Les interviews BD / Interview de Alex Alice

A l’occasion de la sortie du 2ème tome de Siegfried, rencontre avec Alex Alice. L’entretien se passe dans la bonne humeur en marge d’une séance de dédicaces.

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Alex Alice Après des études de commerce, qu’est-ce qui t’a donné envie de changer de branche et de te tourner vers la bd ?
L’argent ! :-)
Non, en fait, j’ai toujours eu envie de faire de la bande dessinée ou de l’animation d’ailleurs. Mais il se trouve que j’étais dans un collège où il n’y avait même pas de section artistique et dans un milieu familial où il n’y avait pas d’artiste du tout. Et donc mes copains trouvaient que je dessinais bien mais je n’en avais pas du tout la moindre idée. Je savais que je voulais faire ça mais je ne savais pas combien de temps cela prendrait, ni si j’avais le niveau de faire une école d’art.

Donc je m’étais dit que j’allais mettre ça dans mon bagage et le temps que ça marche au niveau dessin, j’essayerai de faire de l’édition ou de la production d’animes ; c’est ça qui m’a amené vers l’école de commerce.

Et en fait, une fois que j’étais en école, j’ai rencontré assez vite Xavier Dorison, on était tous les deux dans l’organisation d’un festival de bande dessinée. On a déliré sur pas mal de sujets. Et quand il a ramené l’idée du Troisième Testament, on s’est dit que celle-là on avait des chances de la passer chez un éditeur… Et on a signé beaucoup plus vite qu’on ne pensait et l’album est sorti 2 semaines avant notre remise de diplôme. Du coup je suis parti dans la bande dessinée, direct, sans passer par la case édition… ce qui était très bien.

Accéder à la BD L'Anneau des Nibelungen Siegfried est sorti à peu près à la même période que 2 autres séries portant sur le même thème des Nibelungen (Le Crépuscule des Dieux et L'Anneau des Nibelungen). Les as-tu lues ? As-tu été tenté de comparer ton œuvre avec celles-ci ou d'autres BD parues auparavant sur le sujet ?
Alors, je ne les ai pas lues pour ne pas être tenté de les comparer. C’est très étonnant parce qu'il y a déjà eu une adaptation de cette histoire dans les années 80 chez Dargaud de L'Anneau du Nibelung et puis après plus rien pendant 20 ans. Et puis 3 la même année, c’est incroyable. Il faut croire que c’était dans l'air du temps. Moi j’ai eu l’idée fin 2000, donc ce n’est pas pour surfer sur la vague que je l’ai fait.

C’est une histoire avec laquelle j’ai été familiarisé très jeune par mon père et j’ai été fasciné par ce récit. Je n’ai jamais réussi à rentrer dans l’opéra parce que trop jeune, trop long, et trop en allemand. Mais en me replongeant dans le récit en 2000, je me suis aperçu que c’était formidable, que c’était exactement ce que j’avais envie de faire. Il y avait tous les éléments qui m’intéressaient dans ce genre de récit.

J’ai trouvé ça intéressant qu’il y ait autant de récit sur le même sujet au même moment. Il y en a un que j’ai lu, c’est la version de P. Craig Russel qui est sortie vers 2002 et qui est excellente. Mais c’est une adaptation de l’opéra assez fidèle donc ce n’est pas ce que j’avais envie de faire.

Accéder à la BD Siegfried Quelles ont été tes sources, tes références pour te plonger dans l’univers scandinave de Siegfried ?
Mon envie vient des opéras de Wagner : la tétralogie Der Ring des Nibelungen. Ce n’est pas une adaptation de l’opéra, mais c’est une relecture du mythe. Donc je suis allé chercher toutes les histoires autour de Siegfried et de l’anneau de Nibelung, dont principalement les deux grandes histoires qui ont servi de base à Wagner : la chanson des Nibelungen qui est la tradition allemande, et la Volsunga Saga, un texte qui vient d’Islande, qui est la tradition nordique. Les deux versions sont assez différentes.

Et puis il y a aussi des contes et légendes autour de Siegfried, qui est un personnage très populaire : c’est LE chasseur de dragon ultime. Et puis je suis allé chercher d’autres éléments mythologiques qui permettent de faire vivre cet univers nordique de manière plus complète. Je suis allé voir le travail de Régis Boyer, qui est un des grands spécialistes de la culture nordique, je suis allé en Islande pour m’imprégner de l’univers dans lequel tout ça a été composé : c’est le pays des géants, il n’y a pas de doutes.


Accéder à la BD Le Troisième Testament Pour Siegfried tu as réalisé à la fois le scénario et le dessin... travailler seul, c'est comment ?
Sur Le Troisième Testament il y a eu la rencontre avec Xavier, on est devenu amis. C’est lui qui a amené cette histoire et on a travaillé à 2 au scénario. Donc de ce point de vue là, ça ne change pas tellement. Ce qui est moins drôle c’est qu’on n’a pas de réunions de 5 heures au café à délirer. Mais comme sur Le Troisième Testament, je fais appel à des copains qui veulent bien me rendre le service de relire, de donner leur avis. Donc, même si ce ne sont pas des co-auteurs, ça m’aide à avoir ce qui est le plus important : d’avoir le recul sur ce que je suis en train de faire. C’est important pour moi d’avoir ce type de regard extérieur ; je ne l’ai pas à travers un co-auteur, je n’ai pas d’interlocuteur attitré avec qui on discute et avec qui on met en place les choses. Mais je l’ai à travers des « relecteurs » réguliers. Dont Xavier Dorison et Mathieu Lauffray, des copains professionnels et puis des copains qui sont lecteurs de bd qui me donnent un avis de lecteur.

Il n’y a pas ce coté agréable qui fait que quand on a un coup de mou, on peut se reposer sur l’autre. On s’est apporté beaucoup de choses avec Xavier, qui moi me servent encore maintenant. Il n’y a pas cet enrichissement-là ; en revanche je peux écrire sans complexe exactement ce que j’ai envie de dessiner.

Accéder à la BD Siegfried Qu’est ce qui a posé le plus de difficultés pour réaliser cette série ?
J’écris en sachant ce sur quoi je vais être fort au niveau dessin, narration, mais aussi ce sur quoi je vais être moins à l’aise, pour mettre en avant ce que je sais mieux faire. Je ne fais pas non plus dans la complaisance, je me laisse des passages compliqués. Sur Siegfried il y a beaucoup de choses que je ne savais pas faire avant de commencer la série et que j’ai dû apprendre sur le tas.

Et puis le bonheur, c’est quand j’ai envie de faire un truc, même si tout le monde me dit « t’es fou, ça ne marchera pas » : je le fais quand même :-)

Est-ce que tu peux nous parler du tome 3 de Siegfried ?
Oui, mais pas beaucoup, hein ! Parce qu’il y a des gens qui ne connaissent pas la légende par cœur :-)

Je suis impatient de m’y mettre, parce que ça fait un petit moment que je suis dessus, j’ai eu l’idée de travailler sur cette histoire fin 2000, ce qui fait que ça fait très longtemps... Evidemment, une des premières images qui vient à l’esprit c’est : « ok, bon il y a un dragon »... Siegfried, c’est le tueur de dragons : comment on met en scène l’affrontement ? Et puis il n’y a pas que ça, il y a une partie de l’histoire qui est très chargée en émotion et où il se passe des choses terribles et merveilleuses... et je n’ai pas très envie d’annoncer ce qui va se passer. Mais une bonne partie des raisons qui m’ont poussé à adapter cette histoire sont dans le dénouement.

Un extrait de Siegfried Il y a déjà des choses que j’ai mises sur le papier, des designs, toute l’écriture des scènes a déjà été faite, mais je n’ai pas voulu toucher le crayon sur la mise en scène. J’attends... ça monte, ça monte. Et je pense... Voilà, on va voir ce que ça donne. J’espère que je ne serai pas déçu par ce qui sort.

Mais il y a des scènes d’anthologie, de mythologie à l’état brut qui prennent place dans le tome 3. Il est très varié : il y a des scènes très intimes, d’autres totalement épiques, monstrueuses. J’ai pris vraiment beaucoup de plaisir sur le tome 2, mais il était vraiment compliqué à écrire parce que je voulais qu’il y ait toute cette histoire de jeu avec le temps (passé, présent, ...), de destin de la Valkyrie qui va être lancé au début, accompli à la fin. Ça a été un beau casse-tête. Sur le 3, il n’y a pas de problème de cet ordre, donc il n’y a plus qu’à mettre en scène et dessiner.

Tu avais dès le départ prévu de faire 3 tomes ?
Au tout départ, je pensais en faire un one-shot et puis en fait avant de commencer l’écriture je me suis aperçu que c’était une histoire riche et que c’était dommage de passer à côté de plein de choses... J’aurais pu faire un gros one-shot dans la tradition du Grand Pouvoir du Chninkel et je me suis aperçu que j’avais beaucoup de choses à raconter, que les personnages avaient pris une ampleur que je ne soupçonnais pas – j’ai même supprimé certains personnages – et surtout je me suis aperçu que j’avais un découpage naturel en trois albums qui fonctionnait très bien. Même si c’est trois gros bouquins de 72 pages bien grandes :o)

Un extrait de Siegfried Et puis je suis très content de pouvoir raconter cette histoire sous ce format-là qui permet vraiment de faire la mise en page, de rythmer le récit, de ne pas être prisonnier d’un gaufrier très lourd, être concis quand il faut être rapide sur le dialogue, des expressions, des gros plans et en revanche pouvoir prendre des pleines pages entières quand on est soit sur l’ambiance, soit sur un passage beaucoup plus épique. Et pouvoir jouer sur le rythme comme ça c’est formidable. Je suis content que Dargaud m’ait suivi sur ce parti pris.

Est-ce que tu peux nous parler du film d’animation sur Siegfried ?
L’idée était de faire un développement en commun sur la BD et l’anime. Ce qui m’a permis de passer un temps très important sur le développement du scénario, sur les recherches à la fois de design, de couleurs.

J’attaque le film après le tome 3, si tout se passe bien. Ce qui me permet de terminer la bande dessinée, formidable outil pour la réalisation du film, et qui va me laisser le temps de considérer calmement les dessous de la réalisation. Ce n’est pas pour tout de suite, surtout que sur les derniers plannings, la production du film était prévue sur trois ans.

Un extrait de Siegfried Les 3 œuvres sur lesquelles tu as travaillé se rattachent toutes (plus ou moins) à un univers déjà existant. Est-ce une coïncidence ou un choix ? Dans l'hypothèse d'un choix quels en seraient les raisons ?
Personnellement je suis très admiratif des créateurs d’univers qui partent de rien, mais à mon avis, ils ne partent pas de rien complètement. Je ne sais pas s’il serait d’accord avec moi, mais ce n’est pas un hasard si Moebius est si brillant dans ses délires. C’est lié au fait qu’il ait dessiné Blueberry très longtemps, qu’il ait une très grande culture visuelle, mais aussi qu’il est curieux et qu’il s’est alimenté de pleins de choses avant de partir dans ses délires. Voilà, je suis très admiratif de ça !

Je suis admiratif de gens comme Druillet par exemple qui en l’occurrence commence directement avec des univers extrêmement personnels. On est Druillet... ou pas. Je pense que ça se fait naturellement, moi je n’ai pas cette originalité totale « d’auteur univers » qui arrive en présentant son ovni totalement inédit dès l’origine. Ce que j’espère c’est qu'en faisant le travail que je fais en ce moment ça me servira. Déjà le travail historique m’a énormément aidé pour faire du mythologique en fait. Parce que le fait de s’être tapé les documents, d’être allé par exemple chercher de manière extrêmement pointue comment ça marche une pièce d’armure, parce que ça se fait pas n’importe comment. D’avoir porté les trucs, d’avoir appris des bouts d’escrime rapidos, d’avoir manipulé tout ça, être allé dessiner tout ça, chercher comment tout ça fonctionnait ça me permet d’alimenter mon travail sur l’imaginaire. La mythologie est certes existante, mais l’univers dans lequel je présente les personnages ce n’est pas rigoureusement l’Islande, ce n’est pas exactement des vikings, je m’efforce de créer quelque chose de relativement original à la série même si ça reste référencé.

J’espère pouvoir continuer à travailler là-dessus et présenter peut-être des univers plus décalés par la suite. C’est quelque chose qui me plairait bien, je suis très admiratif de Dark Crystal qui est l’ovni absolu dans le genre, le film se passe dans un univers totalement hors du monde, hors du temps, avec des designs incroyable, une ambiance folle qui me transporte complètement, j’aimerais bien savoir faire ça. Plus tard peut-être.

Un extrait de Siegfried Est-ce que tu serais tenté de t’essayer plus tard à de nouveaux domaines tels que la science fiction, le roman graphique, le thriller ou le western ?
Un roman graphique... Qu’est-ce que c’est un roman graphique ? (rires). C’est de la BD quoi. (Il se lance avec bonne humeur sur une explication de texte). Roman graphique en français je ne suis pas très convaincu, autant comics en américain, je comprends que ça fasse un peu dépressif. Will Eisner ça n’a rien d’un récit comique, ni Superman et Batman d’ailleurs. Donc je comprends qu’ils aient inventé graphic novel pour pouvoir passer dans le New York Times. M’enfin bande dessinée ça n’a rien de déshonorant. Donc "roman graphique" pour aller séduire Télérama, je ne vois pas trop l’intérêt…

Passé ce petit point de vocabulaire, un récit intimiste, un western... (Il hésite) Je n’ai pas tellement envie de retourner tout de suite dans le récit historique, même pas du tout en fait. Ce n’est pas mon truc à la base, je m’y suis plié sur Le Troisième Testament et je pense que ça m’a fait beaucoup de bien, et j’y ai pris plaisir parce qu'il y a un plaisir à aller chercher la documentation, à s’alimenter sur du réel. Mais disons que quitte à prendre un crayon et à passer un an sur un bouquin, j’aime autant que ce soit pour des choses qu’on ne voit pas dans la vie de tous les jours, ou qu’on puisse consulter dans un livre d’histoire. J’aime bien l’idée de créer des mondes, de donner à rêver. Je pense que c’est une des grandes armes de la bande dessinée et je trouve ça dommage de s’en priver.

Même si je suis lecteur de récits historiques, intimistes, j’aime lire ça mais passer un an et demi dessus, non, pas pour l’instant.

Accéder à la BD Le Troisième Testament Peux-tu nous parler du projet "Julius" annoncé à la fin de l'intégrale du Troisième Testament ? S'agit-il Julius de Samarie ?
Oui ! On a mis quelques pages d’annonces dans l’intégrale... c’est un projet auquel on réfléchit depuis longtemps. C’est l’anté-suite du Troisième Testament, donc la suite qui se passe avant. C’est une autre histoire autour de la même mythologie, ça se passe 13 siècles avant, donc ce ne sont pas les mêmes personnages. L’idée n’est pas de dire les aventures suivantes de nos héros, ou même la jeunesse ou la genèse, on laisse nos héros où ils en étaient. On ne touche pas à cette histoire qui est bouclée en 4 et qui n’a aucune raison de continuer.

Simplement, depuis avant même de signer la première histoire on avait l’idée de faire une autre histoire autour de cette mythologie qui est très riche et autour de cette histoire d’un manuscrit inspiré par Dieu, et caché aux hommes à l’époque du Christ. Et justement on a un récit qui va partir de cette époque-là. Le récit commence 30 ans après la mort du christ, et va raconter l’histoire de Julius de Samarie qui est d’après la légende celui qui aurait trouvé ce fameux Troisième Testament. Ce sera un peplum fantastique dessiné par Robin Recht, l’histoire tiendra en 4 volumes épiques de 80 pages.

Avec quel scénariste rêverais tu travailler ?
Je n’irais pas jusqu'à dire plein, mais enfin quelques-uns oui. Il y en a deux, trois dont j’aime beaucoup le boulot et avec qui je pense que ça pourrait bien se passer. Mais bon il n'y a rien de fait, ni même de discuté. Je suis sur pas mal de trucs là. (Il réfléchit) Oui il y a des gens avec qui je me sentirais bien de travailler, s’ils sont d’accord à moyen/long terme on va dire.

Accéder à la BD Il était une fois en France Pour détourner la question et tenter que tu nous lâches des noms, quelles sont tes dernières lectures que tu as appréciées ?
(Rires) Alors, ça n’a rien à voir, je ne veux pas établir de lien avec la question précédente, on m’a passé Attends de Jason que j’ai trouvé super. C’est très émouvant, très juste, très beau.

Sinon ma grande claque de l’année c’est La Ligue des Gentlemen Extraordinaires tome 2. J’avais pas aimé le 1, j’ai adoré le 2... d'Alan Moore avec qui je ne rêve pas de travailler je le dis tout de suite. (Rires) Ce n’est pas une BD dans laquelle je serais très à l’aise.

Il y a aussi Il était une fois en France. Super dessins, super scénario, personnage complexe très bien mis en scène. C’est fort d’avoir trouvé le personnage et de le traiter de la manière dont ils le traitent. Les auteurs ne portent pas de jugement moral et en même temps donnent à voir des scènes très significatives qui permettent de se faire une idée.

En dehors du troisième tome de Siegfried, est-ce que tu as d’autres projets en préparation ?
Oui, je travaille en ce moment sur l’écriture de "Julius", l’anté-suite du "Troisième Testament". Et puis, je commence à réfléchir aussi à une autre histoire, mais c’est encore trop tôt. Je commence à mûrir les choses, à lire, à rassembler les éléments. C’est vrai que j’aime bien m’y prendre à l’avance parce que ça permet de se laisser le temps de mûrir, s’imprégner de l’univers.

En fait, pour l’instant, je suis assez triste qu’il n’y ait plus qu’un tome sur Siegfried parce que, voilà, le tome 2, c’était l’album que j’ai préféré faire pour l’instant. Je n’ai pas encore fait le 3 mais j’ai l’impression que c’est bientôt fini.

Alex, un grand merci et félicitations pour ton travail : tes 2 séries figurent dans les immanquables du site.
Merci, ça fait très plaisir !
Interview réalisée le 27/09/2009, par Pol, avec la participation de Biglolo, Ro, Alix, Guillaume.M et 666Raziel.