Dum Dum

Note: 4/5
(4/5 pour 2 avis)

Librement inspiré de la vie de l’arrière grand-père de Lukasz Wojciechowski, Dum Dum (du nom des balles utilisées à l’époque de la Grande Guerre) est un roman graphique historique bouleversant.


1930 - 1938 : De la Grande Dépression aux prémisces de la Seconde Guerre Mondiale Berlin Cà et Là Format à l’italienne Séquelles de guerre

Le récit est centré sur les répercussions de la Première Guerre mondiale en Europe centrale, dans ces pays aux frontières sans cesse remaniées, avec en toile de fond le Berlin des années 1930. Lukasz Wojciechowski raconte le choc produit par la ville sur la psyché dérangée de Stan, vétéran de la Grande Guerre originaire de la campagne polonaise. En proie à des démons intérieurs et souffrant de stress post-traumatique, Stan est confronté à la frénésie technologique d’une ville où pointent les premières manifestations de l’horreur nazie à venir.

Scénario
Dessin
Traduction
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 19 Mai 2023
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Dum Dum © Cà et Là 2023
Les notes
Note: 4/5
(4/5 pour 2 avis)
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15/06/2023 | Mac Arthur
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Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Blue boy

Après son bluffant Soleil mécanique, Lukasz Wojciechowski nous revient avec un album de nouveau illustré à l’Autocad. Mais cette fois, c’est une histoire plus familiale qu’il va narrer puisqu’il s’est directement inspiré des récits de son grand-père, évoquant les souvenirs qu’il avait gardé de son géniteur, Stanislaw, qui en est ici le protagoniste principal. Bien sûr, l’effet de surprise est moins présent que sur le premier, mais d’un point de vue visuel, cela reste toujours étonnant. Autocad est un logiciel de dessin assisté que l’auteur, architecte de formation, a détourné de sa fonction première pour illustrer son récit. Ce qui reviendrait un peu à utiliser un robot-mixeur pour battre des œufs en neige. Une démarche qui rappelle beaucoup celle de Martin Panchaud avec sa « Couleur des choses », publié chez le même éditeur et récompensé du fauve d’or à Angoulême l’an dernier. Alors bien sûr, quand on feuillette, on peut avoir un mouvement de recul. Ces fines lignes droites hyper minimalistes, hyper millimétrées, ont un aspect froid et pas très engageant pour tout puriste de la bande dessinée, mais il ne faudrait surtout pas s’arrêter à ça, car cet album recèle bien d’autres qualités, notamment son graphisme original. Pour ceux qui ont lu Soleil mécanique, l’effet de surprise sera amoindri mais le parti pris reste toujours aussi fascinant par son audace confinant à la poésie, où les dessins froidement architecturaux, tendance art déco, semblent tisser une passerelle vers un art abstrait empreint d’émotion. On s’habitue très rapidement aux codes de lecture innovants, qui voient les phylactères ne faire qu’un avec les cases. Pour contrebalancer cette « sécheresse » graphique, Wojciechowski réussit à produire un récit extrêmement accessible, profondément humain, à partir d’une histoire familiale tragique. Stanislaw, personnage en apparence insignifiant et docile alors qu’il vient d’être embauché par le bureau d’étude où bosse son oncle, est aussi le narrateur. Après le travail, il traine sa solitude dans les quartiers mal famés de Berlin. On le voit alors en proie à des accès de violence, lui le Polonais expatrié et confronté au racisme en pleine montée du nazisme, évoquée en filigrane dans l’histoire. Au fil des pages, le lecteur va découvrir que ces colères incontrôlables s’expliquent par un traumatisme profond et incurable remontant à l’enfance, et là selon l’expression consacrée, c’est la petite histoire dans la grande Histoire… avec des références explicites au « Cabinet du docteur Caligari » et au « Golem » deux films expressionnistes allemands de 1920 exerçant une grande fascination sur Stanislaw, peut-être par leur côté visionnaire. Dans le premier, il est question de tyrannie et d’obéissance aveugle des foules à l’autorité. Le second raconte l'histoire d'un rabbin qui conçoit un monstre dans l'espoir d'en faire son serviteur mais aussi le sauveur de la communauté juive… Et puis il y a cette balle de fusil « Dum Dum », qui a donné son nom au titre, et a participé au fameux traumatisme de ce dernier, un mot-leitmotiv dont la sonorité mécanique imprime sa rythmique au récit, renvoyant à cette « ligne droite et nette », guidée « par la main ferme et assurée du technicien » dévoué à l’ordre d’un système. Ce système même qui participera à l’avènement du régime hitlérien, même si dans le contexte évoqué, on n’en voit que les prémices… Mais au milieu de ces lignes droites, les blessures de Stanislaw font tache, dans tous les sens du terme. Au fur et à mesure de ses errances dans Berlin, les coups qu’il a reçus au visage deviennent plus visibles. Ces « taches », dessinées au pinceau, sans règle, apparaissent comme une menace pour les lignes millimétrées de l’architecte et leur bel ordonnancement. Symbolisant les émotions, en contrepoint de la froideur et l’insensibilité du trait sans défauts, elles vont tenter de s’imposer tout au long de la narration, telle une métaphore des souffrances muettes de Stan qui finiront par se révéler tragiquement au lecteur. Malgré son aridité apparente, « Dum Dum », tout comme son prédécesseur, est un ouvrage d’une grande richesse. Contre toute attente, Lukasz Wojciechowski a fait jaillir de son Autocad un onirisme émotionnel empreint d’une grande pudeur qui nous touche au plus profond de l’âme. Il nous propose un récit assez glaçant qui pourra facilement supporter plusieurs lectures pour en saisir toutes les subtilités. Derrière l’exercice de style, il y a un vrai fond qui nous oblige à questionner notre humanité, dès lors que le désir d’ordre du collectif tend à primer sur les individualités. Et ce n’est peut-être pas un hasard si l’auteur a su si bien exprimer tout cela, lui-même ayant le même métier que son aïeul, dont il livre parallèlement un bel hommage.

23/03/2024 (modifier)
L'avatar du posteur Mac Arthur

J’ai beaucoup aimé ce récit. Son auteur parvient à harmoniser son style graphique très personnel et l’histoire qu’il veut nous raconter. Une histoire sortie de son imagination mais construite à partir de l'histoire de ses grands-parents. J’aime quand un auteur parvient à s’approprier le média « bande dessinée » pour l’interpréter à sa manière tout en conservant ses fondamentaux. Car la bande dessinée, qu’est-ce que c’est sinon un art qui utilise des dessins séquencés. A partir du moment, où l’on respecte ce fondamental, le champ des possibles est un formidable terrain de jeu pour qui a de l’imagination. Mais encore faut-il raconter quelque chose qui puisse toucher le lecteur. Et Lukasz Wojciechowski n’en manque pas, d’imagination, pour créer une bande dessinée à l’aide d’un programme d’architecture. En détournant ce dernier de son utilisation d’origine, en le maîtrisant et en jouant avec ses limites, il est dans l’obligation de faire montre de souplesse et d’inventivité. Et pour que ça fonctionne, il lui faut également trouver une corrélation entre le dessin et le thème. Dum Dum remplit toutes les cases. Histoire, personnages et style graphique forment un ensemble cohérent. Mais si l’aspect visuel est ce qui marque en premier, l’histoire que nous raconte l’auteur polonais est tout sauf secondaire ! Historiquement intéressante (on en apprend assez bien sur la Pologne de 1910 à 1960), elle est également touchante, abordant le thème du choc post-traumatique, le besoin de se réfugier dans un univers rassurant et la complexité de nos personnalités. Au final, je peux dire que j’ai vraiment bien aimé. C’est différent, ça ne plaira pas aux lecteurs en quête d’un dessin classique, mais j’ai adoré l’inventivité graphique et été touché par la destinée du personnage central. Franchement, bravo !

15/06/2023 (modifier)