Les Mémoires de la Shoah

Note: 4/5
(4/5 pour 4 avis)

Adaptation des textes d’Annick Cojean en partenariat exclusif avec le Prix Albert Londres et le Mémorial de la Shoah.


Aire Libre Journalistes La BD au féminin Nazisme et Shoah

1942, descente des nazis dans le ghetto de Kovno, en Pologne : son nouveau-né dans les bras, une jeune femme regarde autour d’elle, hagarde. Bessie K : « Je tenais le bébé, et j’ai pris mon manteau, et j’ai emballé le bébé, je l’ai mis sur mon côté gauche car je voyais les Allemands dire "gauche" ou "droite", et je suis passée au travers avec le bébé. Mais le bébé manquait d’air et a commencé à s’étouffer et à pleurer. Alors l’Allemand m’a rappelée, il a dit : "Qu’est-ce que vous avez là ?" Je ne savais pas quoi faire parce que cela allait vite et tout était arrivé si soudainement. Je n’y étais pas préparée (...) Il a tendu son bras pour que je lui tende le paquet ; et je lui ai tendu le paquet. Et c’est la dernière fois que j’ai eu le paquet. » C’est l’un des nombreux témoignages de survivants des camps de la mort recueillis par Annick Cojean, grand reporter au Monde depuis plus de quarante ans. Elle reçoit en 1996 le prix Albert Londres pour Les mémoires de la Shoah.

Scénario
Oeuvre originale
Dessin
Couleurs
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 24 Janvier 2025
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Les Mémoires de la Shoah © Dupuis 2025
Les notes
Note: 4/5
(4/5 pour 4 avis)
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15/01/2025 | Ro
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix. - Ce tome contient une adaptation des cinq reportages réalisés par Annick Cojean pour le quotidien Le Monde en 1995. Son édition originale date de 2025. L’adaptation a été réalisée par Théa Rojzman pour le scénario, et Tamia Baudoin pour les dessins et les couleurs. Il compte cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction de deux pages, rédigée par la journaliste. Elle évoque les témoins bien vivants dans les années 1990, qui avaient vu des choses qu’aucun être humain ne devrait jamais voir, sa qualité de journaliste, à la fois chance et responsabilité, la conscience qu’il lui revenait d’enquêter sur les traces de cette mémoire vivante, de cette mémoire irremplaçable, fut-elle effilochée. Elle termine en évoquant son déplacement à Auschwitz, à l’occasion des commémorations du cinquantième anniversaire de la libération des camps, avec Simone Veil (1927-1917). L’ouvrage se termine avec un dossier de quatorze pages comprenant une postface de Tal Bruttmann (historien français, spécialiste de la Shoah), et des articles sur les archives vidéo Fortunoff de témoignages de l’Holocauste à l’université de Yale, celles de la Shoah Foundation à l’université californienne de Californie du Sud), un entretien avec Tal Bruttmann réalisée par Cojean, un portrait de Grete Munn (1922-2014, rescapée des camps) par Cojean, et enfin une page sur la création du prix Albert Londres. Annick Cojean avance en titubant dans une forêt calcinée où il ne reste que des troncs dénudés. Elle continue de progresser et elle repère un bourgeon tout en haut d’une branche. Elle ramasse une échelle par terre et l’adosse au tronc pour atteindre le bourgeon. Elle le contemple de près et murmure qu’elle le cherchait, tout en en voyant d’autres sur d’autres arbres. L’année : 1994. L’an prochain, ce sera la commémoration des cinquante ans de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis. Ou en est-on ? Annick veut comprendre ce que l’on retient de la Shoah. Et ce qui se transmet dans les familles. Tout ce poids, cette responsabilité, pour les survivants ou leurs enfants, de faire vivre à nouveau la branche. Chapitre Un : Les voix de l’indicible. Annick Cojean descend du train à New Haven dans le Connecticut où elle est attendue et accueillie par une femme tenant une pancarte portant le nom de la journaliste. Elle lui souhaite la bienvenue, et la remercie de s’intéresser à ce programme de l’université de Yale. Une fois installées dans un bureau, l’hôtesse explique à Annick qu’elle va lui montrer quelques-unes de leurs vidéos. Des témoignages archivés depuis 1979 dans le cadre du programme Fortunate Video for Holocaust Testimonies. De très nombreux témoignages ont été recueillis aux États-Unis, en Israël et dans plusieurs pays d’Europe dont la France. Trois mille rescapés ont parlé malgré l’extrême difficulté de dire, de raconter, de se souvenir. Parler pour sortir d’un silence toxique, pour soi-même, mais aussi pour la mémoire collective. Elle doit bien comprendre qu’ils ont pris le temps et le soin d’élaborer ce programme. Elle n’en verra que le résultat, mais il suit un protocole exigeant mis en place par des équipes de psychologues et de sociologues. Ce ne sont pas de simples interviews… Le texte de la quatrième de couverture indique clairement la nature de l’ouvrage : transposer les cinq articles de la grande reporter Annick Cojean en bande dessinée, en respectant les mémoires des survivants, de leurs enfants et des enfants de nazis, mémoires encore bien vivantes et actuelles. Un projet assez particulier : à la fois une transposition d’articles de journaux, à la fois un ouvrage supplémentaire sur la Shoah. En fonction de sa familiarité avec le sujet, le lecteur peut s’interroger sur son envie de lire une bande dessinée sur ce sujet, forcément grave, et peut-être un de plus. Les autrices racontent la démarche de la journaliste en la mettant en scène, avec ses projets, ses interrogations, ses réactions, ce qui rend immédiatement les reportages plus vivants et plus accessibles. Il découvre dans l’introduction que ces reportages trouvent leur source dans l’étonnement de la journaliste qu’en 1995 on parlait si peu de la Shoah, que le génocide nazi n’ait été qu’effleuré au lycée sans aucune résonnance avec ce qui se passait au présent, qu’il ne soit pas central dans l’enseignement et le débat public. Dans son introduction, elle écrit : Ce n’était pas si vieux ! C’était documenté ! Il y avait des films, des photos, des journaux, des récits, des centaines de milliers d’archives. Et surtout il y avait des témoins bien vivants. Il s’agissait de les écouter. Dans sa postface, Tal Bruttmann contextualise également ces articles : l’émergence de la mémoire de la Shoah, ils traitent de plusieurs des initiatives mémorielles visant à redécouvrir un passé que certains voulaient reléguer dans l’ombre, ce qui reflétait à quel point la question travaillait les sociétés. Le lecteur peut également entamer l’ouvrage sans avoir conscience de ce contexte et de ces intentions. Il a le plaisir de découvrir une vraie bande dessinée, plutôt qu’un texte illustré. La séquence d’ouverture comporte trois pages, et seulement deux phylactères, les images portant la majorité de la narration. Qui plus est dans une scène à la fois onirique et métaphorique. Les autrices ont réalisé un vrai travail de transposition, utilisant plusieurs spécificités de la bande dessinée, sans trahir l’intention de la journaliste. La métaphore de la forêt calcinée revient à plusieurs reprises, et elle se trouve explicitée dans un flux de pensées de la journaliste qui compare les enfants des rescapés à d’improbables petits bourgeons sur un chêne calciné. Les autrices utilisent également des juxtapositions visuelles et des éléments surréalistes. Tel ce moment silencieux dans lequel les enfants de rescapés et les enfants de nazis se tiennent de part et d’autre d’une faille dans laquelle se trouvent les cadavres des Juifs exterminés, et ils y descendent pour s’occuper ensemble des cadavres. Ce moment poignant où Niklas Frank, fils de Hans Frank ministre du Troisième Reich (surnommé Bourreau de la Pologne) se couche à même le sol sur des photographies géantes des camps, en en prenant une pour s’en faire une couverture, alors qu’il évoque son sentiment de culpabilité, obsédé par les l’angoisse des Juifs qui allaient mourir. Ou Anne-Marie Levine, pianiste concertiste de New York, née pendant la nuit de cristal. Ses parents se sont enfuis la veille de l’invasion allemande en Belgique où elle est née, installés à Beverly Hills, ne parlant jamais de ce qui se passait en Europe : le lecteur la voit jouer un morceau de piano, trois longues chimères serpentines tournoyant autour d’elle, expression de son inconscient en souffrance du fait du malaise généré par les non-dits. Le lecteur apprécie tout autant la narration visuelle en mode descriptif et concret. L’artiste réalise des dessins aux contours un peu simplifiés, tout en conservant un bon niveau de détails. Elle prête attention aux tenues vestimentaires, en respectant la mode de l’époque, ou la fonctionnalité. Elle s’attache à représenter les décorations intérieures avec attention : le salon très confortable dans lequel Annick visionne les cassettes vidéo, le bureau de travail de Geoffrey Hartman (1929-2016) à l’université de Yale, celui de Dori Laub (1937-2018, psychiatre et psychanalyste israélo-américain), une salle de concert où se produit la pianiste, l’appartement d’Edda Goering (fille de Hermann et Emmy Goering), un parloir en prison lors d’une visite à Hans Frank, un café, un restaurant, une salle de réunion à l’université allemande de Wuppertal où se rencontrent les enfants de rescapés et ceux de nazis à l’initiative de Dan Bar-On (1938-2008), etc. Elle représente avec la même solidité les environnements en extérieurs, allant des paysages traversés par la voie de chemin de fer, aux camps de concentration et d’extermination. Pour ces derniers, elle sait en retranscrire toute l’inhumanité et l’horreur, sans une once de voyeurisme. Le lecteur en ressort ému et affecté, ayant ressenti de l’empathie pour les souffrances évoquées par les survivants. Le lecteur peut ressentir de bout en bout la fidélité aux articles originaux. Il assite à la démarche journalistique, il comprend la motivation de la journaliste, il découvre avec elle les travaux mémoriels. Il prend connaissance avec elle des témoignages, passages essentiels de transmission, et aussi de contact direct avec la réalité de ce qu’ont vécu ces personnes, du comportement des soldats. Il sait qu’il est loin d’éprouver par lui-même ces horreurs inimaginables, et dans le même temps il s’en trouve bouleversé. Il retrouve ou il découvre les différentes initiatives mémorielles. Il assiste à la mise en œuvre des captations vidéo. Il écoute avec Annick l’explication du professeur Geoffrey Hartman pour les archives vidéo Fortunoff. En particulier, lorsqu’il dit que : Chaque survivant a un besoin impérieux de dire son histoire pour parvenir à en réunir les morceaux. Besoin de se délivrer des fantômes du passé, besoin de connaître sa vérité enterrée pour pouvoir reconnaître le cours normal de sa vie. C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix. Il ne fait que perpétuer la tyrannie des événements passés. Il favorise leur déformation et les laisse contaminer la vie quotidienne. Le mensonge est toxique et le silence étouffe… Parler guérit, oui, mais seulement si on est écouté. Le récit non écouté est un traumatisme aussi grave que l’épreuve initiale. Le lecteur prend la mesure de la double peine que ce fut pour certains rescapés, l’histoire de Grete Munn (1922-2014) en fin de tome en est un témoignage d’une force terrassante. Il peut faire le lien avec les conséquences du silence dans une autre de ses formes pour d’autres crimes abjectes, évoqué par Théa Rojzman dans Grand Silence (2021) avec Sandrine Revel. Une œuvre formidable sur les mémoires de la Shoah, autant sur les articles d’Annick Cojean, que sur les témoignages des survivants, de leurs enfants, des enfants des nazis, que sur plusieurs initiatives mémorielles dans les années 1990. Avec une narration visuelle riche et adaptée, les autrices font honneur à ces cinq articles, les font connaître à de nouvelles générations, illustrant le besoin de mémoire, et les modalités de sa mise en œuvre. Formidable.

27/08/2025 (modifier)
L'avatar du posteur Noirdésir

C’est le deuxième album que je lis dans cette sous-collection « prix Albert Londres » après Sur le front de Corée. Si les reportages sont ici très différents (on est loin du reporter de guerre ici), j’ai davantage apprécié cette enquête sur les « mémoires de la Shoah. L’album reprend en les illustrant (très bien au passage) plusieurs articles publiés par Annick Cojean dans Le Monde pour le cinquantenaire de la libération des camps d’extermination. Elle a pour cela interviewé des survivants, des enfants de survivants, des Nazis, et a ensuite rencontré des participants à un projet original faisant dialoguer enfants de victimes et enfants de bourreaux. Si ça n’est pas une étude approfondie d’historien, l’ensemble de ces témoignages sont intéressants, et le travail de mémoire mis à nu l’est tout autant, à l’heure où les témoins directs disparaissent, et où certains révisionnismes ont le vent en poupe. En tout cas, sur un sujet douloureux et déjà pas mal traité, cet album offre un point de vue original et souvent occulté (j’ai à plusieurs reprises discuté avec des survivants des camps de ce sujet de la transmission ou de l’oubli, c’est quelque chose d’important). Le dessin de Tamia Baudouin est assez statique, mais j’ai globalement bien aimé le rendu, et certains passages presque oniriques. Une lecture intéressante en tout cas.

13/07/2025 (modifier)
Par Ludmilla
Note: 5/5 Coups de coeur expiré

Cette BD m’a bouleversée ! Le thème n’est pas facile et a été souvent exploité mais jamais sous cette sensibilité et cette pudeur. Les textes sont poignants et les dessins splendides. Le message de fin nous pousse à être vigilant et à ne plus minimiser et ignorer les faits qui se déroulent en ce moment même partout dans le monde, même en Occident.

26/01/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 3/5
L'avatar du posteur Ro

Deuxième publication après Sur le front de Corée du projet éditorial de Dupuis dédié à l'adaptation en bande dessinée de reportages de grands journalistes ayant gagné le célèbre Prix Albert Londres, cet album adapte un reportage effectué par Annick Cojean au milieu des années 1990 sur le thème de la Shoah. A cette époque, la diffusion des témoignages de victimes de la Shoah était relativement peu répandue mais Annick Cojean ne s'était pas contentée d'interroger des victimes et enfants de victimes des camps de concentration, elle avait pris également l'initiative d'aller interroger en Allemagne les enfants des nazis et des gardiens des camps pour avoir leur vision des faits, pour réaliser que beaucoup de ces enfants étaient eux aussi traumatisés par ce terrible passé. Et non contente de s'arrêter là, elle ira également jusqu'à relater le résultat de rencontres organisées entre enfants de victimes et enfants de tortionnaires. L'album se compose plus ou moins de quatre parties, chacune mettant en scène la journaliste qui se rend vers ses différentes rencontres. La première partie relate des témoignages des victimes et enfants de victimes. Si ceux-ci n'apprendront pas grand chose à ceux qui ont déjà beaucoup lu sur la Shoah, ils toucheront de manière quasi certaine les parents comme moi face à la cruauté de certaines scènes. La seconde partie aborde son séjour en Allemagne et ses entretiens avec les enfants de nazis. La troisième porte sur la rencontre entre enfants de deux bords. Et la dernière sa présentation de certains organismes dédiés à la communication sur la Shoah et à l'éducation des jeunes générations. C'est Tamia Baudouin qui réalise le dessin de cette adaptation. Elle s'éloigne du trait légèrement naïf et esthétique de ses précédents albums pour adopter un style plus réaliste... et je crains que ça ne fonctionne pas. Je trouve certaines planches et certains détails vraiment laids, à tel point qu'il m'a fallu me forcer pour démarrer pour de bon ma lecture. D'autant plus que la mise en scène est régulièrement basique, avec parfois juste la journaliste qui parle à une personne, ou d'autre fois le dessin qui se contente d'accompagner le texte des témoignages sans vraie narration graphique. Pour ce qui est du contenu, nous sommes dans le domaine du devoir de mémoire. Comme indiqué plus haut, certains témoignages sont poignants, et il est intéressant d'avoir leur contre-point avec le témoignage des enfants de nazis, de découvrir que certains d'entre eux avaient l'audace de soutenir la mémoire des crimes de leur père tandis que d'autres étaient ravagés par eux et cherchaient la repentance pour quelque chose qu'eux-mêmes n'avaient pas commis. J'attendais ensuite beaucoup de la découverte des rencontres entre enfants de chaque camp mais celles-ci se sont révélées un peu plus plates que ce que j'espérais : forcément, ceux qui avaient accepté de se rencontrer étaient déjà ouverts au dialogue et à la réconciliation donc la conclusion de celui-ci ne pouvait être que logique. Quant à l'exposé des différents travaux d'experts et d'organismes de soutien aux victimes et d'éducation des jeunes, il est rendu assez ennuyeux par l'énoncé de textes un peu barbants et là encore sans guère de surprise pour qui a déjà beaucoup lu sur le sujet. En définitive, cet album remplit son rôle de devoir de mémoire et instruit sur le ressenti des enfants des représentants des deux camps de la Shoah, mais il le fait avec une narration peu palpitante et un graphisme assez rebutant à mon goût. Ce n'est donc pas forcément un album que je conseillerais en priorité sur le sujet. Note : 2,5/5

15/01/2025 (modifier)