Les derniers avis (269 avis)

Couverture de la série C'est une belle journée pour un labyrinthe !
C'est une belle journée pour un labyrinthe !

Alors, vous prenez un univers de style post-apocalyptique, une cité labyrinthe enfouie dont l’architecture semble résulter des ruines d’une civilisation proche de la nôtre mais plus futuriste. Vous ajoutez de mystérieux kidnappeurs, dont les habitants ne savent trop dire s’il s’agit d’une légende ou si effectivement, ils sont responsables de l’enlèvement de familles entières. Enfin, vous prenez quatre jeunes filles (entre 11 et 14 ans), et dans cet univers, vous leur faites vivre des aventures dignes de Martine à la plage ! Pas besoin de s’inquiéter de leurs parents, on ne les verra jamais. Et si elles semblent être scolarisées, leur quotidien se résume à faire de la pâtisserie, aller à la plage et surtout explorer leur cité (mais sans angoisse, à la manière d’enfants qui se baladeraient dans un jardin public sans rien craindre des autres habitants). Honnêtement, je pense qu’il n’y a que dans le genre manga que l’on peut retrouver ce genre d’association d’idées. Le plus étonnant est que le résultat est plutôt correct, voire pas mal. Les courtes histoires qui rythment les deux premiers tiers de l’album sont des plus futiles (l'avion en papier qui s'envole par la fenêtre, la baignade, la chambre secrète pleine de peluches, le plaisir de manger une glace, la joie de courir sous la pluie, le beau garçon qui arrive toujours au bon/mauvais moment… et puis l’éveil à la sexualité parce que bon, on est quand même dans un manga) mais placées dans cet univers, elles deviennent étrangement décalée, accentuant le caractère insouciant des quatre amies et par là même leur candeur. Et lorsque nous nous sommes habitués à ce ton, le récit bascule enfin. Non qu’il devienne subitement plus dramatique mais les différents éléments mis en place permettent une montée du suspense et le dernier quart du manga verse alors vers le récit d’aventure avec explications du mystère qui entoure cette cité souterraine et de ce qui est arrivé au monde extérieur. Mais à nouveau, tout est cool et gentil. On sent bien que rien de fâcheux ne peut arriver aux quatre gamines et à leur ami. De ce fait, cet album convient parfaitement à un jeune public (les allusions sexuelles restent d’ailleurs très enfantines et donc adaptées à un public dès 10 ans). Le dessin est agréable dans l’ensemble. Les décors sont bien présents, les personnages sont bien typés. C’est à la fois facile à lire et immersif. Le découpage est bon et de nombreuses planches se ‘lisent’ très rapidement, de sorte que l’album, malgré ses 200 pages, est vite englouti. Là encore, le style adopté permet à un large public d’y trouver son compte. Franchement surprenant. Pas un chef-d’œuvre mais une œuvre originale et positive : une sorte de récit post-apocalyptique feelgood, candide et naïf.

01/05/2024 (modifier)
Couverture de la série Nos rives partagées
Nos rives partagées

Mais quelle bonne idée d'avoir adjoint à ce récit d'amours une dimension fantastique ! Nos rives partagées aurait pu n'être qu'un simple récit choral dans lequel nous aurions suivi trois couples de trois tranches d'âges différentes. Le récit aurait été touchant, à l'image des personnages qui l'animent, mais peu original. Le lecteur se serait simplement identifié à l'un ou l'autre personnage, aurait pris en affection tel ou tel autre, aurait apprécié l'évolution des relations entre ces couples, les débuts hésitants, les maladresses, les failles cachées. C'aurait été agréable... mais il aurait sans doute manqué quelque chose. Pour remédier à cette situation, les auteurs ont apporté une dimension fantastique au récit, en donnant à des animaux la fonction de témoins privilégiés. Nous suivons ainsi leurs digressions à propos de la race humaine, de ses incohérences, de sa futilité. Deux animaux se voient ainsi dotés d'un rôle de taille dans cette histoire : la sage grenouille et le chat cynique, par leur regard extérieur, jugent nos couples avec un regard vierge, parfois attendri mais souvent narquois. Cette dimension apporte beaucoup de poésie au récit et lui permet de sortir du tout-venant. Je guettais cette sortie depuis quelques temps, appâté par le nom des auteurs. J'avoue avoir eu un peu de mal à rentrer dedans mais une fois que la sauce a pris, je n'ai plus lâché prise. Le scénario de Zabus dégage la poésie et la bienveillance à laquelle il m'a déjà habitué par ailleurs. Le dessin de Nicoby est toujours aussi frais et accessible. Lui aussi dégage une forme de bienveillance qui convient parfaitement au récit. Au final, sans pouvoir parler d'un pur chef-d'œuvre, je trouve que les auteurs ont réussi à créer quelque chose d'original tout en restant très classique. Franchement pas mal du tout !

01/05/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 3/5
Couverture de la série Séverin Blaireau
Séverin Blaireau

Une jolie petite histoire bien menée sur la thématique de la mémoire. L'histoire clairement orientée vers les enfants amuse tout de même le grand dadais que je suis par des petites touches souvent bien senties, et une utilisation graphique d'un terrier qui donne envie d'aller y habiter. C'est un joli petit conte, où le blaireau joue le rôle du sage, pour changer de son image du nuisible. La colorisation fait bien ressortir l'ensemble et on sent un travail dans la composition, les cadrages et les moments marquants. Si l'histoire est vite lue, j'apprécie l'idée de faim (huhu) qui redonne sa mémoire à la pirate. Une jolie histoire qui plaira sans doute aux enfants et que je recommande facilement !

01/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Chaperon Rouge
Chaperon Rouge

À la redécouverte de la lecture - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il est initialement paru en 2015, écrit, dessiné et encré par Danijel Žeželj (un artiste croate). Il est en noir & blanc, et reprend le conte du petit chaperon rouge. Il présente la particularité d'être dépourvu de tout texte, pas de phylactère, aucun mot, sans dialogue. En page d'ouverture, le lecteur contemple une forêt de pin, éclairée par le soleil, avec une impression de sécheresse. Puis il voit un oiseau s'élever au-dessus de la cime des arbres, tenant dans ses serres un petit rongeur inidentifiable. Dans une clairière, sur une pierre plate légèrement surélevée, un individu est assis dans une position d'attente, avec ce qui semble être une lance dressée vers le ciel. Il porte une capuche couvrant sa tête, et masquant ses traits. le regard du chasseur est impénétrable. Non loin de là, un loup l'observe depuis les fourrés. La cheminée d'une maison crache sa fumée dans le ciel, au beau milieu d'une clairière. Dans cette maison une femme prépare des gâteaux en forme de cœur. Elle les retire d'un plat que l'on devine sorti du four et les met dans un panier qu'elle recouvre d'un tissu avec un motif en damier. Elle confie le panier à une jeune fille (sûrement sa fille) qui s'en va et pénètre bientôt dans la forêt. Il serait possible de continuer ainsi le récit de cette BD de 48 pages jusqu'à son terme, sans rien révéler de plus que ce que le lecteur potentiel en connait déjà. Danijel Žeželj réalise une adaptation fidèle de l'intrigue du conte de Petit chaperon rouge. Il en a choisi une version classique, celle la plus connue, celle qui est lue par les parents à leurs enfants. Voilà un bien étrange projet bédéique qui consiste à raconter une histoire que le lecteur connaît déjà, en se privant des mots dans la narration. de fait le lecteur attiré par cette expérience sait par avance qu'il s'aventure dans des pages dont l'objectif n'est pas de faire découvrir une intrigue, mais dont l'enjeu est la manière dont cette histoire déjà connue par avance est racontée. Concrètement si le lecteur n'a aucune envie de redécouvrir le conte du Petit Chaperon Rouge (en abrégé PCR), il vaut mieux qu'il passe son chemin, s'il veut un récit clair et explicite également. En choisissant cette forme, l'auteur adopte un mode de communication qui nécessite une participation active de la part du lecteur. Ce dernier ne peut pas se contenter d'absorber les informations comme une simple histoire n'ayant de valeur que pour son intrigue, ou pour la personnalité des protagonistes. Il doit faire preuve de lecture active (comme on parle d'écoute active), interpréter ce qui lui est montré, repérer les symboles, rétablir une causalité entre 2 événements. Cet exercice est d'autant plus interprétatif que le lecteur est obligé de repasser par les mots, par une verbalisation pour s'y livrer, alors que la narration est exclusivement visuelle. C'est bien volontiers que le lecteur plonge dans cet ouvrage car les images sont magnifiques dès la couverture. Danijel Žeželj réalise des dessins qui semblent avoir été effectués à grand coup de pinceau large et vif, avec une encre bien noire et épaisse. Les futs des sapins donnent l'impression de s'élancer vers le ciel, comme s'ils avaient été matérialisés d'un coup vif de pinceau de bas en haut, la largeur allant en diminuant alors que l'artiste lève progressivement son outil. Les branches sont ajoutées par la suite dans un mouvement descendant, se chevauchant, masquant la lumière du soleil, dans un désordre presque belliqueux. La lumière subsiste par endroit, avec zones blanches irisées montrant qu'elle doit lutter contre la pénombre installée par les branchages. Dès cette première page de l'histoire (page 7) le lecteur perçoit la force de ce milieu naturel, son mystère, ses ténèbres propices aux rencontres néfastes, un environnement peu accueillant pour la vie humaine. Le premier personnage à apparaître est un rapace qui vient de prendre un rongeur non identifié dans ses serres. le lecteur entre de plain-pied dans le mode de représentation de l'artiste. Dans la troisième case de la page 3, il est facile de reconnaître la silhouette d'un rapace, ailes écartées, même s'il s'agit plus d'une ombre chinoise épurée. Grâce à cette identification, le lecteur peut alors saisir le sens du dessin dans la case précédente : la forme des ailes en surimpressions sur celle du faîte des sapins. Danijel Žeželj a épuré ses dessins jusqu'à ce que parfois il ne subsiste plus qu'une forme épurée, nécessitant un effort de la part du lecteur pour l'interpréter. Ce n'est pas le seul mode de représentation. Page 12, l'artiste montre la cuisine en vue de dessus, en représentant, le fourneau, une poêle, la mère en train de remplir le panier, le Chaperon qui joue avec son chien, un vaisselier, les lames du parquet. le registre graphique va donc du figuratif détaillé jusqu'aux formes quasi abstraites. Charge au lecteur de reconnaître ces formes, en interprétant des tâches noires sur une feuille de papier. Žeželj joue avec le lecteur jusqu'à la paréidolie. Telle case est-elle figurative ou abstraite ? Y a-t-il un élément concret de représenté, ou s'agit-il d'un leitmotiv ? Ou encore s'agit-il d'un détail extrait de son contexte pour aboutir à une composition abstraite pour évoquer une émotion ou un sentiment ? En fonction des pages et des cases, la réponse se situe dans l'une ou l'autre des catégories, et c'est au lecteur qu'il appartient de se repérer. La reconnaissance des formes dessinées s'apparente alors une recherche de sens qui se confond avec l'identification des schémas (de sens ou narratifs). Il se produit un phénomène d'interpénétration entre l'exercice de la lecture et celui de la compréhension, comme si le lecteur devait réapprendre à lire. Parmi les outils narratifs visuels, le lecteur voit apparaître un ou deux leitmotivs visuels. le premier est facile à repérer : il s'agit de la forme du cœur. Les gâteaux préparés par la maman sont en forme de cœur (page 12), et cette forme réapparaît sur la façade de la maison de Grand-Mère (page 27). La dernière case de la page 40 représente une forme de traînée s'élevant vers le haut, avec quelques tâches. Bien concentré, le lecteur se rappelle qu'il a vu le même motif inversé (la traînée d'encre allant vers le bas), en page 36 pour représenter la queue du loup en train d'osciller. Charge au lecteur d'en déduire un sens à partir de ce rapprochement visuel. Parfois, il ne s'agit pas d'un leitmotiv, mais plutôt d'une case qui prend du sens grâce à la suivante. Ainsi page 33, le lecteur découvre un dessin pleine page, totalement abstrait, hors de contexte, sans lien avec la page précédente. Ce n'est qu'en tournant la page qu'il comprend ce qui est représenté. Par contre, il lui appartient là aussi de projeter un sens sur le choix de ce dessin à cet endroit, et sur la raison pour laquelle l'artiste lui a donné une telle importance en lui accordant une pleine page. À de rares reprises (moins de 5), le lecteur tombe sur une case incompréhensible. Il a beau chercher un lien logique avec la séquence précédente, ou un lien visuel en rapprochant des formes, la forme dessinée reste abstraite, ne livrant pas de sens (par exemple le dessin pleine page de la page 32 qui exige beaucoup de supputations de la part du lecteur, peut-être un chemin ?), laissant le lecteur sur une incompréhension. Les grands coups de pinceaux de Danijel Žeželj confèrent une présence extraordinaire à la forêt, une présence peu commune aux personnages. Pourtant ce conte comprend peu de personnages : le Chaperon Rouge, le Loup, le Chasseur (l'auteur a préféré le chasseur des frères Grimm au bûcheron de Charles Perrault), et à la rigueur la mère du Chaperon (qui apparaît le temps de 4 cases), ainsi que la grand-mère. Comme dans le conte, aucun d'entre eux ne bénéficie d'un nom, par la force des choses ici puisqu'il s'agit d'un récit dépourvu de tout mot. Ils sont eux aussi représentés à grand coup de pinceau, tout à fait reconnaissables dans la mesure où l'artiste a opté pour des visions archétypales. Il a tendance à leur conférer un aspect romantique, dans la mesure où il utilise régulièrement un angle de vue en contreplongée, leur donnant ainsi une position dominante sur la scène et sur le lecteur. Sous réserve de jouer le jeu de la lecture active, le lecteur plonge dans un environnement graphique épatant, presqu'hypnotique dans sa dimension exclusivement visuelle qui nécessite de se concentrer, donc de s'investir, pour pouvoir formuler dans son esprit la trame narrative liant les dessins entre eux. Dès la première page, une autre dimension ludique apparaît : le jeu des différences. Ainsi le lecteur se demande comment l'auteur va mettre en scène la rencontre entre le Loup et la Chaperon dans les bois, quel genre de dessins il va réaliser pour le jeu de questions & réponses (Grand-Mère comme tu as de grandes dents !), et quelle fin il aura choisi (celle de Perrault, celle des frères Grimm, une autre). Il voit apparaître avec étonnement une structure de nature industrielle en page 16. le ciel constellé de noir à son sommet évoque la fumée rejetée par la cheminée de la maison du Chaperon Rouge. Se pourrait-il que cette version comporte une dimension écologique ? Sans en révéler plus, cette version contient effectivement une poignée d'éléments supplémentaires (toujours sous forme graphique) qui conduisent le lecteur à s'interroger sur le sens voulu par l'auteur dans sa version de ce conte classique. le choix du noir & blanc tendrait à faire penser que Danijel Žeželj n'a pas souhaité insister sur une approche psychanalytique dans laquelle le rouge figure le désir, et la délivrance du ventre du loup, une forme de renaissance ou d'entrée dans la vie adulte. Par contre le rapprochement de la forme du chasseur se déplaçant dans les bois avec celle du Loup courant dans les bois peut aiguiller vers la position sociale de manger ou être mangé, au sens propre comme au figuré. Cette façon de voir s'accorde bien avec la scène d'ouverture dans laquelle un rapace s'envole avec sa proie dans ses serres, illustrant la conséquence mortelle du positionnement arbitraire de l'individu dans la chaîne alimentaire. Si le cœur lui en dit, le lecteur peut aussi y voir une morale assez basique dans laquelle la curiosité de l'enfant l'amène à prendre des risques qu'il ne soupçonne pas (la gentille curiosité du Chaperon dans les bois), et à en subir les conséquences, pour finir par être tiré d'affaire par un adulte compétent (le chasseur), en espérant qu'il en tire une leçon. En fonction de sa sensibilité et de sa culture, le lecteur pourra projeter d'autres interprétations dans cette version. D'une manière saisissante, Danijel Žeželj représente le chasseur comme un guerrier armé d'une lance, peut-être à la peau noire, évoquant l'archétype de Queequeg dans Moby Dick (1851) d'Herman Melville. le lecteur a alors la liberté de projeter une interprétation spirituelle entre les forces de la nature et le chasseur armé par la civilisation, l'enfant devant quitter l'inné pour aller vers l'acquis. La fin du récit (les 8 dernières pages) suggère encore une autre interprétation, revenant dans le domaine psychanalytique, sur le rapport entre le masculin et le féminin, et une forme de spiritisme. À la fin de cette histoire, le lecteur en ressort rafraîchit, avec un questionnement élargi sur sa condition humaine. Il a l'impression d'avoir réappris à lire, d'avoir redécouvert les mécanismes de la lecture, d'avoir vu ce conte par les yeux d'un autre, tout en participant à cette version différente. Il a plongé aux côtés du Petit Chaperon Rouge dans une forêt épaisse et mystérieuse, pour vivre des événements extraordinaires et oniriques, dans un monde pas entièrement déchiffrable, et pourtant porteur de sens. Danijel Žeželj a ré-enchanté l'exercice de la lecture.

01/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Confesseur sauvage
Le Confesseur sauvage

Pauvre être humain - Ce tome comprend 5 histoires qui se déroulent dans la même ville à la même époque, avec un personnage récurrent qui est le récipiendaire de ces récits, celui qui est qualifié de confesseur sauvage. Il est initialement paru en 2015, écrit, dessiné, encré et mis en couleurs par Philippe Foerster. Ce créateur a longtemps collaboré à Fluide Glacial, à partir de 1979. Une anthologie lui a été consacrée récemment : Certains l'aiment noir. À une époque contemporaine, dans la bonne ville de Tchernobourg, il y a eu une grosse catastrophe : un croissant de Lune a chu sur la centrale nucléaire toute proche, et les habitants ont alors commencé à engendrer des mutants aux déformations monstrueuses et à subir eux-mêmes des mutations. Parmi cette population tératologique, il en est un avec tronc d'être humain, et des tentacules de poulpe en lieu et place des jambes, qui se fait appeler Père Irradieu. Il a un don : chaque personne qu'il touche se confesse spontanément à lui. Durant ces 5 chapitres, madame Génuflexion évoque le cas très particulier de sa fille Gisèle à qui elle avait tenté de cacher qu'elle était une limace (en commençant par casser tous les miroirs). Puis il touche un sans-abri dans un parc. Il s'appelle monsieur Annonciation, il était employé aux fromageries Lovecheese, et amoureux de sa voisine de bureau, mademoiselle Desurcroit. Dans le troisième chapitre, quelqu'un lui raconte l'histoire du major Oraison, exterminateur de mutants dans Tchernobourg. Puis l'ex-humoriste Piedepoule lui raconte l'histoire de Sagamore, le fils de Sophie-Charlotte et Baudouin Transfiguration. Enfin, il reçoit la confession de madame Absolution qui lui raconte l'histoire de Wilfried, son fils, mangeur de revenants. Il existe en France un magazine mensuel de bandes dessinées, dont le succès ne se tarit pas depuis 1975. Il a accueilli des auteurs aux personnalités aussi fortes que diverses comme Marcel Gotlib, Binet Edika, Goossens, Lelong, Maëster, Tronchet, et bien d'autres. Parmi eux, Philippe Foerster dispose d'un trait aussi personnel que les autres et immédiatement reconnaissable. Qui plus est ses histoires présentent des caractéristiques très fortes, baignant dans un humour noir et macabre, avec un soupçon de glauque. Dans ce tome, le lecteur retrouve tout ce qui fait la force de ce créateur sans pareil. De prime abord, le lecteur se dit que ça ne peut pas marcher. Foerster mélange des ingrédients infantiles et surannés qui malmènent la logique et semblent provenir d'une époque révolue. Comme la présentation en atteste, il a le chic pour choisir des noms idiots, sans rapport avec les personnages, une collection de noms communs piochés dans un registre en total décalage avec ses récits (entre Annonciation et Transfiguration, on est servi). Ensuite, il utilise les conventions d'une science-fiction des années 1950, avec une représentation littérale de nature infantile. Un morceau de la Lune est tombé sur le centrale nucléaire de Tchernobourg : il a la forme d'un croissant de Lune, et trône en arrière-plan de la ville, avec une jolie forme de croissant (comme celle sur laquelle est adossé le Pierrot lunaire). Ensuite la destruction de la Lune n'a eu aucune incidence sur les masses maritimes. De manière tout aussi littérale, les radiations ont provoqué des mutations grotesques, mais pas de brûlure, ou de cancer, ou tout autre conséquence biologique prévisible. En outre ces mutations sont grotesques et affectent aussi bien les adultes que les enfants à naître. le confesseur a donc des tentacules à la place des jambes, et Gisèle Génuflexion est une grosse limace, avec la personnalité d'un être humain, sans bras, sans jamais prendre conscience que sa morphologie ne s'apparente en rien à celle de ses parents. Rapidement le lecteur se rend aussi compte que l'anatomie des personnages humains présente parfois de légères exagérations. Cela commence par les nez. Quelques-uns (mais cela n'a rien de systématique) présentent un nez un peu plus charnu que la moyenne, sans que cela devienne un gros nez à la Albert Uderzo, ni que ces personnages soient majoritaires. D'autres présentent un nez pointu et allongé, un peu au-delà de la normale. Il y a aussi le cas particulier des mentons. Des personnages peuvent être dépourvus de mentons, et d'autres affligés d'énormes goitres ou de bajoues. de temps à autre, un front va être un peu plus large, ou un peu plus volumineux que la normale, une forme douce d'hydrocéphalie, comme si même es êtres humains normaux étaient légèrement monstrueux. Philippe Foerster peut également dessiner les yeux plus grand que la normale pour accentuer l'expressivité d'un visage. Lorsque le lecteur commence à détailler chaque dessin, il se rend compte que cet artiste utilise de nombreuses approches différentes dans ses représentations. Il peut aussi bien esquisser une forme par quelques traits sans soucis de réalisme (le cadavre en décomposition de Gisèle), s'inscrivant ainsi dans une registre plus iconique que réaliste. Il peut légèrement gauchir les perspectives pour déstabiliser sa composition, décontenancer le lecteur et introduire une forme de déséquilibre qui fait converger le regard du lecteur vers l'élément surnaturel ou anormal. Il peut tout aussi bien s'attacher à de menus détails très concrets et très banals. Ainsi, les intérieurs des appartements des différents protagonistes disposent tous d'un mobilier et d'une architecture intérieure différents. Les tenues vestimentaires sont adaptées à chaque personnage. Les façades des immeubles relèvent de périodes bien identifiables. Au fur et à mesure de la lecture, le lecteur constate d'ailleurs que ces mobiliers et ces tenues renvoient aux années 1950, créant une ambiance surannée, dépassée et ringarde. Cette particularité ajoute encore à la noirceur du récit. Malgré toutes ces caractéristiques qui ne donnent pas forcément envie de découvrir cet étrange ouvrage et cet auteur, le tout présente une grande unité narrative qui plonge le lecteur dans un monde glauque, d'une grande noirceur, un mélange d'un humour très noir et d'une forme de désespoir existentiel qui fait rire jaune. Bien sûr que cette science-fiction n'a rien de réaliste, qu'elle utilise des visuels et des concepts infantiles, mais l'inanité de l'existence n'en ressort que plus. le confesseur sauvage n'a même pas de nom véritable (juste un pseudonyme qu'il s'est choisi), juste des tentacules qui le place à part de l'humanité, sans aucun espoir d'une vie normale, ou même d'être d'une quelconque utilité à la société. Chacune des personnes qui se confesse malgré elle n'en ressort aucunement soulagée. Pour commencer ce confesseur n'est pas un prêtre et ne dispense aucune absolution d'aucune sorte. Ensuite leur confession ne fait qu'entériner le constat de leur échec, de leur faiblesse morale, de leur solitude, de leur médiocrité, etc. Il n'y a rien de romantique dans ces récits, ou de morale venant ouvrir une fenêtre d'espoir. Sous ces dehors peu crédibles, le lecteur découvre rapidement qu'il s'agit de fables à destination d'adultes, au cœur bien accroché. La force de ces récits ne réside pas dans le destin de personnes minables accablées de malchance, mais au contraire dans le comportement très humain de ces individus essayant de faire avec les avanies de la vie. Ainsi madame Génuflexion fait tout pour sa fille Gisèle, avec l'aide de Gino, on second mari dont ce n'est même pas l'enfant. Et Gisèle grandit comme une fille normale malgré sa morphologie de limace. le lecteur ne peut qu'être admiratif de la force de caractère de ces parents s'accommodant de leur situation sortant de l'ordinaire et réussissant dans leur entreprise. Il en va aussi ainsi pour madame & monsieur Transfiguration, ou encore pour Wilfried qui prend sur lui pour faire plaisir à sa maman. le lecteur ressent une forte empathie pour ces personnages dont les motivations sont universelles et très humaines. C'est même le fort contraste entre l'environnement et les circonstances délirantes, et le comportement très normal de ces individus qui fait ressortir avec force leurs émotions, leurs souhaits, leurs espoirs. du coup, le lecteur ressent pleinement leur peur, leur résignation face aux difficultés insurmontables, l'injustice de leur situation quand malgré leurs efforts, il leur est impossible d'échapper à leur situation et qu'elle va en s'aggravant. Au final l'horreur de ces récits ne se trouve pas les situations tirées par les cheveux imaginées par l'auteur, mais bien dans le drame de ces individus incapables de fuir de leur situation, encore moins de l'améliorer. Les éléments idiots (croissant de Lune, champignon atomique en suspens, tentacules à la place des jambes, etc.) finissent par créer une forme de poésie macabre séduisante. le lecteur sait qu'il s'agit d'éléments pour rire, d'idées irréalistes et enfantines. Mais elles s'imprègnent de la noirceur des récits pour devenir des signes apparents des tourments intérieurs des individus. le champignon atomique figé dans le lointain symbolise bien sûr la peur d'une guerre nucléaire imminente, éventualité bien réelle qui pesait lourd sur l'inconscient collectif dans les années 1960 et 1970, mais aussi les catastrophes arbitraires qui peuvent s'abattre à tout moment sur chaque individu, sans qu'il n'y ait de signe avant-coureur, ou sans que l'individu ne puisse s'en protéger, alors même qu'il sait qu'elles vont se produire, soit le caractère inéluctable des événements sur lesquels on n'a pas de prise. Ce retour de Philippe Foerster avec ces nouvelles histoires prouve qu'il n'a rien perdu de son talent, de sa voix propre. Il jette toujours un regard aussi noir et attendri sur la condition humaine. Avec des signes extérieurs de science-fiction ringarde, ses récits parlent des peurs et des émotions de l'être humain, avec une belle perspicacité, et une rare intensité.

01/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série L'Homme truqué
L'Homme truqué

Une étrange aventure - Ce tome comprend une histoire complète qui se rattache à l'environnement appelé Hypermonde, développé par Serge Lehman, voir La Brigade chimérique. Il contient un récit en 62 pages de bande dessinée, initialement paru en 2013, écrit par Serge Lehman, et dessiné par Gess. Il met en scène l'homme truqué, un personnage créé en 1921 par l'écrivain Maurice Renard (1875-1939), dans le roman du même nom L'Homme truqué. La première séquence se déroule le 27 mai 1918, lors de la bataille du Chemin des Dames, alors que le capitaine Jean Lebris de l'Armée Française essaye d'échapper à la mitraille. Il se réveille quelques temps plus tard dans un hôpital en ayant perdu la vue. Le 11 janvier 1919, la professeure Marie Curie installe son institut du radium au pied de la montagne saint Geneviève à Paris. Elle y reçoit la visite de Léo Saint-Clair, alias le Nyctalope (voir L'Oeil de la nuit). Il lui raconte que depuis quelques temps rôde au Nord de Paris, un voleur avec une tête de fer que la populace a affublé du nom de l'Homme truqué. Il la sollicite pour qu'elle l'aide à l'arrêter. Dans la page précédent le début de l'histoire, Serge Lehman indique que ce récit constitue une adaptation libre du roman de Maurice Renard. de fait le lecteur peut identifier d'autres références au cours de sa lecture. Une colonne Morris porte l'affiche du film Les Vampires de Louis Feuillade. Maurice Renard apparaît et joue un rôle de premier plan dans le récit. La dernière scène intègre un individu nommé Gyula Halász, un futur grand photographe parisien. Il apparaît également un journaliste américain un peu insistant du nom d'Harold Hersey, où là il sera nécessaire d'aller se renseigner dans une encyclopédie pour savoir de qui il s'agit (auteur entre autres d'une biographie de Margaret Sanger). D'un côté, Lehman met en avant toutes ces références (sauf peut-être l'affiche de film) pour être sûr que le lecteur ne puisse pas les rater. de l'autre côté, ne pas les connaître produit un agacement passager (du fait de leur mise en avant), mais cela ne nuit pas à la compréhension de l'intrigue. Le scénariste raconte son histoire à sa manière, à sa guise. Il incorpore quelques illustrations pleine page (souvent une une de journal ou de magazine), mais pas à intervalle régulier. Il y a plusieurs scènes d'action qui elles aussi interviennent sans souci de régularité, ni pour scander un rythme particulier. Si le titre de l'histoire le met en avant, il faut attendre la page 25 pour que l'homme truqué intègre les personnages principaux. Serge Lehman prend le temps d'installer un premier mystère concernant l'identité de cet homme masqué et de ses capacités, ce qui, dans cette première partie, fait de Marie Curie et de Léo Saint-Clair les personnages principaux, sans que leur caractère ne soit très développé. le centre d'intérêt de la narration porte plus sur cette chasse à l'homme, qui permet d'exposer les particularités de cet Hypermonde. Il s'agit d'une forme de rétro-futurisme dans lequel la science a connu un essor plus important que dans le nôtre (à la même époque) grâce à des recherches sur le radium, un sous-genre que l'on peut qualifier de radiumpunk comme le dit l'auteur (plutôt que du steampunk, une autre forme de rétro-futurisme basé sur les machines à vapeur). Une fois l'homme truqué entre de bonnes mains, l'histoire se développe alors dans une autre direction, avec un ennemi invisible. À nouveau l'intrigue permet d'exposer les capacités de l'homme truqué. Cette histoire développe donc essentiellement une intrigue en 2 parties, ainsi qu'un rétro-futurisme original. Pour donner corps à cette fantaisie historique, Serge Lehman a recruté le dessinateur Gess, qui avait déjà mis en images les aventures de la Brigade Chimérique. La première séquence (3 pages) est quasiment muette et permet d'apprécier le sens de la narration du dessinateur, les cases s'enchaînent toutes seules, l'action étant compréhensible du premier coup d’œil. Avec la deuxième séquence, le lecteur peut apprécier le sens du détail dans les décors. Il apprécie aussi la pertinence de la mise en couleurs qui renforce des dessins dont les traits sont parfois un peu fragiles, qui ne donnent pas assez de consistance aux éléments qu'ils détourent. Par la suite, le lecteur apprécie la capacité de Gess à réaliser une reconstitution historique consistante de Paris. Il a dû effectuer un travail de recherches conséquent pour aboutir à ces artères parisiennes d'époque, ou à ces intérieurs évoquant effectivement l'entre-deux guerres. le lecteur remarque également facilement la versatilité du dessinateur qui laisse de côté le dessin de BD traditionnel (détourage des formes par le biais d'un trait à l'encre), pour passer au crayon avec une teinte dominante (l'évocation des larcins de l'homme truqué, page11), ou encore à des techniques composites pour réaliser les facsimilés des couvertures de magazines. Il faut un peu de recul pour apprécier les talents de metteur en scène de cet artiste. À bien y regarder, les scènes de dialogue apporte leur lot d'information visuelle, que ce soit par le langage corporel des interlocuteurs, ou par leur déplacement. Gess ne se contente pas de cases alternant champ et contrechamp entre les 2 interlocuteurs. Petit à petit, le lecteur se laisse entraîner par cette narration posée, avec certains personnages qui utilisent des phrases construites (le Nyctalope ou Maurice Renard) à l'opposé d'un langage parlé, avec un flux d'information constant, sans être envahissant, avec une évocation de Paris consistante, sans pour autant aller jusqu'au tourisme historique. Il se laisse prendre au jeu de ce sous-sous-genre (le radiumpunk), avec des avancées technologiques bien mystérieuses, et finalement assez vagues. L'une des grandes réussites de Serge Lehman et Gess est d'avoir su mettre en scène des individus aux capacités extraordinaires, dans un contexte français. le lecteur ne ressent jamais l'impression de lire une histoire de superhéros à la française. Il lit un récit enraciné dans la culture française, et dans une époque clairement identifiée qui ne se limite pas à un décor de carton-pâte. Effectivement, les personnages évoluent bien à Paris, en 1919. le lecteur peut le constater. Ces capacités extraordinaires restent tout de même assez floues. Finalement il n'y aura pas d'explication quant à la vision électrique d l'homme truqué. Par contre Gess a imaginé une représentation qui rend compte de cette vision étrange. Les capacités du Nyctalope restent elles aussi assez vagues (tout du moins à la lecture de ce seul tome), ainsi que sa source d'argent, ou sa liberté d'indépendance vis-à-vis des forces de l'ordre de la République. L'intrigue présente plus de consistance et réserve plus de surprises. Il s'agit donc à la fois du retour à la société normale pour l'homme truqué, ainsi que d'un étrange mystère associé à un immeuble de logements parisiens. Lehman met en scène un homme qui souhaite revenir à la normale, alors même que son apparence a profondément changé suite aux expériences dont il a été le cobaye involontaire. Il est possible d'y voir une métaphore du traumatisme occasionné par la guerre qui transforme le soldat au point qu'il n'y ait plus de retour à la normale possible. Avec ce point de vue en tête, la deuxième partie du récit renforce cette allégorie dans la mesure où le traumatisme du capitaine Jean Lebris lui permet de voir des choses que les autres êtres humains (les civils) ne sont pas capables de voir. Ce tome possède la qualité de pouvoir être lu indépendamment de ceux de la Brigade Chimérique, et de proposer une aventure originale et divertissante, à la fois du fait de la reconstitution historique, mais aussi de par le merveilleux qu'introduisent ces inventions rétro-futuriste nées d'une technologie d'anticipation basée sur le radium. le lecteur aurait apprécié que les protagonistes disposent de plus de personnalité, pour pouvoir mieux s'identifier à leurs difficultés.

01/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Polo
Polo

Un livre parfait pour l'échange et l'apprentissage - Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome à destination des enfants de 4 ou 5 ans, en dernière année de maternelle, ou même en début de CP. Tout commence par une illustration en pleine page montrant Polo sortant de son arbre qui occupe les trois quarts d'une île déserte. Il s'agit bien sûr d'un arbre doté d'une porte, d'une fenêtre et d'un petit tuyau de cheminée, sans oublier un pot de fleur pour décorer et une corde tendue à partir d'un piquet. Polo retourne à l'intérieur de sa maison pour prendre son sac à dos, et après réflexion son parapluie. Par un soleil radieux, il ouvre ce dernier dès le pas de porte franchi pour s'en servir comme de contrepoids alors qu'il fait le funambule sur le fil tendu. Après plusieurs pas effectués avec un équilibre précaire, Polo arrive à un endroit où la corde prend la forme de marches d'escalier, toujours au dessus de la mer calme et étale. Il monte sans plus craindre de perdre l'équilibre jusqu'à arriver au dessus des nuages. Là il se rend compte que la corde s'incurve et il la descend comme s'il faisait du toboggan... pour atterrir sur les fesses dans un nuage bien douillet, face à un oiseau très surpris. Et le voyage reprend à bord de ce nuage volant, alors qu'il ne s'agit que de la quatrième page de cette histoire qui en compte 70. Alors que votre enfant sent que l'apprentissage de la lecture n'est plus très loin, ou qu'il vient juste de commencer cet apprentissage, il peut ressentir une certaine frustration face à la longueur de cet apprentissage qui ne lui permet pas de lire tout de suite. La lecture de cette bande dessinée sans texte peut constituer une révélation, et un apprentissage d'un autre ordre. Régis Faller (scénario, dessins et couleurs) a réalisé une histoire exceptionnelle, immédiatement parlante pour un enfant, d'une poésie délicate et délicieuse, à haute teneur en divertissement. Initialement, cette histoire est parue par groupe de 3 ou 4 pages dans le magazine "Belles histoires" et chaque groupe contient une quantité impressionnante de péripéties. Mis bout à bout, ils forment une odyssée d'une magnitude imposante, surtout pour un enfant de 5/6 ans. Tout au long de ces pages, l'enfant pourra repérer de lui-même des éléments qui lui sont familiers tels que faire du toboggan, papoter avec un copain, manger un casse-croûte, jouer de la musique, gonfler un ballon, etc. Derrière ce personnage évoquant à la fois un enfant et un doudou rassurant, le jeune lecteur identifie des activités quotidiennes immédiatement évocatrices de son expérience de tous les jours. Cette forme de familiarité lui permet de reprendre pied entre 2 événements étonnants ou magiques. R. Faller a l'art et la manière de dessiner ces instants avec des images très faciles à lire, à base de formes simplifiées toujours évocatrices, en utilisant des couleurs gaies, sans être criardes. Vous voilà donc confortablement installé avec votre enfant à vos cotés pour lui faire la lecture, car pour lui le déchiffrage d'une bande dessinée passe également par un premier apprentissage. Et finalement la lecture de cette BD sans texte demande au parent de raconter l'histoire à haute voix en montrant l'élément narratif essentiel à l'histoire dans chaque case, et en verbalisant le lien logique qui unit l'action d'une case à celle de la suivante. Vous voyez littéralement le cerveau de votre enfant en action, en train de constater la logique qui unit une case à l'autre, et découvrir les règles de ce média. C'est d'autant plus agréable qu'il est alors possible de lui poser des questions au gré de vos envies sur ce qui se passe, sur les actions de Polo, sur la possibilité de faire la même chose que lui, sur un objet ou un personnage dessiné. Cette histoire se prête aussi bien à une lecture classique réalisée par l'adulte, qu'à une lecture participative où l'enfant peut apporter son interprétation des images. Lorsque la lecture est finie, l'enfant reste avec son livre et va chercher à se raconter lui-même l'histoire le conduisant à utiliser le langage pour se décrire ce qui est dessiné. En fonction de son éveil, il pourra vous demander de lui relire, ou même se mettre à vous faire la lecture (situation éminemment savoureuse d'inversion des rôles). Dans tous les cas, le format de la bande dessinée permet également de gérer le rythme de lecture en fonction des envies de l'enfant, ou du parent souhaitant détailler une case. Les dessins constituent un repère incomparable, assurant de ne jamais perdre le fil de l'histoire. En tant qu'adulte, il vous sera également possible d'apprécier les qualités de cette bande dessinée pour enfants à d'autres niveaux. Pour commencer, l'imagination de Régis Faller semble sans limite. Il compose une histoire où le merveilleux s'invite à chaque page avec une idée nouvelle, où les sentiments positifs priment (pas de chantage psychologique à l'angoisse ou à la culpabilité), où Polo est heureux de découvrir le monde. Et derrière un style graphique simple et rond adapté à de jeunes enfants, il utilise les possibilités spécifiques de la bande dessinée pour décrire des situations impossibles à faire passer dans un autre mode d'expression. Lorsqu'il dessine la corde tendue à partir de l'île de Polo, il utilise un trait rectiligne, se déformant légèrement sous le poids de Polo et solidement accroché à un pieu. 2 cases plus loin, il n'y a plus que Polo sur ce trait, au dessus de l'eau sans repère à gauche, ni à droite, ce qui lui permet dans la case d'après de faire prendre à ce trait la forme d'un escalier en laissant au lecteur le soin de lier ce trait à celui de la corde de la case d'avant. Il n'y a donc aucun hiatus visuel, et pourtant un effet magique garanti. 2 pages après, Polo sort un bol de son sac et s'en sert pour prendre une portion de nuage sur lequel il est assis, afin de se nourrir. Là encore le lecteur fournit de lui-même l'explication que Polo est assis sur une partie solide, et que les bords sont plus friables. Ce tome est rempli de trouvailles graphiques de cet ordre. Il y a encore Polo et un ami montant le long d'une échelle qui traverse les nuages et leur permet d'accéder à un corps céleste où ils se retrouvent à marcher dessinés vers le bas puisqu'ils sont arrivés sur le sol qui est en haut de l'image. Faller n'a plus alors qu'à les représenter suivant la courbure du satellite pour qu'à la fin de la page ils se retrouvent en position normale : les pieds en bas de la case, et la tête vers le haut. Cette bande dessinée sans texte pour enfant propose un voyage merveilleux et fantastique, propice à l'apprentissage de l'enfant, et aux échanges entre enfant et parent, une réussite à tous les niveaux.

01/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Goût de la Terre
Le Goût de la Terre

Yaira Fernanda n'a rien à faire des souvenirs, elle veut demain. - Cet ouvrage constitue un récit complet indépendant de tout autre. Sa première édition date de 2013. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Jean-Marc Troubet (Troubs) et Edmond Baudoin. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, comptant 125 planches, dont une réalisée et ajoutée pour la deuxième édition. le tome s'ouvre avec un texte introductif de 2 pages, rédigé par Alfredo Molano Bravo (1944-2019), sociologue, journaliste et écrivain colombien. Il évoque le projet des auteurs : peindre des histoires de leur main prodigieuse et assurée, peindre des visages, peindre des mains, peindre des rues, peindre la vie et peindre la mort : la mort qui est partout, dans les récits des gens et jusque dans leurs rêves. Puis à San Vincente del Caguán, tous ses habitants ont une histoire à raconter, une seule et même histoire : celle de l'homme qui fuit. Ces eux auteurs ont précédemment réalisé un autre récit de même nature : Viva la vida (2011) sur les habitants de Ciudad Juárez. Par la suite, ils en ont réalisé un troisième sur les migrants : Humains, la Roya est un fleuve (2018). Baudoin se tient debout sur un rocher au bord de la mer. Il est né sur un bord de la Méditerranée, Jean-Marc Troubs sur une rive de l'Atlantique. Qu'est ce qui donne le goût à une terre, une herbe, un arbre, un fruit, une eau, un homme, un peuple ? Sur la totalité des côtes méditerranéennes les hommes, pendant des millénaires, se sont penchés sur la même terre. Ils ont bu du lait de chèvre, cultivé des oliviers, construit des murs de pierres sèches. Troubs a grandi sur les bords de l'Atlantique. Mais il est ensuite venu s'installer à l'intérieur des terres, à la campagne, à l'Est de Bordeaux. Dans une campagne encore comme avant, en dehors des routes. C'est plus la forêt que la campagne ; quelques prés, quelques vignes, et puis des arbres à perte de vue. Un des endroits les moins peuplés de France. Ce jour-là, il discute avec son voisin, Raymond, 80 ans, un ouvrier agricole à la retraite dont le motoculteur ne veut pas démarrer. Ils parlent des semailles dans quinze jours à la Lune vieille, du départ de Troubs en Colombie, de ce qu'ils peuvent cultiver là-bas. Baudoin évoque la manière dont le nord de l'Europe a asservi l'Afrique à ses besoins, par la colonisation, par l'économie et le marché. Comment la Méditerranée est passée d'un lieu de rassemblement avec une culture partagée sur tous ses bords, à une frontière protégée par un mur de visas. Il évoque la frontière du Rio Bravo entre les États-Unis et le Mexique. Lui et son collègue sont prêts pour partir en Colombie, âgés respectivement de 70 ans et de 40 ans. Invités par deux universitaires colombiens qui ont lu Viva la vida, Ils partent cinq semaines pour rencontrer les paysans qui vivent dans la région de Caquetá, proche de l'Amazonie. Ils ne sont pas très sûrs de la nature de leur projet : ils ne savent pas à quoi cette région ressemble. Il y a des guérilleros appelés terroristes par les démocraties. S'il a lu Viva la vida, des mêmes auteurs, le lecteur sait à peu près à quoi s'attendre. Sinon, il peut se référer à la manière dont Baudoin parle de cet ouvrage dans la dernière page : Ce livre n'est pas vraiment un reportage, pas un carnet de voyage, pas une étude sociologique. Est-ce une bande dessinée, une performance ? La forme est un peu déconcertante de prime abord. le livre a été réalisé à quatre mains. S'il n'identifie pas qui a fait quoi d'après les caractéristiques des dessins, le lecteur peut se fier à la graphie du texte : Baudoin écrit en majuscule, et Troubs en minuscule. La question de la nature de l'ouvrage peut se poser dès les premières pages. Dans l'introduction réalisée par Baudoin, il s'agit plus d'un texte illustré par des images, une ou deux par pages, les informations visuelles venant compléter ce que disent les mots. Dans celle réalisée par Troubs, la forme est plus proche d'une bande dessinée classique avec des cases, une action racontée par la succession de plusieurs cases, des phylactères. Très vite, le lecteur constate qu'il y a beaucoup de textes : des éléments de contexte pour exposer la situation de la Colombie dans ces années-là, un peu d'histoire, un peu de géographie, la présentation de quelques personnages, les personnes rencontrées et dessinées qui racontent leur souvenir le plus marquant. Ce n'est pas une bande dessinée d'un format traditionnel ce qui peut rebuter en la feuilletant rapidement. En revanche, une fois qu'il s'est adapté aux caractéristiques de la forme, le lecteur assiste effectivement à une sorte de performance, pas au sens de l'exploit, mais au sens d'une œuvre qui prend forme au fur et à mesure des rencontres, des événements, des déplacements, sans planification réelle autre que la destination du voyage et le projet de discuter avec des gens. Les dessins des deux artistes sont en noir & blanc, plus chargés et un peu charbonneux pour Baudoin, un peu plus en mouvement pour ceux de Troubs, avec une touche amusée, une sorte de plaisir évident. Indubitablement, les images font voyager le lecteur : dans des villes, dans des habitations, dans la nature sauvage, dans des zones cultivées, sur la route. Il ne s'agit pas d'un carnet de voyage avec de belles images de paysage, mais plus de croquis donnant la sensation d'avoir été faits sur le vif. En réalité, les auteurs se sont bien livrés à un travail de composition, de réalisation des pages après coup : ils se dessinent en train de travailler dans les planches 42 & 43. le lecteur a vite fait de s'acclimater à ces planches rugueuses, à ces visions qui reflètent la préoccupation ou l'intérêt du moment de l'un ou l'autre des auteurs. Il partage leur regard qui ne constitue pas une description neutre de ce qui les entoure, mais un choix de ce qui les marque. Bien sûr, une quantité significative de cases se présente sous la forme d'un gros plan sur un visage, le Colombien en train de parler et de raconter son souvenir le plus marquant, parfois en une phrase, parfois dans un long texte. Les portraits, des visages en gros plan, ne cherchent pas à montrer une vision idéalisée de la personne, ou embellie : c'est un dessin un peu simplifié par rapport à du photoréalisme, s'attachant à l'impression donnée par l'interlocuteur, son trait de caractère apparent lorsqu'il s'exprime. Il est vraisemblable que s'il les croisait dans la rue, le lecteur ne les reconnaîtrait pas. Il semble qu'a contrario l'individu reconnaît sa personnalité dans le dessin qui est fait de lui. Les auteurs ont composé leur ouvrage de manière que le lecteur ressente l'impression de faire la connaissance de ces individus qui lui parlent pendant quelques minutes. Il les rencontre au gré des déplacements et des visites des artistes. de la même manière, il ressent les impressions laissées par les différents endroits : le bruit et l'immensité de Bogotá, le caractère rural du village de Belén, l'isolement du village de San Vincente del Caguán, la réalité de la nature dans la forêt avoisinante, avec les arbres, un singe-araignée, les chants d'oiseaux au réveil le matin, une tortue qui les regarde passer lors d'un voyage d'une heure de pirogue, une poule en liberté, un perroquet, etc. En fonction de ses centres d'intérêt, le lecteur est plus moins ou familier de la situation de la Colombie en 2013. Les auteurs font en sorte d'intégrer les notions d'histoire et d'économie nécessaires, la guerre civile, les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie, 1964-2016), la corruption, la culture de la coca, les intérêts des multinationales, les organisations paramilitaires, les narcotrafiquants, la criminalité qui fait environ quarante morts par jour, la pauvreté, la diminution de la population d'indiens Huitoto / Uitoto, les six millions de Colombiens déplacés à l'intérieur du pays. En fonction de la nature de l'information, elle est soit exposée par les auteurs, soit par une personne qu'il rencontre, avec qui ils échangent. le lecteur sait bien que Baudoin et Troubs ont choisi leurs interlocuteurs dans une classe sociale bien définie, et que l'image qui en ressort est donc partielle. Les premiers témoignages de violence sont terribles et durs, mais similaires à ce qu'il a pu lire dans la presse. C'est l'effet cumulatif de ces souvenirs marquants qui dessine le climat de cette région du pays pour la population. Dans la planche 103, Troubs pense en son for intérieur que très souvent quand il rentre de voyage, il se dit qu'on est en démocratie en France, qu'on a la sécu, une justice pas corrompue. Chaque fois qu'il va voter, il a l'impression de participer à la vie politique, de s'impliquer, même s'il sait bien que ce n'est qu'une illusion. Mais que ferait-il s'il était colombien ? S'engagerait-il ? Fermerait-il les yeux ? En effet, l'ouvrage n'apparaît pas comme une dénonciation, mais plus comme un témoignage sur la force vitale de ces êtres humains. le lecteur fait le lien avec ces images montrant des fourmis portant une charge beaucoup plus volumineuse qu'elles. Il pense au plaisir de vivre des habitants de Caquetá, malgré la violence arbitraire des factions armées, malgré les traumatismes de leur passé individuel. Il ressent la force de vie à la fois fragile et plus forte que tout, pour assurer les besoins vitaux de nourriture et de logement, mais aussi d'éducation, de sécurité, de moralité, de famille, et lorsque c'est possible d'éducation, de projets à long terme comme une réserve naturelle. Le lecteur sait qu'il s'embarque pour un voyage en Colombie, à la rencontre d'habitants de villages dans une zone rurale du pays. Il découvre un ouvrage qui défie les conventions de la bande dessinée, mélange de narration séquentielle, et de texte illustré, dans un noir & blanc sans afféterie, dont la somme des parties fait un tout étonnamment harmonieux. Il ressent qu'il rencontre les habitants dont les artistes font le portrait comme s'ils leur parlaient en direct. Il voit un portrait de cette région du pays se dessiner progressivement, sans parti pris politique, sans dogmatisme, montrant le peuple qui vit dans un pays en guerre civile. Extraordinaire.

01/05/2024 (modifier)
Par Cacal69
Note: 3/5
Couverture de la série Zombie - La Cavale des morts
Zombie - La Cavale des morts

Après avoir lu The Zombie : Simon Garth, je ne m'attaque pas à sa suite, mais à l'album qui le précéde : Zombie - La Cavale des morts. Une lecture dans le désordre qui n'est pas gênante. Une histoire de zombies très classique avec son lot de rebondissements, mais sans véritables surprises. Les personnages sont sans relief et n'échappent pas aux stéréotypes du genre (le héros, le méchant et la nana sexy). Mais le rythme soutenu et maîtrisé du récit m'a permis de passer outre les défauts cités ci-dessus pour une lecture pas désagréable. Je n'apprécie toujours pas le dessin de Kyle Hotz, très typé comics moderne, même si il est soigné et détaillé. Une colorisation que je n'aime pas. Pour les amateurs du genre. Un petit 3 étoiles.

01/05/2024 (modifier)