New York Trilogie (L'Immeuble) (Le Building) (The Building)

Note: 3.92/5
(3.92/5 pour 13 avis)

Deuxième partie de la Trilogie New York. Initialement publié sous le titre "Le Building" aux éditions Rackham. Le récit des vies de 4 personnes liées à celle d'un vieux building new-yorkais.


Dans mon immeuble... Fantômes Kitchen Sink Press Les meilleurs comics New York One-shots, le best-of Will Eisner (1917-2005)

Ce vieil immeuble new-yorkais était à l'intersection de deux avenues principales. 80 ans de bons et loyaux services. Il était une frontière dont les murs survivaient aux crises de larmes et de rires.... Un jour, ce vieil immeuble fut démoli pour laisser la place à un nouvel immeuble. Au pied de ce nouvel édifice, quatre fantômes étaient là : Monroe Mensch, Gilda Green, Antonio Tonatti et P.J. Hammond. Leur vie passée était liée à l'ancien immeuble, leur présence fantomatique à celle du nouveau building...

Scénario
Dessin
Traduction
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution Janvier 1989
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série New York Trilogie (L'Immeuble) (Le Building) © Delcourt 1989
Les notes
Note: 3.92/5
(3.92/5 pour 13 avis)
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09/08/2004 | Spooky
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Présence

À l’angle des rues - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s'insère entre La Ville (1986) et Jacob le cafard (1988). Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, de 76 pages, avec une introduction de 2 pages rédigée par Will Eisner. Ce récit est paru pour la première fois en 1987. Il s'ouvre par une citation de John Ruskin (1819-1900). Dans l'introduction, Will Eisner évoque l'acte brutal de destruction d'un building, la manière d'anéantir ainsi un lieu dont les murs sont chargés des rires et des pleurs de tous les êtres humains ayant vécu à l'intérieur. Pendant 80 ans, le building avait occupé l'angle de 2 importantes avenues, une accumulation invisible des de drames s'étant imprégnée dans sa base. Un jour ce building fut démoli, laissant une hideuse cavité résiduelle et un résidu de débris psychiques. Plusieurs mois plus tard, un nouveau building flambant neuf occupait cet espace, tout de verre et de métal. Ce jour-là, durant la matinée, quatre fantômes invisibles se tenaient à l'entrée : Monroe Mensh, Gilda Green, Antonio Tonatti, P.J. Hammond. Monroe Mensh était un enfant de la ville : il avait grandi anonyme au milieu de la cité, ayant maîtrisé l'art de la vie urbaine. Célibataire, il mène une existence routinière. Il sait se tenir à l'écart des accidents de la vie, et il a un emploi dans un magasin de chaussures pour femme, où sa discrétion lui permet de rester en dehors de tout tracas. Un après-midi, il attend pour traverser l'intersection devant le building. Une fois la rue passée, il s'arrête à côté de l'entrée du building, alors qu'éclate une série de coups de feu. Un enfant tombe mort, tué par une balle, juste à ses côtés. Gila Greene était une véritable beauté, une jeune fille dorée du lycée East City High. À la surprise de tout le monde, alors qu'elle n'avait que l'embarras du choix, elle était tombée amoureuse du poète Benny. Leur amour perdura au-delà du baccalauréat, alors que Gilda Greene devint une assistante dentaire, et Benny continuait d'écrire des poèmes dans les bibliothèques municipales. Chaque jour, Benny et Gilda se retrouvent au bas du building, jusqu'à temps qu'un jour Gilda fasse une déclaration à Benny. Antonio Tonatti était un enfant doué en musique. Comme ses parents n'avaient pas assez d'argent pour lui offrir un piano, ils lui offrirent un violon. Antonio bénéficia de cours de violon pendant son enfance et son adolescence, jusqu'à ce que son professeur lui indique qu'il n'était pas assez bon pour en faire sa profession. Régulièrement, Antonio Tonatti joue du violon au pied du building, juste à côté de son entrée. P.J. Hammond est né dans une riche famille de promoteurs immobiliers. Après ses études, il a intégré l'entreprise de son père, et s'est rapidement rangé à ses méthodes. Après sa mort, il a repris les affaires et a décidé d'acquérir tout le pâté de maison, ou plutôt le bloc d'immeubles, contenant le building. Mais seul ce dernier n'est pas à vendre. Dans son introduction, Will Eisner explicite son intention : montrer comment un immeuble peut s'imprégner de la vie des habitants. Au fil de l'histoire, le lecteur découvre qu'il ne s'agit pas des habitants ou des usagers de l'immeuble, mais de personnes qui se sont régulièrement tenues devant l'immeuble pour des motifs différents. Du coup, le récit se mue en l'histoire de 4 personnes (plus une, à savoir le poète) qui ont un lien plus particulièrement avec le morceau de trottoir, juste à côté de l'entrée du building. Comme à son habitude, l'auteur sait insuffler une vie étonnante à chacun de ses personnages. Impossible de les confondre : ils ont chacun une apparence différente, une vie différente, des aspirations différentes, une histoire personnelle différente. Monroe Mensh fait immédiatement penser à Pincus Pleatnik, un personnage qui apparaît dans Invisible People (1993), un citadin passé maître dans l'art d'être invisible aux yeux des autres ce qui lui assure une tranquillité précieuse. Ici, Monroe Mensh est un individu banal, sans histoire, à la gestuelle un peu protective de sa personne, indiquant une personnalité craintive et introvertie. Le lecteur ne peut pas s'empêcher de sourire en le voyant faire des efforts pour sortir de sa coquille, afin d'atteindre l'objectif qu'il s'est fixé. Par la force des choses, Gilda Greene diffère fortement de Monroe Mensh, puisqu'elle n'est pas du même sexe. Elle est aussi plus solaire, et elle vit dans un milieu social plus aisé. Elle n'est pas introvertie, et elle sait exprimer ses sentiments, à commencer par l'affection et l'amour. En observant Benny, le lecteur voit qu'il porte des vêtements bon marché et qu'il ne prend pas grand soin de sa personne, qu'il parle en faisant des gestes plus amples, plus habités que Gilda, et encore plus que Monroe Mensh. En voyant l'ameublement des pièces de l'appartement des Greene, le lecteur voit également qu'il ne s'agit pas de la même gamme de prix que celui de l'appartement de Mensh. Le segment consacré à Antonio Tonatti est le plus court, avec 11 pages. À nouveau, le lecteur découvre un personnage à l'apparence bien différente, appartenant aussi à un milieu social modeste, vivant son art de musicien amateur d'une manière différente de celle de Benny, avec une posture déférente vis-à-vis des passants, mais pas effacée comme celle de Monroe Mensh, son état d'esprit n'étant pas d'être insignifiant au point d'en devenir invisible aux yeux des autres. Avec P.J. Hammond, le récit passe à nouveau dans un autre milieu social, plus aisé, le monde des affaires, avec un individu dont les postures montrent une habitude de donner des ordres, d'être obéi, de prendre des décisions lourdes de conséquences. Ce récit est à nouveau l'occasion d'admirer l'art de conteur de Will Eisner. Il commence par une introduction sous forme de texte en gros caractère, avec une police de caractère mécanique. Puis le lecteur découvre un dessin en pleine page, ou plutôt en demi-page, avec une colonne de texte sur la partie gauche de la page, et le dessin tout en hauteur du building sur la moitié droite. Il découvre ou retrouve la police de caractère tracée à la main qui semble si chaleureuse, que ce soit pour les textes accolés à une image en pleine page, ou pour celle différentes, un peu plus irrégulière pour les phylactères. Il faut avoir lu une bande dessinée de cet auteur pour prendre la mesure dans laquelle ces polices participent de leur identité et de la sensation qui s'en dégage. Le lecteur retrouve également son usage de cases ouvertes, sans bordure, l'idée étant que le lecteur peut ainsi plus facilement y pénétrer. S'il y prête plus d'attention, il observe que ces cases ouvertes peuvent être se côtoyer, laissant les personnages passer librement de l'une à l'autre. Elles peuvent également être séparées par des cases rectangulaires avec une bordure qui viennent comme si elles étaient posées sur la planche. L'artiste peut également utiliser des traits parallèles irréguliers pour servir de trame de fond sur laquelle le fond blanc des cases ressort. Ces dispositions originales introduisent une sensation de liberté et de légèreté dans la narration. Will Eisner a régulièrement recours à des dessins avec un texte en dessous, évoquant la forme d'un conte illustré. À d'autres moments, la narration retrouve une forme de bande dessinée classique. Tout du long, le lecteur voit des personnages incarnés par des acteurs adoptant un jeu naturaliste. Même quand Will Eisner passe en mode théâtral, ses personnages gesticulant de manière un peu appuyée, le lecteur continue de voir des gens normaux, expressifs, mais sans en devenir ridicules. Ils interagissent naturellement avec les décors qui sont des lieux plausibles et habités. Monroe Mensh se tasse sur une chaise qui tient à peine dans le minuscule bureau de l'association où il est reçu. Gilda Greene se couche dans le lit conjugal douillet et confortable, attestant d'un couple ayant une longue histoire commune apaisée. Antonio Tonatti se retrouve seul dans son tout petit appartement sombre et peu meublé. P.J. Hammond est bien calé dans son fauteuil confortable de président directeur général, dans une position de pouvoir assurée. Comme toujours dans les œuvres de Will Eisner, le lecteur éprouve un sentiment de sympathie immédiate et spontanée envers tous les personnages. Il n'y a pas de méchant, même pas P.J. Hammond qui pourtant abandonne très vite toute prétention d'action sociale, pour se concentrer sur une posture uniquement capitaliste. En fait, le lecteur éprouve de la compassion pour chaque personnage, car l'auteur ne se montre pas tendre avec eux. Il les fait souffrir : Monroe Mensh portant le fardeau d'une culpabilité de hasard, Gilda Greene ayant sacrifié ses aspirations romantiques pour la sécurité matérielle, Antonio Tonatti conscient de son talent limité de musicien, P.J. Hammond se heurtant lui aussi à ses limites. La fin de l'histoire vient apporter une forme de résolution à chacune de ces vies, libérant ces âmes de leur aspiration inassouvie. Étrangement, cette histoire ne tient pas la promesse énoncée dans l'introduction. Le building ne devient pas un personnage à part entière, habité par les émotions de ses habitants. Il reste un élément de décor, un point focal pour la vie de 4 individus distincts, aussi différents qu'incarnés. Will Eisner fait preuve d'une maestria discrète de l'art de la narration visuelle, qui devient époustouflante pour peu que le lecteur y prête attention. Son amour des êtres humains est présent dans chaque vie de ces personnages de papier, à la fois dans leur unicité, dans leur présence, mais aussi dans les épreuves qu'ils traversent car l'auteur fait preuve d'un amour vache.

09/04/2024 (modifier)
Par Yannis
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Yannis

Mettre une telle note à Will Eisner est assez facile dans le sens où il est un très bon dessinateur mais surtout car c'est un observateur incroyable et un conteur génial. J'ai lu les trois tomes de cette série en un peu plus d'une heure happé par les histoires tantôt joyeuses mais plus souvent tristes voire cyniques. Une oeuvre admirable de l'un des plus grands noms de la BD US. Dans le premier tome l'auteur nous parlait de sa ville en général, là il s'attache à nous brosser le portrait de quatre personnes au destin tragique d'un même immeuble. Remarquable une fois de plus.

05/04/2014 (modifier)