cervelet. Franchement ! Grimper à 2.340 mètres au-dessus du niveau de la mer pour tomber aussi bas ! Y a que des ruines, ici ! Des ruines qui visitent d’autres ruines. Une civilisation perdue qui visite une autre civilisation perdue. C’est bon, ils ont leurs selfies pouraves avec le site du Machu-Picchu en arrière-plan, et eux – comme il se doit – au premier plan. Ils peuvent barrer Machu-Picchu de leur To do list. Et remonter dans leur avion low-cost, pour retrouver leur vie Lacoste dans leur pays : en Egoland. Non sans avoir au préalable acheté à l’aéroport une peluche de condor Made in China pour leur gamine qui en leur absence a nourri les plantes et arrosé le chat. Route d’accès à la station de ski Val d’Hiver, un groupe des trois amies monte vers la station en voiture, tout en commençant à regretter de ne pas avoir mis de chaînes. Elles doivent s’arrêter devant un barrage de police. Elles sortent de voiture, et une policière leur explique qu’il a plu à monsieur Fusk de privatiser Val d’Hiver pour son bon plaisir et celui de sa 11e épouse. Il a privatisé toute la station, pour un budget correspondant à l’équivalent du P.I.B. du Mali… sauf qu’il n’y a pas une montagne digne de ce nom au Mali. Les trois copines demandent s’il a également privatisé le téléphérique de la Grande Chartreuse, le spa du Magic Hotel, la terrasse du restaurant panoramique du Mont Beige. La réponse est sans équivoque, tout est privatisé, et une flottille de drones a été déployée pour repérer les immigrants clandestins. Une bande dessinée éditée par Fluide Glacial, un titre sciemment provocateur (dont les initiales forment l’acronyme FZT, le nom du groupe terroriste anti-touristes), une illustration clairement critique de cette race de décérébrés, avec la représentation de ce couple apparaissant au mieux comme des imbéciles heureux qu’il convient d’exterminer. Les auteurs s’inscrivent avec énergie dans le registre comique associé à cet éditeur et au mensuel afférent, y faisant même une référence explicite. Un touriste explique qu’à Auschwitz-Birkenau, il faut payer un supplément pour entrer dans les chambres à gaz depuis qu’un vandale a tagué : Fluide Glacial umour et bandessinées disponible en kiosque tous les mois. S’il est un habitué de la sensibilité humaniste du scénariste, le lecteur peut s’attendre à un choc en découvrant un humour réellement mordant. En phase avec cette démarche, l’artiste ne ménage pas l’apparence visuelle des différents touristes : gras du bide, habillés de manière voyante et vulgaire, ou au contraire aguichante pour un selfie, avec souvent des expressions de visages trahissant un QI bas du front, leur condescendance pleine de morgue, leur entrain pour consommer des paysages et des lieux avec une appétence proche de la dévoration, et une suffisance sans limite. Chaque lecteur se retrouve à se reconnaître dans un comportement ou un autre. Accablant. Dans le même temps, les auteurs font preuve d’une forme d’empathie envers ces touristes au comportement crétin et destructeur, irresponsable. D’accord, le couple de quadragénaires ou quinquagénaires à Venise se sent supérieur avec une légitimité à être traité prioritairement sur les autochtones : leur condition de touriste implique que leur environnement existe pour satisfaire leurs exigences d’exotisme, et doit se conformer à leurs attentes. Toutefois, ils apparaissent sympathiques, constructifs dans leurs actions pour pouvoir jouir de leur voyage, totalement vulnérables quand ils se retrouvent dans la situation dépeinte sur la couverture. La deuxième histoire est racontée du point de vue de deux lamas, qui suscitent également la sympathie du lecteur, mais c’est un peu différent, pas vraiment des touristes. Dans la troisième histoire, les trois jeunes femmes sont fort sympathiques, cherchant juste à skier, profondément et sincèrement choquées qu’un seul individu puisse privatiser une grande station de ski. Impossible d’éprouver de la sympathie pour le troupeau de touristes venus assister au débarquement de migrants dans une embarcation de fortune. En revanche, impossible de se retenir d’en éprouver une pointe pour ce couple souhaitant photographier le dernier rhinocéros vivant au monde, pour le collectionneur de guides du Routard, pour la ribambelle de gugusses souhaitant réaliser un selfie souvenir qui en mettra plein la vue à leurs amis, avec eux au premier plan, et le site remarquable en arrière-plan… et pourtant leur comportement est insupportable, tout en étant simplement humain. L’illustration de couverture rend évident le talent de l’artiste pour croquer des individus normaux, avec une touche caricaturale, que ce soit la bouille ronde et bonhomme de monsieur, ou le double menton et les bijoux massifs et en toc de madame. Ce dosage entre détails réalistes et exagération rend chaque personnage très vivant, que ce soit les acharnés de la photographie ou du selfie, le mari fier de sa moustache et de son chapeau safari, Chantal qui fait penser à Mademoiselle Jeanne, le petit groupe de Belges joueurs de pétanque, la jolie guide blonde touristique maniant le pistolet à bord du bus de touristes, les vieilles dames âgées touristes aussi avides que les autres, la quinquagénaire plantureuse qui pose ses seins dénudés sur la table pour faire admirer les tatouages qui les ornent, le couple homosexuel passant en revue les options de destination dans une agence de voyage (sans S), etc. Le lecteur constate rapidement que le dessinateur réalise des planches avec un fort niveaux de détails, donnant à voir chaque lieu avec des éléments visuels consistants, attestant d’un vrai travail de recherche de référence, de repérage. Il est possible de voir les gondoles et les canaux de la cité des doges, et aussi les quais, les façades, le type de lampadaires, etc. L’histoire sur la station de ski permet d’admirer l’implantation des chalets et des installations sur la montagne, un téléphérique, le spa en plein air d’un hôtel, etc. La visite de Barcelone montre la Sagrada Familia, le Mercat, la façade du grand théâtre du Liceu, le quartier gothique, la plage. L’avant-dernière histoire offrent de magnifiques cases de balades dans la campagne française. Etc. La verve comique des deux auteurs repose sur une attaque virulente du tourisme de masse et de ses ravages. Ils réagissent en créant des situations aussi énormes que ce phénomène, allant jusqu’à l’absurde. Le lecteur apprécie qu’ils se lâchent ainsi : un groupe terroriste dézinguant les touristes pour préserver leur environnement quotidien de cette horde d’envahisseurs sans cesse renouvelée, la privatisation d’une station de ski de grande envergure, le débarquement de migrants transformé en spectacle pour touristes, la réplique grandeur nature visitable de la statue de la Liberté pour ne pas abîmer l’originale, les quatre-vingt-trois ans de liste d’attente avant de pouvoir visiter le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, l’île paradisiaque s’enfonçant dans les eaux sous le poids des touristes, etc. Avec une tonalité misanthrope dirigée contre cette engeance que sont les touristes en groupe, également avec une belle inventivité. Le scénariste se moque de marques bien connues au travers de détournement comme Diatribadvisor, Gougle Maps, MST (Marine Solidaire Tantrique), Cretinstagram. Il évoque des personnalités comme Elon Musk, Liliane Bettencourt, Philippe Gloaguen. Ces aventures reposent sur des phénomènes concrets, aussi bien par la fausse dérision (l’interdiction de l’usage des pailles) que par la réalité des ravages du surtourisme, la privatisation par les indécemment riches, l’immigration avec des embarcations du fortune sur la mer Méditerranée, la vague d’extinction des espèces animales, la montée des eaux, la marchandisation universelle… jusqu’à la disparition, ou plutôt l’extermination de la notion de bien commun. Rien ne peut s’opposer à la marchandisation des lieux et des populations, cette pratique abêtifie ceux qui la pratiquent en masse, s’abattant tel un fléau sur leur destination, tel un ogre dont rien ne peut arrêter la dévoration… quitte à ce qu’il périsse lui-même dans ses actions vaines pour rassasier sa faim inextinguible. Un vrai plaisir de retrouver l’humour mordant et critique de ce duo d’auteurs s’exerçant contre le touriste en groupe, la chute en flèche de son Q.I., sa conviction que tout lui est dû et tout lui est permis, et que sa destination n’existe que pour le satisfaire. Le dessinateur réalise des planches à l’équilibre parfait entre solides descriptions et exagération comique. Le scénariste pousse le curseur de l’exagération à la dimension de l’horreur du surtourisme, alors même que son humanisme lui fait conserver une sympathie pour ces êtres humains, tout en brossant le portrait d’une pratique destructrice dans un monde déjà livré aux démons du capitalisme, du manque de culture, et de l’indifférence à la souffrance humaine. Salvateur.
Une saison en Egypte
Comme d'autres avis, j'ai trouvé cette lecture bien, et puis c'est à peu près tout ... J'aime beaucoup le travail graphique de Claire Fauvel, dont je découvre la bibliographie petit à petit. C'est le dessin qui donne l'atmosphère à la BD, retranscrivant l’Égypte et son désert dans des pages qui prennent le temps de poser des pleines cases qui parsèment le récit. Récit qui, par contre, est assez étrangement rythmé. Il parle d'un jeune russe malade qui se rend en Égypte, pour soigner son corps mais surtout son âme malade. L'âme russe, donc. Le récit est curieux, avec un début qui semble se poser sur son voyage et son mensonge de poète, puis le récit bascule avec la rencontre de cette belle femme avant de partir sur une recherche à travers le désert. Dans l'ensemble, les relations se tissent entre les personnages. C'est bien amenés, rien n'est acquis jusqu'au bout et la fin n'est pas évidente au début de l'aventure. Sauf que le revers de la médaille, c'est que l'histoire reste assez anecdotique au final. J'ai lu avec plaisir, mais je pense que j'oublierais trop rapidement cette histoire qui ne laisse pas d'instant mémorable en tête. C'est juste une jolie aventure en Égypte avec une fin sympathique qui reste sur le ton "léger" de l'histoire. Je n'en tire pas plus qu'une jolie promenade et je crois bien que c'est déjà suffisant pour une lecture. Dommage qu'il n'y ait pas le petite ajout qui fasse basculer vers plus !
Lost Lad London
Un auteur est né ! La dame a un style épuré qui pourtant ne manque pas de chaire, que ce soit dans le récit ou dans le coup de trait ! Le faux coupable et le flic fatigué me plaisent bien dans leur relation à la fois distante et filiale. L'auteur sait montrer le ciel, le métro, l'appartement, des visages fins, surtout celui du jeune héros, d'une manière différente, les fait redécouvrir. Les deux personnages principaux ne sont pas des Blancs sans que pour autant on se focalise sur cette caractéristique : bien trop pris par l'intrigue pour en faire plus de cas que par le vide qui règne toujours plus ou moins dans les cases. Solitudes des personnages, esthétique, philosophie bouddhique ? En tout cas, il intrigue, plus prenant que la ville et presque que l'intrigue… Des traits si purs et un vide qui n'étouffe pas mais qui oscille entre écrin de solitude et respiration sont rares.
Gaston Lagaffe
Avec Gaston, on oscille entre rire, sourire et tendresse… Si Gaston nous libère par sa fantaisie, on aime tout le monde. Bien sûr, je dirais comme tout le monde, tous ses potes, et la mouette, et le chat, et l'instrument de musique qui fait fuir les taupes du champ des paysans où il va l'essayer. Mais aussi tout le monde, tout le monde ! Les collègues de Gaston, qui sont gentils avec lui, l'agent de police psychorigide mais pas méchant, l'homme d'affaires qui n'arrive pas à signer les contrats mais ne demande jamais qu'on saque Gaston. Et il y a le trait incisif et tendre de Franquin ! Son dynamisme. Assez de détails pour qu'on ait plaisir à relire, mais pas trop pour ne pas ralentir la lecture. Il fait aimer le moindre objet, les voitures notamment, normales, et plus encore étranges comme le char de notre héros. Les frites ? On en sent l'odeur et on a envie de les manger. Et l'idylle avec M'oiselle Jeanne. Bref, en écrivant, je me sens fondre, ce qui méritera un coup de cœur !
Beneath The Trees - Where Nobody Sees
Cet BD assez glaçante sur le fond est particulièrement colorée et guillerette sur la forme. Le dessin présente des personnages à têtes d'animaux, bien joufflus et patauds qui laissent imaginer une dégoulinade de bons sentiments. La transparence de l'aquarelle avec le léger modelé des ombres au gris de Payne, le plaisir de représenter tous les détails du quotidien : tout cela rapproche l'ambiance générale de celle d'un livre pour enfant où tu pourrais designer chaque objet en faisant deviner le mot à un tout jeune enfant... Mais dès la page 11, tu comprends que tu ne pourras pas faire lire ça à ton gamin. Une intrigue très simple finalement mais plutôt inattendue, une tension gore, des meurtres en série... c'est prenant mais la construction manque de solidité, c'est surtout l'ambiance qui est réussie. La fin est beaucoup plus convenue que le démarrage. Sans doute parce que la psychologie des personnages n'est pas si creusée qu'elle le pourrait. Les seconds rôles sont réduits à une masse de gentils nounours sans histoire ou des psychopathes dissimulés. Les deux rôles principaux sont des horribles meurtriers en série et l'auteur ne cherche pas à expliquer vraiment cette violence sans but. En réalité on est face d'une histoire absurde, on ne peut pas en tirer ni de morale ni non plus de plaisir si ce n'est celui d'avoir été berné à la page 11. (Même si tout est déjà là sur la couverture) Cela suit sans doute un modèle américain du film gore qui ne m'attire pas a priori. Le lecteur est accompagné par une voix off qui suit la pensée bizarre du personnage principal mais sans aucune trace d'humour (rien à voir avec "C'est arrivé près de chez vous" qui pourrait se définir comme un scary movie à la belge et avant tout le monde en 1992). Pour autant, je pense que ce mauvais tour me restera en mémoire.
Detroit Roma
Depuis « René·e aux bois dormants », un premier album acclamé par la critique et auréolé du Grand Prix ACDB, Elene Usdin ne s’est pas reposée sur ses lauriers. L’autrice française nous revient ici avec un ouvrage produit à quatre mains, avec Boni, quasi-inconnu dans la bande dessinée mais référencé comme « artiste pluridisciplinaire », « compositeur, scénariste, artiste visuel, multi-instrumentiste et développeur sonore ». Les deux artistes ont ainsi mis en commun leur savoir-faire graphique et scénaristique pour produire « Detroit Roma », un objet que l’on peut qualifier de monumental, à mi-chemin entre l’ « art séquentiel » cher à Will Eisner et le livre d’art, et bénéficiant de la qualité éditoriale, désormais proverbiale, de l’éditeur Sarbacane Et ce qui saute aux yeux ici, c’est bien la puissance visuelle qui se déploie sur ces pages au format à l’italienne, un choix assez logique au regard du titre, mais un format qui rappelle également le septième art, une thématique qui imprègne tout le livre. Ce dont parle « Detroit Roma » en quelques mots, c’est cette fascination des Européens pour le fameux rêve américain, en confrontation avec les histoires les plus sordides dans un pays où l’argent est roi, où la cupidité de quelques-uns conduit une vaste frange de la population au bord de la pauvreté. C’est ainsi que démarre le récit, avec l’arrivée dans un motel des deux protagonistes, Summer et Becki, avec une référence bien trouvée au cultissime « Thelma & Louise ». Issue d’une famille très modeste, Becki en sera la narratrice, évoquant son enfance difficile à Detroit, ville touchée de plein fouet par le déclin industriel, la mort de sa mère noyée dans sa baignoire ou le combat quotidien de son père pour subvenir aux besoins du foyer. Elle trouvera son salut dans sa passion pour le dessin et le « street art ». Quant à Summer, elle est son antithèse absolue en apparence. Fille d’une ancienne actrice aisée mais désormais en fin de course, elle est loin d’être dans le besoin mais cherche une échappatoire entre cette mère aigrie et alcoolique, et un père queutard se complaisant dans les orgies. Summer côtoie les milieux artistiques underground, au grand dam de sa mère. Becki, en quête de petits boulots pour pouvoir satisfaire sa passion artistique, va être recrutée par Gloria en tant qu’aide à domicile et sera amenée à faire la connaissance de Summer. Les deux jeunes filles découvriront bientôt les raisons de l’étrange complicité qui les unit. Notons que ces deux personnages sont assez réalistes psychologiquement et également touchants dans leur fragilité. On ne rentre pas si facilement dans ce récit globalement assez lent et à la narration morcelée. Mais heureusement, l’incroyable force du graphisme permet de patienter jusqu’à la moitié du livre, c’est alors que les éléments commencent à se mettre en place, avec des révélations qui pourront émouvoir les cœurs les plus sensibles. Mais clairement, c’est bien le graphisme le gros point fort de « Detroit Roma ». Le travail à quatre mains donne lieu à une succession de styles très variés mais qui mystérieusement parviennent à trouver leur équilibre et leur cohérence. On retrouve bien la patte d’Elene Usdin avec son art maîtrisé de la couleur dont elle avait fait preuve avec « Renée aux bois dormants ». On pourra en déduire que les séquences monochromes, plus sombres, ont été réalisées par Boni. Les séquences cinématographiques, contemplatives et plus « optimistes », avec moult références au cinéma hollywoodien ou italien du XXe siècle (Fellini, Pasolini, Jarmusch, Cassavetes, Coppola ou encore Wim Wenders), mais également à la Rome antique, s’enchaînent avec les scènes plus âpres, teintés d’onirisme, où souvent la violence et l’anxiété entrent en jeu. Mais au-delà des représentations clichées (et pleinement assumées) de l’Amérique des grands espaces, des drive-in et de l’imaginaire collectif, Usdin transcende par sa palette arc-en-ciel un monde où le bonheur résiderait, à tort ou à raison, dans le clinquant consumériste. Sous son pinceau, elle parvient à rendre « artistique » un très moche rayonnage de supermarché ou une zone commerciale hérissée d’enseignes KFC ou H&M. Et ça, c’est très fort, et ça rappelle un peu ce qu’avait fait Edward Hopper avec son célèbre tableau « Essence ». Dans cette Amérique sans passé, les constructions, souvent délabrés, prennent parfois des airs de décors de cinéma, dégageant un sentiment de grande solitude. Ponctuant la narration, les portraits en esquisse d’anonymes d’une Amérique pré-trumpiste, loin des spots, confèrent un côté authentique à l’objet. Si « Detroit Roma », incontestablement un ouvrage qui marquera cette année 2025 (un OVNI peut-être, mais pas pour autant hermétique), confirme le talent d’Elene Usdin, il révélera aussi celui de Boni, dont c’est la première incursion dans le neuvième art. Ce road trip dense et visuellement généreux comblera sans aucun doute les cinéphiles, mais aussi celles et ceux qui aiment l’ « Amérique » pour ce qu’elle est — ou plus précisément ce qu’elle a été, étant donné le contexte actuel —, avec ses qualités et ses travers. Celles et ceux qui savent qu’à côté des rêves les plus ostentatoires, le cauchemar demeure en embuscade, et parfois vient gangréner toute une société.
Grandeur et décadence
Je suis vraiment pas sur de ce que je dois penser de Liv Strömquist. J'aime son discours, je suis complètement d'accord avec ses idées, j'aime la façon dont elle lie les thématiques de lutte sociale, écologie, féminisme et anti-capitalisme. Mais en même temps, je dois avouer que je me suis emmerdé à la lecture. Et c'est un problème ... Si je dois être honnête, ma lecture a été lente et surtout j'ai sauté quelques passages, n'ayant pas envie de m'infliger ça. La raison, c'est que Strömquist a un style de dessin que je qualifierais de bordélique. Rien que les quelques pages visibles en galerie donnent le ton, c'est plein de textes en tout sens avec quelques personnages pas très bien dessinés en plein milieu. C'est vite illisible à mes yeux et plusieurs fois j'ai vu des pages que je n'avais pas envie de lire, fatigué d'avance de la quantité de texte mis en tout sens. En fait, ça m'a évoqué la BD de Klou Bagarre érotique - Récits d'une travailleuse du sexe mais sauf que là, franchement, j'étais vite saturé des informations. Ce qui est dommage, la BD est clairement intéressantes, avec des chapitres sur différents éléments de la culture capitaliste que nous vivons et ses différentes facettes. On reparle ici d'Ayn Rand et son importance capitale dans le néo-libéralisme, mais aussi des problématiques psychologiques des riches ou de la gauche, les questions sur la classe moyenne sur-représentée, etc ... Ce qui est dommage, c'est que parfois son discours clairement radical est tempéré par une volonté de ne pas taper sur des gens trop durement. Pour ma part, j'estime qu'on peut y aller franco, ça ne fait pas de mal face aux dérives de ce système qui est en train de faire crever doucement l'humanité. C'est donc un album de BD que je ne recommande pas. Il est lourd à lire, porté par un dessin pas très beau mais surtout une mise en page très peu lisible, qui ne donne pas envie de s'y attaquer et parfois trop brouillon, au moins en apparence. Le propos a beau être intéressant et les idées franchement bonnes, je n'arrive pas à recommander la lecture parce que la mienne fut laborieuse et que je pense qu'elle le sera sans doute pour vous aussi.
Les Derniers jours d'un immortel
Une BD étrange, qui n'a pas été sans me rappeler le livre de Frank Herbert "L'étoile et le fouet" qui parle lui aussi de l'incommunication entre êtres fondamentalement différents. Et si la BD présente pas mal de situations similaires, notamment une enquête permettant de comprendre ce qu'il en est de l'impossibilité de comprendre une autre espèce sans s'intéresser à tout ce qui le concerne (physiologie, culture, histoire ...) il est aussi vraie que la BD est étrangement dispersée. L'histoire de la BD est lente, assez lente pour explorer plusieurs choses qui ne seront jamais vraiment développées, puisque le propos reste centré sur cet immortel, ses questionnements intérieurs et son enquête sur ces créatures étranges qui ne parviennent pas à communiquer. Sauf qu'il y a la question de son ami qui est mort sans l'avoir revu, sa copine qui le questionne sur son immobilité physiologique et qui semble avoir d'autres questionnements pas vraiment développés autour de la sexualité (que j'avoue ne pas avoir compris ni intégré au reste), et d'autres petits détails (comme la perception de l'art ou la question de la mémoire). Et franchement, je ne suis pas sur d'avoir compris le final, qui s'arrête sur une considération qu'il n'est pas facile de relier à tout le reste. Son immortalité s'arrête, pourquoi ? Qu'il puisse revivre pleinement ? En dehors de ces questions, la BD est plutôt bien réalisée. Il y a de nombreuses thématiques qui parsèment l'ouvrage, notamment l'impossibilité de se comprendre qui touche évidemment des espèces différentes mais reste aussi palpable au niveau humain. On sent la difficulté de comprendre sincèrement l'autre, de savoir si ce qu'on comprend est réellement ce que l'autre veut dire, etc ... Le personnage principal reste aussi intéressant avec ses doutes qu'on comprend à demi-mot, sa vie qui semble si chaotique. Bref, une BD intéressante mais pas complètement aboutie, qui m'a paru trop cryptique sur certains points mais globalement bien gérée dans l'ensemble. Une lecture que je recommande tout de même !
Skull & Bones
Comme les westerns, les récits de pirates semblent ne jamais être démodés. Ce n’est a priori pas pour me déplaire, mais cela met aussi la pression sur les auteurs, qui doivent a minima s’écarter du déjà-vu, et proposer quelque chose d’originale pour captiver un lecteur un peu blasé. Ici je suis clairement resté sur ma faim. Jarry est un auteur hyper productif, qui multiplie les séries de genre. Il sait donc a priori bâtir une intrigue. Mais celle-ci, malgré quelques bonnes idées, ne m’a pas convaincu. C’est semble-t-il adapté d’un jeu vidéo (que je ne connais pas). Cela explique peut-être pourquoi l’action est prioritaire sur la profondeur de l’intrigue ou la psychologie des personnages. C’est du coup un divertissement léger, qui ne va pas aller au-delà de quelques clichés ou facilités. Que les pirates soient ici dirigés par une femme, pourquoi pas ? Mais qu’elle ne soit habillée que d’un bustier me laisse circonspect : l’aspect sexy a semble-t-il prévalu sur une certaine crédibilité. Jarry mélange des influences européennes et asiatiques (Asie du sud-est plus précisément), ce qui donne une touche originale – hélas pas forcément très ancré dans l’Histoire réelle, et donc pas exploité au maximum. Le dessin de Pelliccia fait le boulot, mais sans plus me concernant. Dessin et colorisation en fait manquent eux aussi de profondeur, de détails. Un album honnête, mais pas ma came.
L'Impératrice rouge
J'ai commencé sur la foi d'un bon dessin mais j'ai laissé tomber. Le dessin qui m'a fait survoler une BD où rien n'est approfondi ni porte au rêve ? Il me sera au moins une occasion de redire de lire voire acheter et relire Le vent des dieux, et surtout, surtout, les deux cycles des Eaux de Mortelune !