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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Carnet chinois
Carnet chinois

Comment faire avec les juxtapositions de la vie ? - Ce tome constitue un témoignage complet, ne nécessitant pas de connaître l’auteur ou son œuvre pour l’apprécier. Son édition originale date de 2019. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour les observations, le scénario et les dessins. Il comporte quarante-neuf pages de bande dessinée. Il se termine avec six dessins réalisés par des artistes chinois : Yang Liuja, Zhang Yuxi, Cao Yan, Han Xiayue, Ge Yang. 24 mai 2017. Sur un écran devant son siège dans l’avion, un paysage défile. Le désert de Gobi. Dans une demi-heure, il sera à Beijing… Pékin. Il est en Classes affaires. Champagne et la nuit couché, comme dans un lit. En Israël, la mère de Béatrice est morte. Il va rester en Chine jusqu’au 19 juin. Béatrice, un grand amour, la maman de Anne leur fille. Dimanche dernier, il était à Faus-la-Montagne. C’était pour un anniversaire, celui de Laetitia. Ses dix ans. Il y a dix ans qu’un test lui a dit qu’elle n’avait pas le gène de sa mère. Un gène qui a pour nom Hutington. C’était une belle fête. Un grand bal. Faux-la-Montagne, un village de la Creuse, si loin de la Chine. Il s’endort. Edmond Baudoin aimerait que ses amours, ses enfants vivent ce qu’il vit. Comment le leur donner ? Il y a deux jours, un homme à Manchester s’est fait exploser au milieu d’enfants venus écouter une chanteuse dans une salle de spectacle. Comment faire avec les juxtapositions de la vie ? L’avion est arrivé, Edmond est dans un bel hôtel, dans un quartier populaire. Il faut qu’il dessine, qu’il écrive encore et encore, tant qu’il peut, avant que tout s’arrête pour lui. Ça s’arrêtera quand ? Edmond ne sait pas. Mais il sait que c’est bientôt. Le 25 au matin, il est avec les étudiants, une cinquantaine. C’est une jeune femme, Claire, qui est la traductrice (son vrai prénom est Shaojin). Les étudiants, certains ont déjà été publiés, sont très doués. Il le verra plus tard, en découvrant leurs travaux. Ils vont rester trois jours avec lui. Naturellement Edmond Baudoin n’a aucun plan. Alors comme d’habitude, il commence par la musique du dessin, une vague. La suite, on verra. Il y a de très jolies filles. De ce voyage, il veut laisser une trace sur du papier. Alors quand il a un moment à lui, il marche dans le quartier où il loge. Cette scène de rue le fait voyager dans le temps, dans d’autres villes, dans son village. Dans quelque chose d’immuable… quelque chose de l’humanité. Les étudiants lui demande comment lui vient l’idée d’un livre. Comment vient l’idée d’un livre. Le vingt-six mai 2017, sur son portable, un message : Jeanine est partie. C’est un de ses fils qui lui a envoyé cette nouvelle, Hughes. Jeanine… était… sa maman. Il avait vingt-et-un ans, vingt-deux peut-être. Elle en avait vingt, vingt-et-un peut-être. Ils étaient pauvres, leur amour était riche. Edmond n’est pas fidèle avec son corps, mais les amours qu’il a eues à vingt ans sont toujours dans ses jours. Jeanine était un arbre dans son jardin. Quelque chose comme un églantier devenu arbre. Cet arbre est tombé. Il a eu trois fruits magnifiques. C’est beau les fruits des églantiers farouches. Dans l’espace où elle vivait, elle l’a fait vivre. Merci Jeanine. Ouvrir une bande dessinée d’Edmond Baudoin, c’est l’assurance de découvrir une narration intimement personnelle que ce soit dans la forme ou dans le fond. Carnet chinois : bon, ben, c’est clair, l’auteur a bénéficié d’un voyage tous frais payés et il en a profité pour faire quelques dessins qu’il a réuni dans un recueil. En effet, ça commence exactement comme ça. Avec ce coup de pinceau reconnaissable entre mille, il réalise des prises de vue de ce qu’il voit dans cet environnement exotique : une rue telle qu’elle se présente devant avec des formes difficiles à distinguer du fait d’un dessin trop charbonneux, puis une vue de la salle de classe dans laquelle il intervient mais vue depuis le fond plutôt que depuis la position d’intervenant, trois étudiants dehors devant un scooter parce que c’est ce qui a retenu l’attention de l’artiste à un moment donné et qu’il s’est dit que cela constitue un instant signifiant à défaut d’être représentatif, un portrait en plan poitrine de Jeanine pour évoquer la défunte, une jeune femme penchée sur son établi dans un atelier à côté de laquelle Edmond a choisi de s’asseoir, etc. Une collection d’instantanés, à laquelle a présidé la subjectivité de ce créateur. De fait, il s’agit d’une visite guidée qui en dit plus sur l’auteur que sur le pays, qui évoque une phase de deuil survenu en simultané, qui intègre aussi bien des vues touristiques (un bouddha dans un temple), que ses activités d’intervenant, que des souvenirs. Dans un premier temps, la lecture donne l’impression d’illustrations relevant du thème de ce séjour en Chine, dont l’ordre logique ne tient que par le texte qui évoque aussi bien le but du voyage (animer un atelier de bande dessinée), les impressions sur place, le décès de celle qui fut sa compagne pendant plusieurs années, le temps qu’ils aient ensemble trois enfants, attentat-suicide terroriste islamiste à la Manchester Arena le 22 mai 2017 à la sortie d'un concert d’Ariana Grande. D’un point formel, la première planche contient deux dessins, la troisième également ainsi que la quatrième, la sixième, la septième… Le lecteur ressent que cette succession de pages forme plus qu’une simple collection d’illustrations, assemblées au gré de souvenirs progressant sur deux lignes temporelles : il ressent une progression narrative, aussi bien chronologique au fur et à mesure du déroulement du séjour, que émotionnelle pour ce deuil presque conceptuel du fait de milliers de kilomètres qui le sépare de la Chine, et dans les considérations sur l’expérience de cette dissociation, des réactions des étudiants, sur l’existence. Il se produit des interactions entre texte et image, des réponses d’une image à une autre, une forme très éloignée des caractéristiques habituelles de la bande dessinée, tout en relevant bel et bien de la narration séquentielle. Le lecteur se sent embarqué dans l’avion qui figure dans la première planche, une esquisse sommaire, et il regarde lui aussi par le hublot, une autre esquisse sommaire. Il regarde enfin le visage de Laetitia, avec une curiosité toute relative. Dès la seconde planche, il retrouve les illustrations caractéristiques de Baudoin : des dessins au pinceau, s’attachant avant tout aux formes et à l’impression dont l’œil fait l’expérience, avec quelques détails choisis, plus ou moins précis. Cela constitue déjà une sensation singulière de lecture. La salle d’étudiants vue depuis le fond : des silhouettes très vagues assises sur des chaises, des traits très sommaires pour indiquer la présence d’une tale, des masses noires pour les chevelures. L’ensemble fonctionne parfaitement ; s’il s’attarde sur une forme ou une autre le lecteur perd la cohérence d’ensemble pour ne plus voir qu’un assemblage de trait au pinceau dépourvu de sens. En fonction de ce qu’il représente, l’artiste peut insister sur de gros blocs irréguliers de noir, sur des traits secs à l’encre, sur des zones frottées de gris, sur une représentation beaucoup plus concrète et détaillée, sur des formes épurées jusqu’à l’abstraction, etc. C’est toute la magie de son art : aboutir à une collection de dessins hétéroclites qui forment un tout cohérent. La narration textuelle peut donner une impression tout aussi hétéroclite, un collage juxtaposant allègrement des phrases sans rapport les unes aux autres, comme un flux de pensées jetées comme elles viennent. Là encore, le lecteur perçoit la trame que tissent ces différents fils, leur intrication aussi inattendue que indissociable, amenant vers une personnalité intégrée, celle de ce créateur unique. Son séjour en Chine l’emmène aussi bien à analyser la production des jeunes étudiants qu’ils trouvent très forts en dessin, moins bons en scénario, qu’à admirer les vestiges des siècles passés, et à être consterné par le comportement des visiteurs d’un zoo qui photographient les pandas dans une cage en verre, un miroir. Il ne sait pas si on va sauver les pandas, il ne sait pas si l’humanité va se sauver. Et si les taches noires autour des yeux du panda avaient été différentes ?… La culture, peinture, théâtre, danse, cinéma, littérature, bande dessinée… développent l’esprit critique, cette forme de pensée qui aide à vivre et à mourir. Si la culture ne fait pas cela, elle fait quoi ? Que font ces pauvres gens qui, voulant photographier un panda, photographient leurs images dans une vitre ? Et le terrifiant, c’est que ça va s’aggraver. En mémoire de la défunte Jeanine, il pense à leurs enfants, à une anecdote quand ils étaient à une terrasse de café et qu’il n’avait pas de quoi payer leur consommation. Tout naturellement la relation avec les étudiants et ses interventions (non préparées) l’amènent à des réflexions sur son art et son métier : la réalisation et la présentation de ses œuvres du moment (Dali par Baudoin en 2012, Ballade pour un bébé robot écrit avec Cédric Villani et paru en 2015, Peau d’âne en 2010), dessiner encore et encore, tant qu’il peut (ce qui le ramène à son âge, et à sa propre finitude), sur la source de l’idée d’un livre, sur la joie tranquille de contempler une autre personne en train de créer, sur l’accroissement de l’importance et de l’aura des œuvres religieuses avec l’ancienneté, sur la confrontation des messages dans un même dessin (En Chine, il est gâté.), sur les grands territoire du jardin secret de deux autres artistes qui sont également invités à la fête des bulles (Pénélope Bagieu, Jean-Marc Rochette, Thierry Robin), sur la fonction de l’art, sur ce qui fait le bonheur, etc. Arrivé en page cinquante-et-un, le lecteur découvre qu’il passe à un deuxième récit intitulé Shi Tao, le moine Citrouille Amère, comportant des citations de cet artiste, six illustrations en pleine pages dont quatre consacrées à un arbre, une grande spécialité de Baudoin. Il explique que Shi Tao (1641-1719) a été pour lui un professeur, et qu’il aime beaucoup ses textes. Le lecteur découvre la sagesse de cet artiste : sur la règle et l’absence de règle, sur l’apport de la Nature et la possibilité qu’elle donne de transformer l’apport des Anciens, sur le fait que la réceptivité doit précéder la connaissance, sur l’idée que la substance du paysage se réalise en atteignant le principe de l’Univers. À nouveau, le lecteur ressent en son for intérieur la manière dont l’artiste a assimilé ces principes et les met en œuvre dans cette bande dessinée. Décidément, chaque ouvrage de ce créateur constitue une aventure unique en son genre. Un carnet de dessins à l’occasion d’un séjour en Chine. Oui, il y a de cela, et tellement plus. Des illustrations extraordinaires de Chine et d’arbres, un effet de narration visuelle à la forme aussi unique que personnelle, ses réactions de touriste assez particulier, d’autres événements qui s’entremêlent avec son expérience du moment présent, un regard bienveillant et humaniste. En pleine empathie avec l’auteur, le lecteur se demande avec lui : Comment faire avec les juxtapositions de la vie ?

06/08/2025 (modifier)
Couverture de la série À bas l'humanité, à l'unanimité
À bas l'humanité, à l'unanimité

David Snug est un bonhomme que j’aime bien. Son style à la fois minimaliste et rentre dedans, engagé, voire dégagiste, est souvent rafraichissant. J’ai lu l’album dans sa version réédité chez Nada (des pages en plus, dessins refaits et nouvelle couverture par rapport à l’édition originale). Snug y a ajouté une « préface », qui diffère du reste car il apparait – avec son look impayable et reconnaissable de barbu à bonnet, livrant quelques pistes sur ce qui va suivre (et répétant son amour pour la musique plus ou moins punk – ici celle des Beruriers Noirs). C’est souvent cette version du bonhomme que j’aime bien. La suite est globalement moins intéressante, en tout cas plus inégale, puisque c’est une accumulation de diatribes en une page et un monologue à chaque fois, dans lesquels un personnage – porte-parole de l’auteur – dénonce les plus ou moins gros travers de la société, la langue de bois, les abus de langage et de pouvoir, et diverses hypocrisies. La forme n’est pas captivante, alors même que les messages sont loin d’être inintéressants. Une lecture rapide. Snug a fait plus percutant ailleurs je pense. Note réelle 2,5/5.

05/08/2025 (modifier)
Couverture de la série Spectregraph
Spectregraph

J’ai moins accroché que mes prédécesseurs à cet album, qui ne doit pas être ma came. Ça part dans tous les sens, que ce soit au niveau du scénario, avec une construction volontairement hachée par d’incessant allers-retours à différentes époques, mais aussi pour ce qui concerne les sujets abordés, de la chasse aux fantômes aux déboires d’une mère célibataire ne sachant pas comment récupérer et/ou surveiller son gosse laissé seul chez elle pendant qu’elle bosse et qu’elle est coincée dans une maison improbable. Une bonne partie du récit tourne presque à l’escape game, mais avant d’en sortir, j’ai surtout eu du mal à y entrer. Du fait du côté fourre-tout et éclectique de l’ensemble, mais aussi à cause du dessin et de la colorisation, qui ne m’ont pas captivé : le rendu est trop artificiel. De plus, aucun des sujets évoqués plus haut n’est réellement poussé jusqu’au bout, et la narration et le travail graphique édulcorent même l’aspect vaguement horrifique du récit autour des fantômes, plus grotesques et psychédéliques que terrifiants. Une lecture décevante me concernant.

05/08/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 3/5
Couverture de la série Super Ball Girls
Super Ball Girls

Avec "Super Ball Girls", nous voilà partis pour une série bien déjantée qui semble pousser les curseurs bien hauts pour le plaisir du lecteur ! Eita Ichiyoshi est un jeune loser qui bosse à la chaîne dans une fabrique de chocolat. Sa vie banale, morose et sans grand avenir va pourtant basculer le soir de Noël, quand formulant le souhait de changer de vie, une balle rebondissante lui tombe dessus en pleine rue. Et c'est en la ramenant chez lui et en la jetant dans son appartement que celle-ci finit par se transformer en une magnifique jeune femme nue qui se jette sur lui pour l'embrasser... De là naissent trois nouvelles balles rebondissantes... se transformant en trois nouvelles nymphettes tout aussi peu couvertes, avides de câlins et qui commencent à se battre et retourner l'appartement pour parvenir à leur fin ! Un rêve à double tranchant ! Et ce n'est que le début, car cohabiter avec ces drôles de créatures n'est pas de tout repos... Le pitch est donc bien barré et pourrait vite tourner en rond, mais le décalage entre ces créatures de rêves et le côté trash de leurs bastons, s'il est surprenant, donne aussi toute sa saveur à ce début de série. Mention spéciale à la sortie dans le supermarché où nos nymphettes partent en sucette et improvisent une baston à coup de légumes : l'une d'entre elle se retrouve énucléée par un lancé de concombre ! Bon, pas trop de bobos, nos mystérieuses créatures se régénèrent rapidement... ouf ! Côté dessin, Akira Hiramoto nous propose un trait très dynamique qui colle parfaitement à ce récit déjanté. Il a également une touche très personnelle dans sa façon de dessiner certains visages et cela lui donne une touche très personnelle fort appréciable. Alors, je suis curieux de découvrir la suite de cette série originale qui part sur les chapeaux de roue ! (3.5/5)

05/08/2025 (modifier)
Par Gaston
Note: 3/5
Couverture de la série Chillin' life in a different world
Chillin' life in a different world

Un autre manga de fantasy tiré d'un light novel qui contient des éléments qu'on a déjà vus: le héros venu d'un autre monde, des rois démons, des filles-chattes, la royauté, des chevalières, des magiciennes, le héros super-fort, les personnages qui agissent comme des Japonais dans un décor européen... Le design de ce monde et ses habitants manquent vraiment d'originalité, et heureusement il y a quelques trucs qui sortent de l'ordinaire. Déjà, le héros vient d'un autre monde fantasy et pas du Japon, il n'est pas sélectionné pour être le grand héros qui va combattre le grand méchant roi démon et il se marie avec une seule femme, les autres personnages féminins qui gravitent autour de lui sont uniquement ses amies. Le scénario est pas trop mal sans être exceptionnel, on ne tombe pas dans les pires travers du genre isekai, hormis le fait que le héros super-fort bat souvent les méchants d'une manière que je ne comprends pas trop. Il faut dire que les scènes d'action sont les parties les moins intéressantes de l'histoire, j'aime mieux voir les personnages vivre leur vie quotidienne. Le héros manque un peu de charisme, mais ce n'est pas grave, parce qu'on suit en parallèle des sous-intrigues mettant en vedette des personnages plus intéressants que lui. Le dessin est pas trop mal. Au final, ça se laisse lire si on n’en a pas marre des 1000 séries d'isekai qui sortent chaque année au Japon.

05/08/2025 (modifier)
Par Josq
Note: 4/5
Couverture de la série Monster Club
Monster Club

Une note légèrement supérieure à ce que je pense réellement de ces deux tomes, mais l'évolution se fait dans le bon sens, donc j'arrondis la note au supérieur. Encore loin de la finesse de son merveilleux Le Baron, Masbou montre toutefois qu'il est capable d'écrire une histoire débordant de personnages. Peut-être un peu trop d'ailleurs, car certains manquent légèrement de développement, mais il parvient à orchestrer toute une intrigue et des scènes d'action de manière fort cohérente pour un nombre de personnages particulièrement élevé. Il est alors dommage que la qualité des dessinateurs ne suivent pas tout à fait celle des scénarios. Leprévost et Faw ne déméritent pas, mais leur dessin manquent de la finesse qui aurait conféré au récit l'ampleur nécessaire. Cela gâte un peu la dimension épique, mais on goûte quand même avec beaucoup de plaisir la dimension Jules Verne/Conan Doyle de ces deux tomes savoureux. Le récit et l'humour étant mieux rodés dans le deuxième tome, on regrette d'ailleurs que cette saga n'ait pas continué après Décapodes et veilles lanternes (surtout quand on commence à mieux connaître les personnages), mais en l'état, ça se lit et relit agréablement, tout en étant conscient qu'on n'est pas là dans le genre de BD qui va marquer l'histoire du genre.

04/08/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Caballero Bueno - Une enquête de l'inspecteur Valverde
Caballero Bueno - Une enquête de l'inspecteur Valverde

Quelle belle trouvaille de la part des auteurs d’avoir conçu une enquête policière se déroulant sur l’île de Pâques, une petite île au bout du monde connue d’abord pour ses célèbres statues monumentales, les moaï ! Mais ici, ces vestiges de la civilisation autochtone n’apparaîtront qu’en toile de fond, spectateurs silencieux d’un crime sordide d’une violence inouïe. La victime, un notable anglais résident sur l’île à la tête d'un élevage de chevaux, n’avait pourtant aucune raison d’avoir des ennemis. Selon les informations recueillies par l’inspecteur Valverde, Anthony Wilcox semblait être le gendre idéal, bien sous tous rapports et apprécié par l’ensemble des habitants, qu’ils soient pascuans ou chiliens. Alors qui pourrait être à l’origine du meurtre ? Valverde va vite comprendre que l’accusé, d’origine autochtone, est innocent, même si son apparente folie et une certaine agressivité comportementale ne jouent guère en sa faveur… L’inspecteur va d’abord se heurter à l’hostilité du gouverneur, qui accepte mal cet « intrus » ami du président chilien missionné pour résoudre cette affaire… Captivant et très bien ficelé, le scénario, dans sa tonalité hitchcockienne, joue sur la lenteur tout en maintenant le mystère jusqu’au dénouement, avec une galerie de personnages qui va défiler sous le regard patient et acéré de l’inspecteur Valverde… Des personnages pour la plupart très bien campés, à commencer par Valverde lui-même, un homme qui malgré sa morgue apparente de départ, va révéler ensuite des qualités contradictoires avec son statut, celui d’agent gouvernemental de la police précédé par une réputation d’enquêteur impitoyable avant qu’il ne débarque sur l’île… Mais au-delà de l’intrigue policière, c’est une autre grille de lecture que nous proposent les auteurs : un condensé de l’histoire coloniale d’un pays, le Chili, héritage des conquistadors qui s’emparèrent d’un continent de la manière la plus brutale, tout comme l’île de Pâques — même si elle se trouve à 3500 km de la côte —, et consécutivement une dénonciation du traitement indigne infligés aux populations natives qui perdura jusqu’au XXe siècle. Pour concevoir son scénario, Thomas Lavachery s’est inspiré du témoignage de son grand-père, qui avait séjourné sur l’île en 1934 lors d’une mission archéologique, comme il l’évoque en post-face. Celui-ci s’était dit hanté à jamais par le fait divers évoqué dans le livre (dont je ne peux rien dire au risque de gâcher la surprise du dénouement). C’est ainsi que l’on découvre une communauté autochtone sous la domination des colonisateurs. Les Pascuans (gentilé des habitants) sont exploités pour les tâches subalternes, relégués dans des habitations de fortune. Et lorsqu’ils sont contaminés par la lèpre qui à cette époque faisait des ravages dans les pays tropicaux, ils sont confinés et entassés dans une léproserie qui n’est rien d’autre qu’un taudis humide, tandis que les colons blancs jouissent du plus grand confort. Les dialogues possèdent une belle qualité littéraire pour des personnages très incarnés. Il y a évidemment l’inspecteur, impressionnant par sa stature mais aussi par son extravagance et son érudition, mais tous celles et ceux qui vont graviter autour de lui durant son séjour sur l’île, les plus marquants étant la jeune et jolie archéologue Miss Burnett, au fort tempérament, et le docteur Giraldo, dandy un brin sarcastique et désabusé. Thomas Gilbert a su leur donner un visage en phase avec leur personnalité, d’une expressivité éloquente. Son trait semi-réaliste et maîtrisé s’accorde bien avec la mise en page dynamique et un cadrage bien étudié. Les couleurs oscillent entre une certaine sombreur et une clarté désaturée pour les scènes extérieures, imprimant une ambiance en phase avec le propos doux-amer de ce polar sociologique. Du beau travail ! Le duo Lavachery-Gilbert semble avoir bénéficié d’une bonne alchimie, ce qui se ressent à la lecture de « Caballero Bueno ». Les deux auteurs ont d’ailleurs déjà collaboré pendant plusieurs années sur la série jeunesse « Bjorn le Morphir », dans le registre de l’heroic fantasy. L’univers de Thomas Gilbert est quant à lui assez unique, et chacune de ses publications ne manque jamais de susciter la curiosité. Indéniablement, ce dernier opus est une totale réussite.

04/08/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Les 3 Quêtes d'Hypercondrie (Fuzz et Fizzbi)
Les 3 Quêtes d'Hypercondrie (Fuzz et Fizzbi)

Une série de fantasy issue de la vague des années 90, que j'avais jusque-là laissée de côté, en partie à cause du dessin de Ciro Tota, dont le style ne m'a jamais vraiment séduit. Son trait me paraît trop froid, sans que je puisse dire exactement pourquoi, et ses visages me rebutent un peu. En revanche, j'ai été agréablement surpris par la qualité des décors dans cette série : ils sont soignés, détaillés, et contribuent bien à l'atmosphère. Comme l'annonce le titre de l'intégrale, il ne s'agit pas d'une véritable trilogie au sens narratif du terme, mais plutôt de trois aventures distinctes se succédant, chacune tenant en un album. Ce découpage fonctionne bien, car il correspond parfaitement au ton léger et dynamique de l'ensemble. On est ici dans une fantasy assez typique de son époque : un univers médiéval fantastique mâtiné d'humour, de jeux de mots (particulièrement dans les incantations), sans pour autant tomber dans la parodie ni l'excès de fan-service sexy qu'on retrouvait souvent à la même époque. Cela s'adresse visiblement à un public plutôt adolescent, avec des intrigues simples, des obstacles rapidement surmontés et une narration fluide. Et malgré tout, ça fonctionne. Les personnages sont attachants, l'humour est bien dosé, et même moi qui suis d'ordinaire assez réticent face aux jeux de mots à répétition, j'ai trouvé le ton plutôt plaisant. Ce n'est pas une série marquante, ni bouleversante, mais elle accomplit exactement ce qu'elle promet : un bon moment de lecture, divertissant, sans prétention mais avec sérieux et application. Une petite surprise, honnête et réussie, qui fait mieux que la moyenne de son genre.

04/08/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 3/5
Couverture de la série Black Paradox
Black Paradox

Delcourt réédite ce manga de Junji Ito paru chez Tonkam en 2012 en y ajoutant deux autres nouvelles : "La lécheuse" et "Le pavillon étrange". On retrouve avec ce manga le monde si singulier de Ito avec son fantastique macabre et horrifique. La nouvelle principale qui ouvre l'album nous raconte l'histoire d'un suicide collectif qui "tourne mal" : c'est un échec... Le fantastique s'invite en effet très vite et nos 4 protagonistes mettent fin à leur projet, confrontés à des événements troublants. Mais ce n'est que le début... Car la suite va rapidement tourner à l'horreur avec l'apparition d'étranges pierre sphériques qui seraient issues d'une porte ouverte avec le monde des âmes... Le second récit, plus court, "La lécheuse" m'était déjà connu, l’ayant lu dans un autre recueil de l'auteur. J'avoue ne pas trop aimé ce récit. Quant au dernier, "Le pavillon étrange", il tient en quelques pages, et ce n'est pas non plus ce que je préfère chez Ito. Autant j'ai bien apprécié le premier que je trouve bien développé en plongeant toujours plus loin vers l'étrange et le fantastique, autant je ne vois pas trop l'intérêt de republier ce dernier en y ajoutant des nouvelles déjà présentes dans d'autres recueils. Côté dessin, je reste toujours aussi amateur du trait fin de Junji Ito et des ambiances qu'il sait imposer.

04/08/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 3/5
Couverture de la série Tamaki et Amane
Tamaki et Amane

C'est avec cet album que l'autrice Fumi Yoshinaga a remporté le Prix Kono Manga Ga sugoi de cette année dans la catégorie féminine. Du coup je m'attendais à découvrir une petite pépite... Mais j'avoue être ressorti assez mitigé de ma lecture... Ce manga est construit autour de 5 courtes histoires où des personnages portant à chaque fois les noms de Tanaki et Amane évoluent à des périodes et dans des contextes différents. La première se passe à notre époque et nous raconte l'histoire de parents découvrant l'homosexualité de leur fille ; la seconde nous parle de la relation épistolaire entre deux femmes évoluant dans des classes sociales différentes à l'époque Meiji ; la troisième nous parle de l'amitié entre une jeune femme malade et un jeune enfant (son voisin) que sa mère peine à occuper à cause de sa vie professionnelle durant les années 70' ; la quatrième se déroule en période d'après guerre avec deux soldats ouvrant une échoppe dans le marché clandestin de Shinjuku ; la dernière enfin se déroule à l'époque des samouraïs et nous raconte une histoire de vengeance... Si les récits sont assez inégaux dans leur intensité et leur façon de nous relater des formes différentes d'amour, d'amitiés ou de relations tout simplement, j'avoue avoir trouver le tout un peu plat. Alors oui; ce fil conducteur construit autour du prénom des personnages est intéressant, mais ne m'a pas plus convaincu que ça. Surtout que du côté du dessin j'ai trouvé ça assez léger ; si les personnages sont plutôt bien rendus, les décors sont quasi inexistants. Bref, un peu déçu par ma lecture (2.5/5)

04/08/2025 (modifier)