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Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Esprits des morts & autres récits d'Edgar Allan Poe
Esprits des morts & autres récits d'Edgar Allan Poe

Le poids des morts sur l'inconscient des vivants - Ce tome est constitué d'histoires courtes indépendantes de toute autre ; il donc peut se lire indépendamment de toute autre lecture. Il comprend 14 adaptations de textes d'Edgar Allan Poe, parus entre 1829 et 1846. Ces récits sont tous écrits, dessinés et encrés par Richard Corben, avec une mise en couleurs réalisées par lui-même assisté par Beth Corben Reed. Ces histoires sont initialement parues dans des numéros spéciaux, et dans des numéros de l'anthologie "Dark Horse presents" (numéros 9, 16 à 18, 28 et 29), de 2012 à 2014. Il s'agit de nouvelles adaptations réalisées dans les années 2010. Ce tome commence par une table des matières indiquant pour chaque adaptation, l'année à laquelle le texte d'Edgar Allan Poe est paru. Vient ensuite une introduction de 3 pages rédigée par Thomas Inge (professeur de lettres en université) identifiant la force de ces adaptations. En page 10, le lecteur trouve la reproduction du texte du poème "Spirits of the dead" d'Edgar Allan Poe. Les 200 pages suivantes sont constituées de bandes dessinées réalisées par Richard Corben, commençant par "Alone", et se terminant avec "The cask of Amontillado" (la liste des textes se trouve en fin du présent commentaire). En fin de volume se trouvent les 6 couvertures réalisées pour le numéro spécial "The conqueror worm", les 2 épisodes de "The fall of the house of Usher", et les numéros spéciaux "Morella, and The murders in the rue Morgue", "The raven and The red death", et "The premature burial". Ce n'est pas la première fois que Richard Corben réalise des adaptations de textes ou de poèmes d'Adgar Allan Poe. La première fois, c'était en 1974 dans le numéro 47 du magazine Creepy, réédité dans "Creepy présente Richard Corben. Durant les années 1970, cet artiste a ainsi transposé plusieurs histoires de Poe, soit sous forme d'une courte bande dessinée, soit sous une forme un peu plus longue (par exemple La chute de la Maison Usher). Quand Corben revient aux comics en 2006, il commence par une courte série en 3 épisodes publiés par Marvel MAX : "Haunt of Horror" qui contient des adaptations de texte d'Edgar Allan Poe. Il s'agit de nouvelles versions, même si certaines reviennent sur des textes déjà adaptés dans les années 1970 : (1) The raven, (2) The sleeper (3) The conqueror worm, (4) The tell-tale heart, (5) Spirits of the dead, (6) Eulalie, (7) The lake (8) Izrafel (9) The happiest day, (10) Berenice. Le présent recueil comprend uniquement des bandes dessinées originales, pas de rééditions des versions précédentes pour Creepy ou pour Marvel MAX. le lecteur y retrouve de nouvelles versions de textes déjà adaptés plusieurs fois comme The Raven, ou La chute de la Maison Usher, ou encore le masque de la mort rouge. À la différence des précédentes versions, ce recueil compose un ouvrage thématique placé sous le signe de l'esprit des morts, c'est-à-dire la manière dont les vivants ressentent l'influence des morts. Il ne s'agit pas tant d'histoires de fantômes, que plutôt du poids des défunts sur l'inconscient. En choisissant le titre de l'ouvrage Richard Corben livre une clef de compréhension sur la direction qu'il a donnée à ses adaptations. L'esprit des morts pèse sur la vie psychique des vivants, qu'ils le veuillent ou non, qu'il s'agisse d'une épouse défunte sur l'esprit du veuf, ou de celui d'une victime tuée sur l'esprit de son assassin. Avec ce point de vue en tête, le lecteur constate que l'auteur fait preuve d'une grande cohérence dans son approche. Cette cohérence est renforcée par le choix de ne pas moderniser les récits, de les laisser à l'époque où Poe les a situés, c'est-à-dire majoritairement au dix-neuvième siècle. Toujours en termes de technique d'adaptation, Corben a choisi de reprendre l'intrigue de chaque texte, ainsi que l'état d'esprit ou l'émotion qui y sont développés. Il n'y a pas presque pas d'inclusion du texte original. le lecteur découvre donc des histoires racontées en bandes dessinée, plutôt qu'un entre-deux inconfortable entre fidélité servile au texte et dessins cantonnés au rôle d'illustration. Ainsi le long poème "The raven" (18 strophes de 5 vers) devient une bande dessinée de 10 pages, dans laquelle l'auteur montre ce qui se passe plutôt que de faire un dessin accompagnant chaque strophe. le corbeau et le buste de Pallas sont bien présents et il dit toujours "Nevermore". Ce choix de prendre de la distance vis-à-vis du texte originel, pour se concentrer sur l'état d'esprit et l'émotion aboutit à des bandes dessinées autonomes qui mettent en valeur la force du récit d'Edgar Allan Poe qui supporte des interprétations multiples, et l'intelligence narrative de Corben qui réussit à transposer l'esprit des textes. le lecteur retrouve bien les caractéristiques de narration visuelle de Corben. Comme dans ces récits récents, il a mis la pédale douce sur la nudité (par rapport à ces œuvres des années 1970) ; il n'apparaît qu'une paire de fesses et une paire de seins dans ces 200 pages, et pas en gros plan. Il a rapatrié un dispositif narratif des années 1970 qui est d'inclure dans certains récits (pas tous) la présence d'un personnage qui introduit l'histoire, qui en consolide la morale, et qui peut faire une remarque ou deux en cours. Corben utilise ce dispositif avec parcimonie. Il a choisi le personnage de Mag la Harpie (une vieille femme avec bandeau noir su l'œil gauche, vêtue d'un simple drap grossier qui lui couvre la tête et le corps que l'on devine fatigué par les années. Le lecteur a l'excellente surprise de voir que les Corben (Richard & Beth) maîtrisent l'usage de l'infographie pour la mise en couleurs. Ils ne tentent pas de reproduire l'exubérance des couleurs à l'aérographe qui ont fait la réputation de Corben sur Den. Ils les utilisent afin d'accentuer le volume et le relief des surfaces, par l'usage de dégradés maîtrisés (par opposition à systématique). Ils s'en servent dans certaines séquences pour installer une teinte qui donne le ton et renforce l'ambiance. Il y a un gros travail dans le choix des couleurs, en particulier pour ce qui est de la teinte de la chair, ce qui renforce la dimension sensuelle (et souvent morbide) associée à la chair. Dès la première bande de cases, le lecteur peut constater que l'artiste dispose toujours de cette capacité surnaturelle à rendre compte de la texture de ce qu'il dessine. Ici il s'agit dans la troisième case de la partie supérieure des feuilles d'un arbre, où le lecteur peut voir le léger reflet occasionné par le vernis qui les protège. Par la suite il peut apprécier le granité de la pierre d'une statue, la friabilité d'une peau parcheminée en décomposition, la tension superficielle de l'eau, le velouté d'une peau, la rougeur d'une gencive, la viscosité du sang, les craquelures d'un revêtement mural attaqué par les moisissures, etc. Corben ne sature pas ses cases en texture : une feuille peut être représentée avec soin dans une case, puis de manière schématique dans celle en dessous. Il ajuste le niveau d'informations visuelles, en fonction des besoins narratifs. Cette façon de varier le réalisme de la représentation peut être déconcertante pour un lecteur qui n'y est pas habitué, car elle s'applique aussi bien aux textures, qu'aux décors, et même aux personnages. Dans "The cask of Amontillado", les murs sont représentés avec toute la rugosité des briques, et la granularité du mortier, tant que le personnage principal est en train de le monter. Puis dans la page suivante, les arrière-plans sont uniformément noirs parce que Corben souhaite focaliser l'attention du lecteur sur les personnages. Si certaines pages suggèrent plus les décors qu'elles ne les montrent, ils bénéficient tous d'un réel travail de conception. L'artiste s'y entend pour recréer les intérieurs de l'époque, de l'architecture de la bâtisse, à son ameublement, en passant par l'aménagement intérieur. Il n'y a que la reconstitution des rues de Paris (Double assassinat dans le rue Morgue) qui prête à sourire par quelques détails fantaisistes (mettons ça sur le compte de la licence artistique). Cette approche variable dans le degré de détails peut parfois déconcerter en ce qui concerne les personnages. Corben peut aussi bien les représenter avec une exactitude quasi photographique, que les détourer à gros traits. Dans le deuxième cas, la mise en couleurs vient apporter une consistance aux différentes formes, à commencer par du relief, et du volume. Ces dessins un peu caricaturaux portent bien les éléments nécessaires à la narration, tout en induisant une forme de distanciation moqueuse. À bien y regarder, le lecteur peut détecter une moquerie discrète et insidieuse, dans des expressions veules et peu flatteuses pour les personnages, ou dans des gestes trop précipités. Cette ironie sous-jacente ne neutralise pas les effets dramatiques. Elle apporte une dimension adulte, un léger cynisme quant aux actions et réactions de certains personnages, pas toujours très bien dans leur tête, ou très conscients d'agir de façon immorale. Régulièrement, Richard Corben revient aux textes d'Edgar Allan Poe pour les adapter à nouveau. Ce recueil présente une rare cohérence narrative, à la fois visuelle, et à la fois dans sa manière d'adapter les textes. La préface souligne à quel point Poe était un conteur né, sachant structurer une nouvelle ou un poème de manière à instiller une tension dramatique, tout en construisant des personnages. Richard Corben a trouvé la bonne approche pour à la fois se reposer sur cet art de la narration, et pour transposer les émotions et les états d'esprit sans les dénaturer, sous forme de nouvelles relevant entièrement de la bande dessinée, et pas d'une réalisation n'arrivant pas amalgamer le texte original avec les conventions de la BD. - - Liste des textes adaptés - (1) Alone (2) The city in the sea (3) The sleeper (4) The assignation (5) Berenice (6) Morella (7) Shadow (8) The fall of the house of Usher (9) The murders in the rue Morgue (10) The masque of the red death (11) The conqueror worm (12) The premature burial (13) The raven (14) The cask of amontillado

16/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5
Couverture de la série La Maison au Bord du Monde
La Maison au Bord du Monde

Richard Corben conjure l'horreur imaginée par William Hope Hodgson. - Une paire d'amis faisant du camping en Irlande en 1952 a maille à partir avec des villageois dans un pub. Ils s'enfuient à travers la lande pour aboutir aux ruines d'une demeure dans lesquelles ils trouvent un journal intime qui raconte comment un homme a lutté contre des monstres qui ont pris possession de sa sœur. La lecture révèle l'horreur innommable tapie aux abords du manoir et la descente paranoïaque du propriétaire. Mais l'horreur reprend du service quand les 2 amis sont rattrapés par les villageois meurtriers. Les comics de Richard Corben sont rares et ils sont précieux. 30 ans après sa période de gloire, il revient travailler pour Marvel et DC (la branche vertigo). "House on the borderland" est un projet de l'année 2000. Il s'agit d'une adaptation d'un roman de William Hope Hodgson intitulé "La maison au bord du monde" et paru en 1908. Les écrits de ce romancier ont également été une forte influence sur Alan Moore qui a utilisé le personnage principal du roman Carnacki : le chasseur de fantômes pour l'insérer dans l'incarnation de 1910 de la League of Extraordinary Gentlemen (voir le "Dossier noir"). Je n'ai pas lu le roman d'origine qui est portée aux nues par Alan Moore dans l'introduction de ce tome. À l'évidence, Simon Revelstroke a souhaité intégrer des extraits de l'oeuvre originale, ce qui conduit à des pavés de textes plus importants que dans un comics de base. Pour autant, ces monologues intérieurs du personnage principal ne gênent pas le récit, mais le renforce. Cette histoire de monstres du dehors s'apparente à une analyse psychologique des angoisses et terreurs refoulées du héros. La construction du récit reflète cette découverte angoissante et non linéaire du subconscient en avançant par saccades et en faisant douter régulièrement le lecteur de la véracité du récit. Pour moi, ce récit se situe au même niveau que les délires les plus angoissants et les plus paranoïaques des romans d'Howard Philips Lovecraft. Mais, bien évidemment, ce qui m'a attiré avant tout ce sont les illustrations du maître. Il réalise comme d'habitude les dessins et les encrages, mais il a laissé la responsabilité de la mise en couleurs à un autre, Lee Loughridge. Ce dernier a opté pour des teintes simples, sans dégradés qui rappellent les techniques limitées des années 1970. D'un coté le lecteur a l'impression de se retrouver dans un comics du bon vieux temps, de l'autre il regrette la flamboyance paroxystique des couleurs des sagas de Den. Richard Corben a recours à son style habituel : quelques éléments curieusement simplistes dans des décors très réalistes. Sa patte est absolument intacte et a gardé toute sa magie : les nuages de fumée tridimensionnels quand les personnages tirent à la pétoire, le mélange à la fois hideux et à la fois cartoon utilisé pour les monstres, les veines saillantes sur les bras, les cases fragmentées pour augmenter l'impact des coups, les feuilles simplifiées de la végétation, l'aspect impénétrable des taillis, les muscles en mouvement sous la peau, etc. Cette histoire fut pour moi un vrai plaisir de lecture qui se base sur un modèle d'écriture un peu ancien mais toujours aussi dérangeant avec des illustrations d'un créateur qui a une vision personnelle de la réalité. Si seulement un éditeur courageux voulait bien rééditer les aventures de Den...

16/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5
Couverture de la série Cage - Mafia blues
Cage - Mafia blues

Polar, gangs et petit malin - Ce tome comprend une histoire complète et indépendante de toute autre qui ne nécessite pas de connaissance particulière du personnage principal pour pouvoir l'apprécier. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2002, écrits par Brian Azzarello, dessinés et encrés par Richard Corben, avec une mise en couleurs de José Villarrubia. Cette histoire est initialement parue dans le label MAX de Marvel, branche produisant des récits à la tonalité plus adulte que ceux des superhéros classiques. Dans un quartier défavorisé de New York, un grand balèze noir est assis à une table dans un bar avec des serveuses topless, et des stripteaseuses en train de danser le long d'une barre verticale, sur une scène. Il contemple son reflet dans son miroir, avec un bonnet sur la tête, des gros écouteurs sur les oreilles, et des lunettes de soleil masquant ses yeux au regard des autres. Une femme s'approche de lui. Elle lui demande de punir ceux qui ont tué sa fille Hope Dickens de 13 ans, en lui tendant 2 billets de 100 dollars. À contrecœur (parce que ça ne fait pas lourd de rémunération), Luke Cage accepte d'y consacrer son après-midi, mais pas plus. Cage se rend dans le quartier où Hope Dickens a été abattue. Il va se renseigner auprès d'un groupe de jeunes jouant au basket, avec un dénommé Egg. Il doit les rudoyer un peu. Il va ensuite s'installer dans le bar d'en face (tenu par une coréenne prénommée Dixie) pour prendre une bière, en s'admirant dans la glace. Sa présence attire l'attention d'un sergent de police du quartier qui aimerait bien que ça ne fasse pas d'histoire et qui accepte l'argent du chef du caïd Lonnie Tombstone. Clifto, le chef de la bande du quartier, ne voit pas d'un bon œil la présence de Cage. Il y a également l'italien Sony Caputo (surnommé Hammer) qui s'interroge sur l'allégeance de Cage. Ce dernier se dit qu'autant d'hommes d'affaire dans le même quartier laisse subodorer qu'il doit y avoir un enjeu économique bien juteux. Brian Azzarello a laissé son empreinte dans les comics aves la série noire 100 bullets. Richard Corben est un artiste ayant réalisé des séries devenues cultes, dans les comics underground des années 1970, comme Den (1973). Ils ont déjà collaboré à 2 reprises : Hard time (2000), et Banner (2001). le lecteur se délecte par avance à l'idée de découvrir une nouvelle version de Luke Cage, qui plus est débarrassée des contraintes éditoriales d'un personnage récurrent, et réinventée pour un public plus adulte, dans le cadre du label MAX, celui qui a permis l'existence de la version ultime du Punisher de Garth Ennis (voir Punisher MAX et suivants). La scène d'ouverture donne le ton : un bar à striptease au faible éclairage propices aux affaires louches, et un individu évoquant les rappeurs gangsta (adjectif dérivé de Gang et gangster). Luke Cage dégage une présence monstrueuse, massive, inamovible, immarcescible. Il a une jolie barbichette taillée avec soin, un look de rue à la fois exagérée (le blouson en jean sans manche, les grosses baskets) et totalement décontracté, sans aucune inquiétude sur le qu'en dira-t-on. Richard Corben lui dessine une silhouette que l'on dirait sculptée dans la pâte à modeler, des muscles gonflés, presque comme s'ils étaient rembourrés avec de l'air comprimé. Il montre les veines qui court sur ses bras musclés au-delà du possible. Il lui donne un air impénétrable du fait de ces lunettes de soleil à la forme très ronde. Cette apparence peut être vue comme une caricature, comme un individu sous stéroïde dont le développement musculaire a échappé à tout contrôle. Dans ce bar, il y a donc des femmes qui se déhanchent, la poitrine à l'air. Dans l'épisode 3, le lecteur peut également admirer la plastique de la sympathique jeune femme qui a passé la nuit avec Luke Cage. À nouveau, Richard Corben reste fidèle à ses choix graphiques : elle est bien en chair, gironde et callipyge, avec des courbes affolantes. le lecteur qui n'est pas habitué à ce dessinateur peut éprouver un sentiment de répugnance devant ces personnages à la tête parfois caricaturale, parfois un peu trop grosse pour leur corps. Mais en même temps, le sergent ripou dispose d'une dégaine qui le rend immédiatement antipathique. L'exagération rend la déformation physique de Sony Caputo plus plausible qu'elle ne l'a jamais été dans la série Amazing Spider-Man pour le supercriminel Hammerhead. de la même manière, l'albinos Lonnie Tombstone dégage une impression désagréable inéluctable du fait de son visage si marqué. Mick Marko (surnommé Mountain, les amateurs des vieux épisodes de Spider-Man apprécieront ce clin d'oeil à l'univers 616) fascine dans sa monstruosité. Sous réserve de ne pas être rebuté par l'apparence des personnages, le lecteur s'immerge dans des environnements urbains très convaincants, sans être stéréotypés. José Villarrubia utilise des couleurs à la fois foncées et délavées qui donnent une impression d'une ville usée (sans que les bâtiments ne soient en déliquescence), d'une ambiance oppressante sans que les couleurs ne soient agressives. Richard Corben montre une ville aux rues qui se coupent géométriquement à angle droit, avec des bâtiments fonctionnels, sans beaucoup de personnalité, sans donner envie d'y habiter, mais pas pour cause d'insalubrité. En fonction des séquences et des cases, l'artiste peut aller dans le détail (tous les ustensiles sous le comptoir du bar de Dixie) ou n'esquisser que les éléments les plus structurants (des débuts de brique par exemple). Toute l'histoire (à une séquence ou deux près) se déroule de nuit, dans une pénombre légère, bien rendue par les couleurs de Villarrubia. Corben réalise des cases sagement rectangulaires, mais avec des contours tracés à trait épais, et légèrement décalés, de sorte à ce que tous les bas de cases ne soient pas alignés. Lors des affrontements, Corben joue avec le lettrage, en dessinant des grosses lettres, avec un gros trait de contour, donnant une impression de bruitage de comics pour enfant, soulignant la dimension primaire des affrontements physiques. En outre, Corben joue avec la mise en page pendant les combats, déformant les contours de cases à base de ligne brisée, pour les rendre plus agressifs et accentuer la force des coups. le lecteur a le choix d'y voir une forme de sarcasme vis-à-vis de ces séquences obligatoires dans le cadre d'un comics de superhéros, ou un commentaire tranché sur la brutalité primaire de cette forme de gestion de conflit, bestiale et ras les pâquerettes. L'histoire de Brian Azzarello bénéficie donc d'une mise en images pleine de personnalité, avec un environnement urbain poisseux et oppressant, et un personnage principal massif et flegmatique. le scénariste a concocté un polar dont il a le secret. La jeune Hope Dickens a été abattue par erreur, car c'était un autre qui était visé. Pour une raison qui apparaît au cours du récit, Luke Cage trouve une motivation très personnelle à réaliser cette enquête, et surtout à mener à son terme cette vengeance pour une personne qu'il n'a pas connue. Azzarello écrit un récit hardboiled : un individu pas forcément beaucoup plus intelligent les autres, qui confronte le crime dans la rue, qui côtoie des criminels dangereux, et qui tâtonne pour comprendre ce qui se trame dans ce quartier, pour découvrir l'enjeu qui fait monter la tension entre les différentes factions. Il est difficile de résister à la nonchalance de Luke Cage. Même s'il patauge dans des affaires dont il ne saisit pas la nature, Luke Cage ne fonce pas dans le tas tête baissée. le lecteur le regarde se rendre d'un endroit à un autre et papoter avec les uns à les autres, sans se battre, sans frapper, sans même se faire tirer dessus. Il se gratte la tête en voyant Cage accepter une petite enveloppe. Il ne peut pas anticiper ses réactions car il n'a pas accès à son flux de pensée et il parle tellement peu qu'il en devient mutique. Sa masse corporelle le rend incontournable et pourtant il ne fait pas grand-chose et il est très avare de mots. Il provoque les réactions des différentes factions par sa simple présence, en ne donnant l'impression que de réagir mollement aux déclarations des uns et des autres. Ce mode narratif donne une impression de détachement, et il revient au lecteur d'identifier ce qui constitue une information et d'assembler ces rares pièces. Pourtant, il peut devancer la révélation de ce qui se trame sans trop de difficultés, ce qui diminue un peu l'impact de l'intrigue, mais pas celui de l'ambiance. À l'évidence l'appréciation du lecteur dépend fortement de ce qu'il attendait. S'il voulait un récit de superhéros avec un vocabulaire plus vulgaire et des pouvoirs plus brutaux, il ressort déçu du faible nombre d'affrontements (pourtant bien brutaux). S'il est venu pour Richard Corben en connaissance de cause, il se délecte de l'apparence de Luke Cage que l'artiste s'est totalement approprié et a emmené dans son univers graphique. S'il est venu pour Brian Azzarello, il découvre un vrai polar réalisé dans les règles de l'art, attestant d'un amour du genre, mais manquant d'un petit peu de densité dans l'intrigue. 4 étoiles pour un récit malin et un personnage principal à la forte présence, et au comportement mesuré, ou 5 étoiles parce que Richard Corben ça ne se refuse pas (en toute mauvaise foi, en assumant une forme d'adoration de cet artiste).

16/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Ragemoor
Ragemoor

Le mariage de E.A. Poe & H.P. Lovecraft - Il s'agit d'une histoire complète indépendante de toute autre, initialement publiée en 4 épisodes parus en 2012. le scénario est de Jan Strnad, et les illustrations en noir & blanc (et niveaux de gris) de Richard Corben. Ils avaient déjà collaboré sur d'autres histoires dans les années 1970 et 1980, comme par exemple Jeremy Brood et Les mille et une nuits. L'histoire se passe quelque part aux États-Unis, au dix-huitième ou dix neuvième siècle, dans une demeure en pierre imposante baptisée Ragemoor, bâtie sur un éperon rocheux, en bordure d'océan. Herbert, le maître de céans, accueille son oncle et sa fille Anoria. Au cours du repas, il les incite à partir séance tenante et de nuit, car la demeure est peu hospitalière. Il leur raconte les circonstances dans lesquelles elle a été érigée. Il insiste sur le fait que la nuit elle a tendance à se modifier d'elle-même en ajoutant une pièce supplémentaire, ou en allongeant un couloir. Les 2 hôtes ne sont guère impressionnés et ils décident de rester malgré l'avertissement. L'oncle demande des nouvelles de son frère Machlan, qui est aussi le père d'Herbert. Ce dernier explique qu'il a perdu la raison et qu'il erre dans les couloirs, qu'il disparaît des fois des jours durant. Anoria demande à Bodrick, le domestique ayant servi à table et les guidant vers leurs chambres, où se trouvent les autres serviteurs. Il répond qu'ils vaquent à leurs occupations et qu'ils n'auront pas l'occasion de les voir. Avec une entrée en la matière aussi convenue et classique, le lecteur n'attend pas grand-chose du récit. L'attrait principal réside dans l'identité de l'illustrateur : Richard Corben, dessinateur au style affirmé et très personnel, s'étant fait connaître en 1973 avec Den première époque et des histoires courtes pour Eerie et Creepy (rassemblées dans Eerie et Creepy présentent Richard Corben Volume 1 et volume 2). Dès la première page, tout le style de Corben saute aux yeux. Dans ce récit en noir & blanc, il utilise des aplats de noir pour donner du poids aux cases, et pour conserver l'inconnu qui se tapit dans ces zones inscrutables. Il utilise les niveaux de gris pour ajouter du volume aux surfaces, en particulier pour les visages, et la peau en général, avec une technique qui permet un dégradé très lissé, très progressive, parfaitement adapté à cet usage. Dès la première page, le lecteur peut également constater qu'il n'a pas perdu la main pour croquer des visages mémorables, aux expressions très parlantes. le visage fermé d'Herbert indique toute sa contrariété à devoir accueillir l'oncle et Anoria. Dans les pages suivantes le visage de l'oncle en dit long sur sa condition, son mode de vie et sa capacité à embellir la vérité. le visage parcheminé de Bodrick permet de ne jamais oublier son âge et sa condition sociale. Comme à son habitude, Corben mélange 2 registres représentatifs différents d'un personnage à l'autre et parfois dans la même case. Il en va ainsi par exemple pour Machlan (le père d'Herbert) et Anoria, la fille de l'oncle. le premier apparaît comme une silhouette vite esquissée avec laquelle Corben joue dans le registre de l'humour, alors que la seconde est détaillée et sublimée, comme elle apparaît aux yeux d'Herbert. En jouant sur ces 2 registres, l'artiste introduit une forme d'humour décalé et second degré qui indique au lecteur qu'il ne se prend pas au sérieux. Mais ce même humour en coin sert aussi de comparaison avec les éléments sérieux et premier degré pour mieux les faire ressortir. Tout l'art du dessinateur est de savoir doser ses effets afin de ne pas créer de dissonance visuelle, et Corben s'y entend à merveille. Il devient virtuose en mélangeant ces 2 techniques pour les monstres en forme de ver anthropomorphe, à la fois immondes et parodiques. du début à la fin, le lecteur peut se régaler d'illustrations mitonnées avec amour des pages savoureuses au premier et au deuxième degré. Il faut dire que le scénario joue sur ses forces graphiques. La scène d'ouverture laisse supposer que Jan Strnad va se contenter de piocher dans les atmosphères gothiques chères à Edgar Allan Poe (Histoires extraordinaires), en les mâtinant d'une couche d'horreur fantastique à la Howard Philips Lovecraft. Lui aussi maîtrise bien ses techniques et l'atmosphère est au rendez-vous, pour une situation très classique et peu originale. Mais les dessins transforment ces poncifs en des ambiances irrésistibles et ces séquences passent toutes seules, jusqu'à ce que… En fait Strnad pose les bases de son récit jusqu'à ce qu'il dispose de fondations assez solides pour l'emmener dans des territoires plus originaux, avec un récit bien ficelé, logique et qui tient la route. Il ne se contente pas d'évoquer le sentiment d'effroi de loin, il plonge les mains dans le cambouis pour concevoir toute la structure mythologique justifiant les particularités de Ragemoor (en seulement 4 épisodes). du coup le récit dépasse le simple exercice de style pour devenir une histoire consistante et très prenante. Jan Strnad et Richard Corben invoquent les mânes d'Edgar Allan Poe et Howard Philips Lovecraft pour un récit d'horreur à l'ancienne convainquant et non dénué d'un humour malicieux.

16/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 2/5
Couverture de la série Vic & Blood
Vic & Blood

Banal - Ce tome regroupe les 3 histoires d'Harlan Hellison mettant en scène Vic et son chien Blood ("Eggsucker", "A boy and his dog", Run, Spot, run", à l'origine des nouvelles parues respectivement en 1977, 1969 et 1980), adaptées en bandes dessinées par Richard Corben, parues pour la première fois en 1987. Eggsucker (12 pages) - Dans cette courte histoire, le lecteur fait connaissance avec Vic (un adolescent) et Blood (un chien télépathe doué de conscience) et leur monde post apocalyptique, un peu après 2021. Vic a déniché quelques bouteilles de vin intactes dans des ruines et il se rend sur un bateau où un groupe de jeunes hommes effectue du troc, en l'occurrence de l'alcool contre des munitions. En chemin, Blood en profite pour faire réciter la liste des présidents américains à Vic, par ordre chronologique. A boy and his dog (36 pages) - Vic et Blood se sont mis d'accord pour se rendre dans une ville proche pour aller au cinéma. Il s'agit d'une ville en ruine où subsiste une petite communauté. Dans la salle, Blood flaire une femme humaine, une denrée rare dans cet environnement presqu'uniquement masculin. Vic se remémore pourquoi Blood dispose d'un odorat plus développé que celui des autres chiens. Ils attendent qu'elle quitte la salle pour la suivre, bien décidé à ce que Vic bénéficie de relations charnelles (consenties ou non). Run, Spot, run (13 pages) - Vic et Blood se retrouvent à nouveau en pleine zone sauvage avec des poches de radiation. Ils sont bientôt poursuivis par Fellini et son gang qui sont décidés à les tuer pour une raison peu claire. - Ces 3 histoires jouissent d'une réputation flatteuse du fait de leurs auteurs et du fait que la partie médiane a été adaptée en film A boy and his dog avec Don Johnson dans le rôle principal. Harlan Hellison est un écrivant de science-fiction à succès aux États-Unis, ayant également travaillé pour plusieurs séries télévisées telles que Star Trek, Au-delà du réel, La cinquième dimension, et Babylon 5. Richard Corben est surtout connu pour sa bande dessinée Den et sa participation aux magazines Creepy & Eerie. Dans un premier temps, l'admirateur de Richard Corben sera un peu déçu puisque pour commencer il n'a pas réalisé la mise en couleurs à l'aérographe comme il pouvait le faire pour ses propres histoires. Ensuite, son adaptation est assez platounette. Corben semble avoir adopté le parti d'être avant tout descriptif dans ses images. Il se met donc au service du récit pour dessiner avec application les paysages désolés, et les ruines, les cratères où subsistent des poches de radiations, le sol en terre informe, les amoncellements de débris de matériaux de constructions, les immeubles désertés avec des débris sur les sols des pièces, et la ville très proprette et années 1950 de la colonie souterraine. D'un coté il s'agit d'un travail soigné et appliqué ; de l'autre le lecteur ne retrouve pas la démesure et l'exagération propre à cet illustrateur. Il en va de même pour les personnages. Toujours au service des 3 nouvelles, Corben proscrit les morphologies qui l'ont rendu célèbre : homme bodybuildé au-delà du possible, femme à la poitrine énorme. Il dessine de jeunes adolescents filiformes pour être cohérent avec la rareté de la nourriture. La seule femme ayant un rôle important (Quilla June Holmes) dispose quand même d'une poitrine plantureuse qu'elle montre à Vic (et au lecteur en même temps) juste le temps d'une case. Il s'avère plus à l'aise pour définir des tenues vestimentaires variées et adaptées aux conditions de vie. Blood ressemble à un chien, sans disposer de postures ou de mouvements particulièrement élaborés. Les mises en pages reposent sagement sur des cases rectangulaires, ce qui n'empêche pas le découpage de chaque scène d'être très vivant. Difficile pour un lecteur des années 2000 de déterminer ce qui a pu rendre ces histoires inoubliables auprès des lecteurs de 1969 (date de parution de la première nouvelle "A boy and his dog"). Il est certain que la menace de la guerre atomique était plus présente dans l'inconscient collectif, d'où une plus grande résonnance de ce monde dévasté. Lorsque le jeune Vic détruit une paisible communauté figée dans années 1950 et refusant d'évoluer, il est vraisemblable que ce thème parlait plus à des lecteurs vivant l'éclosion de la contre-culture, de l'été de l'amour, etc. Aujourd'hui, ces péripéties ne constituent plus une attaque virulente contre l'ordre établi ; elles sont devenues des stéréotypes de ce genre de récit, largement dépassées en termes d'acidité, de refus de l'establishment, de violence, de crudité, de noirceur, et même de nihilisme. Aussi, avec le passage du temps, ces 3 histoires semblent un peu trop sages et convenues, avec un niveau de provocation et de rébellion trop basique. Or la psychologie n'est pas fortement développée : Vic est juste une incarnation d'une jeunesse débarrassée d'une tutelle adulte, obligé de subvenir par lui-même à ses besoins. Blood fait figure de compagnon plutôt générique, de gentil "ami imaginaire". La narration est linéaire (sauf pour l'explication des capacités télépathiques de Blood). La violence n'est pas graphique. Les coups de théâtre sont rares et amenés en douceur. Alors que le lecteur pouvait croire qu'il découvrirait une pépite rare et intense, il lit une histoire qui a perdu de son mordant et de sa virulence avec les années, sans que ce ne soit contrebalancé par des personnages forts ou une narration virtuose. Richard Corben évite de s'adonner à ses excès graphiques habituels pour ne pas phagocyter les histoires, et les illustrations deviennent trop sages. Il ne s'agit pas d'un ratage complet, mais ces histoires relèvent plus d'un témoignage d'une époque, que d'un récit classique ayant résisté à l'épreuve du temps.

16/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Starr le tueur
Starr le tueur

De retour dans les comics underground des années 1970, ou presque - Ce tome regroupe les 4 épisodes de la minisérie du même nom parue en 2009. Dans un pays moyenâgeux, un ménestrel d'une race indéterminée (mais pas de notre terre) raconte l'édifiante histoire de Starr en vers (en tout cas en phrases qui riment). Bizarrement son récit commence avec l'ascension vers la gloire d'un romancier de série Z bien de chez nous (enfin américain). Len Carson a créé Starr, un personnage d'heroic fantasy, barbare de base aux cheveux blonds et à l'épée tranchante. Grâce à sa création, il vend des palettes de livres et il fait la fortune de son éditeur. Il décide de changer de registre pour se lancer dans le roman sérieux et écrire un vrai roman américain qui fera date dans l'histoire de la littérature. La pauvreté est vite au rendez-vous. En parallèle le ménestrel raconte comment Starr a quitté sa cambrousse natale avec son père, son frère et sa sœur, comment il est arrivé à la civilisation (une petite ville avec un système féodal rudimentaire), comment il s'est rapidement retrouvé gladiateur dans l'arène et victime d'un sorcier dont il a malencontreusement tué le frère. Pour des raisons inconnues, Marvel avait décidé en 2009 de ressusciter 2 titres oubliés de tout le monde : Dominic Fortune et Starr the Slayer. Pour mon plus grand plaisir "Dominic Fortune" a bénéficié des talents d'Howard Chaykin, et "Starr" a le droit à un dessinateur encore plus culte : Richard Corben. C'est son nom qui m'a convaincu de me lancer dans la lecture de ce tome. Il faut dire que le personnage de Starr est encore plus obscur que celui de Dominic Fortune. Il s'agit à la base d'un comics écrit par Roy Thomas et dessiné par Barry Windsor Smith, paru pour la première fois en 1970. L'objectif pour Marvel était de voir comment répondrait le public à un comics à base de barbares et d'épées. le résultat ayant été concluant, Roy Thomas et Barry Windsor Smith furent ensuite associés pour lancer l'adaptation en comics de Conan avec le succès que l'on connaît. Pour avoir une idée de la prestation de Corben, il faut commencer par quelques mots sur le scénario. Il a été écrit par Daniel Way qui n'est pas réputé pour sa finesse. Pour autant, dans cette histoire, il fait preuve d'un second degré suffisant pour accompagner les illustrations parfois pince sans rire de Corben. le ménestrel donne le ton du récit : il ne raconte que pour pouvoir payer son loyer, il émaille sa chanson de quelques mots grossiers bien placés et en nombre restreint pour qu'ils gardent tout leur pouvoir. Il présente les événements avec une vision narquoise et légèrement cynique. Daniel Way prend le soin d'inclure tous les éléments propres à ce genre de récit : barbare musclé, épée tranchante, belle demoiselle pulpeuse, méchant sorcier, créatures horribles. Et il prend également soin de prendre le contrepied de certains de ces clichés : demoiselle physiquement plus forte et plus intelligente que le héros, barbare respectueux des lois de la civilisation, femmes entreprenantes au lieu d'être soumises et victimes, etc. Ce scénario est du pain béni pour Corben dont le style marie des éléments hyper réalistes avec des déformations cartoons. le vieux fan retrouve même par moment le Corben des années 1970 quand Starr écrase son poing dans la figure d'un citadin avec la chair qui cède, le sang qui gicle et le lettrage du bruitage limite artisanal. Corben renoue également avec les formes généreuses du corps humain. Son héros présente une musculature qu'aucun culturiste ne pourra jamais égaler, avec des veines saillantes sous l'effort. Les représentantes de la gente féminine disposent de courbes bien en chair (elles sont vraiment girondes) avec une musculature très efficace. Les 2 ou 3 monstres qui apparaissent constituent des croisements entre le règne animal et des déformations répugnantes. de la même manière les races humanoïdes doivent autant aux humains qu'à une imagination parfaitement maîtrisée qui les rend aussi bizarres qu'étranges grâce à un ou deux détails bien choisis. Comme toujours la connaissance anatomique de Corben décuple la force visuelle de chaque mouvement, de chaque blessure, de chaque exagération. Chaque coup porté avec force fait des ravages sur l'anatomie que les illustrations rendent parfaitement et le lecteur voit les dégâts, perçoit la douleur du corps abimé comme rarement dans les comics. Il manque quand même 2 éléments pour que le niveau de provocation des années 1970 soit atteint. le premier est évident : même sous la bannière Max de Marvel, il n'est pas question de montrer des corps nus de front. le deuxième élément que seuls les lecteurs de Den ou Jeremy Brood ou autre décèleront : Richard Corben n'a pas réalisé la mise en couleurs. José Villarrubia réalise un travail de bon niveau, mais qui n'a ni la saveur, ni l'intensité, ni la subtilité des couleurs du maître. "Starr the slayer" constitue un bon défouloir avec quelques touches de second degré et de dérision servi par les illustrations toujours aussi délicieuses de Richard Corben.

16/04/2024 (modifier)
Par Pierig
Note: 2/5
Couverture de la série Diamants vengeurs
Diamants vengeurs

Cet album de la collection Atomium vaut surtout le détour pour le trait semi-réaliste de Luc Cornillon. Si il est encore perfectible, j'ai été séduit par ses créatures marines, sortes de stranger thing tout droit sorti d'un comics. Côté récit, le format de la collection impose la brièveté. Mais ici, c'est clairement trop juste. Le manque de développement donne l'impression de survoler une histoire qui sent le déjà-vu. La recherche du butin du troisième Reich n'est pas franchement novateur et le traitement qui en est fait est décevant. Reste un final qui rattrape la sauce d'un rôti un peu trop cuit.

16/04/2024 (modifier)
Par Pierig
Note: 3/5
Couverture de la série Pinocchio (Foerster)
Pinocchio (Foerster)

J'ai lu cette bd dans la collection Atomium publiée par Atomic Strip en 1983. Pour le coup, l'histoire de Pinocchio est complètement revisitée. Comme souligné ci-avant, ce conte s'apparente plus à celui de Frankenstein. Il n'est point ici question de petit garçon désobéissant mais plutôt d'un monstre sans états d'âme. La noirceur du récit est renforcée par l'issue inéluctable qui se profile. Foerster propose un récit sombre et violent mais où rien est gratuit. En effet, le montre Pinocchio est enfanté par le rejet et la méchanceté des villageois envers la lilliputienne. La violence appelle la violence ... et cela ne peut que se finir tragiquement. Finalement, on récolte ce que l'on sème. Récit court, comme tous ceux de la collection Atomium, mais rehaussé du trait de Foerster. A lire si l'occasion se présente ...

16/04/2024 (modifier)
Par Bruno :)
Note: 3/5
Couverture de la série Neon Genesis Evangelion
Neon Genesis Evangelion

Je n'en ai lu que huit épisodes, n'ayant pas été convaincu par la pertinence de la version papier de cet ovni dramatico-Goldoresque qui, sous sa forme originelle d'Animé, m'a pourtant obsédé et fasciné pendant assez longtemps pour se détacher plutôt nettement sur l'ensemble de mes coups de cœurs d'adulte pour une histoire de S.F. Obsédé par la mise en scène du sujet, si originalement exposé via des ellipses narratives privilégiant l'intime plutôt que l'action : épisodes riches d'intérêts et extrêmement bien présentés, sinon complètement inédits dans le genre ; et imposés autant par les choix artistiques des auteurs que par les circonstances plus prosaïques de la production de la série télévisée. Les nombreux plans fixes, si économiques (!), demeurent l'une des exploitations les plus réussies -et les plus culottés !- d'une contrainte budgétaire dans le genre du dessin animé ; et jouent énormément dans la spécificité du rythme et son unicité si puissante. Fasciné par l'esthétique de l'ensemble, aussi surprenante et déroutante qu'elle semble pour les visages des personnages (pour un spectateur occasionnel du médium Nippon) que séduisante et franchement nouvelle (à l'époque) pour tout ce qui concerne le design, Mécha & Plug-Suit en tête ; et, bien sûr, nos gros Anges, autant belliqueux qu'improbables, bien souvent... La bonne nouvelle, c'est que le Chara-designer de la série Télé assume la partie graphique du Manga imprimé, et le résultat est très réussi : l'élégance de son encrage (ces incroyables courbes "en creux" ?!) si délicat nous permet d'admirer ses réalisations en prenant tout notre temps et, même si cela change un peu radicalement le ton du récit en comparaison de l'Animé, les personnages bénéficient tous d'une palette bien plus étendue quant au rendu de leurs expressions. Du très beau travail qui ne peut que ravir le fan original. Les couvertures, magnifiques, font vraiment regretter le format : heureusement, il y a les Art-Books ! Là où l'approche est un peu plus délicate, c'est que ce médium-ci offre d'avantage de "temporalité" au récit et, fatalement, l'auteur s'en sert pour essayer d'enrichir ses scènes ; notamment au travers de nombreux dialogues qui, non seulement exposent bien trop "l'action" en cours (classique pour un Manga, dont la traduction est souvent très littérale...) mais, surtout, tendent à transformer un peu-beaucoup la perception que l'on a des héros ; quitte à les éloigner assez radicalement de leur incarnation originelle. Le procédé est, de mon point de vue, dommageable aux relations entretenues par ces derniers (alors qu'elles sont si subtilement exposées dans l'Animé) et, à mon grand regret, définitivement fatal pour Shinji et Rei. Incroyablement bavards (un comble pour cette dernière !), deux des principaux personnages s'en trouvent carrément transformés et, dans le cas de Shinji, la métamorphose est plutôt rédhibitoire : l'adolescent inhibé/dépressif, mais pourtant concerné et hyper-sensible, devient ainsi une sorte de provocateur passif/agressif moyennement sympathique dont les réactions sont beaucoup moins faciles à suivre. L'histoire en elle-même s'éloigne de l'atmosphère expérimentale/psychologique originelle en essayant d’approfondir l'intrigue S.F. constituée par l'existence des Anges ; mais le fourre-tout (flou !) du sujet semble trop vaste pour fédérer d'avantage qu'une simple curiosité passagère -et ça demeure quand même très racoleur côté dramaturgie (la face de gâteau d'anniversaire de Kaworu et le régime si spécial de Gendo...!) sans amener plus d'éclaircissements que la série Télé qui, au demeurant et étant donnée sa fin abrégée complètement surréaliste mais particulièrement raccord avec la volonté très anticonformiste de ses auteurs, se suffisait finalement à elle-même. Un travail de qualité, néanmoins : pour les aficionados collectionneurs.

16/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Bowie
Bowie

Une biographie de plus, serais-je tenté de dire. Celle-ci se focalise sur les débuts de David Bowie, les années de galères puis le succès rencontré avec Ziggy Stardust and the Spiders from Mars. A titre personnel, j'en sors peu emballé. En cause principalement, les nombreuses planches qui s'enchainent avec pour seuls textes l'évocation d'une anecdote des plus secondaires (David Bowie a un accident de voiture, tout le monde s'en sort indemne), les dates et lieux de concert (10 juillet, Rainbow Theatre) ou les différents costumes de scène du groupe. En fait, hormis l'aspect graphique qui permet d'illustrer brillamment l'esthétique glam dans toute son exubérance, j'ai trouvé cette biographie extrêmement pauvre. Elle ne parvient en tous les cas pas à me faire comprendre les raisons du succès de Bowie, l'originalité de l'artiste, son talent, son génie musical. Là, si je n'était pas amateur du musicien par ailleurs, j'aurais le sentiment que son seul talent, c'est son look extravagant. Donc voilà, lue d'un œil de plus en plus distrait au fur et à mesure que les planches défilaient, cette biographie n'aura pas réussi à m'apporter ce que j'en attendais. Reste l'aspect visuel avec cette mise en avant de l'exubérance glam, de ses paillettes, ses coupes de cheveux improbables et ses excès en tous genres. Bof pour ma part.

16/04/2024 (modifier)