Je suis vraiment pas sur de ce que je dois penser de Liv Strömquist. J'aime son discours, je suis complètement d'accord avec ses idées, j'aime la façon dont elle lie les thématiques de lutte sociale, écologie, féminisme et anti-capitalisme. Mais en même temps, je dois avouer que je me suis emmerdé à la lecture. Et c'est un problème ...
Si je dois être honnête, ma lecture a été lente et surtout j'ai sauté quelques passages, n'ayant pas envie de m'infliger ça. La raison, c'est que Strömquist a un style de dessin que je qualifierais de bordélique. Rien que les quelques pages visibles en galerie donnent le ton, c'est plein de textes en tout sens avec quelques personnages pas très bien dessinés en plein milieu. C'est vite illisible à mes yeux et plusieurs fois j'ai vu des pages que je n'avais pas envie de lire, fatigué d'avance de la quantité de texte mis en tout sens. En fait, ça m'a évoqué la BD de Klou Bagarre érotique - Récits d'une travailleuse du sexe mais sauf que là, franchement, j'étais vite saturé des informations.
Ce qui est dommage, la BD est clairement intéressantes, avec des chapitres sur différents éléments de la culture capitaliste que nous vivons et ses différentes facettes. On reparle ici d'Ayn Rand et son importance capitale dans le néo-libéralisme, mais aussi des problématiques psychologiques des riches ou de la gauche, les questions sur la classe moyenne sur-représentée, etc ... Ce qui est dommage, c'est que parfois son discours clairement radical est tempéré par une volonté de ne pas taper sur des gens trop durement. Pour ma part, j'estime qu'on peut y aller franco, ça ne fait pas de mal face aux dérives de ce système qui est en train de faire crever doucement l'humanité.
C'est donc un album de BD que je ne recommande pas. Il est lourd à lire, porté par un dessin pas très beau mais surtout une mise en page très peu lisible, qui ne donne pas envie de s'y attaquer et parfois trop brouillon, au moins en apparence. Le propos a beau être intéressant et les idées franchement bonnes, je n'arrive pas à recommander la lecture parce que la mienne fut laborieuse et que je pense qu'elle le sera sans doute pour vous aussi.
Une BD étrange, qui n'a pas été sans me rappeler le livre de Frank Herbert "L'étoile et le fouet" qui parle lui aussi de l'incommunication entre êtres fondamentalement différents. Et si la BD présente pas mal de situations similaires, notamment une enquête permettant de comprendre ce qu'il en est de l'impossibilité de comprendre une autre espèce sans s'intéresser à tout ce qui le concerne (physiologie, culture, histoire ...) il est aussi vraie que la BD est étrangement dispersée.
L'histoire de la BD est lente, assez lente pour explorer plusieurs choses qui ne seront jamais vraiment développées, puisque le propos reste centré sur cet immortel, ses questionnements intérieurs et son enquête sur ces créatures étranges qui ne parviennent pas à communiquer. Sauf qu'il y a la question de son ami qui est mort sans l'avoir revu, sa copine qui le questionne sur son immobilité physiologique et qui semble avoir d'autres questionnements pas vraiment développés autour de la sexualité (que j'avoue ne pas avoir compris ni intégré au reste), et d'autres petits détails (comme la perception de l'art ou la question de la mémoire). Et franchement, je ne suis pas sur d'avoir compris le final, qui s'arrête sur une considération qu'il n'est pas facile de relier à tout le reste. Son immortalité s'arrête, pourquoi ? Qu'il puisse revivre pleinement ?
En dehors de ces questions, la BD est plutôt bien réalisée. Il y a de nombreuses thématiques qui parsèment l'ouvrage, notamment l'impossibilité de se comprendre qui touche évidemment des espèces différentes mais reste aussi palpable au niveau humain. On sent la difficulté de comprendre sincèrement l'autre, de savoir si ce qu'on comprend est réellement ce que l'autre veut dire, etc ... Le personnage principal reste aussi intéressant avec ses doutes qu'on comprend à demi-mot, sa vie qui semble si chaotique.
Bref, une BD intéressante mais pas complètement aboutie, qui m'a paru trop cryptique sur certains points mais globalement bien gérée dans l'ensemble. Une lecture que je recommande tout de même !
Comme les westerns, les récits de pirates semblent ne jamais être démodés. Ce n’est a priori pas pour me déplaire, mais cela met aussi la pression sur les auteurs, qui doivent a minima s’écarter du déjà-vu, et proposer quelque chose d’originale pour captiver un lecteur un peu blasé.
Ici je suis clairement resté sur ma faim. Jarry est un auteur hyper productif, qui multiplie les séries de genre. Il sait donc a priori bâtir une intrigue. Mais celle-ci, malgré quelques bonnes idées, ne m’a pas convaincu.
C’est semble-t-il adapté d’un jeu vidéo (que je ne connais pas). Cela explique peut-être pourquoi l’action est prioritaire sur la profondeur de l’intrigue ou la psychologie des personnages. C’est du coup un divertissement léger, qui ne va pas aller au-delà de quelques clichés ou facilités. Que les pirates soient ici dirigés par une femme, pourquoi pas ? Mais qu’elle ne soit habillée que d’un bustier me laisse circonspect : l’aspect sexy a semble-t-il prévalu sur une certaine crédibilité.
Jarry mélange des influences européennes et asiatiques (Asie du sud-est plus précisément), ce qui donne une touche originale – hélas pas forcément très ancré dans l’Histoire réelle, et donc pas exploité au maximum.
Le dessin de Pelliccia fait le boulot, mais sans plus me concernant. Dessin et colorisation en fait manquent eux aussi de profondeur, de détails.
Un album honnête, mais pas ma came.
J'ai commencé sur la foi d'un bon dessin mais j'ai laissé tomber. Le dessin qui m'a fait survoler une BD où rien n'est approfondi ni porte au rêve ? Il me sera au moins une occasion de redire de lire voire acheter et relire Le vent des dieux, et surtout, surtout, les deux cycles des Eaux de Mortelune !
Voilà ! J'ai achetu, j'ai lu, j'ai adoru !
C'est vraiment génial ce truc. Cette BD a rempli sa fonction plus que bien. En effet, je cherchai un truc facile, pas chiant, récréatif, prenant... Et bien ça coche toutes les cases. Le scénario est bien mené, même si classique, guidé (c'est un "remake" des 7 mercenaires, en effet), les personnages tous bien campés, il y a de l'humour jusque dans le titre, du rythme, des dialogues décalés, un dessin sympatoche, un contexte historique dense qui mine de rien apporte une profondeur qu'on n'attendait pas.
En ce moment, je suis aussi en train d'essayer de lire Tongues (le tome 1) dont la lecture s'avère plus que douloureuse (j'ai mal rien que de le voir sur ma table de chevet, avec son petit marque page coincé à la page 80), et ben franchement, ce tome 1 de Knight Club (quel titre !) a beau être plus consensuel, donc supposément "facile", par conséquent peut-être moins expérimental, ben y a pas photo : c'est autrement plus cool. C'est presque l'antithèse. Alors des fois, quand j'me dis que j'ai des goûts quand même élitistes (si si, ça fait chier de le dire, mais on me l'a déjà dit - je trouve d'ailleurs ça nul de faire cette différence entrer les trucs d'avant gââârde d'un côté, et le reste), et bien je pense à ça, ou à Bouzard, et je réalise qu'on s'en balec : moi, je préférerai toujours un bon truc bien torché et plus grand-public comme ce Knight Club que LE truc qui "casse tous les codes du moment", mais nettement plus imbitable !
Bref ! On s'en fout. Knight Club, c'est excellent et prometteur. J'attend la suite avec une rare ferveur.
Merci M'sieur de Pins (sans rire ?) !
Le dessin n'est pas terrible mais il ratisse large. Et l'histoire me parait idéale pour montrer que l'homosexualité ne fait pas des personnes concernées des gens pires que les autres, et que cerise sur le gâteau, on ne devient pas gay parce qu'on fréquente l'ancien compagnon de son frère décédé. Pour cela, il me semble bien que l'ingénu soit vraiment ingénu. Celui qui apprend ne sait vraiment rien : on prend les choses à zéro. Cela fait écho à tous les romans d'apprentissage type Perceval qui voyant des chevaliers croit croiser des anges ! De façon plus moderne, dans Les gouttes de dieu, un des héros ne connaît rien de rien au vin, vraiment rien… Cependant, ici il n'est pas question de pratiquer la chevalerie, la dégustation ou… l'homosexualité. Non, il s'agit de comprendre rétrospectivement son frère qui était gay, et pour cela, de s'informer sur l'homosexualité !
C'est un apprentissage autour d'une relation manquée et de la mémoire, ce qui sous des abords un peu lisse sature tout de même le récit de tristesse. Heureusement, il y a la fillette ! Avec son regard d'enfant, elle ne voit pas de mal à ce qu'on s'aime de façon non hétérosexuelle. Et puis pour elle, le géant canadien est un peu distrayant, il faut le dire ! Je ne trouve pas qu'avoir choisi une fillette soit lâche, type un garçon pourrait vouloir devenir, au secours, un inverti ! Je signale que les femmes existent, eh oui, et que si on suit la logique voir des homos rend homo, elle pourrait avoir l'idée de se lancer dans le saphisme. Non mais ! En fait, je pense que c'est une fillette par soucis d'équilibrer. Ce personnage : un enfant face aux adultes, une fille face aux garçons. L'équilibre, ça compte, surtout en Orient, le ying et le yang, le ciel et la terre, les saisons n'y sont pas que des motifs décoratifs.
Touche finale, je pense que la bd se coule certes dans la lutte plus générale des droits des minorités mais fait aussi ressortir la tradition du Japon en rien hostile à l'homosexualité décriée par les Occidentaux quand ils l'ont vue tout à fait assumée dans le pays, même si par désir de ne pas prendre la tête du lecteur novice, on n'en dit rien. A chaque œuvre suffit sa peine, ici, on dégrossit !
Le scénario est très bon. Sans spoiler, on peut dire que le voisin tordu a une très bonne raison pour inventer les sept défis gourmands ! Même sans cela, les défis me plaisent tous. Par exemple faire retrouver la mémoire ! Qu'on peut voir prélude à faire retrouver quelque chose au voisin organisateur des défis. Ce dernier, ambiguë, fait à la fois une bonne et une mauvais action. Bonne : il invite des gens au restaurant à qui il rend service, voire est carrément leur bienfaiteur ! Mais pour le chef, il s'agit de défis quasiment impossibles. Le dessin a à la fois une certaine rondeur et du dynamisme, tous les personnages possèdent une vraie personnalité. Et les plats ? Nous les voyons inventés puis goutés par les clients d'une façon qui donne sinon le goût, une sorte de jouissance à imaginer leur splendeur gustative. Une bd que j'ai acheté et que je lis parfois quand je suis triste : remonte le moral. Je m'en vais relever la note comme on ajoute un ingrédient qui manque, tiens !
Mais la tentation était telle qu'elle finit par vaincre toute crainte.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s'agit d'une adaptation en bande dessinée du roman L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde (1886), Robert Louis Stevenson (1850-1894), réalisée par Lorenzo Mattotti, dessins et couleurs, avec l'aide de Jerry Kramsky pour le scénario. Elle comporte soixante-deux pages de BD. L'ouvrage commence par la dédicace de l'artiste à Alberto Breccia (1919-1993). Il se termine avec une postface illustrée, de six pages, écrites par Michel Archimbaud, et cinq pages d'esquisses.
L’ombre déformée et agrandie d’Edward Hyde se projette sur les murs des rues, alors qu’il court dans la nuit. Dans le même temps, Harry Jekyll se dit qu’il ne ressent qu’horreur, horreur pour ce terrible lien, avec cette espèce d’animal. Il les perdra. Ils sont pareils à des bêtes féroces, dans des labyrinthes toujours plus vastes. Alors que Hyde marche d’un bon pas avec sa canne, une jeune femme marche vivement sur le trottoir perpendiculaire, des pas innocents dans le brouillard, un corps plein d’énergie vitale dans un guet-apens. Elle arrive au coin et le corps massif de Hyde lui barre le chemin. Elle lui demande de la laisser passer, car son père ne va pas bien et elle doit aller chercher le docteur. L’autre en profite, voyant qu’on l’a envoyée toute seule. Il la saisit par les cheveux, et commence à lui asséner des coups avec sa canne, puis il la piétine. Des passants voient la scène et le reconnaissent pour un monstre. Hyde prend la fuite, pendant les gens entourent la jeune fille à terre, atterrés par ses blessures, faisant appeler un docteur. Enfin Hyde rejoint la demeure de Jekyll et il s’enferme dans son laboratoire, mais les bruits ont été entendus par Poole, le majordome de Jekyll. Il appelle le notaire Gabriel John Utterson en lui demandant de venir.
C’était un soir glacial et venteux de mars, avec un maigre croissant de Lune couché sur le dos, comme renversé par le vent dans une fuite de nuages effilochés et diaphanes. Utterson ne se rappelait pas avoir jamais vu ce quartier de la ville aussi désert. Mais à cet instant, il eut désiré le contraire. Jamais dans sa vie, il n’avait ressenti un aussi profond besoin de ses semblables, de les avoir visibles et tangibles autour de lui, car malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à se débarrasser d’un accablant pressentiment de malheur. Le notaire arrive au domicile de Harry Jekyll et frappe à la porte. Poole lui ouvre et lui explique qu’il y a quelque chose qui ne va pas, qui ne tourne pas rond. Il pense qu’il y a eu un meurtre. Il prend le manteau d’Utterson et il le prie de le suivre. Ils sortent dans la cour et se rendent au bâtiment abritant le laboratoire du docteur. Poole frappe à la porte annonçant le notaire, et une voix à l’intérieur crie qu’il ne veut voir personne. Utterson trouve la voix du docteur changée. Poole renchérit qu’elle est plus que changée, qu’il n’a pas passé vingt ans dans cette maison pour ne pas savoir la reconnaître, et ce n’est pas celle de son maître. De même il lui demande d’écouter les pas qui se font entendre, et ce ne sont pas ceux de son maître. Utterson en convient : ils sont étrangement agiles et légers. La conclusion s’impose : monsieur Hyde fréquente encore cette maison.
Plusieurs choses ont pu attirer le lecteur : le plaisir de découvrir ce roman classique sous la forme d’une bande dessinée, ou le plaisir de découvrir une interprétation visuelle d’une histoire qui lui tient à cœur s’il la connaît déjà, ou encore un amour de la narration visuelle de l’artiste. Celui-ci a marqué le monde la bande dessinée, avec des ouvrages comme Feux & Murmure , respectivement parus en 1984 et 1989, le second réalisé avec Jerry Kramsky (nom de plume de Fabrizio Ostani). Il a donc choisi d’adapter un célèbre roman avec l’aide d’un coscénariste. En fonction de sa familiarité avec l’œuvre originale, le lecteur peut déceler quelques différences. Le début commence avec Hyde, et non pas avec Utterson et Richard Enfield, suivi par un retour en arrière. Les auteurs rendent plus explicites les relations de Hyde avec les femmes, avec la mise en scène de plusieurs dont Frau Elda, et quelques prostituées. Il y a donc bien adaptation, et le résultat relève de la bande dessinée, et non pas du texte illustré, même s’ils ont conservé une partie du flux de pensée de Jekyll, dans des cartouches apposés dans certaines cases.
Dès la première page, le lecteur retrouve l’usage de couleurs vives par l’artiste, sa marque de fabrique depuis Feux (Mattotti). L’ombre de Hyde, d’un noir dense, est d’autant plus monstrueuse qu’elle contraste fortement avec un rouge intense ou un orange soutenu. Ces teintes vives peuvent se comprendre comme l’expression des émotions qui animent les individus vivant dans la cité, et les plus vives peuvent aussi s’envisager comme étant les émotions paroxystiques bouillonnant au sein d’Edward Hyde, des pulsions d’une force indicible, sans aucune retenue, nullement sublimées, animales. Il se souvient de la déclaration d’intention et du credo de l’artiste exprimé par le personnage d’Absinthe dans Feux. Les couleurs sont autant de feux dans le noir qui échauffent l’esprit, et cette nuit-là il passe de l’autre côté, dans une région où les choses sont comme on les sent. Absinthe avait tué pour défendre ses émotions et il était incapable de distinguer la raison de l’instinct. La nouvelle façon de voir les choses par Absinthe va provoquer la ruine de ses coéquipiers, et les couleurs le brûlent toujours plus. Dans cette adaptation, les couleurs remplissent la même fonction : elles constituent les signes des émotions, de ces forces de vie qui animent littéralement l’être humain. Le lecteur peut voir les couleurs les plus vives comme le reflet de l’intensité terrible des émotions de Hyde. Il peut voir les couleurs un peu moins soutenues comme l’expression des émotions des autres personnages, la façon dont ils projettent leur ressenti sur ce qui les entourent, mais aussi l’émotion qui a animé un créateur pour réaliser une robe, un meuble, de la musique. Le récit déborde alors d’émotions et de sensations.
L’histoire de ce docteur est bien connue et le lecteur peut retrouver dans cette adaptation les principales interprétations comme l’incarnation de la désinhibition de l’individu laissant libre cours à ses bas instincts, comme le sadisme, l’absence d’empathie, le refus de toute limite, de toute contrainte, la schizophrénie, la dépendance. Il retrouve également un récit éminemment moral, avec des caractéristiques manichéennes : au fur et à mesure qu’il cède à ses pulsions, l’apparence d’Edward Hyde devient plus bestiale, plus monstrueuse, plus laide. Le mode de dessin atténue un peu cette dernière caractéristique car les personnages ne correspondent pas aux canons de la beauté, même la séductrice Frau Elda. Les représentations de l’être humain comportent des traces de formes géométriques, sans aller jusqu’au cubisme, et de surréalisme qui déforment discrètement les visages et les silhouettes. Les silhouettes peuvent devenir des formes ondulantes pour accompagner la grâce de la séduction, ou la vivacité d’une attaque physique. Les proportions du corps humains peuvent se trouver altérées, une tête avec une dimension exagérée et de petites mains, pour attirer l’attention sur un individu tout entier dans sa façon de voir les choses, et pas dans l’action ou la réalisation. Les perspectives sont faussées par moment pour attirer l’attention sur l’état d’esprit du personnage qui déforme sa perception de la réalité, qui voit son environnement au travers de ses émotions, et plus au travers d’une analyse rationnelle.
Dans cette adaptation, Edward Jekyll vole la vedette de chaque scène par sa silhouette fluide, ses expressions agressives, fourbes, sadiques, de jouissance, la noirceur de sa veste et de son pantalon qui semble ne laisser filtrer aucune émotion, et son visage blanc qui semble les absorber toutes. En l’observant, le lecteur voit un individu animé d’uniquement deux objectifs : satisfaire ses pulsions, et survivre. Il n’y a pas de plaisir dans son comportement, pas de tranquillité, ni même de réelle satisfaction si ce n’est dans l’instant quand il peut totalement se laisser aller à une pulsion. Par exemple, quand il frappe sans relâche la jeune fille allant chercher un docteur pour son père, quand il peut boire sans modération, danser sans retenue, se livrer à des pratiques sexuelles sadiques, frapper un infirme, tuer un chien, se jeter sur une femme pour une relation allant vers la dévoration, etc. C’est un individu qui est tout entier dans l’instant présent, son instinct lui permettant de fuir à temps, sans aucune velléité de construire, de se projeter dans l’avenir proche ou à plus long terme, dépourvu de toute forme d’empathie à l’exception de la perception du désir sexuel, et de la souffrance d’autrui. Jekyll commente que Hyde buvait, avec une avidité bestiale, à la souffrance des autres. Ses actes sont condamnés par la morale de la société dans laquelle il vit, ce qui apparaît dans les réactions des personnes qui le croisent, et dans les commentaires de Harry Jekyll très conscient de des crimes que commet son alter ego, et ni la satisfaction, ni la satiété ne lui sont accessibles.
L’auteur avec son coscénariste se livre à un véritable travail d’adaptation, aménageant quelques scènes, supprimant quelques personnages et intégrant d’autres non présents dans le roman. La narration graphique de l’artiste reste dans un registre expressionniste, adapté à la bande dessinée, au travers des formes et surtout de l’usage des couleurs. Le récit reste ancré dans une forme moraliste, tout en exprimant les différentes interprétations possibles : sociale ou psychanalytique. L’hypocrisie sociale de la société victorienne, le dédoublement de la personnalité, les phases d’euphorie et d’abattement d’un toxicomane, l’absence de retenue ou de maîtrise de ses émotions qui ne sont plus que des pulsions.
Une belle découverte que ce "Le Marquis d'Anaon". Une serie de cinq albums, ils peuvent se lire indépendamment les uns des autres (une histoire par tome), mais je conseille tout de même l'ordre de parution.
On va suivre les aventures de Jean-Baptiste Poulain, le fameux Marquis d'Anaon (Anaon est un mot breton qui désigne l'ensemble des âmes des défunts et le lieu où elles se retrouvent), un jeune homme en avance sur son époque (esprit scientifique) et au passé brumeux. Des aventures qui lorgnent sur le polar avec pour pimenter les intrigues quelques légendes d'un autre temps. Fabien Vehlman a la judicieuse idée de choisir le siècle des Lumière, celui-ci promouvait le rationalisme et le libéralisme, des outils qu'utilisera notre Marquis pour combattre l'obscurantisme et la superstition.
Un ensemble qui fonctionne bien malgré la faible pagination des albums (48 pages) pour bâtir des récits qui tiennent la route. Des récits sombres où la mort sera un compagnon de route de notre Marquis, il fera face à des tueurs en série, à une épidémie et à une bête sanguinaire.
Un peu de frustration tout de même de quitter notre Marquis et de ne pas en savoir plus sur son mystérieux passé.
Mathieu Bonhomme nous propose un dessin clair, aéré, au trait précis et à la très belle colorisation. Un ensemble qui rend hommage à cette période historique.
Une mise en page classique.
Du très bon boulot.
Un 4 étoiles un peu généreux pour une série qui vaut le détour.
J’avais inégalement apprécié mes précédentes lectures de Gaëlle Geniller, et cet album, que j’ai pourtant entamé avec un a priori positif, s’est finalement révélé décevant.
Esthétiquement c’est intéressant, plutôt agréable, malgré des visages qui ne me conviennent pas (affaire de goût – trop « manga ») et une colorisation qui manque de nuance. Mais je reconnais un chouette cachet au rendu général.
C’est l’intrigue, son déroulé, sa construction, qui m’ont par contre laissé sur ma faim, au point que je me suis ennuyé à plusieurs reprises.
Le départ est intriguant, invite le fantastique dans l’intrigue, notre curiosité est titillée. Mais la suite n’est pas à la hauteur de mes attentes. En fait j’ai trouvé qu’il ne se passait pas grand-chose, que toutes les allusions, les éventuelles métaphores ne servaient pas à grand-chose. On traverse l’histoire sans être accroché, « pour voir », et justement on ne voit rien (je suis un peu dur mais c’est le ressenti final).
Car si l’auteure a su mettre en place une atmosphère intrigante, je trouve que c’est resté un décor vide, bien décoré certes (un manoir de la grande bourgeoisie sert de lieu unique – à différentes époques – à l’histoire), mais sans âme. Et aussi sans la poésie qui aurait pu compenser une histoire creuse (ou alors qui m’a en partie échappé).
Bon, cela dit, une bonne partie de mes remarques sont affaires de goût, et semble-t-il d’autres lecteurs y ont trouvé leur compte – et l’album n’est clairement pas dénué de qualités. Mais je fais partie des déçus.
Note réelle 2,5/5.
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Grandeur et décadence
Je suis vraiment pas sur de ce que je dois penser de Liv Strömquist. J'aime son discours, je suis complètement d'accord avec ses idées, j'aime la façon dont elle lie les thématiques de lutte sociale, écologie, féminisme et anti-capitalisme. Mais en même temps, je dois avouer que je me suis emmerdé à la lecture. Et c'est un problème ... Si je dois être honnête, ma lecture a été lente et surtout j'ai sauté quelques passages, n'ayant pas envie de m'infliger ça. La raison, c'est que Strömquist a un style de dessin que je qualifierais de bordélique. Rien que les quelques pages visibles en galerie donnent le ton, c'est plein de textes en tout sens avec quelques personnages pas très bien dessinés en plein milieu. C'est vite illisible à mes yeux et plusieurs fois j'ai vu des pages que je n'avais pas envie de lire, fatigué d'avance de la quantité de texte mis en tout sens. En fait, ça m'a évoqué la BD de Klou Bagarre érotique - Récits d'une travailleuse du sexe mais sauf que là, franchement, j'étais vite saturé des informations. Ce qui est dommage, la BD est clairement intéressantes, avec des chapitres sur différents éléments de la culture capitaliste que nous vivons et ses différentes facettes. On reparle ici d'Ayn Rand et son importance capitale dans le néo-libéralisme, mais aussi des problématiques psychologiques des riches ou de la gauche, les questions sur la classe moyenne sur-représentée, etc ... Ce qui est dommage, c'est que parfois son discours clairement radical est tempéré par une volonté de ne pas taper sur des gens trop durement. Pour ma part, j'estime qu'on peut y aller franco, ça ne fait pas de mal face aux dérives de ce système qui est en train de faire crever doucement l'humanité. C'est donc un album de BD que je ne recommande pas. Il est lourd à lire, porté par un dessin pas très beau mais surtout une mise en page très peu lisible, qui ne donne pas envie de s'y attaquer et parfois trop brouillon, au moins en apparence. Le propos a beau être intéressant et les idées franchement bonnes, je n'arrive pas à recommander la lecture parce que la mienne fut laborieuse et que je pense qu'elle le sera sans doute pour vous aussi.
Les Derniers jours d'un immortel
Une BD étrange, qui n'a pas été sans me rappeler le livre de Frank Herbert "L'étoile et le fouet" qui parle lui aussi de l'incommunication entre êtres fondamentalement différents. Et si la BD présente pas mal de situations similaires, notamment une enquête permettant de comprendre ce qu'il en est de l'impossibilité de comprendre une autre espèce sans s'intéresser à tout ce qui le concerne (physiologie, culture, histoire ...) il est aussi vraie que la BD est étrangement dispersée. L'histoire de la BD est lente, assez lente pour explorer plusieurs choses qui ne seront jamais vraiment développées, puisque le propos reste centré sur cet immortel, ses questionnements intérieurs et son enquête sur ces créatures étranges qui ne parviennent pas à communiquer. Sauf qu'il y a la question de son ami qui est mort sans l'avoir revu, sa copine qui le questionne sur son immobilité physiologique et qui semble avoir d'autres questionnements pas vraiment développés autour de la sexualité (que j'avoue ne pas avoir compris ni intégré au reste), et d'autres petits détails (comme la perception de l'art ou la question de la mémoire). Et franchement, je ne suis pas sur d'avoir compris le final, qui s'arrête sur une considération qu'il n'est pas facile de relier à tout le reste. Son immortalité s'arrête, pourquoi ? Qu'il puisse revivre pleinement ? En dehors de ces questions, la BD est plutôt bien réalisée. Il y a de nombreuses thématiques qui parsèment l'ouvrage, notamment l'impossibilité de se comprendre qui touche évidemment des espèces différentes mais reste aussi palpable au niveau humain. On sent la difficulté de comprendre sincèrement l'autre, de savoir si ce qu'on comprend est réellement ce que l'autre veut dire, etc ... Le personnage principal reste aussi intéressant avec ses doutes qu'on comprend à demi-mot, sa vie qui semble si chaotique. Bref, une BD intéressante mais pas complètement aboutie, qui m'a paru trop cryptique sur certains points mais globalement bien gérée dans l'ensemble. Une lecture que je recommande tout de même !
Skull & Bones
Comme les westerns, les récits de pirates semblent ne jamais être démodés. Ce n’est a priori pas pour me déplaire, mais cela met aussi la pression sur les auteurs, qui doivent a minima s’écarter du déjà-vu, et proposer quelque chose d’originale pour captiver un lecteur un peu blasé. Ici je suis clairement resté sur ma faim. Jarry est un auteur hyper productif, qui multiplie les séries de genre. Il sait donc a priori bâtir une intrigue. Mais celle-ci, malgré quelques bonnes idées, ne m’a pas convaincu. C’est semble-t-il adapté d’un jeu vidéo (que je ne connais pas). Cela explique peut-être pourquoi l’action est prioritaire sur la profondeur de l’intrigue ou la psychologie des personnages. C’est du coup un divertissement léger, qui ne va pas aller au-delà de quelques clichés ou facilités. Que les pirates soient ici dirigés par une femme, pourquoi pas ? Mais qu’elle ne soit habillée que d’un bustier me laisse circonspect : l’aspect sexy a semble-t-il prévalu sur une certaine crédibilité. Jarry mélange des influences européennes et asiatiques (Asie du sud-est plus précisément), ce qui donne une touche originale – hélas pas forcément très ancré dans l’Histoire réelle, et donc pas exploité au maximum. Le dessin de Pelliccia fait le boulot, mais sans plus me concernant. Dessin et colorisation en fait manquent eux aussi de profondeur, de détails. Un album honnête, mais pas ma came.
L'Impératrice rouge
J'ai commencé sur la foi d'un bon dessin mais j'ai laissé tomber. Le dessin qui m'a fait survoler une BD où rien n'est approfondi ni porte au rêve ? Il me sera au moins une occasion de redire de lire voire acheter et relire Le vent des dieux, et surtout, surtout, les deux cycles des Eaux de Mortelune !
Knight club
Voilà ! J'ai achetu, j'ai lu, j'ai adoru ! C'est vraiment génial ce truc. Cette BD a rempli sa fonction plus que bien. En effet, je cherchai un truc facile, pas chiant, récréatif, prenant... Et bien ça coche toutes les cases. Le scénario est bien mené, même si classique, guidé (c'est un "remake" des 7 mercenaires, en effet), les personnages tous bien campés, il y a de l'humour jusque dans le titre, du rythme, des dialogues décalés, un dessin sympatoche, un contexte historique dense qui mine de rien apporte une profondeur qu'on n'attendait pas. En ce moment, je suis aussi en train d'essayer de lire Tongues (le tome 1) dont la lecture s'avère plus que douloureuse (j'ai mal rien que de le voir sur ma table de chevet, avec son petit marque page coincé à la page 80), et ben franchement, ce tome 1 de Knight Club (quel titre !) a beau être plus consensuel, donc supposément "facile", par conséquent peut-être moins expérimental, ben y a pas photo : c'est autrement plus cool. C'est presque l'antithèse. Alors des fois, quand j'me dis que j'ai des goûts quand même élitistes (si si, ça fait chier de le dire, mais on me l'a déjà dit - je trouve d'ailleurs ça nul de faire cette différence entrer les trucs d'avant gââârde d'un côté, et le reste), et bien je pense à ça, ou à Bouzard, et je réalise qu'on s'en balec : moi, je préférerai toujours un bon truc bien torché et plus grand-public comme ce Knight Club que LE truc qui "casse tous les codes du moment", mais nettement plus imbitable ! Bref ! On s'en fout. Knight Club, c'est excellent et prometteur. J'attend la suite avec une rare ferveur. Merci M'sieur de Pins (sans rire ?) !
Le Mari de mon frère
Le dessin n'est pas terrible mais il ratisse large. Et l'histoire me parait idéale pour montrer que l'homosexualité ne fait pas des personnes concernées des gens pires que les autres, et que cerise sur le gâteau, on ne devient pas gay parce qu'on fréquente l'ancien compagnon de son frère décédé. Pour cela, il me semble bien que l'ingénu soit vraiment ingénu. Celui qui apprend ne sait vraiment rien : on prend les choses à zéro. Cela fait écho à tous les romans d'apprentissage type Perceval qui voyant des chevaliers croit croiser des anges ! De façon plus moderne, dans Les gouttes de dieu, un des héros ne connaît rien de rien au vin, vraiment rien… Cependant, ici il n'est pas question de pratiquer la chevalerie, la dégustation ou… l'homosexualité. Non, il s'agit de comprendre rétrospectivement son frère qui était gay, et pour cela, de s'informer sur l'homosexualité ! C'est un apprentissage autour d'une relation manquée et de la mémoire, ce qui sous des abords un peu lisse sature tout de même le récit de tristesse. Heureusement, il y a la fillette ! Avec son regard d'enfant, elle ne voit pas de mal à ce qu'on s'aime de façon non hétérosexuelle. Et puis pour elle, le géant canadien est un peu distrayant, il faut le dire ! Je ne trouve pas qu'avoir choisi une fillette soit lâche, type un garçon pourrait vouloir devenir, au secours, un inverti ! Je signale que les femmes existent, eh oui, et que si on suit la logique voir des homos rend homo, elle pourrait avoir l'idée de se lancer dans le saphisme. Non mais ! En fait, je pense que c'est une fillette par soucis d'équilibrer. Ce personnage : un enfant face aux adultes, une fille face aux garçons. L'équilibre, ça compte, surtout en Orient, le ying et le yang, le ciel et la terre, les saisons n'y sont pas que des motifs décoratifs. Touche finale, je pense que la bd se coule certes dans la lutte plus générale des droits des minorités mais fait aussi ressortir la tradition du Japon en rien hostile à l'homosexualité décriée par les Occidentaux quand ils l'ont vue tout à fait assumée dans le pays, même si par désir de ne pas prendre la tête du lecteur novice, on n'en dit rien. A chaque œuvre suffit sa peine, ici, on dégrossit !
12 rue Royale, ou les sept défis gourmands
Le scénario est très bon. Sans spoiler, on peut dire que le voisin tordu a une très bonne raison pour inventer les sept défis gourmands ! Même sans cela, les défis me plaisent tous. Par exemple faire retrouver la mémoire ! Qu'on peut voir prélude à faire retrouver quelque chose au voisin organisateur des défis. Ce dernier, ambiguë, fait à la fois une bonne et une mauvais action. Bonne : il invite des gens au restaurant à qui il rend service, voire est carrément leur bienfaiteur ! Mais pour le chef, il s'agit de défis quasiment impossibles. Le dessin a à la fois une certaine rondeur et du dynamisme, tous les personnages possèdent une vraie personnalité. Et les plats ? Nous les voyons inventés puis goutés par les clients d'une façon qui donne sinon le goût, une sorte de jouissance à imaginer leur splendeur gustative. Une bd que j'ai acheté et que je lis parfois quand je suis triste : remonte le moral. Je m'en vais relever la note comme on ajoute un ingrédient qui manque, tiens !
Docteur Jekyll & Mister Hyde
Mais la tentation était telle qu'elle finit par vaincre toute crainte. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s'agit d'une adaptation en bande dessinée du roman L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde (1886), Robert Louis Stevenson (1850-1894), réalisée par Lorenzo Mattotti, dessins et couleurs, avec l'aide de Jerry Kramsky pour le scénario. Elle comporte soixante-deux pages de BD. L'ouvrage commence par la dédicace de l'artiste à Alberto Breccia (1919-1993). Il se termine avec une postface illustrée, de six pages, écrites par Michel Archimbaud, et cinq pages d'esquisses. L’ombre déformée et agrandie d’Edward Hyde se projette sur les murs des rues, alors qu’il court dans la nuit. Dans le même temps, Harry Jekyll se dit qu’il ne ressent qu’horreur, horreur pour ce terrible lien, avec cette espèce d’animal. Il les perdra. Ils sont pareils à des bêtes féroces, dans des labyrinthes toujours plus vastes. Alors que Hyde marche d’un bon pas avec sa canne, une jeune femme marche vivement sur le trottoir perpendiculaire, des pas innocents dans le brouillard, un corps plein d’énergie vitale dans un guet-apens. Elle arrive au coin et le corps massif de Hyde lui barre le chemin. Elle lui demande de la laisser passer, car son père ne va pas bien et elle doit aller chercher le docteur. L’autre en profite, voyant qu’on l’a envoyée toute seule. Il la saisit par les cheveux, et commence à lui asséner des coups avec sa canne, puis il la piétine. Des passants voient la scène et le reconnaissent pour un monstre. Hyde prend la fuite, pendant les gens entourent la jeune fille à terre, atterrés par ses blessures, faisant appeler un docteur. Enfin Hyde rejoint la demeure de Jekyll et il s’enferme dans son laboratoire, mais les bruits ont été entendus par Poole, le majordome de Jekyll. Il appelle le notaire Gabriel John Utterson en lui demandant de venir. C’était un soir glacial et venteux de mars, avec un maigre croissant de Lune couché sur le dos, comme renversé par le vent dans une fuite de nuages effilochés et diaphanes. Utterson ne se rappelait pas avoir jamais vu ce quartier de la ville aussi désert. Mais à cet instant, il eut désiré le contraire. Jamais dans sa vie, il n’avait ressenti un aussi profond besoin de ses semblables, de les avoir visibles et tangibles autour de lui, car malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à se débarrasser d’un accablant pressentiment de malheur. Le notaire arrive au domicile de Harry Jekyll et frappe à la porte. Poole lui ouvre et lui explique qu’il y a quelque chose qui ne va pas, qui ne tourne pas rond. Il pense qu’il y a eu un meurtre. Il prend le manteau d’Utterson et il le prie de le suivre. Ils sortent dans la cour et se rendent au bâtiment abritant le laboratoire du docteur. Poole frappe à la porte annonçant le notaire, et une voix à l’intérieur crie qu’il ne veut voir personne. Utterson trouve la voix du docteur changée. Poole renchérit qu’elle est plus que changée, qu’il n’a pas passé vingt ans dans cette maison pour ne pas savoir la reconnaître, et ce n’est pas celle de son maître. De même il lui demande d’écouter les pas qui se font entendre, et ce ne sont pas ceux de son maître. Utterson en convient : ils sont étrangement agiles et légers. La conclusion s’impose : monsieur Hyde fréquente encore cette maison. Plusieurs choses ont pu attirer le lecteur : le plaisir de découvrir ce roman classique sous la forme d’une bande dessinée, ou le plaisir de découvrir une interprétation visuelle d’une histoire qui lui tient à cœur s’il la connaît déjà, ou encore un amour de la narration visuelle de l’artiste. Celui-ci a marqué le monde la bande dessinée, avec des ouvrages comme Feux & Murmure , respectivement parus en 1984 et 1989, le second réalisé avec Jerry Kramsky (nom de plume de Fabrizio Ostani). Il a donc choisi d’adapter un célèbre roman avec l’aide d’un coscénariste. En fonction de sa familiarité avec l’œuvre originale, le lecteur peut déceler quelques différences. Le début commence avec Hyde, et non pas avec Utterson et Richard Enfield, suivi par un retour en arrière. Les auteurs rendent plus explicites les relations de Hyde avec les femmes, avec la mise en scène de plusieurs dont Frau Elda, et quelques prostituées. Il y a donc bien adaptation, et le résultat relève de la bande dessinée, et non pas du texte illustré, même s’ils ont conservé une partie du flux de pensée de Jekyll, dans des cartouches apposés dans certaines cases. Dès la première page, le lecteur retrouve l’usage de couleurs vives par l’artiste, sa marque de fabrique depuis Feux (Mattotti). L’ombre de Hyde, d’un noir dense, est d’autant plus monstrueuse qu’elle contraste fortement avec un rouge intense ou un orange soutenu. Ces teintes vives peuvent se comprendre comme l’expression des émotions qui animent les individus vivant dans la cité, et les plus vives peuvent aussi s’envisager comme étant les émotions paroxystiques bouillonnant au sein d’Edward Hyde, des pulsions d’une force indicible, sans aucune retenue, nullement sublimées, animales. Il se souvient de la déclaration d’intention et du credo de l’artiste exprimé par le personnage d’Absinthe dans Feux. Les couleurs sont autant de feux dans le noir qui échauffent l’esprit, et cette nuit-là il passe de l’autre côté, dans une région où les choses sont comme on les sent. Absinthe avait tué pour défendre ses émotions et il était incapable de distinguer la raison de l’instinct. La nouvelle façon de voir les choses par Absinthe va provoquer la ruine de ses coéquipiers, et les couleurs le brûlent toujours plus. Dans cette adaptation, les couleurs remplissent la même fonction : elles constituent les signes des émotions, de ces forces de vie qui animent littéralement l’être humain. Le lecteur peut voir les couleurs les plus vives comme le reflet de l’intensité terrible des émotions de Hyde. Il peut voir les couleurs un peu moins soutenues comme l’expression des émotions des autres personnages, la façon dont ils projettent leur ressenti sur ce qui les entourent, mais aussi l’émotion qui a animé un créateur pour réaliser une robe, un meuble, de la musique. Le récit déborde alors d’émotions et de sensations. L’histoire de ce docteur est bien connue et le lecteur peut retrouver dans cette adaptation les principales interprétations comme l’incarnation de la désinhibition de l’individu laissant libre cours à ses bas instincts, comme le sadisme, l’absence d’empathie, le refus de toute limite, de toute contrainte, la schizophrénie, la dépendance. Il retrouve également un récit éminemment moral, avec des caractéristiques manichéennes : au fur et à mesure qu’il cède à ses pulsions, l’apparence d’Edward Hyde devient plus bestiale, plus monstrueuse, plus laide. Le mode de dessin atténue un peu cette dernière caractéristique car les personnages ne correspondent pas aux canons de la beauté, même la séductrice Frau Elda. Les représentations de l’être humain comportent des traces de formes géométriques, sans aller jusqu’au cubisme, et de surréalisme qui déforment discrètement les visages et les silhouettes. Les silhouettes peuvent devenir des formes ondulantes pour accompagner la grâce de la séduction, ou la vivacité d’une attaque physique. Les proportions du corps humains peuvent se trouver altérées, une tête avec une dimension exagérée et de petites mains, pour attirer l’attention sur un individu tout entier dans sa façon de voir les choses, et pas dans l’action ou la réalisation. Les perspectives sont faussées par moment pour attirer l’attention sur l’état d’esprit du personnage qui déforme sa perception de la réalité, qui voit son environnement au travers de ses émotions, et plus au travers d’une analyse rationnelle. Dans cette adaptation, Edward Jekyll vole la vedette de chaque scène par sa silhouette fluide, ses expressions agressives, fourbes, sadiques, de jouissance, la noirceur de sa veste et de son pantalon qui semble ne laisser filtrer aucune émotion, et son visage blanc qui semble les absorber toutes. En l’observant, le lecteur voit un individu animé d’uniquement deux objectifs : satisfaire ses pulsions, et survivre. Il n’y a pas de plaisir dans son comportement, pas de tranquillité, ni même de réelle satisfaction si ce n’est dans l’instant quand il peut totalement se laisser aller à une pulsion. Par exemple, quand il frappe sans relâche la jeune fille allant chercher un docteur pour son père, quand il peut boire sans modération, danser sans retenue, se livrer à des pratiques sexuelles sadiques, frapper un infirme, tuer un chien, se jeter sur une femme pour une relation allant vers la dévoration, etc. C’est un individu qui est tout entier dans l’instant présent, son instinct lui permettant de fuir à temps, sans aucune velléité de construire, de se projeter dans l’avenir proche ou à plus long terme, dépourvu de toute forme d’empathie à l’exception de la perception du désir sexuel, et de la souffrance d’autrui. Jekyll commente que Hyde buvait, avec une avidité bestiale, à la souffrance des autres. Ses actes sont condamnés par la morale de la société dans laquelle il vit, ce qui apparaît dans les réactions des personnes qui le croisent, et dans les commentaires de Harry Jekyll très conscient de des crimes que commet son alter ego, et ni la satisfaction, ni la satiété ne lui sont accessibles. L’auteur avec son coscénariste se livre à un véritable travail d’adaptation, aménageant quelques scènes, supprimant quelques personnages et intégrant d’autres non présents dans le roman. La narration graphique de l’artiste reste dans un registre expressionniste, adapté à la bande dessinée, au travers des formes et surtout de l’usage des couleurs. Le récit reste ancré dans une forme moraliste, tout en exprimant les différentes interprétations possibles : sociale ou psychanalytique. L’hypocrisie sociale de la société victorienne, le dédoublement de la personnalité, les phases d’euphorie et d’abattement d’un toxicomane, l’absence de retenue ou de maîtrise de ses émotions qui ne sont plus que des pulsions.
Le Marquis d'Anaon
Une belle découverte que ce "Le Marquis d'Anaon". Une serie de cinq albums, ils peuvent se lire indépendamment les uns des autres (une histoire par tome), mais je conseille tout de même l'ordre de parution. On va suivre les aventures de Jean-Baptiste Poulain, le fameux Marquis d'Anaon (Anaon est un mot breton qui désigne l'ensemble des âmes des défunts et le lieu où elles se retrouvent), un jeune homme en avance sur son époque (esprit scientifique) et au passé brumeux. Des aventures qui lorgnent sur le polar avec pour pimenter les intrigues quelques légendes d'un autre temps. Fabien Vehlman a la judicieuse idée de choisir le siècle des Lumière, celui-ci promouvait le rationalisme et le libéralisme, des outils qu'utilisera notre Marquis pour combattre l'obscurantisme et la superstition. Un ensemble qui fonctionne bien malgré la faible pagination des albums (48 pages) pour bâtir des récits qui tiennent la route. Des récits sombres où la mort sera un compagnon de route de notre Marquis, il fera face à des tueurs en série, à une épidémie et à une bête sanguinaire. Un peu de frustration tout de même de quitter notre Marquis et de ne pas en savoir plus sur son mystérieux passé. Mathieu Bonhomme nous propose un dessin clair, aéré, au trait précis et à la très belle colorisation. Un ensemble qui rend hommage à cette période historique. Une mise en page classique. Du très bon boulot. Un 4 étoiles un peu généreux pour une série qui vaut le détour.
Minuit Passé
J’avais inégalement apprécié mes précédentes lectures de Gaëlle Geniller, et cet album, que j’ai pourtant entamé avec un a priori positif, s’est finalement révélé décevant. Esthétiquement c’est intéressant, plutôt agréable, malgré des visages qui ne me conviennent pas (affaire de goût – trop « manga ») et une colorisation qui manque de nuance. Mais je reconnais un chouette cachet au rendu général. C’est l’intrigue, son déroulé, sa construction, qui m’ont par contre laissé sur ma faim, au point que je me suis ennuyé à plusieurs reprises. Le départ est intriguant, invite le fantastique dans l’intrigue, notre curiosité est titillée. Mais la suite n’est pas à la hauteur de mes attentes. En fait j’ai trouvé qu’il ne se passait pas grand-chose, que toutes les allusions, les éventuelles métaphores ne servaient pas à grand-chose. On traverse l’histoire sans être accroché, « pour voir », et justement on ne voit rien (je suis un peu dur mais c’est le ressenti final). Car si l’auteure a su mettre en place une atmosphère intrigante, je trouve que c’est resté un décor vide, bien décoré certes (un manoir de la grande bourgeoisie sert de lieu unique – à différentes époques – à l’histoire), mais sans âme. Et aussi sans la poésie qui aurait pu compenser une histoire creuse (ou alors qui m’a en partie échappé). Bon, cela dit, une bonne partie de mes remarques sont affaires de goût, et semble-t-il d’autres lecteurs y ont trouvé leur compte – et l’album n’est clairement pas dénué de qualités. Mais je fais partie des déçus. Note réelle 2,5/5.