Joos, c’est l’écrivain-dessinateur, un voyageur en encre de Chine, un biographe du pinceau. Sa vie est dédiée à la musique. Au jazz, surtout. Et son oeuvre est sa vie. Parce que son oeuvre est toute entière tournée vers cette seule passion pour les portées musicales et les “gueules” qui l’ont fait rêver de toute leur voix ou de tous leurs doigts. Louis Joos n’aime pas le jazz. Il le vit. Et il le peint. Il en joue. Lui-même pianiste, il ne dédaigne pas poser le pinceau, parfois, pour caresser le clavier du piano, le temps d’un air de Thelonious Monk.
Monk. Mingus. Des noms qui font rêver. Des noms qui sonnent. Courts. Percutants. Comme un rappel de la musique. Louis Joos leur a à chacun consacré un livre. Mais dans la carrière déjà longue de ce dessinateur d’exception, le jazz ne prend pas toute la place. Il prend celle du noir et du blanc. Car rien ne peut mieux rendre compte de l’ambiance d’un concert dans une boîte enfumée que l’encre de Chine et l’eau. Voire le pastel gris sur la feuille. Joos aime les tâches de noir qui éclaboussent le papier, les tramés gris, les éclaboussures. Car ce noir et blanc qu’il maîtrise comme peu de ses confrères est à lui seul le frère d’armes des blanches et des noires qu’il aime tant déchiffrer sur la portée.
Pour cet ancien professeur de dessin de l’académie de Boitsfort dans la région bruxelloise le jazz se doit d’être black & white, surtout black. Et parfois même, un peu Black Label…
Mais il y a d’autres Louis Joos sous Louis Joos. Il y a le Joos pour enfants. Souvent en complicité avec le romancier et nouvelliste Carl Norac, ce Louis Joos-là vous explose de couleur à la figure. Ce Loos-là se fait naïf, chatoyant, il caresse l’aquarelle dans le sens du poil, il la fait ronronner d’aise, se pâmer sur la page en dévoilant parfois un brin de ses dessous, une jambe d’eau, un bas de transparence. Les éditions “Pastel” et “L’Ecole des Loisirs”, apprécient son regard, l’enfance que porte en lui le jazzman, celle que ne renie pas le dessinateur.
Pour autant, Louis Joos n’arrête pas ses activités de dessinateur à ces deux disciplines : le jazz et la littérature enfantine. En témoignent deux livres récents parus à La Renaissance du Livre. “Les fleurs du mal de Baudelaire” et “Verlaine”. Deux livres de poèmes illustrés par un Louis Joos flamboyant et inspiré. Qui s’en étonnera ? Y a-t-il plus proche du jazz que la poésie, sa musicalité, sa scansion, son rythme parfois hypnotique ? Et y a-t-il meilleur chantre de cette musique sur la feuille de papier que Louis Joos ? Mêlant pastel gris nerveux, gouache, huile, aquarelle, couleurs délayées et surfaces barbouillées, il redonne un sens aux mots de Baudelaire ou de Verlaine car il se les approprie. Il rejoue seul la musique qu’il entend dans sa tête en les lisant; son dessin se fait chevauchée, cavalcade, mais aussi cascade et geyser à la fois. Louis Joos n’est pas un dessinateur. Pas plus qu’un peintre. C’est un chantre. Un chef d’orchestre. Il règne sur le papier et ses instruments, il improvise, il compose, il interprète ; chacun de ses dessins, chacune de ses peintures, chaque esquisse et chaque portrait sont l’occasion d’une nouvelle jam session solitaire dans le joyeux désordre de son atelier.