L'Alcazar

Note: 3.5/5
(3.5/5 pour 6 avis)

Véritable portrait social et culturel de la société indienne dans ses hiérarchies et fragmentations les plus intimes, L’Alcazar est un récit choral d’une beauté formelle saisissante, terriblement audacieux et dépaysant.


Bâtiments et architectures Inde Les petits éditeurs pendant la pandémie

Inde, de nos jours, dans le quartier résidentiel d’une grande ville... Sur le chantier d’un immeuble en construction coexistent une dizaine de personnages venus des quatre coins du pays : Ali, le jeune ingénieur inexpérimenté, Trinna, un contremaître intransigeant, Rafik, Mehboob et Salma, manoeuvres provinciaux rêvant de lendemains meilleurs... mais aussi Ganesh et sa bande de Rajasthani, carreleurs hindous aux accents conservateurs qui viennent grossir les rangs de ce chantier supervisé par un jeune et riche promoteur. Ce petit théâtre offre une vue microscopique de l’Inde contemporaine, où se côtoient langues, religions, chefs et larbins dans une précarité toujours portée par un vent tragi-comique. Et, à mesure que l’immeuble s’élève laborieusement, les rêves et ambitions de chacun se heurtent et s’entremêlent dans ce paysage humain et urbain à couper le souffle.

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 02 Septembre 2020
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série L'Alcazar © Sarbacane 2020
Les notes
Note: 3.5/5
(3.5/5 pour 6 avis)
Cliquez pour afficher les avis.

13/11/2020 | grogro
Modifier


Par Titanick
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Titanick

L’Inde. Pas celle du Mahabharata, pas celle des Maharadjas non plus, ni celle de Bollywood. Non, l’Inde de tous les jours, des gens ordinaires, des ouvriers sur un chantier de construction. Un immeuble de logements sort de terre à Bangalore, et c’est le ballet des ouvriers. Ils sont recrutés (sans contrat) par le contremaître, sans forcément d’expérience et apprennent le métier de manœuvre sur le tas. Ils vivent sur place, le chantier avancera plus vite. Et puis il y a les différents corps de métiers, l’architecte, le donneur d’ordre, les futurs acheteurs d’un appartement dans l’immeuble… On a la vie quotidienne, avec ses conflits entre ouvriers de confessions différentes, ses rebellions contre le patron qui essaie de payer moins et le contremaître qui retient les salaires à son profit, les ennuis quand le chantier prend du retard ou ne se passe pas comme prévu… Ça pourrait être d’un ennui mortel, mais pas du tout, au contraire. Il est facile de s’attacher à tout ce petit monde, même les pas trop honnêtes. On voit bien qu’ils ont tous leurs motivations et puis finalement il se passe plein de choses sur ce chantier... Le rendu graphique est intéressant, avec de beaux contrastes de couleurs, bleus et orangés se répondent pour une belle luminosité. Et les pleines pages sur l’avancement de l’immeuble sont magnifiques. On voit que l’auteur était sur place et a tout suivi sur le vif. Bel ouvrage éditorial également. Je recommande.

27/02/2023 (modifier)
Par Canarde
Note: 3/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Canarde

Créer une fiction BD autour de la construction d'un immeuble de rapport en Inde, aujourd'hui, peut sembler une idée bizarre. Pourtant, l'Alcazar nous fait toucher du doigt tous les travers de nos sociétés inégalitaires en suivant le parcours de trois ouvrier.e.s, embauché.e.s sur ce chantier, vivant sur place, le temps de la construction. Mehboob et sa femme Salma sérieux et consciencieux ainsi que Rafik, qui cherche toujours un système moins éprouvant pour gagner sa vie, se retrouvent à dormir à même le sol dans une petite cabane construite au bord des fondations. Salma apporte le sable toute la journée dans une grande coupe qu'elle porte sur sa tête et fait à manger pour le trio le soir. Bref leur quotidien au milieu des autres métiers, les fournisseurs, le patron, le propriétaire, les acheteurs, toutes les ambiguïtés, les rapports de force économiques sociaux et ethniques sont décrit précisément. Le dessin est étonnamment puissant, il utilise seulement deux couleurs déclinées dans toutes leurs concentrations : un bleu outre-mer et un orange vif. Ce choix systématique contribue à la force de la composition graphique. Les personnages, assez petit dans l'organisation générale, nous sont donc familiarisés essentiellement par leurs dialogues, plutôt que par la précision de leur visage. Ils restent comme des éléments minuscules d'un tout. J'ai été extrêmement frappée par ce livre comme une très belle composition, et ému par la justesse des observations. En revanche, j'avoue, ne pas m'être vraiment attachée aux trois héros, qui restent en moi comme un souvenir triste...

10/07/2022 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur grogro

C'est après avoir discuté avec son auteur, croisé sur un salon du livre, que j'ai fait l'acquisition de cette grosse BD sortie chez l'excellent éditeur Sarbacane qui, soit dit en passant, réalise souvent de magnifiques albums. Aux dires de Simon Lamouret lui-même, c'est une histoire vraie puisqu’il a en effet eu l'occasion de suivre les étapes de la construction d'un bâtiment de standing lors d'un séjour en Inde. Il y raconte donc ce qu'il a vu, et ça valait bien une histoire ! Une histoire qui prend la forme d’un parpaing de plus de 200 pages, ce qui nous laisse le temps de faire connaissance avec les personnages qui les habitent, le temps de rentrer dans le paysage graphique, de se couler dans le rythme imposé par la construction. Ici, le temps est paradoxalement comme suspendu, entre parenthèse, comme dans une bulle assaillie par les délais impartis et les futurs locataires trépignant d’impatience… L'Alcazar ! Soit le palais, la forteresse... 200 pages, c’est le temps qu’il faudra pour monter à l’assaut de cet immeuble luxueux… A condition toutefois de ne pas regarder en cuisine... Graphiquement, ça m'a immédiatement sauté dans l’œil. Le dessin, un brin ligne claire, est souple et élégant, avec un travail sur les ombres et la lumière qui lui confère une ambiance vraiment prégnante tout au long de la lecture, avec ses nuances de bleus profonds et subtils et ses oranges suaves, veloutés. Les couleurs chaudes (même les bleus sont chauds, c'est dire) semblent exhaler une odeur, celle des épices, du béton, du plâtre frais, de la terre... Les personnages sont attachants, y compris ceux qui sont nous présentés comme les mauvais de l’histoire. On sent de l'empathie de la part de Lamouret pour ces ouvriers et contremaîtres pas tous scrupuleux ou réglos. La mise en scène est très réussie. L'auteur conserve une unité de lieu. Le récit est d'ailleurs régulièrement émaillé de pleines pages splendides montrant les différentes étapes de construction. Ainsi, tout se passe sur le chantier, ou presque. Les ouvriers dorment sur place, dans des habitats de fortune, parfois constitué uniquement de vulgaires bâches en plastique, si bien que l'on finit par lire cet ouvrage comme une pièce de théâtre, un peu vaudeville sur les bords. Tout au long de ces 200 et quelques pages, on partage les ambitions des uns et les déceptions des autres, on côtoie des hommes en proie aux difficultés personnelles comme à l'ambition sans limite, on rit avec eux, on s'amuse des bassesses, des vengeances, de la stupidité parfois. Peu à peu se dévoilent ce qui nourrit leurs motivations respectives, quelquefois leurs renoncements. Tout ce petit monde semble improviser, si bien qu'au final, ça avance comme ça peut en tentant un peu vainement de respecter les délais impartis, et les multiples langues parlées par les ouvriers venus des quatre coins du pays n'arrangent rien à l'affaire. Mais tous espèrent ainsi toucher un salaire un peu moins misérable qu'ailleurs. C'est un peu le cœur battant de l'Inde actuelle qui nous est donné à lire (et même à vivre) avec brio. En fait, on pourrait aisément y voir une revisitation de la parabole de la Tour de Babel, matinée ici d'un fond sociologique indéniable. C'est certain, cette BD fera dubiter ceux qui n'ont apprécié ni La Guerre d'Alan ni Rébétiko. C'est lent (d'autres penseront plat), il n'y a ni échange de coup de feu, ni action trépidante. Il n'y a pas de gentil ni de (vrai) méchant et le thème n'est pas sexy pour un sou. Mais celzéceux pour qui une ambiance forte où frétille la vie prime sur un scénario construit comme une équation mathématique, celzéceux qui préfèrent les expériences humaines et les personnages travaillés aux aventures improbables de milliardaires de pacotille ou de sempiternels mafieux à la psychologie de bazar, celzéceux qui apprécient la fraicheur et l'intimité d'un John Cassavetes ou d'un Abbas Kiarostami, celzéceux-là trouveront très certainement leur compte dans cette tranche de vie qui fleure le vécu. En ce qui me concerne, j'ai adoré participer (un peu) à ce chantier. Un bel ouvrage qui, pour le coup, n'est pas fini à la truelle.

13/11/2020 (modifier)