La Nuit

Note: 3.4/5
(3.4/5 pour 15 avis)

L'Ode à la mort de Philippe Druillet. Un opéra rock post-atomique.


Après l'apocalypse... La Mort Les années Métal Hurlant Les coups de coeur des internautes Trash

Impossible de présenter cette bd sans évoquer sa préface, écrite par Druillet lui-même, qui vous éclairera sur les douloureuses circonstances dont lesquelles cet album a été réalisé : A Nicole, ma femme, mon amie… Et à la mort qui est venue. Quelques mots, pour mon époque qui est moche, et je suis gentil ! … à l’année 1975, l’année de la femme qui a tué la mienne et tant d’autres avec elle… …à la médecine pourvoyeuse de la mort, la médecine des mecs, ma médecine du fric, celle de Curie et d’ailleurs. CANCER, mal terrible, plus terrible encore entre leurs mains car on en meurt, STATISTIQUEMENT ! c’est la formule. OUI ! Je vous accuse, bouchers stupides, CONS à la blouse blanche et au verbe haut, jongleurs de vies qui vous prenez pour Dieu, alors que l’on vous demande d’être des hommes et de nous traiter comme tels ! Connards assermentés vers qui l’on va avec confiance, c’est à en pleurer ! … à ce monde que nous n’avons pas fait et qui nous assassine. O mes aînés, je vous HAIS ! … à la mort que l’on nous cache ici, en « OCCIDENT », parce qu’elle fait peur, parce qu’elle fait réfléchir, parce qu’elle n’est pas rentable ; sauf pour certains. Société d’immortels vous puez la charogne ! … à sa bague, que je porte à mon doigt, à notre amour toujours présent, bien qu’elle s’en soit allée, elle qui ne voulait pas. …à la patience, aujourd’hui durement apprise. …à toi lecteur, que j’emmerde avec ces maigres mots, mais si tu aimes nos images, car nous sommes deux dedans, hier et demain, alors tourne la page le reste te concerne aussi, cadavre latent. …eh bien, à la patience encore et au temps et à la révolte ! Siècle des « LUMIERES » si nous voulons vivre mieux, apprenons enfin la mort, moi qui l’ai tenue dans mes bras j’en tremble encore… Tous hurlons ensemble Et battons-nous ! …mais après tout, sommes-nous vraiment d’ici ? alors attendons l’instant de la sublime aventure… Cadavres futurs, tenez-vous prêts et attachez vos ceintures ! …j’apprends à aimer la mort….. j’ai du goût. Philippe Druillet Livry, 1976

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution Octobre 1976
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série La Nuit © Glénat 1976
Les notes
Note: 3.4/5
(3.4/5 pour 15 avis)
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26/11/2003 | ArzaK
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Présence

Viscéral, expérience de lecture totale - Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel "Rock & Folk". Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario, dessins, couleurs, lettrage, et maquette. Dans un environnement urbain en ruines (quelques années dans un futur non déterminé), une bande de bikers avance, menée par Heinz, leur chef. Leur destination : le dépôt bleu où ils pourront récupérer de la dope. Sur leurs fronts, il y a un mot de tatoué : Ende, Baisée, ou encore Tuée, en fonction des individus. Sur leur route, ils vont se heurter aux polars (les représentants des forces de l'ordre), à d'autres gangs de bikers dont les Cœurs brûlés, puis celui de Mains d'Acier. Il leur faut absolument atteindre le dépôt bleu avant le levé du jour. Pour le lecteur qui ouvrirait par hasard cette BD, le choc risque d'être rude. Premier constat, les dessins ne sont pas très jolis. Les contours des formes sont tremblés, il y a plein de petits traits non signifiants, et il faut faire preuve d'une attention soutenue pour déchiffrer certaines cases, bourrées à craquer de silhouettes entremêlées. Les couleurs ne débordent pas des traits, mais elles peuvent être agressives, criardes ou sales. Un rapide parcours des phylactères montre que les règles de syntaxe ne sont pas respectées et que certaines phrases laissent à désirer en termes de clarté. À l'époque de sa parution, cette œuvre était révolutionnaire, et beaucoup des lecteurs de l'époque hésitent à la relire, tellement elle a imprimé un souvenir indélébile et intense dans leur esprit. Pour un lecteur d'aujourd'hui il s'agit d'un témoignage d'une époque révolue, mais aussi d'un récit toujours aussi intense. Certes, Philippe Druillet fut le cofondateur de la revue Métal Hurlant avec Jean-Pierre Dionnet en 1975, une revue historique dans le développement de la BD, mais il reste avant tout un auteur à la forte personnalité narrative. Toute personne qui a vu ne serait-ce qu'une fois un de ses dessins en garde le souvenir. Le tome s'ouvre avec un incipit en deuxième de couverture : une citation des Fleurs du Mal de Baudelaire. Puis vient une photographie de l'épouse défunte de Druillet (morte d'un cancer foudroyant peu de temps auparavant), et enfin un texte rageur d'impuissance de Druillet quant aux médecins et au destin. C'est donc l'œuvre d'un artiste en deuil, animé par la rage et la douleur. Mais c'est aussi une histoire. Il peut falloir au lecteur, un temps pour s'adapter à la narration. D'un autre côté, il peut aussi être emporté par cette narration dès les 2 premières pages. La première comprend 6 cases superposées de la largeur de la page, comme dans un panoramique large de western spaghetti. La deuxième est un dessin pleine page des motards fonçant vers le lecteur sur des engins futuristes, sans roues, lévitant à quelques centimètres au dessus du sol. En haut de cette page, il y a 3 médaillons avec les têtes et les noms des personnages. Tout au long du récit, Druillet adapte sa mise en page, à la nature de la séquence. Il n'y a pas de découpage bien propre et régulier qui se répète d'une page à l'autre. Il n'hésite pas à réaliser des dessins s'étalant sur 2 pages et requérant de tourner physiquement l'album d'un quart de tour. Les bordures même peuvent se gauchir sous l'effet de la violence des actions dépeintes, s'incliner, se briser, prendre la forme du contour d'un personnage, et même disparaître. Philippe Druillet plie de la même manière le langage à son dessein. La syntaxe des protagonistes laisse clairement à désirer, mais l'objectif n'est pas de respecter la grammaire. L'objectif est de faire passer leur état d'esprit, leur idée fixe de dope. Le résultat parle de lui-même : une étrange poésie brutale et évocatrice. De la même manière, Druillet n'explique pas tout de manière pédagogique et détaillée. Peu importe le contexte politique ou historique, ou même géographique de la situation. Il s'agit d'une histoire viscérale qui relaie une rage existentielle violente et désespérée. L'état de la situation ne laisse planer aucun doute. Ces motards cherchent la dope qui leur permettra de supporter la réalité. Ils défoncent l'ordre établi, rebelles sans cause, refusant un ordre contraignant, sans alternative à proposer, juste une soif de liberté, et la conscience de leur propre servitude à la drogue. Dès le départ, l'issue de cette quête ne fait aucun doute, dans cette ambiance nihiliste. Au final, peu importe la nature des innovations narratives, leur intelligence ou leur pertinence, le récit emmène tout sur son passage. Une fois son réglage de lecture effectué, le lecteur s'embarque pour cette équipée sauvage et éprouve avec ses tripes cette absurdité existentielle, cette quête impérieuse d'un divertissement permettant de supporter l'existence, cette violence des rapports sociaux, ce carcan des règles diverses et variées, cette brutalité nécessaire pour garder le cap. Paradoxalement, Druillet laisse le lecteur libre de lire à sa guise : de lire à toute berzingue jusqu'au choc final, ou de lire en prenant le temps de savourer ces visions lyriques, baroques et outrancières, de se perdre dans le luxe de détails de ces pleines pages, après avoir pris en pleine face la force de leur composition. Certains lecteurs pourront être rebutés par ces doubles pages, compositions mêlant bande dessinée et éléments figuratifs, éléments géométriques abstraits et conceptuels. Il s'agit de l'un des attraits de l'art de Druillet ; ces images démesurées, hors norme, dont l'échelle monumentale écrase les individus, et les symboles évoquent un inconscient collectif primal, des courants de force sous-jacents, un destin et une condition humaine inéluctables et inflexibles. Peu importe l'intelligence de la déstructuration des conventions de la BD, peu importe la flamboyance des scènes, ou la pauvreté culturelle des personnages, le lecteur fait l'expérience de plusieurs des aspects les plus noirs de la condition humaine. Dans cette équipée fatale, il y a encore moins d'espoir que dans Thelma & Louise , une conscience plus aiguë que tout est vain. Après ça, il ne reste plus qu'à lire Salammbô du même Philippe Druillet pour une nouvelle dose qui procure un voyage de la même intensité.

11/04/2024 (modifier)
L'avatar du posteur Guillaume.M

Une tristesse infinie, une révolte désespérée, une colère noire qui emporte tout… Lorsque Philippe Druillet réalise cet album, il vient de perdre son épouse, fauchée par le cancer. Sa préface laisse d’ailleurs peu de doute sur son état d’esprit. « La Nuit » est un défouloir, un moyen d’exorciser la douleur encore vive. Le monde décrit est futuriste, décadent et apocalyptique. Une sorte de « Mad Max : Fury Road » rétro à la sauce psychédélique 70’s. Le scénario est à la fois simple et complexe. Simple dans son déchaînement de violence et la succession d’affrontements entre bandes rivales. Complexe dans la difficulté à y voir autre chose qu’un défouloir brouillon, sans queue ni tête. Druillet a semble-t-il laissé aller le crayon, comme Frederick Peeters l’a fait dans Saccage. Quant aux dialogues, si on peut appeler ça comme ça, ils consistent en réalité en une suite de mots violents, balancés dans le même chaos que ce futur pessimiste. À ce tarif, mieux aurait-il fallu réaliser un album muet. Graphiquement, on peut ne pas aimer, ou trouver les couleurs criardes. Mais difficile de contester le talent de l’auteur. Les planches, relativement classiques au début, deviennent folles grâce à une multitude de détails, des variations dans l’orientation des pages et un découpage audacieux. Rappelons tout de même que l’album est publié en 1975 ! À l’époque, cela devait être totalement révolutionnaire. Je serai plus réservé sur les planches intégrant l’effigie de la femme de Druillet, qui tombent un peu comme un cheveu sur la soupe. Dans un sens, l’auteur me fait penser à Picasso, dont le talent est indéniable mais les choix artistiques critiquables, selon les goûts de chacun. Vient alors le dilemme… comment noter un tel album ? Objectivement, le travail est énorme, puissant et marquant. Cela suffit-il ? Pas vraiment. Une note doit surtout traduire le plaisir de la lecture, pas uniquement récompenser l’audace créatrice ou le concept. Malgré la note, qui n’engage que moi, « La Nuit » est un album marquant dont je me rappellerai et qui vaut la peine d’être découvert.

26/08/2020 (modifier)
Par sloane
Note: 4/5
L'avatar du posteur sloane

Je ne sais pas pourquoi, mais en ces jours bien sombre pour la BD je me suis mis a relire "La nuit". D'abord un visuel, hallucinant, halluciné. Le dessin de Druillet m'a dès ma prime jeunesse fasciné, les perspectives, les univers, les personnages, tout quoi! Ici il nous livre sa douleur, la perte d'un être plus que cher. Alors oui c'est morbide, c'est une ambiance glauque, un univers sans avenir, il y a de quoi se tirer une balle. Cet album est pour son auteur une catharsis faite avant tout pour exorciser des démons intérieurs, mais par les dieux quel talent. Certains ont évoqué "Le Cri" de Munch, bien sur mais un cri dessiné et de quel manière. Alors oui nous ne sommes pas dans la même douleur mais accordons à l'auteur le bénéfice de l'abattement sublimé par un talent pictural évident mais qui peut éventuellement rebuter certains d'entre nous.

08/01/2015 (modifier)
Par PAco
Note: 3/5
L'avatar du posteur PAco

Depuis que je suis ado, j'ai toujours été fasciné par le dessin de Druillet, sans avoir réellement pris le temps de lire ses albums. C'est plus en tant qu'illustrateur qu'il m'était familier. J'avais récupéré à droite à gauche quelques planches, des pleines pages tirées de ses albums et qui faisaient carburer mon imaginaire avide de fantastique, de SF et d'Aventure. C'est donc avec cette réédition de "La Nuit" que je me suis lancé avec une certaine appréhension, d'une part à cause de cette vision idéalisée que je garde de l'auteur, mais aussi de la gravité de l'album. Car avec celui-ci, Druillet ne fait pas semblant et nous crache tout son dégoût, sa haine et sa colère de la façon la plus brutale qu'il soit. Non, le monde n'est pas juste. La vie encore moins. La mort soudaine de sa femme due à un cancer va retourner Druillet et le faire accoucher de cet album brut et sans concessions. Dialogues, dessin, couleurs, mise en page, tous les codes de la BD vont pour l'époque être remâchés et régurgités de façon radicale. Besoin de l'auteur de composer avec cet album un exutoire salutaire ? En tout cas le résultat est assez hallucinant. Et même si certains aspects ont moins bien vieilli, l'ensemble reste si fort, décapant et dérangeant, un peu comme un crissement de craie continu sur un tableau, que je ne peux que conseiller la lecture de cet album.

18/03/2014 (modifier)
L'avatar du posteur Agecanonix

Ce récit publié à l'origine dans Rock & Folk contient toute la noirceur et la dureté que je n'aime pas trouver en général dans une Bd ; c'est une science-fiction apocalyptique, désespérée et crépusculaire où Druillet présente un monde irradié par la pollution, et habité par une société mortifère. Ce récit prouve qu'un auteur de bande dessinée peut exorciser ses démons intérieurs en éructant toute sa rancoeur, car c'est la douleur qui accouche de "la Nuit", suite au décès de la femme de l'auteur en 1975, qui le plonge dans une période de profond désespoir. Son désespoir est tel qu'il pousse ici un véritable cri de révolte contre la Terre entière, réussissant un opéra baroque et très sombre, une méditation sur la mort. Malheureusement, si je reconnais à Druillet un talent graphique dans ces dessins surchargés à l'excès, je ne peux le suivre dans ce paroxysme morbide du chaos, c'est vraiment trop hallucinant et réservé à un public averti. Une Bd à part dans l'oeuvre de Druillet, qu'il faut quand même feuilleter en bibliothèque, on ne peut pas l'ignorer.

10/02/2014 (modifier)
L'avatar du posteur Noirdésir

Waow ! Lire un album de Druillet, c’est d’abord et surtout prendre une bonne claque visuelle. Mais ici, ce n’est pas que visuel ! Le coup de cœur n’est pas très éloigné du haut le cœur… Le texte d’introduction, où il explique la naissance de l’album et son état d’esprit après la mort de sa femme donne le ton, le la, d’un long cri de haine, de désespoir, de douleur… qui ne s’achève, une fois l’apocalypse final passé, que par une plainte déchirante et muette. Cela aurait pu s’appeler "Le cri", donc, ou alors "Tombeau pour ma femme". En le lisant j’avais en tête la chanson de Thiéfaine, "Alligator 427", mais comme boostée par des flots de décibels à la Jimmy Hendrix ! Me sont aussi revenues les logorrhées de certaines pages de "Tombeau pour cent mille soldats" de Guyotat. Vraiment l’impression que Druillet a cherché – et réussi ! – à faire passer, ressentir au lecteur tout le mal être, la nausée, mais aussi la haine et le dégoût qui lui inspiraient ces visions apocalyptiques. Qui l’inspiraient tout court. Une inspiration qui ne ferait entrer que du souffre dans les poumons. Quant à l’expiration, dans tous les sens du terme, elle est ici, textes, images et couleurs, souffle de la mort, brûlante. Du coup, difficile de "noter" un album comme celui-ci. Je peux juste dire qu’il laisse sa marque dans la mémoire du lecteur. Que Druillet, au milieu d’images hallucinantes – et probablement avec l’aide de substances propres à les produire, a réussi à trouver un langage pour dire l’indicible. A lire donc ! Même si je ne sais pas si je m’y replongerai. Pour rester sur une note de musique, et atterrir en douceur, écoutez "The End" des Doors…

05/03/2013 (modifier)
Par gruizzli
Note: 5/5
L'avatar du posteur gruizzli

La Nuit de Druillet … Encore aujourd’hui, quand je le relis, j'ai ce petit frisson d'exaltation, ce sentiment qui nous prend au ventre quand on sait qu'on va assister à quelque chose de grandiose. Car grandiose, je pense encore qu'elle l'est cette œuvre, même après plus de vingt relectures espacées dans le temps tout autant que dans les conditions de lecture. Et pourtant j'ai le même effet à chaque fois. Un mélange d'excitation par l'aventure qui m'attends, mais en même temps d'appréhension avec le côté grave et curieusement défaitiste qui se dégage de l'œuvre. Mais dépressive, elle ne l'est pas, même si elle est noire. C'est une œuvre forte, une œuvre belle, mais pas dépressive. Ça c'est sur. En commençant, l'ouverture est grave, pesante, lourde. Druillet fait son introduction. Déjà la beauté du texte se voit, l'émotion se ressent, la douleur transparaît. Druillet nous invite à le suivre dans son exorcisation de la douleur, à voir la perte d'un être cher et ce qu'il en à tiré comme œuvre. L'introduction est funèbre, pesante, mais en même temps on sent une colère forte derrière la douleur, et cette colère est dirigée contre un peu tout le monde. Lui-même semble notamment se détester. Mais cette colère, au contraire de l'aveugler, ne le rends que plus lucide, et l'introduction en est d'autant plus impressionnante. Elle est la raison pour laquelle j'ai acheté cette BD, et encore aujourd'hui je la relis en pesant bien les mots qu'elle contient. La page se tourne. Il fait noir, mais un portrait, à mi-chemin entre la photo et le dessin nous sert d'ouverture. La femme nous regarde en nous attendant, nous invitant à ouvrir la porte de l'univers de la nuit. Et maintenant, voilà que s'ouvre la BD proprement dite. Une BD qui semble curieuse. Les dessins sont fouillés (ou fouillis ?), plein de détails, colorés à en faire mal à la tête, et en même temps ils collent à l'atmosphère, ils sont un style à part entière, l'émotion suinte par lui. Dans ce dessin, nous voyons les lions qui volent. Le décor se plante, la ville où tout vit la nuit seulement, les êtres en noirs, les crânes qu'ils les appellent, et le combat prend forme. La violence règne. Même dans les termes. Peu de phrases, des expressions, beaucoup de vulgaire. Tout s'emballe tout à coup, on ne comprend pas. Des cataclysmes se déclenchent, il faut se réfugier sous terre, et retrouver les autres. Et la nouvelle tombe : la dope a été prise par quelque chose. Nous ne saurons pas ce que c'est, mais c'est fini pour les tribus de la cité si elles ne parviennent pas à reprendre le dépôt. Toutes se réunissent, s'arrangent, dansent. Le tableau de ces hommes dansant sur Brown Sugar à quelque chose d'étrange, comme s’il ne devait pas être là. C'est la dernière scène de paix. Nous voilà au milieu de l'œuvre, et la plongée en enfer commence. Une plongée dans un enfer dont on en ressent tout de suite les effets : doubles pages magnifiques qui nous invitent à nous plonger dans une myriade de dessins, des planches sublimes aux couleurs toujours plus folles, des découpages de cases fous. Et pourtant, Heintz sent le doute poindre. Il a peur de la mort. Elle semble se rapprocher. Et le combat se lance. Tous contre tous, dans un combat final. Ce sera le dernier, l'un disparaitra totalement. Et pourquoi pas les deux ? Qui a dit qu'il y aura un vainqueur au final. Mais les crânes sont vaincus, la lutte a servi. Et pourtant Heintz a encore peur. Il est seul au milieu, il hurle. Il regarde la mort en face. C'est fini, mais pourquoi ne pas tenter une dernière course à la mort ? Ils foncent en chantant, et voilà que les doubles pages prennent toute leur ampleur. Les photos d'un calme apparent se mêlent au chaos des dessins, les deux mondes se mélangent. Et voilà que le dépôt bleu est là ! Il semble carrément transpercer les pages, il explose par tous ses orifices et la foule se presse pour y rentrer. Et la danse recommence, tandis que le shoot fait effet. Dernier chapitre : les pâles arrivent. Ce qu'elles sont ? Nul n'en sait rien. Mais elles tuent, tout. Absolument tout. Et l'apocalypse se déchaîne. Tout le monde meurt, les corps s'entassent, explosent sous les rayons de ces pâles. Tout se disloque, tout disparaît. Mais Heintz est encore là. Il est debout, attendant l'aube. Il sait qu'elle tuera les pâles et lui avec. De toutes façons, c'est déjà fini. Et l'aube nait. Tout disparaît, et Heintz se désagrège lentement, disparaissant de la page. Celle-ci est vide de tout le reste à part lui. Et tout est fini. Les métaphores du cancer, de la mort, du pourrissement d'un corps sont encore floues, qui est qui ? Mais au final, peut importe de savoir exactement. La force des émotions est là, sans qu'il faille l'expliquer. Alors, respirant fortement avec la montée de tension qui a traversé les pages, encore sous le choc de ce que je viens de lire, je vois les derniers mots de la BD, tracé délicatement par Druillet au bas de la dernière planche, et un sourire me monte aux lèvres. « Fin. Lente montée de la musique … »

26/01/2012 (MAJ le 17/01/2013) (modifier)
Par Heimdall
Note: 5/5 Coups de coeur expiré

Il arrive un moment ou des choses comme le bon sens, la droiture d'esprit, la bien séance, n'ont plus cours dans l'art. Ce genre de moment où on ne peut vraiment critiquer une œuvre car son audace est justifiée par la folie de son auteur, la folie de la perte, du malheur... Comment critiquer une œuvre pareil quand on sait qu'elle a servi d'exutoire à la douleur la plus intense que peut ressentir un homme dans son existence ? Comment critiquer ses dialogues primaires, incompréhensibles, et lourdingues ? Car ces adjectifs sont justement justifiés par une douleur sans fin, une espèce d'écriture automatique qui fait ressurgir les pulsions les plus malsaines de l'homme. Les tensions les plus grandes. Dire que l'on a aimé cette BD est un mensonge, dire qu'on l'a détesté l'est tout autant. Non, on ne peut pas juger cette BD sur une échelle de goût tel qu'on peut le faire avec les autres. Elle est dans son exubérance et son exagération, l'archétype même de la souffrance symbolisée dans sa plus belle expression. Je ris envoyant certaines personnes tentant de donner du sens à une œuvre pareil. Bien sûr qu'elle a du sens, mais pas ce genre de sens terre à terre que certains lui trouve. Ne posez pas cette BD après lecture en vous disant que vous n'avez rien compris (tel que moi-même j'ai fait à ma première lecture...), relisez-là, essayez d'en comprendre l'essence et de faire correspondre le sentiment qui sort de cette œuvre à un sentiment que vous avez déjà ressentis (sauf si vous vivez dans un monde de bisounours et que rien ne vous a jamais fait souffrir...). Redonnez une chance à cette BD et surtout ne la jugez pas. Ne la jugez pas, car cela reviendrait à juger la souffrance elle-même. Je considère cette BD comme culte pour toutes les raisons évoquées précédemment. A vous maintenant d'essayer de comprendre la signification de cette BD, d'échouez, et de vous émouvoir.

11/12/2011 (modifier)
Par yann75000
Note: 5/5 Coups de coeur expiré

Certainement l'album le plus bouleversant de la bande dessinée contemporaine. Je me demande comment vivent les gens, souvent. Philippe Druillet répond avec ses tripes, avec tout son Art, comment on peut mourir. Cette bande dessinée est une symphonie, un cri à la nuit qui va nous ensevelir. La Nuit, c'est le combat hallucinant de la vie qui s'arrache d'un dernier souffle, c'est l'immense talent d'un artiste sans concession qui s'exprime à travers la perte de l'être qu'il aime, c'est la beauté infini de l'amour qui perd face à la terrible sentence de la mort. "La Nuit" n'est pas une bande dessinée comme une autre. Elle a été écrite, dessinée, hurlée avec la force de celui qui ne peut plus rien. Mais Druillet, grandiose, ne s'avoue pas battu malgré la fin inéluctable. Il se lève, face à l'impossible, face à l'intolérable, et se lance dans une dernière bataille perdue d'avance avec la force de ses pinceaux, avec le coeur déchiré de l'amant hébété, pour nous emmener dans un maeström de souffrance, dans les profondeurs des âmes consumées par la douleur! C'est certainement l'une des oeuvres qui donna à la bande dessinée ses lettres de noblesse. Jamais aucun artiste n'avait osé auparavant mettre autant de puissance poétique dans l'histoire, mettre autant d'intimité dans son récit. D'ailleurs combien l'ont fait ensuite? C'est une bande dessinée épique qui nous parle de ce que l'on n'ose savoir, et l'immense artiste qu'est Druillet nous offre une ode à la vie sans chichi, sans minauderie, avec le talent d'un poète comme Villon, avec l'insupportable conviction que seul l'Art Majuscule peut être une réponse à l'innommable. "Dis moi comment tu meurs, je te dirais comment tu as vécu". Merci Monsieur Druillet, et chapeau bas.

17/11/2010 (modifier)

Alors ça, ce n’était pas pour moi ! :| Le trait ne m’a pas plu. Tous les personnages sont laids. Les couleurs hallucinées sont plus dérangeantes qu’originales. L’intrigue est quasi inexistante et tient en une phrase : des tribus barbares se battent pour de la drogue (dit comme ça, ça a l’air plutôt cool, mais ce n’est franchement pas le cas ;) ). Je pense que le pire, ce sont les dialogues qui sont d’une lourdeur incroyable. Voici un petit extrait à titre d’illustration : « - Lions on aura vos vies charognes !!! - Heintz ! Ai perdu armes !! - Merde machines foutues, cœurs brûlés gueulent ! - De toutes façons chargeurs vites vides… [sic] - Il faut rentrer sous terre. Chaleur et pluie de feu vont brûler nos corps, attendre fin du souffle !! - On a pas de visages à air !! » Sans commentaire… La seule qualité de l’album est finalement son émouvante préface. En conclusion, ‘La nuit’ fut pour moi une bien désagréable expérience. Comme le soulignait à juste titre un des chroniqueurs précédents, cet album tient davantage de la thérapie (entendez « du défouloir ») pour son auteur que du titre pensé pour le lecteur. Druillet ne voulait pas d’un album facile d’accès, soit. Le problème, c’est que cette bd, en plus d’être difficilement abordable de par sa forme, est, au fond, vide de tout contenu.

08/04/2010 (modifier)