… à la folie

Note: 3.8/5
(3.8/5 pour 10 avis)

Voici l’histoire d’un petit couple « ordinaire » qui s’aime un peu, beaucoup, à la folie…


Animalier Douleurs intimes Nouveau Futuropolis One-shots, le best-of Violence conjugale Violences faites aux femmes

Sylvain Ricard et James racontent l’histoire ordinaire d’un couple qui va s’enfoncer dans la violence conjugale. À la folie est un récit à deux voix. Les personnages, la femme et l’homme racontent la situation telle qu’ils la vivent, presque sans acrimonie. Un récit qui n’occulte pas pour autant la violence physique et psychologique.

Scénario
Dessin
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 16 Septembre 2009
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série … à la folie © Futuropolis 2009
Les notes
Note: 3.8/5
(3.8/5 pour 10 avis)
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19/09/2009 | iannick
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Décidément que d’albums consacrés au thème de la violence conjugale pourtant réputé peu traité ! Après le bouleversant Inès et le militant En chemin elle rencontre... voici un nouvel exercice de style. Ici nous est présenté un couple dans son quotidien depuis la rencontre. Mais au lieu de suivre le simple fil de l’histoire, les deux protagonistes vont détailler leurs impressions comme dans un divan face à eux même, comme s’ils commentaient leur histoire. Les premières planches sont saisissantes, face à une femme parlant toujours de l’histoire du couple à deux en pensant à deux, l’homme ne parle que de lui. Quand la femme dit « nous » l’homme dit « je ». Finalement très vite notre mâle devient antipathique au possible avec sa vie réglée, son intolérance permanente et son excuse perpétuelle du travail qui serait un blanc-seing pour tout comportement violent (je ne parle à ce stade pas encore de violence physique) dans le quotidien conjugal. Il faut bien que la soupape de pression se libère semble nous dire perpétuellement ce tyran. Le récit va crescendo en termes de mises sous pressions de notre jeune épouse. Elle l’aime, il l’aime cela est factuel et va être une constante du récit. Elle l’aime malgré tout et il l’aime malgré tout, les deux le savent et finalement là est le drame : dans la mesure où elle accepte son sort on ne peut que ruminer, impuissants, contre son bourreau tout en sachant qu’elle l’aime et que rien n’évoluera dans le bon sens. La genèse du couple est bien narrée et permet de valider le choix de notre mariée, elle le choisit. Une fois cet engagement pris notre épouse se ferme dans une illustration magistrale du piège abscons. Ayant fait un choix, quelque soient les événements factuels qui peuvent arriver son choix en sortira renforcé. Il la bat un peu, beaucoup, de plus en plus violemment, ce n’est pas de sa faute il est sous pression et elle trouve des « trucs » pour que ça fasse moins mal tout en pensant au bonheur de son mari. Elle en parle à sa copine, elle est consciente que ça ne peut que les éloigner, elle en parle à sa mère qui lui donne cette image qui la renforce dans son piège abscons avec des référents qui sont réels pour nombre de couple mais qui ici en deviennent tragiques. (Ce personnages de la mère me gène d’ailleurs beaucoup, je ne le trouve absolument pas crédible, seul reproche aux personnages de l’album). Je m’explique : la femme qui arrête ses études et fait le choix d’être à la maison pour le bien être de son mari le fait de son propre chef, elle assume pleinement ce sort : nous ne sommes plus au temps où il n’y avait pas de choix dans la société aisée et libre décrite dans cet album. Le récit est magistral dans le sens ou le piège abscons est parfaitement représenté : dans chaque situation qui la fragilise, elle fait le choix du sacrifice volontairement et l’assume. Et même lorsqu’elle porte plainte, il est écrit qu’elle reviendra, il est certain qu’il s’agit du seul moyen qu’elle ait trouvé pour alerter son mari, elle l’aime comme elle le dit et elle sait qu’il l’aime, peu importe ce qu’il lui fait subir. Lui à ce stade est complètement incrédule comme le prouve sa réaction honnête face aux forces de l’ordre : le salaud pervers aurait feinté, lui assume pleinement ce qu’il est, ce n’est qu’un pauvre type humainement. Le récit passe à ce stade dans le politico-lobbying peu crédible mais qui peut se laisser envisager dans la logique du pire. Enfin la chute finale est dramatique dans son contenu, non par le fait que tout recommence, mais parce que la justification professionnelle ne tient plus et que lui-même ne comprend pas son geste. Une suite au récit n’aurait aucun intérêt dans cette abîme finale est montré toute l’absurdité du piège abscons que la femme se bâtit et toute la fausseté de l’argument perpétuellement utilisé par le mari : tragique… Question dessin, le style est épuré, les personnages animaliers généralisent le sujet, les décors minimes permettent un cadre global délocalisant un cas particulier sur une situation plus générale. Je n’ai pas été emballé, mais le contenu est tellement lourd que le contenant s’efface avec justesse pour laisser le drame se dénouer. Habituellement plutôt défavorable à la personnification d’animaux, je suis tout de même rentré dans le thème très vite. Au final le récit est prenant, fluide. J’avoue que la politique du pire pratiquée par le scénariste refroidit la magnifique illustration du piège abscons qu’il a illustré. En effet je n’imagine pas une mère disant à sa fille que d’être battue est un mal nécessaire, le passage avec sa mère au complet serait recevable si sa fille disait qu’elle avait été frappée une fois, « l’accident » peut toujours être défendu dans le cadre socioculturel de la mère, pas pour des attaques quotidiennes. De même l’issue en non-lieu grâce à un lobbying politique mêlé à une complaisance filiale de la part d’un patron sur le départ me parait peu généralisable. Nous montrer, entre deux personnes qui s’aiment réellement, l’une détruire l’autre avec son propre assentiment : bravo pour cette justesse de ton qui s’exprime dès les premières pages dans les propos de chacun, même si finalement les interventions clé de l’album me paraissent très nettement « surjouées ». Mais faire de cet album un manifeste général contre la violence conjugale serait un faux sens (à mon avis). L’image a tendance à généraliser un cas très particulier grâce au bestiaire, ceci n’est pas anodin à mon sens ce qui m’incite à ne pas mettre 4 étoiles. La lecture est ambigüe et pourrait être interprétée comme une critique d’une certaine vision de morale Judéo-Chrétienne sclérosante misogyne, source de drames familiaux. Même s’il n’est jamais fait référence à une religion, si nos personnages sont visiblement athées, si notre jeune femme fait ses choix en toute conscience, certains lecteurs pourront toujours y lire une critique religieuse en particulier derrière la caricature de la mère (que justement je trouve peu crédible dans ce récit) qui ressemble assez aux interprétations rétrogrades simplistes que certains ont sur la religion. En cela la généralisation du fait du graphisme est facile. Je ne sais pas ce que l’auteur a voulu monter, s’il a voulu montrer un modèle de piège abscons dans un couple entre deux êtres qui s’aiment, je dis bravo, s’il a insidieusement glissé une critique judéo-chrétienne, je dis quelle vision superficielle et déformée d’une morale et que d’incohérences dans les personnages… Ceci dit, cyniquement, ça peut être justement commercialement assez bien joué, chacun pouvant y trouver son compte ! Ce doute, renforcé par des propos de l’auteur lus sur un forum, m’éloigne de l’œuvre. Avoir cet opus en bibliothèque ? Toutes les bibliothèques devraient l’avoir, mais chez soi, je doute du plaisir à relire maintes fois cet album, sauf à aider une connaissance en détresse… Coup de cœur enfin, car cet opus malgré ses faiblesses scénaristiques liées aux personnages secondaires, forme un joli complément à Inès. Dans l’un le couple s’aime alors que dans l’autre il n’est plus question d’amour. Pour avoir réussi à montrer la violence conjugale dans un couple qui s’aime, chapeau.

12/10/2009 (modifier)