Moi, menteur

Note: 3.75/5
(3.75/5 pour 4 avis)

Adrian Cuadrado est conseiller en communication du Parti Démocratique Populaire, force dominante de l'échiquier politique espagnol vouée à la corruption, aux magouilles financières, aux coups tordus, à la manipulation des consciences et des suffrages.


Auteurs espagnols Espagne Politique

Roi du storytelling, Adrian est l'un de ces spin doctors chargés de produire la lumière qui illuminera le meilleur profil d'un candidat, en fera un produit désirable pour les électeurs. Menteur par vocation, par profession et par nécessité conjugale, il est l'heureux détenteur d'une double vie, entre son épouse et ses deux enfants à Vitoria, et sa maîtresse torride à Madrid. Pour l'heure, sa mission est de faire entrer dans le grand bain national le jeune élu local Javier Morodo, dont l'homosexualité assumée offrira un gaywashing au Parti, trop longtemps accusé d'homophobie. Tâche élémentaire pour Adrian, que vient compliquer la découverte inopinée de trois têtes coupées de conseillers municipaux artistement conservées dans des bonbonnes en cristal. Qui est derrière ces meurtres baroques ? Quel lien les rattache à une opération autour des palais en ruine qui constellent la cité basque ? Soudain, la vie d'Adrian l'imposteur se détraque, menaçant de faire mentir sa devise, selon laquelle «le menteur est un dieu dont le verbe crée des mondes».Avec ce tome ultime, la très sombre «Trilogie du Moi» acquiert sa dimension finale. Celle d'une ode lovecraftienne à la ville où l'auteur vit depuis des décennies, où tous les fils se nouent, toutes les trajectoires se recoupent, tous les conflits se terminent (mal le plus souvent) pour tracer le portrait d'une Vitoria noire, gothique, mythique. Celle aussi, majestueuse, d'une cathédrale de papier dédiée à nos modernités perturbées.

Scénario
Dessin
Couleurs
Traduction
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 24 Mars 2021
Statut histoire One shot (Troisième tome de la "Trilogie du Moi" après "Moi, assassin" et "Moi, fou") 1 tome paru

Couverture de la série Moi, menteur © Denoël 2021
Les notes
Note: 3.75/5
(3.75/5 pour 4 avis)
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01/05/2023 | Cacal69
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L'avatar du posteur Noirdésir

J’ai déjà lu plusieurs albums d’Altarriba – généralement avec grand, voire très grand plaisir – mais je n’ai pas lus tous ceux qui appartiennent à sa trilogie du « Moi ». J'attaque donc cette trilogie dans le désordre. Mais ça n’empêche en rien de comprendre le propos, l’album peut se lire comme un one-shot. Ceux qui ont lu d’autres séries d’Altarriba le savent, c’est un auteur engagé. Cet engagement se voit aussi ici, dans un album très « politique ». Qui fait de la politique, au sens où il traite de choses publiques, mais aussi car il met à nu – en ayant modifié les noms et changé quelques faits – le système politique espagnol de ces dernières années. Il revendique d’ailleurs cet arrière-plan. La force du travail d’Altarriba est aussi de dépasser le simple cadre espagnol, pour atteindre à une critique systémique qui va au-delà. La quête du pouvoir à tout prix, sans scrupules, à l’envers des valeurs prétendument mises en avant, mais aussi et surtout le travail de communication (tous les artifices y passent) qui prend le pas sur la réalité, on sent bien qu’il n’y a pas qu’en Espagne que tout ceci se développe. Il n’y a qu’à voir la novlangue au pouvoir, les discours quasi révolutionnaires et creux de Macron (prétendument ni de gauche ni de droite, « sorti de nulle-part » en 2017) et de pas mal d’autres animaux politiques, dont tous les discours créés par des communicants, avec la complicité des médias dominants (d’autant plus facilement maintenant que quelques magnats les contrôlent) façonnent une réalité alternative. Le personnage de Cuadrado, conseiller en communication, nous sert de guide dans cet univers artificiel. C’est un être méprisable, mais qui a tout compris des rouages du pouvoir. Il ment à tout le monde, à commencer par sa famille, se révèle froid, tendu vers un but, le pouvoir. Un être et un système d’autant plus abject que le lecteur se rend bien compte que c’est de nos sociétés que parle cette histoire, hélas pas si romancée. Le dessin de Keko est intéressant, et très adapté au sujet. Un Noir et Blanc où le Noir domine largement bien sûr. Et quelques touches de Vert apparaissant de-ci de-là… Mes seuls bémols concernent un peu le dessin, certes intéressant, mais parfois un peu trop sombres, pas toujours aisé à lire (mais c’est quand même rare). Et la narration, qui est quand même dense, il y a pas mal de textes, de dialogues. Mais bon, ça reste une lecture très recommandable.

18/06/2025 (modifier)
Par Gaston
Note: 3/5
L'avatar du posteur Gaston

Dernier tome de la trilogie du moi et c'est peut-être celle qui m'a le plus plu, vu que le sujet est la politique et c'est un sujet que j'aime bien. Bon, l'album ne renouvelle pas le genre et on a droit au même type de discours que dans n'importe quelle œuvre de fiction qui dénonce le cynisme du monde politique. On retrouve les mêmes défauts des deux autres œuvres, à savoir un rythme un peu trop lent pour moi et aussi un scénario un peu trop dense. J'imagine que tout est plus facile après une relecture de la trilogie au complet, mais le problème c'est que malgré des passages intéressants, rien ne me donne envie de relire cette saga un jour. Au final, les trois albums sont de qualité égale (quoique si un sujet des trois albums vous plait plus que les deux autres, vous allez sûrement faire de celui-ci votre préféré) et je pense qu'on est fixé sur le fait qu'on veut lire les trois albums ou non en lisant le premier tome d'abord.

12/08/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
L'avatar du posteur gruizzli

Eh beh, ça tire à boulet rouge ici ! Le dernier arc de la trilogie du moi enfonce encore plus loin le clou des précédents en peignant d'un noir désespéré notre société occidentale. Après le rouge sang du meurtre, le jaune de la folie, voici le vert du mensonge. Mais cette fois-ci une planche finale liera les trois couleurs, dans un triptyque qui allie le meurtre, la folie et le mensonge, se finissant sur ce dernier, créant le politicien parfait. Merveilleux ! Cet album (comme les autres d'ailleurs) est lourdement chargé en symbolique. Que ce soit dans le dessin, avec par exemple une reprise évidente de la Cène, dans le propos et la symbolique des lieux (la cathédrale), que ce soit dans la liaison thématique (le faux dans l'art et en politique), dans les personnages (le tueur artistique tué par des tueurs politiques), etc ... C'est rempli de détails qui font le sel de la lecture et l'intérêt de la relecture, parce qu'une telle BD nécessite sans doute deux lectures pour tout assimiler. Le cœur du récit est le mensonge politique (avec un type qui fait diablement penser à Macron d'ailleurs ...) autour de ce communicant en langage qui va vite se révéler apolitique, ou au moins hors des clivages traditionnels (ça me rappelle quelqu'un ça ...) et qui mangera à tout les râteliers dans l'ombre, gagnant en pouvoir parce qu'il est indispensable. Et qu'il est nécessaire ! Le volume va pousser jusqu'au bout la logique du menteur, enfoncé dans un océan de mensonges qui servent à maintenir une façade de respectabilité au parti le plus corrompu d'Europe. Et la BD reste dans un cynisme atroce jusqu'à l'arrivée à Bruxelles, où l'Europe maintient le statut quo tout en faisant croire à une respectabilité. Si je ne pense pas que la BD est parfaitement vraie, elle tape sacrément juste au regard des innombrables affaires de corruption ou de cabinet de conseil, jusqu'en France. La série "moi, ..." pose vraiment des scénarios riches, denses et complexes mêlant les questionnements sur la nature humaine, l'art et les problématiques sociétales. A travers les trois tomes, c'est une société malade qui est méticuleusement décortiquée, le tout dans une ville espagnole qui semble chère à l'auteur. C'est tragique mais terriblement vrai, malheureusement, de voir comment notre monde est. Et le rappel est sordide mais salutaire : cet Adrian qui n'a plus de volonté politique, détaché des sentiments humains, juste tendu vers son travail qu'il accomplit au mieux sans se soucier des conséquences autre que son pouvoir et l'argent. La réunion des partis d'extrême-droite est glaçante, à ce niveau-là. Honnêtement, on est pas loin d'un petite chef-d’œuvre en terme de série. C'est puissant dans le propos, dérangeant dans le fond et sublimé par des dessins qui sont à mi-chemin entre une horreur quotidienne qui ferait penser à Lovecraft et un polar noir qui joue sur les bas-fond sordide de l'être humain. Je recommande clairement la lecture !

09/07/2024 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5
L'avatar du posteur Cacal69

"Gouverner, c'est faire croire". Machiavel - Le Prince. Cet album est le premier que je lis de la "trilogie du Moi", après Moi, assassin et Moi, fou. Je commence donc par le dernier opus et cela n'est pas gênant pour la compréhension du récit même si il fait référence au tueur en série du premier album. Une lecture qui se mérite, elle est exigeante. Antonio Altarriba se base sur les faits qui ont amené à la mention de censure en 2018, ce qui provoqua la démission du gouvernement de Mariano Rajoy. A partir de là, il va brosser un portrait peu reluisant du monde politique espagnol, un monde de magouilles où le mensonge est roi. Une narration assez verbeuse mais elle n'est pas rébarbative, au contraire je la trouve prenante. Un récit maîtrisé et sans concession sur les rouages du pouvoir. Madrid, Salamanque et Vitoria-Gasteiz seront les témoins de ces conspirations, ainsi que Bruxelles et le rôle de l'UE. Une lecture effarante. Un Adrian Cuadrado qui transpire le mensonge, tant dans sa vie professionnelle que personnelle, il est d'un cynisme à toute épreuve. La communication est une arme de persuasion. "Un mensonge devient une réalité dès lors que tout le monde y croit..." Un index en fin d'album avec tous les noms des protagonistes (ils sont légèrement modifiés des véritables personnages) et leurs fonctions, un vrai plus pour s'y retrouver. Une lecture instructive où tout n'est qu'apparence et qui ne donne pas envie de croire en la politique. La dernière planche, en forme de conclusion de la trilogie, retranscrit les trois thèmes : assassin, fou et menteur. Trois thèmes intimement liés. J'avais déjà pu apprécier le talent de Keko avec Contrition et je suis toujours sous le charme de ce noir et blanc ou le noir domine, juste rehaussé de vert, pas celui de l'espoir, mais plutôt du ver dans le fruit. Un trait épais et légèrement charbonneux, il est très expressif. La couverture est tout un symbole avec ces nombreux masques, les différents visages du menteur. Vous vous dites qu'il est impossible de mettre une tête dans un bocal, et bien vous vous trompez. En conclusion, une excellente trilogie du "Moi, ...." que je recommande de lire dans l'ordre de parution pour mieux l'apprécier et découvrir un portrait de l'Espagne au vitriol !

01/05/2023 (MAJ le 21/02/2024) (modifier)