Auteurs et autrices / Interview de Laurent-Frédéric Bollée
Ancien journaliste, Laurent-Frédéric Bollée a peu à peu fait son trou dans la bande dessinée avec plusieurs albums et séries marquants. Les Horizons amers le fait revenir une troisième fois en Australie, un pays qui le fascine. Prêts à embarquer ?
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Philippe Aymond que vous avez retrouvé pour réaliser Les Nouvelles aventures de Bruno Brazil. Pourquoi ce relaunch d’un classique de Greg et Vance ?
Le Lombard était dans une période de "reprises", avec Ric Hochet et Bob Morane, j'ai demandé si je pouvais aussi me positionner sur un créneau identique… Comme Philippe Aymond et moi sommes liés pour la vie, nous nous sommes rendus compte que le personnage de Bruno Brazil nous avait fascinés étant jeunes. De plus, comme la série avait été arrêtée assez brutalement après l'album Quitte ou double pour Alak 6, il y avait là le challenge éditorial passionnant de reprendre là où Greg et Vance s'étaient arrêtés ! Nous avons fait trois tomes et je vous annonce que Philippe et moi venons d'enchaîner par un nouveau tome de Lady S. ensemble !
Au début des années 2000 vous avez signé 7 albums chez un éditeur aujourd’hui disparu, Emmanuel Proust. Une anecdote sur cette époque ?
Je ne remercierai jamais assez Emmanuel Proust d'être venu m'assurer de son envie de travailler avec moi, ça fait toujours plaisir ! Mon meilleur album de cette période, je crois, est un polar intitulé London Inferno, réalisé avec Roger Mason, qui vit maintenant en Nouvelle-Zélande. J'ai écrit tout le script en anglais du coup…😊
Lorsqu’on regarde votre bibliographie, on remarque que vous avez touché un peu à tout : policier, aventure, science-fiction, historique, western… Qu’est-ce qui provoque le déclic, chez vous ? Qu’est-ce qui vous motive à inventer tel univers, à explorer telle époque de l’Histoire ?
Etant foncièrement curieux de nature, dès que je peux apprendre quelque chose tout en étant "surpris", j'ai l'instinct de penser que ça ferait évidemment une bonne histoire et généralement, les images me viennent tout de suite à l'esprit ! Dans ces cas-là, quand je ressens cette sorte de "fourmillement", je sais que je suis parti et que je ne lâcherai pas. D'un point de vue plus général encore, il est certain que s'immiscer dans les méandres de la grande Histoire pour proposer sa propre vision est jouissif… Je crois qu'on a bien ressenti ça dans La Bombe par exemple…
Avec Les Horizons amers, vous revenez 'Down Under', avec l’histoire de ce cartographe anglais, Matthew Flinders, qui réussit à se faire envoyer aux antipodes pour prouver qu’il s’agit bien d’une île, à l’aube du 19ème siècle. Mais cette fois-ci, plus de Philippe Nicloux, ni d’Editions Glénat. Place à Laura Guglielmo et aux Editions Robinson. Pourquoi ces changements ?
Après plus de 800 pages dessinées dans Terra Australis et Terra Doloris, Philippe en avait un peu marre des bateaux, des uniformes anglais, du XVIIIe siècle ! (rires). Il a souhaité partir vers un autre projet (Babylone, au Lombard) et ce n'est pas moi qui allais l'empêcher (surtout qu'on a fait un autre volume ensemble, entre les deux Terra : Matsumoto, sur la secte AUM et ses attentats au gaz sarin au Japon…) ! Bref, j'avais encore "en réserve" cette histoire fabuleuse de Matthew Flinders, le premier à avoir fait le tour de l'Australie pour prouver qu'elle était bien une île (eh oui, il y a seulement 220 ans, on ne le savait pas encore…) et son parcours pour le moins mouvementé qui l'a vu rester de nombreuses années en résidence surveillée à Maurice… Mais comme Philippe n'était plus là, l'idée pour moi était alors de repartir sur une nouvelle déclinaison, un nouvel éditeur, un nouveau coauteur…
Laura Guglielmo, qui avait un style un brin « pop-art », avec des couleurs acidulées… Sur Les Horizons amers, elle se révèle une maîtresse des ambiances diverses, et très appliquée en termes de décors, de costumes… Comment avez-vous déniché cette perle ?
Elle a été exceptionnelle de professionnalisme en tout cas, et quel talent en effet ! Je ne peux pas me plaindre ! (rires). Elle appartient à une agence artistique italienne avec laquelle je travaille déjà sur d'autres projets et j'avais remarqué son travail… Les planètes se sont alignées très vite !
A la lecture de l’album, on ressent une certaine tendresse teintée d’admiration pour ce pauvre rêveur peu concerné par la guerre franco-anglaise, qui a fait des mauvais choix mais qui se cramponne à son rêve, à ses convictions, et à ce trophée symbolique qu’est la première circumnavigation de ce qu’il appelle lui-même l’Australie…
Comme James Cook, Flinders fait partie de ces grands personnages qui ont été marin, officier, aventurier, explorateur, cartographe ! Un panel digne de cette époque des "Lumières" où l'on a repoussé les frontières du monde… C'est clair qu'il a ressenti "l'appel de l'Australie" et qu'il a contribué, plus que quiconque, à la connaître, l'apprivoiser, la dessiner, la nommer même… Le Français Nicolas Baudin était parti quelques mois avant lui pour un projet identique (là encore, la réalité n'est-elle pas plus forte que la fiction ?), il y a donc eu aussi une notion de "course" et certainement d'orgueil… Autant l'Australie moderne est née forcément en 1788 avec l'arrivée des onze navires de la First Fleet, autant elle a commencé à exister grâce à Flinders…
Ce qui m’a frappé pendant quasiment tout l’album, c’est que malgré sa femme, l’amiral qui accepte d’organiser son expédition, l’équipage de l’Investigator, Flinders est toujours ou presque irrémédiablement seul. Encore plus pendant sa captivité sur l’île de la Réunion pendant plusieurs années… Avez-vous pu avoir des éléments sur cette condition au cours de vos recherches ?
C'est vrai, j'en fais un personnage "dans son monde", qui ne se rend pas toujours compte de ce qu'il a sous les yeux ou autour de lui. Son obsession était vraiment d'avancer dans l'exploration et d'établir de nouvelles cartes, rien n'était plus important. Mais parcourir des milles marins ou des territoires, est-ce la meilleure manière de s'intéresser aux populations, aux coutumes, à la vie ancestrale de certains ? Et nommer une île, n'est-ce pas la conquérir après tout ? De quel droit ? Voilà pourquoi j'aborde la notion "d'aveuglement" de Flinders qui a certes fait progresser notre connaissance d'un continent, scientifiquement parlant, mais n'a peut-être pas ouvert tout à fait les yeux… C'est le Français Baudin qui sert de "révélateur" à cette situation et qui lui assène des vérités sur la politique impérialiste qu'il mène fatalement. Ce que je mets dans la bouche de Baudin est à vrai dire une lettre que ce dernier a écrite au gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud de l'époque, Philip Gidley King. Mais Baudin et Flinders se sont bien rencontrés à trois reprises, et il est vraisemblable qu'ils ont parlé de choses graves ensemble. Baudin avait en tout cas deux siècles d'avance sur son temps dans ses mots…
Pourquoi avoir choisi cette histoire-là, précisément ? L’Histoire de l’Australie doit en recéler des dizaines… Ou alors observez-vous une progression temporelle et doit-on s’attendre à une prochaine histoire se déroulant vers 1820 ?
Je vous l'ai dit : il y a 220 ans seulement, on ne connaissait pas la forme complète d'un pays aussi important que l'Australie ! Incroyable, non ? Et puis, il y a un petit côté "chronologie" que j'avais envie de continuer après Terra Australis et Terra Doloris… J'ai encore en réserve une autre histoire qui se déroule à Sydney, quelques années plus tard… On verra. J'écris de toute façon actuellement un autre roman graphique qui paraîtra chez La Boîte à Bulles et qui raconte une autre histoire australienne se déroulant dans les années 1860…
Un mot sur cet album qui détonne dans votre bibliographie, consacré à Patrick Dewaere ?
C'est un album qui fait partie d'une collection, 9 ½, chez Glénat, consacrée à des grands acteurs et actrices ou réalisateurs disparus… L'idée est évidemment de faire ce qui ressemble à un biopic mais qui se transforme en une vision personnelle d'un personnage. Avec la formidable dessinatrice Maran Hrachyan, nous avons réussi, je crois, à aborder de manière originale, poétique, émouvante, un personnage insaisissable, écorché vif, qui a marqué toute une génération d'acteurs et qui reste encore, même quarante ans après sa disparition, comme une étoile filante dans le cinéma français. (Je peux vous révéler que je travaille actuellement sur un nouveau volume, consacré à une autre légende du 7e art… L'album sortira à la rentrée 2024).
Quels sont vos projets ?
Outre Les Horizons amers, j'ai quatre autres BD qui sortent en 2023. Par ordre d'apparition : le T16 de Lady S. (Missions-suicides, avec Philippe Aymond, Dupuis), dont j'ai déjà parlé; mais aussi Lapérouse 64 (avec Marie-Agnès Le Roux et Vincenzo Bizzarri, Glénat), tirée de l'histoire vraie d'une expédition organisée en 1964 à Vanikoro pour retrouver les restes de l'expédition maudite Lapérouse ; "Il m'a volé ma vie" (avec Morgane Seliman et Francesco Dibattista, Glénat), le témoignage choc et bouleversant d'une femme battue par son compagnon); et enfin Les Illuminés (avec Jean Dytar, Dupuis), où nous suivons le parcours des trois poètes maudits qu'ont été Rimbaud, Verlaine et le dénommé Germain Nouveau, tour à tour dépositaires du manuscrit des Illuminations…
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