L'Odeur des garçons affamés

Note: 3.24/5
(3.24/5 pour 17 avis)

Prix Landerneau de la BD 2016 Dans ce western totalement atypique, Frederik Peeters et Loo Hui Phang repoussent les frontières du genre, dans tous les sens du terme, y amenant une touche de fantastique avec en filigrane la question de l’identité sexuelle.


1816 - 1871 : De la chute du Premier Empire à la Commune Auteurs suisses Frederik Peeters Gays et lesbiennes La BD au féminin Le western fantastique Prix Landerneau [USA] - Les déserts Nord-Américains

Au lendemain de la guerre de Sécession, la Conquête de l’Ouest reprend de plus belle. Une mission d’exploration est menée sous la houlette de l’ingénieur Stingley, personnage arrogant et malsain pour qui un « monde parfait » se résumerait à l’exploitation des ressources et à la colonisation blanche, au mépris des populations indiennes locales. A ses côtés, Oscar Forrest, un dandy anglais au passé douteux chargé de photographier les lieux, et Milton, un jeune garçon de ferme recruté pour les basses tâches. Dans ces vastes territoires inconnus, d’une beauté irréelle et inquiétante, la réalité va très vite évoluer vers une dimension fantasmagorique.

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 30 Mars 2016
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série L'Odeur des garçons affamés © Casterman 2016
Les notes
Note: 3.24/5
(3.24/5 pour 17 avis)
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01/04/2016 | Blue Boy
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Lorsque j'ai refermé cette bande dessinée après l'avoir lue, la première chose qui m'est venu à l'esprit c'est, clairement : "mais qu'est ce que c'est que ce truc ?". On en fait pas tous les dimanches matin des bds comme "l'Odeur des Garçons Affamés", véritable objet manuscrit non-identifié, sorte de "western sous psychotropes" à la croisée des chemins entre le soap opera, le western et le récit fantastique. Ici le décor est vaste, vertigineusement vaste puisqu'il s'agit du grand Ouest américain, encore vierge et inapprivoisé, ou s'épanouissent des autochtones momentanément épargnés de la frénésie industrielle et démograhique WASP par la guerre de Sécession qui vient de se terminer. Trois aventuriers, cependant, sillonnent la région afin de reconnaître le terrain en vue d'une future exploitation : Stingley, l'entrepreneur véreux, Oscar Forrest le "garçon" de ferme et Milton, photographe irlandais chargé d'immortaliser la beauté sauvage de ce territoire poussiéreux. C'est l'occasion pour ces individus aux caractères différents d'affronter leur point de vue et leur philosophie : d'aucuns piaffent cyniquement d'impatience en songeant aux seuls bénéfices pécuniers à envisager, d'autres se drapent sous l'écologie politique et les droits de l'homme, soucieux de garder cet Eden loin des vices du monde moderne qui vient. Au fil des pages les liens se créent , des secrets bien cachés éclatent au grand jour, certains masques tombent et le ton tourne progressivement vers le fantastique. Hallucinations, rêves étranges hantés d'ectoplasmes, délires visuels, ce chamboulement d'ambiance déroute et charme tout en un, l'oeuvre mue pour se transformer en méta-western. L'intérêt (à mon sens du moins) de cette BD vient du fait qu'elle ose dépoussiérer les codes d'un genre relativement figé en sortant des sentiers battus. Le bizarre côtoie le familier : les Comanches mutiques et inquiétants brouillent les photographies de manière inexplicable et les chasseurs de primes dissimulent d'affreuses têtes de vampire sous des chapeaux à long bord. Le dessin, relativement simple et minimaliste, est atypique pour un western, plus habitué à des planches sales et fouillées à la Moebius. C'est un pari risqué de la part de Frederik Peeters et Loo Hui Phang, elle rendra cette BD forcément clivante et rebutera peut être les puristes. Pour ma part je la considère comme un exercice de style franchement réussi, qui tire tout son sel de son particularisme. Vivement conseillé. Qui a dit que le western était un genre sclérosé et éteint ?

09/11/2017 (modifier)
Par canarde
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Le problème des avis dithyrambiques, c'est que personne n'y croit vraiment... Pourtant je ne vois pas comment suivre le modèle habituel de l'avis bien balancé, avec ses bons points et ses défauts, suivi d'une conclusion emberlificotée à la Macron. J'ai tout aimé dans ce livre. D'abord, cet album entre parfaitement dans le moule exaltant du western : -Les images chaudes et réalistes, où regards et paysages se répondent en champ contre-champ, voyez déjà la première page avec ses deux cavaliers, suivis d'un charriot qui pénètrent dans un canyon -les personnages : le quinquagénaire déplaisant qui joue le rôle de chef de troupe, Stingley ; le photographe beau gosse au passé trouble, Oscar ; et le gamin chargé du sale boulot, Milton ; avec son pantalon trop court soutenu par des bretelles, puis le chasseur de prime terrifiant, l'indien énigmatique. -le message contemporain où le colonialisme occidental est roulé dans la farine par d'autres manières de voir le monde, celle des indiens, évidemment, celle des blancs qui ne peuvent pas rester dans ce courant dominant et dominateur, celle des femmes... Et cette critique de la colonisation de l'Amérique par les européens vient s'appuyer sur des arguments neufs et déroutants. Le titre d'abord qui, s'il était rapproché d'une autre première page, pourrait avoir un caractère plutôt obscène, il nous met déjà la puce à l'oreille. Les premières pages aussi, avec un découpage des scènes et des dialogues très efficace et malin : on sait déjà que l'attitude de Stinglley vis à vis de ses deux compagnons de voyage, est tout juste supportable, et on se demande comment et quand, les deux autres vont réussir à faire basculer la situation à leur avantage, même si on ne comprend pas encore par quel biais il les tient à sa main. C'est justement la découverte au fur et à mesure de l'histoire des raisons qui ont rassemblé ces trois personnages qui ouvre sur des univers que certains ont qualifiés de fantastiques, je n'irai pas jusque-là. Il s'agit juste de données du problème que le pauvre Kingsley ne peut pas tout-à fait faire cadrer avec le monde parfait qu'il a conçu. On pourrait résumer cet ensemble de grains de sable dans l'ordonnancement si bien imaginé par notre scientifique à la sensualité en général. Et c'est cette sensualité si bien mise en image qui émoustille et réjouit. Rien de voyeur, rien de pornographique, des cadrages serrés et justes pour amener des scènes érotiques, d'autres dispositifs étonnants pour évoquer des communications animales voire des visions shamaniques... Bref lisez-le, le scénario est parfaitement assemblé, au point qu'on peut y voir le monde actuel résumé. Et les personnages touchent chacun une part de nous, grâce à des dialogues subtils.

28/05/2017 (modifier)
Par Blue Boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
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La simple mention de Frederik Peeters à la réalisation de cet album au titre étrange suffit à « affamer » les bédéphiles. Avec cet auteur suisse dont le talent et la créativité ne se sont jamais démentis au fil de sa biographie, nous avons une fois encore droit à une œuvre surprenante, et si le scénario n’est pas signé du créateur des « Pilules bleues », on se doute que sa collaboration avec Loo Hui Phang ne s’est pas faite par hasard, hormis le fait que tous deux se soient rencontrés par le biais des Editions Atrabile où ils sont régulièrement publiés. La scénariste d’origine laotienne livre ici un récit d’une grande richesse où le réel dialogue en permanence avec l’invisible, un terrain où le dessinateur est toujours parfaitement à l’aise. Comme son titre le suggère, « L’Odeur des garçons affamés » parle avant tout du désir, ce désir irrépressible qui submerge toutes les conventions d’une réalité rassurante lorsque celle-ci se dissout devant l’irruption de l’inconnu ou de la mort ricanante. Un désir symbolisé par ces troupeaux de mustangs écumant les immenses plaines du Texas, des chevaux sauvages également porteurs de mort, détruisant tout sur leur passage. Mais la mort est partout dans ces paysages grandioses et désertiques. Mustangs, coyotes, et cet inquiétant chasseur de primes au visage cadavérique, toujours en embuscade, personnification d’une civilisation mortifère ne faisant que renforcer la tournure fantastique de l’histoire. Et puis il y a les dons, surnaturels ou trafiqués, de Milton et Forrest. Le jeune garçon communique par télépathie avec les chevaux, tandis que le photographe sait truquer des portraits en y insérant des ectoplasmes, une arnaque juteuse dont il abusait, lorsqu’il vivait à Londres, pour rassurer les clients naïfs affectés par la mort d’un proche. D’autres événements étranges s’accumulent, comme ces mystérieux signes tribaux sur les photos de Forrest - l’effet boomerang sans doute -, font vaciller les repères et installent le trouble dans un jeu silencieux où chacun s’observe, telle cette scène où Forrest est épié par le chasseur de primes, lui-même surveillé par le vieux chef comanche, lequel viendra un peu plus tard accoster en silence le dandy, posant sur lui un regard amusé mais empreint de bienveillance. Un personnage silencieux et récurrent, marquant de fait, apportant une envoûtante touche chamanique à l’histoire. Dans ce contexte de menace plus ou moins prégnante, chacun va tenter de cohabiter avec l’autre. Le récit joue à fond avec les caractères antagonistes de l’ingénieur et du photographe : volonté de contrôle absolu versus quête d’absolu. Stingley, qui veut bâtir sa ville en plein territoire comanche, représente la waspitude mysogine la plus détestable, tandis que Forrest l’artiste raffiné et sensible tente d’exister sous l’autorité de l’ingénieur, qui profite de son statut de fugitif pour mieux le dominer, tout comme il exploite avec cruauté le jeune larbin à la silhouette gracile. Mais Forrest, qui a un goût pour les jeunes éphèbes « affamés », va vite s’enticher de Milton. Celui-ci va fournir au beau photographe l’occasion de découvrir des territoires qu’il avait toujours voulu ignorer en matière sexuelle, mais à ce stade, impossible d'en dire plus au risque de spoiler l'histoire. Graphiquement, Frederik Peeters reste au meilleur de sa forme avec son trait précis et élégant soutenu par une mise en couleur équilibrée. De même l’auteur sait parfaitement régler ses cadrages pour souligner un regard ou une attitude. Il faut relever la trouvaille consistant à entamer chacun des trois chapitres par des images inversées, comme si l’on regardait à travers l’objectif de Forrest. Peut-être un gimmick destiné à rappeler au lecteur la nécessité de changer de perspective devant un paysage nouveau comme on le ferait devant une situation inédite. Quant aux dialogues de Loo Hui Phang, ils sont d’une bonne qualité littéraire, tout en subtilité. Très bien construit, le récit lui-même réserve quelques beaux moments d’émotion. Après en avoir tant dit, c’est peu dire que ce one-shot s’impose comme un immense coup de cœur pour l’auteur de ces lignes. Un très léger bémol peut-être quant à la scène finale des deux amants nus à cheval s’éloignant vers l’horizon, mais qui pourra susciter des avis partagés. Un rien convenue, presque à l’eau de rose, ce que font oublier les deux beaux personnages, mais aussi d’une exquise poésie érotique. Allez, je l’avoue, il est probable que ce bémol soit motivé par un début de jalousie – ceux qui me connaissent comprendront que c’est de Milton, à moins que ça ne soit du cheval, dont je suis jaloux… mais gentiment jaloux bien entendu !

01/04/2016 (modifier)