Les Pizzlys

Note: 3.64/5
(3.64/5 pour 11 avis)

Un beau et inquiétant voyage dans les grands espaces de l'Alaska pour constater les effets spectaculaires du réchauffement climatique, tout autant qu'un baume salutaire pour l'esprit


Alaska Gobelins, l'École de l'Image Les prix lecteurs BDTheque 2022 Mirages Réchauffement climatique

Sur fond d'Anthropocène et d'humanité aliénée par ses GPS, Jérémie Moreau fait voyager ses personnages de Paris en Alaska, du ciel de la modernité à la Terre des non-humains, à la recherche de l'homme de demain. Sillonnant Paris jour et nuit au volant de sa BMW à crédit, Nathan enchaîne les courses Uber pour subvenir aux besoins de ses frères et soeurs. Faisant littéralement corps avec son GPS, Nathan plonge dans un vide assourdissant quand son portable tombe en panne. Suite à un accident, Annie, sa dernière cliente, lui propose de partir vivre en forêt avec Zoé et Etienne au fin fond de l'Alaska.

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 05 Octobre 2022
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Les Pizzlys © Delcourt 2022
Les notes
Note: 3.64/5
(3.64/5 pour 11 avis)
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15/09/2022 | Blue boy
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Par Patoun
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Il n'est pas évident de trouver des mots qui parlent à tous sur un sujet aussi brûlant que l'avenir. L'avenir proche, très proche. A travers le regard de trois jeunes parisiens, cette histoire transporte le lecteur à la découverte d'un monde SENSationnel. L'auteur met en avant les vestiges d'une civilisation ancestrale, en perfusion, où les traditions d'un peuple autochtone (ici en Alaska) résistent tant bien que mal à l'appel séduisant de la technologie, de l'immédiateté et du tout à portée de main. Ces peuples sont les premiers témoins, malgré eux, d'un environnement en plein bouleversement et à l'inverse, les derniers porteurs d'une vision animiste, philosophie centrale dans ce récit. Plus qu'une critique de la civilisation occidentale en tant que population, c'est une invitation à la réflexion en tant qu'individu sur un mode de vie en guerre contre le vivant, sur des regards détournés d'évidences criantes et plus globalement sur le sens du mot 'vivre' en ce monde. Je viens de finir Sapiens de Yuval Noah Harrari et je trouve personnellement que 'Les Pizzlys' en est une belle conclusion. L'illustration d'une évolution (biologique, culturelle et sociale) progressive de plusieurs dizaines et centaines de milliers d'années en contraste d'une destruction accélérée à l'échelle de quelques générations humaines. Depuis ma lecture du Discours de la panthère, j'apprécie de plus en plus ce style graphique propre à Jérémie Moreau. L'ouvrage en lui-même est magnifique (les couleurs de la première de couverture et sa taille) et la lecture est d'une grande fluidité avec un nombre important de pages contemplatives ! Je recommande à tous la lecture :) Note réelle : 4.5

11/02/2023 (modifier)
Par grogro
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Wash ! Il est trop fort ce Jérémie Moreau ! Ça fait mine de rien des années qu'il enquille les chefs d'œuvre. C'est comme avec le gars Gomont, sauf qu'au lieu de travailler un style, Jérémie explore. Il est en mouvement permanent. Il le prouve une fois encore avec Les Pizzlys qui se trouve en même temps être sa meilleure Œuvre à ce jour. Punaise ! Que de bonnes choses parues cette année ! Que de "meilleures BD" ! Rochette a sorti cette année sa meilleure, tout comme Inker... Les Pizzlys est une œuvre en lien avec l'ambiance de fin de monde que nous connaissons actuellement. A travers les personnes d’Étienne et Zoé, frère et sœur tous deux incapables de lâcher leur téléphone portable, Moreau parle de notre civilisation qui s'oublie dans le numérique dont l'industrie est à ce jour le plus gros émetteur de CO2. Le propos est tragique, on-ne-peut-plus réaliste. Ça glace les sangs. Néanmoins, Moreau capte un truc, comme une possibilité, un espoir, une étincelle. On n'évitera rien, mais on peut s'y préparer, et préparer l'après qui est déjà là, en fait. Côté dessins, Moreau reprend grosso modo ce qui avait conféré tant de poésie au Discours de la panthère, son œuvre précédente, à savoir des couleurs très psychédéliques mais avec lesquelles il drape ici un scénario qui monte lentement vers une acmé paroxystique où la réalité des choses se confronte à une sagesse extrêmement mature. On sent des choses qui étaient en germe sur Penss et les plis du Monde mais que, sans doute, la maturité aidant, il est parvenu à déployer dans une histoire très accrocheuse qu'il fait fleurir avec la puissance du printemps. Je ne sais pas pourquoi j'ai écrit ça ; ça m'est venu tout seul. C'est ce que je ressens. Zou !

30/12/2022 (modifier)
Par Blue boy
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Après avoir obtenu la récompense suprême à Angoulême pour son exaltante "Saga de Grimr", Jérémie Moreau avait-il encore quelque chose à prouver ? A 35 ans, celui-ci fait désormais partie des créateurs les plus originaux de sa génération en matière de 9e art, et cet album vient une nouvelle fois le confirmer, non sans panache. Jérémie Moreau est de ceux qui explorent et tentent constamment de se renouveler, et si l’on ressentait une certaine déception avec Penss et les plis du monde, malgré ses qualités indéniables, Le Discours de la panthère est venu nous rassurer sur sa capacité à nous surprendre. Avec « Les Pizzlys », il s'attaque au sujet du moment, de plus en plus prégnant et souvent anxiogène, le réchauffement climatique, en situant l’action en Alaska, là où les effets sont encore plus visibles et spectaculaires que sous nos latitudes. La magnifique et mystérieuse couverture à elle seule peut résumer la sensation qui nous étreint à la lecture, celle d’être transporté à travers la flamboyance d’une aurore boréale aux couleurs époustouflantes. Quant au titre, l’auteur fait référence à ces ours issus d’un croisement entre grizzlys et ours polaires, des ours au pelage marbré de blanc et de marron qui ne sont qu’un des effets du changement climatique dans le Grand nord, les ours blancs quittant les pôles en raison de la fonte des glaces. Ainsi, Jérémie Moreau reprend un de ses thèmes de prédilection : l’action de l’Homme sur son environnement et la perte progressive de ses racines favorisée par une technologie toujours plus sophistiquée. Pour ce faire, l’auteur va nous mettre dans les pas de plusieurs personnages : Nathan, jeune chauffeur de taxi en charge de son frère Etienne et sa sœur Zoé, suite à la mort vraisemblable de ses parents. Lors d’un accident dû au surmenage, il va faire connaissance avec Annie, l’une de ses clientes qui s'apprête à prendre l’avion pour retourner dans son pays natal, l’Alaska. Prise d’empathie pour ces orphelins en proie à la confusion, la vieille dame, d’origine indienne, va les emmener dans sa « cabane » perdue du Grand Nord, où elle n’avait pas remis les pieds depuis son mariage avec un occidental il y a quarante ans. Obligée de laisser derrière elle tous ses repères, la fratrie va devoir réapprendre ce qu’est la vie dans un environnement radicalement différent, loin du tumulte du monde « civilisé ». Le choc est rude, et les écrans tactiles restent le plus souvent noirs. Passée une difficile période de « sevrage technologique », les jeunes enfants finiront par s’accoutumer à leur nouvelle vie, contrairement à Nathan qui ne parvient pas à s’extraire d’un brouillard psychique qui le laisse tel un pantin désarticulé, sans boussole… Comme souvent seul aux manettes, Moreau nous offre une narration fluide et bien construite, sans surcharge de dialogues, servie par une ligne claire ronde et délicate qui laisse transparaître les influences manga de son auteur. Le tout confère une touche très moderne à l’objet, mais qui ne se limite pas au dessin. A ce titre, c’est le travail sur la couleur qui est juste renversant. L’auteur recourt à une palette audacieuse alliant des tonalités très chamarrées avec des incursions fluos, qui étonnamment ne piquent pas les yeux. Le résultat est même somptueux et ces assemblages atypiques donnent lieu à des planches de toute beauté. Comme on le sait, l’auteur travaille sur ordinateur et apporte ici la preuve que l’on peut le faire à bon escient. Ce traitement numérique des grands espaces nord-américains nous en fait saisir toute leur magnificence mais aussi les bouleversements dramatiques qui les menacent, tels ce terrible feu de forêt représenté vers la fin de l’ouvrage. De même, les séquences décrivant les sensations ou les rêves des personnages sont de véritables œuvres d’art — osons ce terme généralement réservé au domaine musical — néo-psychédéliques, où poésie et chamanisme ne font qu’un — précisons que dans le récit, les habitants de cette région d'Alaska sont d’origine indienne. Et comme Jérémie Moreau ne laisse rien au hasard, sa mise en page est aussi libre que réfléchie : cases de guingois hyper-morcelées alliées à un cadrage dynamique zoomé au max, vues cinématographiques époustouflantes sur deux pages, notre homme ne s’interdit rien… Si avec « Les Pizzlys » Jérémie Moreau nous éblouit, il nous interroge et nous bouscule aussi, s’abstenant de tout jugement péremptoire et préférant évoquer une responsabilité collective concernant l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. La situation qu’il décrit est un constat, effrayant certes, mais encore une fois, l’auteur ne joue pas sur la peur, qui comme chacun sait, inhibe l’action et peut réveiller nos instincts les plus primaires. Ainsi, la conclusion est assez inattendue, ni pessimiste ni optimiste, pour décrire quelque chose qui nous dépasse et devrait nous rendre plus humbles, désarmés que nous sommes face à la toute puissance de la nature qui ne fait que nous renvoyer les conséquences de nos actes. En ces temps anxiogènes où la confusion semble parfois gagner les esprits, notamment à travers les réseaux sociaux où "fake news", haine et peur font figure de trio infernal, cette bande dessinée est une véritable bouffée d’oxygène. A l’instar de J.R.R. Tolkien, Jérémie Moreau s’efforce de réenchanter le monde, en réconciliant l’Homme moderne avec le « temps du mythe » et la sagesse ancestrale des peuples autochtones. Inutile d’ergoter davantage, « les Pizzlys », par ses qualités artistiques et son propos intelligent qui arrive pile-poil après une période hors-normes (canicules, incendies, sécheresse…), n’est rien de moins que l’album de l’année, un chef d’œuvre « pré-apocalyptique » qui réussit même à surpasser La Saga de Grimr.

15/09/2022 (modifier)