Auteurs et autrices / Interview de Philippe Chanoinat

Cela faisait un moment que l’envie d’interviewer Philippe Chanoinat, qui occupe une place à part dans la BD, me titillait. Il suffisait de trouver le moment…

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Archie Lee Hooker et Philippe Chanoinat Bonjour Philippe, peux-tu nous parler de ton parcours avant de devenir auteur de bandes dessinées ?
Bonjour, beaucoup de boulots différents, voyou, disquaire, magasinier, ouvrier, scénariste de jeux vidéo.

Peut-on dire que ces expériences ont nourri ton œuvre d’auteur ?
Complètement, la rue et l’usine c’est une bonne école pour écrire et raconter des histoires, ça plus la lecture, le cinéma et la musique.

Il semblerait que Georges Lautner a fortement influé sur ton œuvre de fiction ?
J’adore certains de ses films et c’était un deuxième père pour moi, mais il est loin d’être le seul à m’avoir influencé. J’adore le cinéma Américain, Italien, Anglais et Français des années 30 à 80, après ça devient plutôt compliqué, enfin pour moi. Sergio Leone, Sam Peckinpah, John Ford, Michel Audiard, Henri Verneuil, Raoul Walsh, Robert Aldrich, Michael Winner, Maria Bava, Robert Wise, John Sturges, John Woo, et beaucoup d’autres sont des sources d’inspiration.

Tu as également adapté pour le 9ème Art plusieurs auteurs de premier plan : HG Wells, Jules Verne, Zola, Conan Doyle… Est-ce dû à tes goûts personnels, ou le fruite de rencontres et de demandes de la part des tes éditeurs ?
Oui, ça fait partie des auteurs que j’aime, et à chaque fois que j’ai eu l’occasion de les adapter, je ne m’en suis pas privé. Je lis énormément, 1 à 2 livres par semaine, je ne fais aucune différence entre les auteurs, je déteste l’élitisme, seul mon plaisir compte et je m’en tape complètement de savoir si ce que je lis est dans le panthéon des nombrilistes. En ce moment je suis sur les romans de Graig S. Zalher, c’est superbe, mais d’une violence et d’une cruauté rarement atteintes. Il réalise aussi des films, qui sont tout aussi passionnants.

Accéder à la BD Elvis (Jungle) Le rock classique est aussi l’une de tes grandes passions… Mais curieusement tu n’as pas fait beaucoup d’albums sur le sujet…
C’est ma plus grande passion, j’écoute environ 8 à 9 heures de musique par jour. Effectivement j’adore le Rockabilly et le Rock and Roll et Gene Vincent est mon idole, mais je suis ouvert à beaucoup d’autres choses, le Blues, le Rythm and Blues, le Garage Sixties, le Surf, le Punk, la Soul. J’ai l’intégrale des Ramones ou des Cramps, j’adore Dean Martin, les Beatles, les Kinks ou les Stones. D’ailleurs j’écris tranquillement un bouquin sur ma passion du rock and roll. Je l’éditerai moi-même. Je ne n’ai fait que deux albums sur la musique, ce n’est pas de mon fait, dans l’édition BD on fait des trucs sur le rock, mais on ne me vient pas me chercher, et pour tout te dire je m’en branle. Quand je vois ce qui sort, je suis souvent mort de rire, pour ne pas dire consterné, finalement en BD, le seul et l’unique c’est Lucien de l’ami Margerin. Mais je suis injuste, je ne vais pas oublier Kebra et les livres de Duchazeau sur le Blues.

On remarque que tu as réalisé pas mal d’albums (une quinzaine, si mon compte est bon) avec Frédéric Marniquet ; qu’est-ce qui fait qu’on passe autant de temps avec un autre auteur ?
L’AMITIE et des passions communes sur certaines choses, nos routes se sont séparées professionnellement, mais nous sommes toujours comme deux frères, il sera d’ailleurs mon témoin pour mon futur mariage. Je rajouterais que si aujourd’hui je suis encore là et très heureux de l’être il n’y est pas pour rien.

Accéder à la BD La Dernière Chevauchée Dans La Dernière Chevauchée, qui reste à ce jour ta seule incursion dans le genre western, il y a beaucoup de coups de feu, et certains lecteurs trouvent que ceux-ci gâchent quelque peu le fond de l’histoire. Si c’était à refaire, Hubert Chardot et toi écririez-vous la même histoire ?
Si c’était à refaire, vu que notre écriture a évolué, ça serait écrit différemment, mais je pense que ça serait encore plus violent. Après, je peux comprendre et entendre ce que disent certains lecteurs et je n’oublie pas que ce sont eux qui nous font vivre, mais d’un autre côté j’ai des lecteurs qui ont adoré parce que ça déménageait, alors je préfère écrire comme je l’entends, mais que ce soit bien clair, je n’ai aucun mépris pour mes lecteurs et je suis capable de tenir compte de certains critiques, mais je suis encore là, alors c’est que je ne suis pas trop mauvais.

La série Les Aventuriers du temps, dessinée par Phil Castaza, s’est achevée au bout de trois tomes. Mais certains disent qu’elle aurait été abandonnée par l’éditeur. Tu as ton mot à dire là-dessus ?
Tout d’abord je n’oublierai jamais que c’est grâce à Phil que j’ai mis les pieds dans la BD. Pour cette série, tout fut compliqué, je traversais une période tumultueuse et j’ai failli y laisser ma peau. Oui cette série a été abandonnée par l’éditeur, il restait un tome pour terminer, mais ce fut impossible à négocier, je ne m’étendrai pas sur la question, j’en ai suffisamment parlé en dédicace avec nos lecteurs. Suite à cette triste aventure, Phil et moi avons arrêté de travailler ensemble et nous ne nous sommes pas vus pendant dix ans, on s’est retrouvé il y a un peu plus d’un an et on est tombé dans les bras l’un de l’autre, je l’aime ce petit con.

Accéder à la BD Les Aventuriers du temps Aurons-nous droit à de nouvelles aventures de Jack Bishop (Les aventures de) ou cette série est-elle terminée ?
Non c’est définitivement terminé, j’adore ce personnage, en l’écrivant nous n’avions aucune prétention, juste de nous amuser et de distraire nos lecteurs. Sur ce coup certains critiques ont dépassé les bornes et ont écrits des saloperies, on a le droit de ne pas aimer et de le dire, mais pas de nous insulter, c’est d’ailleurs le problème des réseaux sociaux. Aujourd’hui on voit une horde de terreurs sur internet qui menacent et insultent, bien au chaud derrière leur clavier. Celui qui croit qu’être capable de coller une patate à un autre fait de lui un dur est un grand naïf, surtout à plusieurs centaines de kilomètres de distance. Des vrais cogneurs j’en connais plein, et j’en compte un aréopage parmi mes vrais amis, mais beaucoup d’entre eux te diront que le vrai dangereux, c’est celui qui est tranquille et avenant mais que le jour où tu vas le réveiller, il va te péter les deux rotules avec une barre à mine tout en gardant le sourire et qu’ensuite il va tranquillement aller déguster un petit salé aux lentilles. Je ne te dirai pas dans quelle catégorie je me situe.

Accéder à la BD Jack Bishop (Les aventures de) Arrêtons-nous un instant sur Thomas Silane, qui est à ce jour ta série la plus longue. J’ai l’impression que son succès est dû au fait qu’elle pourrait être aisément transposable (ceci n’est pas une critique) en série TV, du fait de sa narration fluide et de ses personnages rapidement brossés, mais assez efficaces dans leur caractérisation. Avez-vous eu des propositions d’adaptations de la part de Netflix ?
Une chouette série en 10 tomes avec mon ami et complice Patrice Buendia. A un moment donné je crois que des producteurs tournaient autour, mais ça ne s’est pas fait et je le regrette. Là encore j’aurais beaucoup de choses à dire, mais je n’oublie pas qu’à un moment Olivier Sulpice fut là pour moi. Peut-être qu’un jour on aura une autre opportunité, on verra bien, je ne me pose pas trop de questions à ce sujet. Et j’adore Netflix, donc ta question ne m’a absolument pas dérangé.

C’est une des séries qui a permis à la collection Grand Angle de se lancer, et de faire sortir Bamboo de l’image d’éditeur à gros nez qui le caractérisait jusqu’alors… Une fierté ?
Personnellement je n’ai rien contre le gros nez et Bamboo le fait bien, ils ont la chance d’avoir deux superbes scénaristes, Gilles Corre et Christophe Cazenove. Avec la collection Grand Angle ils ont tapé dans un autre registre, et effectivement Thomas Silane a mis cette collection sur les rails.

Accéder à la BD Thomas Silane Pourquoi, d’ailleurs, n’as-tu pas réalisé d’autres projets chez cet éditeur qui semble avoir le vent en poupe ?
J’ai fait d’autres albums chez eux, quant au pourquoi demande-leur, de toute façon c’est moi qui ne veux plus aujourd’hui.

Tu es réputé pour ton franc-parler… Que penses-tu des dernières déclarations d’éditeurs qui semblent dévaluer la profession d’auteur de bande dessinée ?
Ce sont juste des grosses merdes qui ne respectent rien, ni personne. Ces gens-là ne méritent pas le nom d’éditeur, ce sont des banquiers qui pensent que l’esclavage est une source de revenus. En 20 ans j’ai vu ces pitres aller de plus en plus loin dans l’immonde et l’abject. Le mot humain ne leur convient pas, ce sont des tumeurs purulentes qui grignotent le talent et l’enthousiasme des auteurs. Si jamais ces lignes ne plaisaient pas à l’un d’entre eux qu’il n’hésite pas à venir me trouver, je serais partant pour une petite dose d’orange mécanique.

Peux-tu nous parler de tes futurs albums ?
J’ai encore quelques trucs à faire chez un éditeur BD, sur les villes de Dijon et Bordeaux. Ensuite pour les éditeurs, à moins d’une belle opportunité, un vrai beau projet, j’arrête la BD avec eux. Maintenant je travaille avec deux associations qui éditent mes albums comme On ne devrait jamais quitter Montauban et Bientôt Les Séries TV de notre enfance. J’ai 4 albums en préparation, Les mystères du Berry, les disparus de St Agil, Kerbriand et le Clown qui fuyait sa haine. On verra ceux qui verront le jour, je ne me prends plus du tout la tête. De toute façon, je suis en train de me reconvertir à l’écriture de romans. Je ne laisserai pas tomber la BD, mais si je dois arrêter, je le ferai sans aigreur ni tristesse, juste avec un petit pincement au cœur pour mon public. Et surtout cette année je me marie et c’est pour moi la chose et de loin la plus importante, j’ai trouvé la paix et le bonheur. Mais attention ça ne veut pas dire que je ne peux pas encore montrer les dents.

Philippe, merci.
C’est moi qui te remercie !
Interview réalisée le 11/06/2019, par Spooky.