Journal

Note: 4.14/5
(4.14/5 pour 7 avis)

Angoulême 1997 : Alph'Art coup de cœur pour le tome 1. Véritable autobiographie dessinée.


Angoulême : récapitulatif des séries primées Autobiographie Delcourt École européenne supérieure de l'image Gays et lesbiennes Les meilleures séries courtes Pays basque Profession : bédéiste

Tout d’abord, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’une BD comme les autres, il s’agit d’un Journal qui se veut personnel. Nous avons donc là une œuvre très intime. Il s'agit d'une auto-biographie dessinée. Le genre est à la mode actuellement mais était plus original à l’époque. L’œuvre est très riche du fait des nombreux thèmes et idées évoqués, il ne s'agit pas d'une histoire à proprement dit. Disons qu’il s’agit de la vie au quotidien d’un homme mais d’une vie riche en réflexion, en questionnement sur sa place au sein de notre société, de la construction de sa personnalité. Mais cette réflexion est alimentée par tous les problèmes quotidiens, certains même très terre à terre, que l’on peut connaître comme le chômage, le manque d’argent, les déceptions amoureuses, les disputes, ... En fait, comme j'ai eu l'occasion de le lire sur un site, on peut dire que le Journal possède "une véritable ambition littéraire, artistique et philosophique". L'histoire n'est pas terminée, du moins, tant que son auteur vivra. Il s'agit là de l'oeuvre de toute une vie.

Scénario
Dessin
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution Janvier 1996
Statut histoire Série terminée (Réédition en cours) 4 tomes parus

Couverture de la série Journal © Delcourt 1996
Les notes
Note: 4.14/5
(4.14/5 pour 7 avis)
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15/06/2003 | Herbv
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Par Blue boy
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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C’est sous l’impulsion sagace de David Chauvel que les éditions Delcourt nous offrent une séance de rattrapage pour cette excellente autobiographie de Fabrice Neaud, publiée à l’origine dans les années 90. Journal 1 Si vous appréciez les histoires simples, je vais vous faire gagner du temps : vous pouvez passer votre chemin ! Ce journal est une œuvre exigeante qui atteint un niveau d’introspection rarement vu dans une autobiographie. Fabrice Neaud, à l’époque âgé de 24 ans, y évoque ses débuts artistiques difficiles, au début des années 90, dans sa ville de province (dont il ne citera jamais le nom) : travaux de commande peu gratifiants, engueulades récurrentes avec son associé Alain, galère de thunes… l’auteur y parle aussi d’une vie amoureuse peu satisfaisante, de ses sorties vaines dans le bar homo de la ville, de ses rencontres nocturnes furtives dans le parc voisin, des jeux de drague qui se terminent parfois mal, les « casseurs de pédés » ayant toujours su où aller pour assouvir leur pulsions haineuses et masquer leur frustration sexuelle… L’ouvrage va très vite se centrer sur sa relation avec Stéphane, un jeune appelé du contingent rencontré dans le parc en question et à qui il demandera de poser dans le cadre de son travail. Stéphane se prêtant gracieusement au jeu, Fabrice va très vite s’enticher de ce garçon dont la flamme ne sera pas vraiment réciproque. Mais Fabrice, malgré sa passion croissante, sait rester lucide et comprend que la rupture est inévitable. Plus il se fait insistant, plus Stéphane s’éloigne, inexorablement. Ses visites s’espacent, toujours à l’improviste. Pour Fabrice, la situation devient insupportable. Dans un acte quasi suicidaire, il commettra l’irréparable en lui adressant lettre sur lettre, laissant exploser le pire de lui-même… Journal 2 Plus court que le précédent, ce second volet est un récit de transition. L’auteur tente de se remettre de sa rupture avec Stéphane. Il nous confie ses états d’âme sur une multitude de sujets, évoque sa solitude et son désir irréfréné des hommes bien charpentés, lui, le type au « corps mort » en dehors des rares moments de baise. Fabrice Neaud y retrace également les débuts de sa collaboration avec Loïc Néhou, admirable fondateur d’« Ego comme X », qui débouchera quelques années plus tard sur la sortie du « Journal » ici présent. Vers la fin, les plus observateurs pourront apercevoir l’image furtive de son prochain amour, Dominique, qui sera le sujet principal du volet suivant. Journal 3 Fabrice Neaud évoque ici sa rencontre avec Dominique, qui comme lui se lance dans une carrière artistique après avoir étudié aux Beaux-arts. C’est l’histoire d’un coup de foudre unilatéral, né dans une zone indéterminée se situant entre malentendu et ambigüité, l’histoire d’un amour passionnel à sens unique qui emportera l’auteur vers des gouffres infernaux, vers un point de non retour sans rémission. S’il y a comme un air de déjà vu, le contexte et les bases de ce « Journal 3 » sont différents. Dans le premier volet, la relation avec Stéphane était liée à une rencontre dans un lieu de drague nocturne, un jardin public. Ici, l’auteur fait la connaissance de Dominique dans son bar habituel, à côté de chez lui. Aucun sous-entendu sexuel ni amoureux, et les premiers instants de la rencontre ne sont pas détaillés, mais on imagine qu’à force de l’y croiser, parmi la clientèle de profs et d’étudiants des Beaux-arts, une vague complicité s’est installée progressivement entre les deux jeunes hommes autour de leur amour de l’art. Ce faisant, Fabrice passe de plus en plus de temps avec « le Doumé », comme se plaisent à le surnommer ses connaissances, et comme avec Stéphane, il se met à en faire des portraits, après l’avoir mitraillé de son objectif. Sauf qu’avec Stéphane, la relation était beaucoup plus superficielle, faite de silences et de non-dits, le jeune militaire étant davantage porté sur le sexuel que l’artistique… Ce volet va ainsi être centré sur ce nouvel « amant » qui ne le sera qu’à un stade potentiel. Et à en juger seulement par l’épaisseur du livre, on peut en déduire que cette histoire aura marqué durablement son auteur. La lecture de ce pavé exutoire de 400 pages viendra confirmer que ce dernier aura laissé quelques plumes dans cet épisode houleux et tourmenté de son existence. Journal 4 : Les Riches Heures S’il est difficile de résumer ce quatrième tome, la couverture, en plus du titre aux accents positifs, le fait plutôt bien. L’auteur s’y représente avec un papillon effleurant sa joue, son visage exprimant un mélange d’étonnement et d’amusement. Et quoi de mieux que le plus beau de tous les insectes pour symboliser la légèreté et la métamorphose ? Cette année 1996 intitulée « Les Riches Heures » peut ainsi s’envisager comme un point de basculement, un nouveau départ de Fabrice, après sa relation tumultueuse avec Dominique où il aura perdu quelques plumes… Ainsi, Neaud revient à un format narratif plus dilué, qui n’est plus centré seulement autour d’un personnage, l’objet (l’homme-objet ?) d’une passion, quelque chose qui s’apparenterait plus à un journal « ordinaire », où les soubresauts amoureux font place à un quotidien plus homogène. De manière significative, le récit s’ouvre sur une évocation du Pays basque, une véritable déclaration d’amour, principalement géographique et moins risquée cette fois ( !), pour une région où l’auteur se plaît à arpenter la campagne et les douces collines. Dans une longue séquence muette et contemplative, le lecteur se voit immerger dans une nature réconfortante où la beauté se décline à toutes les échelles, de la plante la plus fragile aux ciels prodigieux des Pyrénées avoisinantes. La suite du livre nous parle en quelque sorte de son processus de « reconstruction », en alternant des portraits de ses connaissances, amitiés nouvelles et potentielles via le fameux « Poney Club », prétexte à des discussions enflammées entre « collègues » autour d’un apéro ou d’un gueuleton. D’autres scènes aléatoires s’égrènent au fil des pages. Les anecdotes les plus banales ouvrent la porte à mille et une réflexions de la part de l’auteur, qui ne fait que confirmer son regard pénétrant sur les choses. En vrac, il y parle de la « pudeur » et de ses « malentendus », des relations humaines dans le cadre d’un groupe, de la perception d’un individu biaisée par les codes socioculturels, de l’amitié, ce « sentiment qui se manifeste mais ne s’énonce pas »… Bref, difficile de tout énumérer mais cela reste toujours passionnant, même quand parfois le sujet est plus pointu. Quant aux souvenirs de ses relations passées, ils y sont peu évoqués, de façon assez compréhensible, l’auteur ayant choisi de s’abriter derrière ses amitiés professionnelles. En les rattachant à son vécu, Fabrice Neaud aborde des problématiques humaines et philosophiques, à la base peu conçues pour le divertissement, et pourtant celui-ci parvient étrangement à nous captiver malgré la densité de l’ouvrage et son épaisseur qui pourrait faire peur (plus de 200 pages tout de même). Alors comment l’expliquer ? Ce qu’on apprécie particulièrement chez cet auteur, c’est l’honnêteté et la franchise avec laquelle il se livre, sans fards, parfois crument, sans pudibonderie de midinette. Et cette fameuse thématique de la pudeur qui lui tient tant à cœur, il la développe savamment en partant de sa libido qu’il a mis en veilleuse (en ne conservant que les fantasmes) pour déboucher sur la fascination qu’il éprouve vis-à-vis d’un acteur porno gay ayant suspendu sa brillante carrière de culturiste. Neaud met sa talentueuse patte au service de sa passion pour les corps nus de « brutes viriles » (et je serais le dernier à m’en plaindre…). Son dessin réaliste en noir et blanc reste superbe, dénué de vulgarité, et reste sexy tout en évitant de faire appel aux instincts bassement lubriques. La pornographie, les bites et les culs musclés, il les honore avec classe, y va franco et détruit toutes les culpabilités propres aux homosexualités refoulées ou non assumées. Un véritable travail de salut public. Plus globalement, Fabrice Neaud nous happe dans son journal, non seulement par sa sincérité et son audace. La diversité des questions abordées n’a d’égale que la fantaisie avec laquelle il illustre ses propos. Par l’humour dont il fait preuve ici et qui était moins flagrant auparavant, on a réellement le sentiment qu’il est passé à autre chose, un humour souvent caustique qui insuffle une certaine légèreté (de papillon ?) par rapport à la tournure « mélodramatique » des précédents tomes. L’auteur parvient ici à canaliser ses agacements avec des représentations plus « cartoonesques », pas de doute, ses chakras se sont ouverts… C’est sans doute aussi pour cette raison qu’il a choisi le véhicule de la bande dessinée, qui permet d’exprimer si bien des sentiments antagonistes lorsque comme ici l’alliance du texte et du dessin fonctionne à plein. Au final, ce dont nous fait part Fabrice Neaud ici, c’est son amour de la vie. Comme il le dit très bien dans les premières pages, « dessiner, c’est aimer ». Et cet amour, tout lecteur normalement constitué devrait le sentir à chaque page. Au bout de quatre tomes, ce « Journal » est devenu un ami. Et c’est avec une impatience très peu feinte que l’on attend la sortie cet automne, plus de vingt après (!), du cinquième tome (« Les Guerres immobiles »), car oui, la bonne nouvelle, c’est que l’artiste a décidé de remettre les couverts, et là on sera reparti pour un nouveau cycle intitulé « Le Dernier Sergent » ! ----- Fabrice Neaud nous offre ici une autobiographie peu commune, où il se livre à cœur ouvert, sans faux semblants, sans cette pudeur de façade trop souvent pratiquée dans ce type d’ouvrage. Ce n’est pas un journal de poseur, et l’auteur ne s’y montre pas forcément sous son meilleur jour. Il ne se fait pas de cadeaux, pas plus à lui-même qu’aux autres personnages jalonnant le récit. De plus, Neaud parvient à maintenir une tension inattendue dans des histoires dont on devine pourtant l’issue tragique, tension sans doute due à son côté écorché vif et entier, qui l’expose à des revers violents résultant d’actes qui ne le sont pas moins. Fabrice aime les hommes, les « vrais », les « brutes », et n’est attiré ni par les « folles » ni par les machos-cuir, et c’est bien là son drame. Il aime les types bien bâtis, virils et éventuellement poilus, au look « hétéro », et ne rentre donc pas dans les cases. D’autant qu’il n’exprime pas une solidarité particulière pour ses semblables, lesquels font parfois preuve d’un sectarisme incluant des codes qui ne sont pas caractérisés par la bienveillance, bien au contraire, ne faisant que reproduire les travers d’une société hétérosexuelle qui ne fait que les tolérer et qu’ils déplorent eux-mêmes. En outre, Fabrice Neaud dessine le désir homosexuel avec brio, magnifiant les portraits tirés de ses clichés photographiques, saisissant parfaitement les sentiments derrière les regards et les sourires. Son trait noir et blanc, à la base réaliste mais davantage centré sur les personnages que sur les décors, rend les émotions vibrantes en recourant à une technique quasi impressionniste : visage floutés, hachurés, rayés ou littéralement effacés. Son sens accompli du découpage fait le reste, Neaud établissant un dialogue permanent, toujours plein d’a-propos, entre dessin et texte. A travers cette autobiographie qui n’a pas pris une ride, l’auteur se livre à mille et une réflexions aussi pointues que passionnantes sur son rapport aux autres, sur la façon dont il se perçoit dans le monde et sa difficulté à y trouver sa place, sur cet « exil », « lot de la solitude », et peut-être, son inaptitude à l’amour… Fabrice Neaud, animal certes atrabilaire, nous parle de tout cela via le scalpel de son hypersensibilité, avec justesse, audace et honnêteté, sans aucun pathos. Il y aborde également quelques problématiques sociales, notamment la précarisation rampante et la montée des inégalités, des problématiques qui plus de vingt ans après, n’ont rien perdu de leur actualité, bien au contraire…

24/07/2022 (modifier)
Par steril
Note: 5/5 Coups de coeur expiré

Bon, mon avis ne sera pas long tant il m'est difficile de transmettre ici tout ce qui m'a ému à la lecture de ces bouquins. Il s'agit donc d'un journal, sujet déjà difficile et délicat, car profondément encré dans la réalité du narrateur. Le sujet réel du livre ne cesse de se réfléchir et reréfléchir...à la fin on touche à l'abîme. Je retiens tout de même une bonne dose de franchise de la part de l'auteur, qui ne joue d'ailleurs pas souvent le rôle le plus simple dans cette partie de sa vie qu'il décrit. Y'a des moments de déprime terribles, profondément sombres, où on aimerait tant avoir pu être là et tendre sa main (à moins que cela ne nous fasse regretter de ne pas avoir été là pour d'autres, bien plus proches de nous). J'aime bien aussi la sincérité parfaitement iconoclaste avec laquelle Frice Neaud démolit dans l'allégresse une foule de poncifs et clichés bien débiles de notre social-démocratie bien pensante... Bien sûr, Fabrice se montre parfois très choquant... Ce côté bassement provoc' se pardonne, voire se comprend, voire se justifie, voire s'impose, si l'on tient compte de la situation dans laquelle l'auteur semblait se trouver au moment de l'écriture de son œuvre Le journal de Fabrice Neaud est un solide travail, un entreprise un peu folle mais en tout cas, très humaine, très constructive (il s'agit pour moi d'un splendide récit de construction). Malgré les inévitables désaccords ou désapprobations que l'on peut sans doute s'entendre formuler à la lecture de ces quatre tomes, et qui, en fait, ne viennent qu'accroître le caractère authentique de la démarche de l'auteur (pas à proprement parler "consensuelle"). Il reste juste un solide témoignage d'une vie et d'un chemin pour y trouver un sens. C'est très beau.

07/04/2007 (modifier)