French Theory

Note: 3/5
(3/5 pour 2 avis)

On connaissait la French Pop , mais connaissez-vous la French Theory ? Comment Deleuze, Foucault, Derrida... sont devenus des stars aux USA et comment leurs théories, sur la déconstruction, le genre, les inégalités ont façonné le débat contemporain.


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Entre wokistes et réacs, le débat fait rage. La promesse de ce livre : nous ouvrir grand les yeux, de façon ludique, sur Foucault, Derrida ou Baudrillard et l'aventure de leur singulière théorie, aux USA et au-delà... Les penseurs de la déconstruction, du genre ou du racisme, sont devenus des stars américaines et ont révolutionné nos façons de voir le monde.

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 17 Septembre 2025
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série French Theory © Delcourt 2025
Les notes
Note: 3/5
(3/5 pour 2 avis)
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05/10/2025 | pol
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Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
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La French Theory, c’est quoi ? C’est un courant de pensée initié par des philosophes français dans les années 60 où le concept de déconstruction tenait une place centrale. Le fait que l’appellation soit en anglais démontre à lui seul l’importance de ce mouvement et l’engouement qu’il suscita aux États-Unis, bien plus qu’en France, même si cela se limitait aux universités et que seuls les initiés en maîtrisait le concept. Pourtant, ces textes philosophiques, si puissants dans leurs contenus, ont fini par déborder des bibliothèques et des conférences universitaires, se propageant dans le reste de la société et infusant les mœurs et la culture… Pour faire simple, c’est ce mouvement qui a inspiré la lutte des minorités, qui recouvre un vaste champ thématique, de la question coloniale aux combats féministes, en passant par la notion d’identité et de genre, la contestation sociale, la conquête de nouveaux droits…dans un contexte où le capitalisme, moins menacé à l’époque, n’avait pas encore révélé toute la férocité dont il est capable… Une férocité qui s’exprime à travers le « backlash » auquel on assiste depuis quelques années, « le retour de bâton après des progrès et des avancées », en somme une attaque en règle contre le fameux « wokisme » qui, aux yeux de ses adversaires, est devenu l’insulte ultime évitant toute justification… et pour cela, la fin justifie les moyens : répression violente, privatisation tous azimuts, individualisme, technologies de contrôle… et désormais tentatives de miner la liberté d’expression, comme on peut le voir avec Trump n°2, qui ne ménage pas ses efforts pour remettre en cause le premier amendement de la constitution US ! Face aux slogans simplistes assénés par les réactionnaires de tout poil pour toucher les foules qu’ils préfèrent déculturées, on serait tentés de croire que la pensée déconstructiviste ne fait guère le poids. En effet, peut-on envisager une seule seconde de s’appuyer sur un ouvrage au contenu ardu d’un Foucault ou d’un Deleuze pour répondre à un interlocuteur qui clamera, en se contrefoutant éperdument de vos arguments, sa détestation des intellos woke-islamo-gaucho-bobos ? Et c’est bien en cela que « French Theory » coche toutes les cases. C’est une synthèse parfaite et rafraichissante d’une pensée parfois complexe, et qui incitera les plus motivés — les plus « rebelles » aussi — à creuser le sujet, grâce à la bibliographie en fin d’ouvrage. La narration fluide rend le concept de déconstruction accessible – y compris pour moi qui je le confesse n’ai lu aucun ouvrage de ces philosophes. Plutôt que de développer en détail cette théorie (ce qui est fait sur un seul chapitre), les auteurs ont choisi de privilégier l’histoire du mouvement, ses implications hors du cadre universitaire, à l’échelle internationale, ses influences à travers la peinture, l’architecture, le cinéma, la musique, la littérature, sans oublier… la bande dessinée. De même, les autres protagonistes du mouvement sont évoqués — et il n’y avait pas seulement les cinq représentés en couverture (Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Jean Baudrillard), loin de là. Bon nombre d’entre eux n’étaient pas français, beaucoup étaient évidemment étatsuniens, et parmi eux : Bernard Said, Homi Bhabhaj et G.C. Spivak (tous deux nés en Inde), Judith Butler, Eve Kosofsky Sedgwick… Pour accompagner le texte, Thomas Daquin nous propose une ligne claire pop et colorée, aux accents parfois psychédéliques, reflétant bien l’atmosphère de l’époque. Ce dernier sait faire preuve d’inventivité et de fantaisie pour mettre en images des concepts pouvant paraître abstraits, conférant au livre un côté très ludique. Si l’ouvrage décrit un monde en décomposition où les mouvements progressistes se voient férocement attaqués de toute part par les politiques autoritaires voire fascisantes, il permet aussi de prendre du recul et fait appel à notre aptitude à l’analyse. Il nous oblige à faire un pas de côté, nous conduit à voir les choses sous une perspective nouvelle, moins désespérante. Car en effet, la French Theory se veut aussi « une boîte à outils politique, qui inclut sa propre critique, mais pas vraiment de notice d’utilisation ». En suscitant ainsi la réflexion, il poussera peut-être les plus révoltés et/ou démoralisés par le contexte actuel à être créatifs en inventant de nouvelles formes d’action. La bonne nouvelle, nous dit François Cusset, c’est que l’œuvre de ces philosophes est redevenue vivante en France, au grand dam des propagandistes anti-woke. Cette bande dessinée, qui dérive de l’essai éponyme de François Cusset, demeurant ici co-auteur, est donc une réussite totale en termes de vulgarisation, prouvant s’il était besoin la capacité du neuvième art à attirer un lectorat pas forcément porté sur ce type d’ouvrages, et à lui faire découvrir des écrits théoriques souffrant — quoi qu’on en dise — d’une image rébarbative pour le commun des mortels. Évoquer sur 144 pages seulement un mouvement philosophique réunissant autant d’acteurs, et par ailleurs assez disparate — certains d’entre eux étaient même en opposition sur certains sujets —, relevait incontestablement du challenge. Les auteurs ont parfaitement relevé le défi, qui fait de « French Theory » un vrai coup de cœur et l’une des lectures indispensables de l’année. En guise de conclusion à cet avis, n’oublions pas cette puissante citation de Gilles Deleuze mentionnée en fin d’ouvrage : « LE POUVOIR NOUS VEUT TRISTES ». En espérant que ça vous donne la patate et le smile ;-)

06/10/2025 (modifier)