Auteurs et autrices / Interview de Diane Truc et Rutile

"Colossale" est un objet dessiné non identifié, fortement influencé par les shôjôs, mais plein de surprises. Comme ses autrices. Ainsi, la catcheuse n’est pas celle que vous croyez…

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Photo de Diane Truc et RutileBonjour, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Diane Truc : Je sors des Gobelins, je travaille dans le cinéma d’animation. En sortant de la promo 2017, j’ai travaillé comme animatrice sur des séries, des films et en 2020, sur la base d’une proposition d’un studio qui ne s’est pas faite, j’ai eu l’opportunité de créer Colossale. Avec l’aide de Rutile, on a participé au premier concours Webtoon proposé sur la plate-forme française. On a gagné, et à partir de là je suis rentrée dans le monde de l’édition numérique en premier lieu. Après la publication numérique de Colossale, l’édition papier a suivi très vite. Rutile : Je suis scénariste de bandes dessinées depuis 2009 à peu près. Passée par la BD papier, je gardais un œil sur ce qui se faisait en BD numérique. En ce qui concerne les blogs BD, quelques personnalités arrivaient à sortir leur épingle du jeu, mais moi les histoires du quotidien ça ne me parlait pas trop. En 2016, Diane et moi on découvre le webtoon et on s’y initie très rapidement. Je me suis dit qu’enfin on avait là de la BD numérique spécifiquement réalisée pour le support sur lequel elle allait être diffusée, et en plus il y avait un vrai business model, un public, des moyens de diffusion conséquents, etc. Ça marchait bien en Corée, et ce n’était pas non plus difficile d’en faire, pour des auteurs de BD « classique » : n’importe qui peut faire du webtoon. Le vrai attrait du numérique, c’est qu’il décuple l’expérience de lecture et la rend très cinématographique, au sens où l’auteur a un énorme contrôle sur le temps de lecture. Si par exemple l’auteur veut mettre 6 cases d’un panorama du Grand Canyon ou 25 cases d’un personnage qui se noie, le lecteur ne peut pas « sauter » le passage, contrairement à une BD classique où il peut vagabonder à son aise dans les planches, sauter des cases, fermer la BD, la reprendre... Avec le webtoon vous êtes complètement à la merci de l’auteur et le regard est conscrit à cette fenêtre de téléphone portable ou de tablette. Le succès a-t-il été au rendez-vous ? Rutile : Déjà, il y a du public, ce qu’en 15 ans de carrière en BD classique, je n’ai pas réussi à avoir. Pour moi l’histoire de la BD est intrinsèquement liée à l’histoire des journaux. Elle est née globalement dans les journaux… DT : Le Webtoon aussi, quelque part. Accéder à la série BD ColossaleRutile : Oui, c’est vrai, quand on y pense. Naver, le géant tech coréen qui a créé le webtoon, avait comme produit principal un moteur de recherche booléen. Au début des années 2000 la page d’accueil de Yahoo se présentait comme une Une de journal, si tu te souviens. Il y avait une barre de recherche, avec une petite icône news, une icône astrologie, une icône météo, et en Corée, une petite icône webtoon. A l’époque il y avait une forte compétition entre différents moteurs de recherche en Corée, et Naver s’est rendu compte que c’était cette icône du webtoon qui attirait les utilisateurs et leur permettait d’avoir une longueur d’avance sur les autres. Une tendance qui valait aussi pour les journaux : certains achetaient tel ou tel titre pour avoir Calvin et Hobbes ou Garfield. C’était un argument de vente, et à une époque pas si lointaine en France on avait aussi des journaux de prépublication de bande dessinée. Ils sont quasiment tous morts à l’heure qu’il est, ce que je trouve sincèrement dommage. Cela permettait à un vaste public d’appréhender les BD, des BD qu’ils allaient ensuite acheter lorsqu’elles sortaient en albums. Même chose au Japon : tous les mangas sont chapitrés, car cela sort d’abord dans des revues. Idem aux Etats-Unis, les comics sortent en issues, dans des fascicules. Pour l’anecdote, j’avais une BD prépubliée dans Tchô le magazine, juste avant qu’il ne meure lui aussi. Ça s’appelait Mytho, à destination des jeunes garçons, un public fameusement difficile à atteindre. Je ne sais pas si c’était le cas pour les autres auteurs, mais avec la dessinatrice Zimra on pensait vraiment l’histoire par chapitres, par arcs narratifs. Je dévie un peu par rapport à la question, mais je suis née avec la franco-belge, ῞Astérix῞, ῞Tintin῞… je lis aussi des comics, Alan Moore est mon dieu absolu, et je suis une grosse consommatrice de mangas. Dès ma première BD j’ai fait partie d’une génération d’auteurs qui brassaient toutes ces influences, mais mes livres n’ont jamais trouvé leur public en format papier, selon moi parce que la prépublication est une étape fondamentale pour faire du format long comme en manga, et ce modèle de prépublication n’existe donc plus en France. Le manga est né d’une nécessité, d’un contexte culturel, d’un public particulier… C’était quoi la question au départ ? Un extrait du webtoon ColossaleDT : C’était « présente-toi »… (rires) Rutile : Pour reboucler sur Colossale, on a fait le pari de la prépublication, on a des gens qui ont lu, ont apprécié, sont revenus régulièrement se connecter pour lire la suite… On l’a sorti en version papier, parce que le contexte culturel en France est fort. Mais dans l’esprit, on est plus proche du manga tel qu’il se fait au Japon, que certaines publications françaises qui sortent directement en tomes, en noir et blanc, avec lecture de droite à gauche, etc. Avec Colossale, les gens achètent la BD parce qu’ils la connaissent déjà, j’ai l’impression. Et avec Diane on a insisté pour que la version webtoon reste également disponible, gratuitement et en accès libre, sur le site de Naver. Diane, tu avais parlé d’un sujet voisin dans ta première BD, WPE Battle Royale, le catch. Toi aussi, tu comprends mieux les muscles que les humains ? DT : Ce n’était pas exactement la première, mais c’était un de mes premiers travaux. Et oui, je comprends totalement mieux les muscles que les humains. Je m’en suis rendue compte tardivement, mais le catch est quelque part à l’origine de Colossale. J’ai commencé cette discipline fin 2018, et dans les mois qui ont suivi, me rendant compte de mes limites physiques, je me suis mise à la musculation. Je déteste le sport, les sports d’équipe je crache toujours dessus, et j’ai trouvé quelque chose, une sorte de chemin personnel à travers la musculation. Il y a un gain de force mentale à travers la force physique, et pour une femme, on a un autre rapport au corps, et à la force, et mine de rien c’est lié à l’indépendance. A cause de ça j’ai voulu travailler sur une histoire qui en parle. Accéder à la série BD Geek & GirlyRutile, certains des personnages de Colossale se trouvaient déjà dans ta première BD publiée en album, Geek & Girly, non ? Rutile : Complètement. A l’époque où je travaillais sur cette BD, il y avait Big Bang Theory à la télé, avec une meuf un peu bonne et une bande de mecs un peu craignos mais tellement attachants… et on parlait beaucoup de geeks masculins. L’idée était donc de faire une comédie romantique inversée, avec un mec « normal », qui en plus se prend pour un roi de la drague, et qui se retrouve face à une armée de geekettes toutes différentes les unes des autres. Diane a lu Geek & Girly et m’a dit qu’elle aurait aimé lire ça au collège. Elle a donc calé l’apparence du personnage de Léontine sur celui de l’héroïne de Geek & Girly. On ne se voyait pas faire une histoire sur les muscles et l’apparence sans aborder le thème de la grossophobie, et Léontine est un personnage crucial pour aborder ce sujet. Grossophobie et muscu vont souvent de pair dans le milieu sportif. Et puis, au fil de l’écriture, on s’est rendu compte que muscle n’est pas égal à minceur, ni à un type de corps qu’on considère comme “fort”. Au contraire, les gens musclés, qui font de l’haltérophilie, par exemple, n’ont pas un type de corps en forme de Doritos comme Thor de Marvel. Ils sont plutôt massifs, ils ressemblent à des tonneaux. Geek & Girly c’est une blessure pour moi, car je n’ai pas pu la finir. C’est paru en deux tomes, à une époque où Soleil arrêtait des séries abruptement, surtout dans ses collections Strawberry et Blackberry. C’était une initiative intéressante, de faire des séries à destination des préadolescentes et adolescentes. L’esprit ce n’était pas de faire des trucs édulcorés en mode Polly Pocket / Barbie, avec du rose partout, il y avait un côté revendicatif derrière. Colossale c’est différent, mais il y a les bases de tout ce qu’on aime nous en termes de comédie romantique, de tropes de shôjô classique, mais avec un caractère bien français. Accéder à la série BD RhapsodyDans Rhapsody, déjà, tu parlais de secrets personnels, d’identité sexuelle et du regard des autres… Rutile : Il y a en effet une espèce de constance dans les thèmes de mes histoires. Sur la fin de ma bibliographie, ce sont des histoires plus « utilitaires », même si j’adore l’Histoire et la gastronomie françaises, parce que la tendance de ces dernières années ce sont surtout des biographies, des adaptations de romans… Je n’ai rien contre, évidemment, j’y ai participé, mais ça me saoule un peu quand même, ce n’est pas la BD que j’aime vraiment. Mais le reste de ma biblio, ce sont des choses que je n’ai pas vues ailleurs. Dans Colossale, je n’ai rien fait que je n’aurais pas fait dans Geek & Girly. Si j’avais pu finir cette série, j’y aurais certainement mis les mêmes éléments. C’est une question d’amener les BD au public qui les mérite. Dans la BD papier, globalement, le public féminin n’est pas mis à l’honneur, et au contraire on le repousse. On lui balance de la misogynie, du sexisme à la gueule. Il faut qu’on leur dise « vous aurez des personnages qui vous ressemblent, vous n’aurez pas la Schtroumpfette, vous n’aurez pas Falbala, vous aurez des meufs qui auront leurs défauts, qui seront fortes aussi. Pas des “meufs fortes mais aussi avec des énormes boobs et une taille de guêpe et qui peuvent boire de la bière et utiliser des guns”. Bref, des histoires qui peuvent parler au lectorat féminin, le respecter et ne pas le prendre pour des débiles. Pour Colossale, dans sa version numérique, il y a une vox populi qui permet aux meufs de choisir. Et il se trouve que sur Webtoon, il y a 70% de lectrices, 70% d’autrices, c’est une évidence écrasante. Accéder à la série BD My Lady VampireTu as ensuite coscénarisé le triptyque My Lady Vampire avec Audrey Alwett, et des dessins de Silvestro Nicolaci. Quelles ont été tes influences ? Rutile : C’est l’une des manifestations du côté script doctoring de mon activité d’autrice. C’est le cas sur Colossale également. Le pitch vient de Diane, elle a structuré les trois premiers chapitres. J’ai mis un peu mes doigts dedans, mais de loin. Le script doctoring, c’est le fait de reprendre des histoires, de les développer pour les mener à terme, les “guérir” en quelque sorte. My Lady Vampire, avec Audrey Alwett, c’est elle qui avait fait les deux premiers tomes, mais elle ne savait pas comment les finir. J’adore ce genre de truc, ce sont des équations à résoudre. Je cherchais du boulot à l’époque, et Audrey m’a dit « fais-le, je te paye, pas de souci ». Ce ne sont ni mes personnages, ni mon histoire, et c’était un scénario à quatre mains. Les retours sur ce troisième tome indiquaient que la fin était bien, donc j’étais contente d’avoir réussi ma partie. Venons-en à Colossale. Diane, tu as eu l’idée originale, mais comment t’est-elle venue ? DT : A la base c’est le studio d’animation pour lequel je travaillais qui avait commandé cette histoire, une comédie romantique, car il voulait se lancer dans le webtoon. Ils voulaient un shôjô assez classique qui puisse plaire au public coréen. Aucun problème pour moi, j’ai donc commencé à travailler sur cette histoire d’un personnage principal qui partage ma passion pour la musculation, et le mettre face à un obstacle, le milieu aristocratique. Très genré, très rigide, très cliché. Une planche de la série ColossaleQuelle est votre méthode de travail, particulière au webtoon ? DT : Rutile était présente en renfort sur les trois premiers épisodes, et à partir du moment où la série a été confirmée, que sa diffusion sur Webtoon a été actée, on a vraiment fait équipe. On s’est réunies une après-midi, et on a établi les grandes lignes de l’histoire. La méthode de production nous oblige à aller très très vite ; le webtoon c’est un épisode par semaine. On peut bien sûr faire des pauses de temps en temps, mais les éditeurs serrent la vis pour qu’on en ait le moins possible. On avait pris de l’avance, cinq épisodes, mais on l’a bouffée très rapidement. On avait les grandes lignes, une liste d’évènements pour l’ensemble de l’histoire mais tous les 10 épisodes on se réunissait pour préciser, pour affiner le récit. Ça laissait pas mal de liberté, et certaines choses qu’on n’avait pas prévues à la base, des personnages qui sont apparus, et sont devenus pivots de l’histoire. Rutile : On avait des charnières, des points, des étapes à atteindre, et au-delà de ces rendez-vous des 10 épisodes, semaine après semaine on précisait les choses au fil de l’eau également. Je donnais le script à Diane qui passait au board, ajoutait les dialogues, de temps en temps je repassais dessus et quelquefois pas du tout. Je n’ai pas travaillé graphiquement sur la BD, sauf une fois où j’ai dessiné de la foule parce qu’elle avait besoin de renfort. DT : J’avais aussi une assistante coloriste, Alix Tran-Duc. Elle est illustratrice de base, et m’a bien aidée, alors que j’étais 6 jours sur 7 sur le chapitre en cours. Une planche de la série ColossaleClairement, Jade refuse de se faire dicter sa vie, ou du moins fait aussi peu de compromis que possible, je trouve. Quelle est l’inspiration du personnage ? DT : Pour le personnage de Jade je ne me suis inspirée de personne, pas une célébrité, ni un personnage de BD ou de manga ; elle est certainement inconsciemment calquée sur moi. Rutile : Il y a certainement une influence à chercher du côté de shôjôs avec des héroïnes au caractère fort, qui ne se laissent pas faire. Quand des gens viennent les harceler, elles répondent… Mais pas d’inspiration directe, mise à part Léontine qui physiquement se rapproche de Mathilde dans Geek & Girly. En termes de thématique, Héloïse, est en partie inspirée de ῞Cruelle῞, de Florence Dupré La Tour, dans l’état d’esprit, le lien avec les animaux… C’est une fille qui dès qu’elle se sent impuissante, s’en prend à plus impuissant qu’elle. Et dans la hiérarchie de son monde, après elle, il n’y a plus que les animaux. DT : En général, pour le milieu aristocratique, ses œuvres ont fait partie de nos références. A la fin de ce premier volume, on en apprend plus sur les origines de la passion de Jade. Cet épisode a-t-il été écrit en amont de l’histoire, ou s’est-il greffé plus tard, par exemple après que des fans l’aient réclamée ? Rutile : AH ah ! Pardon mais c’est hyper drôle. C’est pire que sur le moment. On avait prévu un épisode particulier avec Diane, mais il était trop long, et Diane a voulu le séparer en deux. Mais il manquait un bout d’épisode, en termes de volume. On ne pouvait pas mettre directement la suite parce qu’on commençait une toute autre scène après, ça n’aurait pas collé. Et Diane me fait « on va expliquer pourquoi elle fait de la muscu » et moi « Diane, je n’ai absolument pas prévu ça ! C’est TON personnage en plus, je ne sais pas pourquoi elle fait de la muscu ! ». Une planche de la série ColossaleDT : Et ça c’était le lundi, on était en flux tendu. Il fallait trouver dans la journée, tomber le storyboard le soir. Donc, prise de tête. Est arrivé en renfort un élément de détail, un élément de décor de l’épisode 7. Un tableau, avec la tata Pénélope, dont on pensait vaguement que ça pourrait servir. Rutile : Diane avait au départ imaginé la rencontre entre Jade et une agent de sécurité rencontrée lors d’une soirée mondaine, mais pour moi ça ne pouvait pas être de l’admiration, parce qu’il fallait que le personnage soit en déséquilibre. Mais je ne pouvais pas non plus -et mon côté script doctor m’a bien aidée sur ce coup-là- résoudre toute la tension de Jade à ce stade de la série. Diane m’a poussée dans mes retranchements, je n’ai jamais sué autant. Je me disais « si on se foire, c’est la merde ! ». J’ai fait ma petite magie noire, j’ai une méthode pour savoir où aller, avec les thèmes. J’ai donc trouvé cette explication scénaristique à la motivation de l’héroïne, et l’ambigüité de la parole de la tante : « Sois forte ! » Et Jade l’entend comme « sois forte », littéralement. Quand j’ai envoyé cet épisode à Diane, elle a trouvé que c’était incroyable, qu’il y avait plein d’émotion dedans. DT : Alors que d’habitude on avait des scénarios qui ressemblaient à des listes, là on avait un vrai script. Il fallait que ce soit réglé au poil de cul près, la bonne émotion, la bonne rythmique, etc. Rutile : Arrivées à ce moment de la publication en ligne, on s’est dit que ç’allait être un pari. Le reste de la série est très comique, très rythmée aussi. C’était un moment charnière, j’avais une petite appréhension dessus. Comme les webtoons sont classés par catégorie, et que Colossale était résolument une comédie, je me demandais si les lecteurs seraient contents de trouver autre chose que la catégorie choisie au départ. Et ça a marché, des gens nous ont dit qu’ils avaient pleuré. Yes ! On les avait ! Et comme la suite allait être plus dure, plus sérieuse, ça nous a rassurées : tout le reste allait pouvoir suivre. Une planche de la série ColossaleL’enchaînement des épisodes était-il le même ? Et est-ce que c’était fait exprès que le premier tome s’arrête après cet épisode précis ? Rutile : On n’a pas pensé en tomes précisément. En fait on a pensé en arcs narratifs. Webtoon nous avait commandité 50 épisodes, sachant qu’on allait probablement dépasser. Finalement il y en a une soixantaine, et Diane a divisé l’ensemble en cinq arcs de dix épisodes environ. Quand Anne-Charlotte Velge, notre éditrice chez Jungle, est venue nous voir, elle nous a dit que ça ferait à peu près 5 tomes de 12 épisodes chacun. Pour elle on avait fait en sorte qu’au bout de ces 12 épisodes se clôturait un arc, une bonne coupure, sans que ça tombe à plat. C’est une rythmique répandue. Un pote, Josselin, qui est scénariste sur le webtoon ῞Samourawaii῞, fait aussi des arcs de webtoons de 12 épisodes. Où en est la publication du webtoon ? Et quel va être le rythme de parution de la version papier ? DT : C’est fini, l’intégralité est disponible gratuitement en ligne. Rutile : Et je recommande de lire au moins un peu Colossale en ligne, parce que ç’a été pensé pour cette expérience de lecture, même si ça s’adapte bien au papier selon moi. Mais il y a des petits trucs en plus en ligne, comme des concours de popularité. On a convaincu des auteurs de BD classique, comme Marc-Antoine Boidin, du SNAC, de l’utilité de lire par ce biais, via le téléphone portable. DT : Le rythme de parution de la version papier, ça va être tous les trois mois, jusqu’à novembre prochain. Une planche de la série ColossaleSi j’en crois mon intuition, Alexandre est insensible aux charmes de Jade, qui de toute façon n’est pas intéressée par lui. Est-ce qu’il est envisagé une romance (et pas une bromance) entre Simon et lui dans la suite de l’histoire ? DT : Il y a plutôt une attirance physique, elle l’animalise, en fait. En ce qui concerne leur relation éventuelle, on a mis dans l’histoire le triangle amoureux, caractéristique du shôjô. Mais non, c’est plutôt le contraire qui va se passer. Rutile : Ce sont deux caractères très différents ; Simon est quelqu’un de compliqué, qui surréfléchit sur tout, et Alexandre est quelqu’un de droit et de direct. Ce sont foncièrement deux personnes qui ne peuvent pas s’entendre. On ne voulait de toute façon pas jouer sur la corde de l’amour au premier regard, on voulait retranscrire des relations humaines avant tout. Dans certains webtoons, il n’y a que l’amour, ça tourne à l’obsession et on a l’impression que les personnages ne sont plus des êtres humains. On voulait rendre plus sain ce rapport-là, elle est aristo, lui est palefrenier, et dans un premier temps seuls les muscles d’Alexandre intéressent Jade. Dès lors elle se demande comment il fait, s’il s’entraîne avec les chevaux, s’il dort avec, etc. C’est drôle, mais par ailleurs c’est plus sombre, car elle en fait littéralement un animal, elle le dépersonnifie. Un extrait du webtoon Colossale, en lecture verticale continueDT : Et c’était important pour nous d’avoir cette scène où elle essaye de l’approcher, de le toucher, et où il la rembarre en mode « je ne suis pas le room service, je ne suis pas le larbin, dégage ! ». Elle commence à le voir comme une vraie personne à partir de là. Rutile, tu indiques que ton personnage préféré est Héloïse, la pimbêche de service, et Diane, tu cites Léontine, la copine grenouille de bénitier de Jade. Il s’agit pourtant de personnages secondaires voire tertiaires, qui n’apparaissent pas beaucoup dans ce premier volume. Et elles n’ont pour l’heure pas une grande influence sur l’intrigue. J’imagine que cela va évoluer par la suite ? Rutile : Oui, Léontine va briller dans le tome 2, tu vas voir. Héloïse également va être plus développée. J’adore les personnages de pétasses, elles servent de moteur à l’histoire. Ce sont des personnages qui disent ce qu’ils pensent, contrairement à d’autres. A côté de nos personnages préférés, il y a ceux auxquels on s’identifie ; Diane c’est Jade, et moi c’est Simon. DT : En gros nos alter ego sont les meilleurs amis de nos personnages préférés. (rires) Un petit mot sur la maquette. Au vu de la subtilité des personnages, de l’histoire qu’on a pu évoquer au cours de l’entretien, je trouve qu’il y a un décalage avec la « violence » des couleurs sur la couverture et à l’intérieur… C’est voulu ? Rutile : C’est vrai. Mais c’est totalement nous. Diane c’est à la fois un gros bourrin et une petite chose fragile. Elle est catcheuse mais aussi dessinatrice de shôjô. Elle se promène avec des santiags aux pieds et un petit nœud rose dans les cheveux. Les codes couleurs sont ceux du shôjô, mais en même temps Jade fait la gueule sur la couverture, ce qui est assez rare dans le genre. A l’inverse Alexandre a une pose un peu aguicheuse. A côté de ça, il n’est pas caricatural ; on n’a pas le gars qui tient la salle de sport dans Hélène et les garçons. Hormis sur la couverture il n’a pas de posture efféminée, et pour moi ça symbolise justement la profondeur des personnages, non ? Rutile : MERCI. On a un regard de lectrices quand on crée ces personnages, loin de certains clichés… Pensez-vous que votre histoire puisse plaire un public plus large que celui du webtoon ? Rutile : C’est certain. On a plein d’hommes de 50 ans qui nous disent « J’ai beaucoup aimé » et qui sont confus d’apprendre que le public qu’on vise ce sont les femmes en priorité. Les femmes ne sont pas une cible première en BD classique en France : on s’adresse en priorité aux hommes, et ensuite, éventuellement aux femmes. Prenons ce dessin animé, Teen Titans, qui s’adressait aux petits garçons, avec une gamme de jouets, car c’est là que se trouvent tous les bénéfices. Ça marchait assez bien, mais les producteurs ont fait des mesures d’audience, et se sont rendu compte que la plus grande partie des fans étaient en réalité des petites filles. Du coup ils ont arrêté la série. Parce qu’ils avaient prévu des jouets pour garçons, et que selon eux les filles n’allaient pas acheter des jouets pour garçons. Notre primo-public ce sont les meufs, on le revendique, et on a zéro problème à ce que des mecs se joignent à la fête, tant qu’ils restent polis et qu’ils s’essuient les pieds en entrant. En BD classique les femmes sont souvent objectifiées et présentées en pin-up sexy ; Alexandre, dans Colossale, c’est notre pin-up à nous, sauf qu’on a aussi beaucoup travaillé sa personnalité, ce qui n’est pas un privilège dont jouissent beaucoup de pin-ups féminines. Il n’est pas si facile à écrire, parce qu’il est droit, franc, mais aussi gentil, sans être un paillasson. Et sa droiture, sa franchise peut aussi se muer en défaut, il peut être trop cash parfois et voir les choses de façon trop tranchée. Une planche de la série Bourrelles Vos projets pour la suite ? DT : On est très très occupées avec la sortie papier, c’est un énorme boulot. En plus notre éditrice chez Jungle a de supers idées pour accompagner la série, ça fait pas mal de taf. Quoi qu’il arrive, on veut toutes les deux continuer en webtoon. Je veux participer à l’histoire de ce medium, qu’il acquière ses lettres de noblesse. Le prochain projet c’est un webtoon de dark fantasy, un peu à la Berserk. C’est un peu X-Files au moyen-âge, avec trois bourrelles (des femmes bourreaux) qui résolvent des enquêtes paranormales. Ça promet, on suivra ça de près ! Rutile et Diane, merci.
Interview réalisée le 28/01/2023, par Spooky.