Mémoire morte

Note: 3.28/5
(3.28/5 pour 18 avis)

Dans une cité aux dimensions infinies, l'information en temps réel et l'image sont reines.


Absurde Marc-Antoine Mathieu Utopies, Dystopies

Un ordinateur, le ROM, recueille les faits et gestes de chacun et les mémorisent, déchargeant ainsi la population d'un effort pourtant salutaire. En effet, les habitants de cette cité ne recherchent plus que l'immédiat. En rétrécissant leur espace temporel, ils se créent de nouvelles frontières, symbolisées par ces murs qui peu à peu asphyxient la ville. De plus, à toujours vivre au présent, ils en viennent à tout oublier, jusqu'à leur propre langue.

Scénario
Dessin
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution Mars 2000
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Mémoire morte © Delcourt 2000
Les notes
Note: 3.28/5
(3.28/5 pour 18 avis)
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23/05/2002 | Fubuki
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L'avatar du posteur Noirdésir

J’avise ici avec retard le dernier Marc-Antoine Mathieu que je possède (je crois les avoir tous, ne me manque que son « Paris-Mâcon », que je recherche désespérément depuis longtemps !). Mes avis sur ses autres séries le montrent (et aussi mon avatar), je ne suis plus objectif depuis longtemps concernant cet auteur, dont j’admire l’œuvre, avec des albums alliant simplicité et complexité. Cet album peut très bien constituer une entrée intéressante dans cette œuvre foisonnante, et peut tout à fait faire office d’introduction à l’univers génial de Julius Corentin Acquefacques, développé en parallèle de cet album. On trouve en effet beaucoup de points communs entre « Mémoire morte » et les Julius. Comme Julius, le personnage principal (qui lui ressemble d’ailleurs !), Firmin Houffe, est fonctionnaire, et comme lui il se débat dans une cité immense, froide, dans une société sclérosée et assez ubuesque, aux rouages absurdes. La principale différence avec les Julius serait peut-être ici l’absence de jeu autour du médium BD lui-même. Sinon, si les premières et dernières planches, avec leurs constructions géantes et labyrinthiques, peuvent faire penser à Borgès, c’est surtout Kafka, comme d’habitude (un dialogue fait d’ailleurs allusion à un certain « Akfak ») qui innerve les méandres de la cité et de l’intrigue, même si Orwell n’est pas très loin non plus, avec ce « ROM » qui, de créature, est devenu décideur omniscient et omnipotent, ordinateur central faisant perdre la mémoire, leurs mots, aux habitants de cette cité tentaculaire. Il est d’ailleurs symptomatique que les vues aériennes de cette immense cité ressemblent à des puces informatiques ! Beaucoup d’absurde donc, avec quelques pointes d’humour parfois, lorsque les fonctionnaires cherchent à contrôler la prolifération de murs nouveaux avec des commissions et autres délibérations creuses (n’y a-t-il pas là une critique du fonctionnement de nos « démocraties » ?). Mais surtout, comme très souvent avec MAM, le côté simple du dessin et de l’intrigue laisse rapidement place à une réflexion plus profonde. Réflexion de plus en plus d’actualité : que sommes-nous prêts à déléguer aux réseaux informatiques, aux robots ? Par facilité, l’homme ne s’aliène-t-il pas sa liberté ? La communication omniprésente (les murs sont remplis de slogans, on questionne les habitants par sondage en permanence, et la foule – que ce soit dans les assemblées ou dans les rues – parle, parle dans une logorrhée aussi volubile qu’absconse, dans une cacophonie qui ne veut plus rien dire, personne n’écoutant vraiment) va de pair avec la perte des mots, du langage. Autour de ces réflexions, au milieu de ces décors asphyxiants, la placidité de Firmin Houffe – dont le nom signe la folie de ce monde ! – inquiète ou rassure, c’est selon. L’aspect graphique est du MAM classique – que j’aime beaucoup : c’est à la fois simple, beau et efficace ! Un Noir et Blanc tranché, des décors stylisés et très géométriques, légèrement disproportionnés, qui développent une ambiance froide, impersonnelle, oppressante et déshumanisante, ce dernier aspect étant renforcé par le côté un peu statique des personnages, et des traits de visage quasi absents. C’est un album qui peut se lire vite, car il y a peu de cases et/ou de texte. Mais on y revient, pour les détails de certaines cases, pour les réflexions induites, pour le plaisir ! Si, comme moi, vous avez apprécié cet album, et si vous avez la chance de ne pas encore connaître Julius Corentin Acquefacques (j’adorerais découvrir cette série avec un regard vierge – même si chaque relecture me procure énormément de plaisir), jetez-vous dessus !

05/05/2020 (modifier)