Ben Barka - La disparition

Retour sur l'une des affaires les plus mystérieuses des années 60. Une enquête passionnante, un véritable thriller et un devoir de mémoire indispensable. La disparition du marocain Mehdi Ben Barka a eu lieu le 29 octobre 1965 et cette affaire n'a jamais été clairement résolue : d'ailleurs, son fils Bachir espère toujours faire avancer l'enquête et il a même collaboré à l'écriture de cet album, tout comme Maurice Buttin, l'avocat de la famille, ou encore le juge Patrick Ramaël.
1961 - 1989 : Jusqu'à la fin de la Guerre Froide Les grandes affaires criminelles
Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka, le principal opposant au roi du Maroc, Hassan II, a rendez-vous à la brasserie Lipp, à Paris, avec trois personnes : Philippe Bernier, journaliste, Georges Franju, cinéaste, et Georges Figon, producteur. L’enjeu de cette rencontre est la signature d’un contrat pour la production d’un film sur les luttes anticoloniales, écrit par Marguerite Duras, réalisé par Franju et produit par Figon. Avec, comme têtes d’affiche : Fidel Castro, Che Guevara, Mao, Ho Chi Minh, Nasser… Un casting de rêve, orchestré par Mehdi Ben Barka. Bernier, un ami de Ben Barka, est, à son corps défendant, l’un des rouages du complot qui s’est mis en place. Figon est un voyou et il est de mèche avec les comploteurs. Avant même d’entrer dans la célèbre brasserie, Ben Barka est interpellé, sur le trottoir, par deux hommes qui se présentent comme des policiers... Il est embarqué dans une Peugeot 403, direction Fontenay-le-Vicomte, en région parisienne. On ne le reverra jamais plus... Dès le début, maître Maurice Buttin, avocat de la famille Ben Barka, comprend que l’enquête sur la disparition de l’opposant marocain va être très compliquée. C’est le moins qu’on puisse dire... Qui a tué Ben Barka ? Dans quel but ? Quel est le rôle des services secrets marocains ? Et celui de la France ? Une enquête fouillée et passionnante de David Servenay, journaliste au long cours, et de Jacques Raynal, dessinateur au noir et blanc intransigeant.
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Date de parution | 05 Février 2025 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis


L’histoire aurait donc dû s’arrêter là. Seulement voilà… - Ce tome comprend une histoire complète, une enquête sur la disparation de Mehdi Ben Barka (1920-1965), homme politique marocain, et chef de file du mouvement tiers-mondiste. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par David Servenay pour le récit, et par Jacques Raynal pour les dessins. Il comprend cent-quarante-deux pages de bandes dessinées en noir & blanc. Il se termine avec un dossier illustré de douze pages comprenant des chapitres consacrés à Antoine Lopez l’espion qui voyait triple, Le faux scoop de l’Express, Les sécuritocrates marocains à l’abri, Chtouki le chef fantôme du commando, CIA le mutisme des services secrets américains, Ben Barka une enquête impossible ? Enfin vient une liste de référence vidéo et livres, et des remerciements. Paris, vendredi 29 octobre 1965, 12h15. Mehdi Ben Barka, accompagné par le jeune historien Thami Azzemouri, se rend à son rendez-vous à la brasserie Lipp pour parler du projet de film Basta. À l’intérieur, l’attendent le journaliste Philippe Bernier, le réalisateur Georges Franju et l’éditeur Georges Figon. Alors qu’il approche de la brasserie, il est accosté par deux hommes qui se présentent comme des policiers. Ils s’enquièrent de l’identité de la personne qu’ils ont hélée, puis lui posent quelques questions. Quel est le motif du séjour de Mehdi Ben Barka en France ? Serait-il à Paris dans un but politique ? Enfin ils lui indiquent qu’on leur a demandé de l’emmener auprès de personnalités politiques. Il accepte et les suit sans un regard pour Azzemouri, après avoir vu leur carte professionnelle. Une fois les trois hommes dans la voiture, le trajet commence, c’est la dernière fois que Mehdi Ben Barka est vu vivant. À partir de là, le récit entre dans le royaume des hypothèses. À ce jour, nul n’a de certitude à propos de ce qui est arrivé à Mehdi Ben Barka. Sauf sur deux choses. Il a bel et bien été tué dans les 48 heures suivant son enlèvement. Son corps a disparu, sans que quiconque ne puisse le retrouver. Ce qui va intéresser les auteurs désormais, c’est l’enquête incroyable qui commence et l’importance de la trace que cette disparition va laisser dans l’histoire. Pour autant, tout ce qui va suivre a fait l’objet de minutieux recoupements auprès des proches de Mehdi Ben Barka, des enquêteurs… et d’un dossier d’instruction qui est à ce jour la plus ancienne enquête criminelle en cours dans les annales de la justice française. À bord de la 403, un silence pesant enveloppe les cinq passagers. Ben Barka se demande vers quel interlocuteur son destin l’emmène. Un rendez-vous est bien prévu pour le lendemain à l’Élysée, mais… Le convoi sort de Paris par l’autoroute du Sud. Discrètement, une DS noire suit la voiture des policiers. Elle finit par la dépasser. Juste après Évry, la voiture quitte l’autoroute pour atteindre sa destination finale. En arrivant au 35 de la Grand-Rue, la 403 franchit le portail d’une grosse ferme. Un homme apparaît. Mehdi Ben Barka l’ignore, mais le propriétaire des lieux est très connu des services de police. Georges Boucheseiche, 52 ans, dit Bonne Bouche, multirécidiviste, ex-collabo de la Carlingue, la Gestapo française. En fonction de sa culture, le lecteur peut être plus ou moins familier avec cette affaire : son point d’origine, la reprise de l’enquête en 2004, ou le rôle de Mehdi Ben Barka dans l’histoire du Maroc ou en tant que chef de file du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste. Il constate rapidement qu’il n’est nul besoin de disposer de connaissances préalables sur l’affaire ou sur le contexte historique pour suivre le récit de l’enquête. De la même manière, un lecteur s’étant déjà intéressé à cette affaire apprécie la manière dont les auteurs relient les faits à des événements et des mouvements d’époque. Il peut aussi avoir eu la curiosité de lire un article encyclopédique sur le sujet, assez touffu, listant chaque intervenant sur, les différentes versions, et les découvertes successives, sans oublier les pièces manquantes, les silences, et même les légendes inventées, plus ou moins crédibles. Le scénariste a conçu une structure aussi sophistiquée qu’accessible. Partir de cette disparition le 29 octobre 1965. Faire intervenir différents acteurs apportant des informations depuis leur point de vue : Bachir Ben Barka le fils de Mehdi ben Barka, Maurice Buttin l’avocat de la famille Ben Barka, Patrick Ramaël juge d’instruction, Jospeh Thual grand reporter. Mettre en scène aussi bien des reconstitutions historiques avec les personnes impliquées, que des mises en situation d ce qui est rapporté. S’il commence par feuilleter cette bande dessinée, le lecteur peut ressentir une impression un peu austère et une forme de minimalisme dans la mise en page et dans les dessins. Dès la première page, il peut constater une approche plus dans l’impression donnée par les éléments visuels, que dans la représentation détaillée. En fonction des séquences, le dessinateur peut consacrer du temps à représenter des éléments plus nombreux : les façades des immeubles parisiens, une carte routière, des tenues vestimentaires, des rues de Rabat, des cafés ou des restaurants parisiens prestigieux, des bâtiments célèbres comme le palais de l’Élysée. Pour certaines zones de ces mêmes images, il peut se contenter de surfaces laissées blanches et vierges, comme la surface des trottoirs ou de la chaussée, certains arrière-plans lorsqu’il s’agit d’une tête ou d’un buste en train de parler, ou encore le fond de la page avec juste un individu en pied qui en occupe un tiers ou moins. Dans le même temps, il utilise les aplats de noir aux formes discrètement irrégulières pour donner du poids à chaque case. Il joue ainsi régulièrement sur le contraste fort entre des zones noires et des zones blanches. Il représente les individus avec un fort degré de simplifications à la fois dans les silhouettes et les visages. Le lecteur n’aurait pas forcément à chaque fois identifié un personnage célèbre s’il n’était pas nommé, jusqu’au général de Gaulle lui-même. Rapidement, le lecteur remarque que le scénariste laisse beaucoup de place à la narration visuelle. Par exemple les trois premières pages ne comprennent qu’un unique et bref cartouche de texte pour indiquer le lieu, la date et l’heure. Puis vient un dialogue pendant trois pages entre Ben Barka et les deux policiers. Et à nouveau deux pages muettes, à l’exception d’un court cartouche. Dans les deux pages suivantes, le lecteur découvre le dispositif d’une petite case au milieu d’une page autrement vierge avec deux cartouches de texte plus conséquents, sans aller jusqu’à du texte illustré par une miniature. Cette façon de procéder donnerait une impression de narration à l’économie s’il s’agissait d’un récit de type aventure ou roman. En revanche dans ce contexte, cela fonctionne parfaitement pour aérer l’exposé des faits historiques, des événements et des témoignages, pour mettre en valeur des intervenants et des personnes impliquées, pour montrer au lecteur un endroit, une rencontre, et pour créer une distance nécessaire avec les différents individus. Cela rappelle au lecteur qu’il voit de personnes en train de faire de déclaration, des paroles rapportées, ce qui ne permet pas de savoir ce que pense vraiment chacun, ce qui induit une prise de recul sur ces propos. Le scénariste relève un défi dont le lecteur ne soupçonne pas tout de suite la complexité : exposer, analyser et expliquer une enquête compliquée dans un contexte historique touffu, avec un nombre élevé d’intervenants, et plusieurs versions successives sans perdre personne en route. Il présente progressivement les différents acteurs : Mehdi Ben Barka dès la première page, les dernières personnes à l’avoir vivant, et puis il sait grouper les suivantes en unités logiques qui permettent au lecteur de facilement les situer, des plus connues comme le général Charles de Gaulle (1890-1970) président de la République française, Georges Franju (1912-1987) réalisateur, Marguerite Duras (1914-1996) écrivaine, dramaturge, scénariste et réalisatrice française. Du côté marocain : Hassan II (1929-1999), le général et homme d’état Mohamed Oufkir (1920- 1972), Ahmed Dlimi (1931-1983) officier supérieur puis général des Forces armées royales marocaines, etc. Quelques hommes d’état français comme Edgar Faure (1908-1988) homme d’État français, Roger Frey (1913-1997) homme politique français. Et puis des individus hauts en couleur comme Pierre Loutrel, dit Pierrot le Fou (1916-1946), Georges Boucheseiche (1914-1972) malfaiteur français, Antoine Lopez (1924-2016) inspecteur principal d'Air France à Orly surnommé la Savonnette, Marcel Le Roy – Finville (1920-2009) maître espion, etc. Et pour finir le juge d’instruction Patrick Ramaël et le journaliste Joseph Tual. Profitant de ces guides attentionnés que sont les auteurs, le lecteur découvre cette histoire d’enlèvement, le rayonnement international des activités de Mehdi Ben Barka, l’improbable implication de policiers, de malfaiteurs et d’espions, le plan soigneusement ourdi sur le long terme, capable de surmonter les imprévus et de tirer profit des occasions. Il se fait la réflexion qu’il n’a pas de raison de douter de ce qu’il lui est exposé, et qu’il peut saisir les différentes dimensions de l’affaire, entre les motivations de la victime et sa vie personnelle, les différents intervenants dont les intérêts finissent par s’aligner pour parvenir à cette disparition. Il partage l’optimisme des auteurs, avec la perspective de déclassification de documents dans les décennies à venir. Il prolonge bien volontiers sa lecture avec le dossier en fin de tome, se rendant compte qu’il ne s’était pas posé de question sur l’absence d’interférence des États-Unis dans cette affaire, alors même qu’ils remplissaient la fonction de police mondiale à l’époque. Une vieille affaire datant de 1965… avec des répercussions encore bien tangibles aujourd’hui. Une narration visuelle sèche et pouvant apparaître comme minimaliste, devenant particulièrement adaptée et intelligente à la lecture, faite pour faciliter la compréhension et l’assimilation du lecteur, tout en lui donnant le recul nécessaire pour questionner ce qui lui est montré. Une enquête remarquable par sa clarté, ses facettes analytiques et explicatives prenant en compte de nombreuses dimensions tant personnelles que de politique internationale dans un monde entre décolonisation et prise d’autonomie. Édifiant et passionnant.


Retour sur l'une des affaires les plus mystérieuses des années 60. Une enquête passionnante, un véritable thriller et un devoir de mémoire indispensable. La disparition du marocain Mehdi Ben Barka a eu lieu le 29 octobre 1965 et cette affaire n'a jamais été clairement résolue : d'ailleurs, son fils Bachir espère toujours faire avancer l'enquête et il a même collaboré à l'écriture de cet album, tout comme Maurice Buttin, l'avocat de la famille, ou encore le juge Patrick Ramaël. Le journaliste David Servenay (né en 1970) est l'un des fondateurs de La Revue Dessinée, revue d'information en bande dessinée dont le premier numéro est paru en 2013 et qui nous a déjà donnée (entre autres exemples) l'adaptation des thèses économiques de Thomas Piketty avec le remarquable album Capital & Idéologie. Il est ici accompagné du dessinateur Jacques Raynal (ou Jake Raynal, né en 1968) : le duo avait déjà travaillé sur l'album "La septième arme". Avec cet album, Ben Barka : la disparition, ils tentent de donner un nouveau point de vue sur cette affaire que beaucoup voudraient avoir enterrée depuis longtemps. Nous ne sommes pas dans une bande dessinée classique mais plutôt à la limite du roman graphique. Les dessins de Raynal sont d'un beau noir et blanc, très contrasté, avec de grands aplats noirs, ce qui donne au récit un ton sérieux et journalistique. Un dessin tout au service de l'enquête. Et puis bien sûr il y a l'Affaire elle-même et l'enquête : le déroulement des faits et les hypothèses (soigneusement recoupées par les auteurs) sur la disparition de l'homme politique opposant au nouveau régime marocain : barbouzes de tous pays, diplomates et politiques, voyous et anciens collabos, flics et agents du Sdece, ... tous ont travaillé main dans la main avec le cabinet noir des services secrets marocains menés par le général Mohamed Oufkir, le boucher du Rif. L'ambitieux et populaire Ben Barka gênait beaucoup trop de monde dont les français qui voyaient arriver le virage de la décolonisation. On entrevoit même les ombres de la CIA et du Mossad planer sur cette histoire. Les auteurs prennent le temps nécessaire pour nous présenter les différents protagonistes, les enjeux politiques, diplomatiques et internationaux de cette affaire dans laquelle notre République s'est, une fois de plus, brillamment illustrée. Il y a même, en fin d'ouvrage, une série de fiches récapitulatives sur les protagonistes les plus importants. On peut s'interroger sur l'intérêt de ressortir encore aujourd'hui cette vieille histoire jamais élucidée ? Mais l'enterrer trop rapidement dans un recoin obscur avec le corps de Mehdi Ben Barka, reviendrait à oublier de nombreuses questions. Oublier que l'ombre de cette affaire plane encore sur les relations franco-marocaines. Oublier qu'aucun des présidents successifs de notre république n'a souhaité faire la lumière sur ces événements, de Giscard à Macron en passant par Chirac, Mitterrand ou Hollande. Oublier que la justice française reste bloquée depuis des dizaines d'années malgré l'obstination courageuse de quelques juges : il s'agit là du « dossier d'instruction qui est à ce jour la plus ancienne enquête criminelle en cours dans les annales de la justice française ». Oublier que pour tenter de faire avancer le dossier, le juge Patrick Ramaël a même perturbé la rencontre de Sarkozy avec Mohammed VI en 2007. Le président français était accompagné de Rachida Dati, alors ministre de la justice (elle est d'origine marocaine). Oublier les mots, cités dans l'album, des mots de 1966 publiés par Pierre Viansson-Ponté dans le journal Le Monde [clic] à propos de cette affaire : « [...] L'abus du renseignement, le goût du secret, le recours aux méthodes occultes, aux agents, aux réseaux, aux polices parallèles, sont [...] inhérents au compagnonnage gaulliste. Ils en sont aussi le vice majeur. » Enfin, il ne faut pas oublier non plus comment certains journaux (et non des moindres : L'Express, Minute, ...) ont été totalement manipulés pour livrer au public de fausses explications à la disparition de Ben Barka. Voilà donc bien un album utile et nécessaire à notre mémoire, un travail qui résonne comme un écho à celui d'Etienne Davodeau et Benoit Collombat dans l'album Cher pays de notre enfance.
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