L'Homme miroir

Note: 4/5
(4/5 pour 2 avis)

Une mère célibataire emménage dans une maison chargée de souvenirs qui vont redonner vie à son précédent propriétaire


École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg Les coups de coeur des internautes Les petits éditeurs indépendants

« Vente domaniale pour cause de succession vacante. Dépendance de maison de maître, début XIXe. Mise à prix : 15 000 euros. » Il n’en faut pas plus à Élise, quadragénaire citadine, workoholic, mère tout nouvellement célibataire, que cette annonce lapidaire pour sauter le pas. C’est décidé, elle quitte tout, la capitale et son emploi de cadre pour s’installer avec son fils, Antoine, à la campagne. Sur place, elle déchante : il faut débarrasser toutes les affaires de l’ancien propriétaire défunt qui se dresse comme un obstacle entre sa nouvelle vie et elle. Elle appelle en renfort ses parents, Philippe et Rachel, jeunes retraités. Chacun se met au travail et, à travers les objets dont ils vident les pièces, le portrait de l’ancien propriétaire se dessine. D’abord mal à l’aise avec cette intrusion dans l’intimité de l’inconnu, les membres de la famille se laissent peu à peu aller à la curiosité et au fantasme… Si on en croit sa correspondance amoureuse, c’était un coureur de jupons, selon Élise. Plutôt un peintre accompli pour Rachel, qui a manqué sa vocation artistique. Un voyageur libre, pour Philippe. Un aventurier, chasseur de fauve pour le petit Antoine… Vite, chacun projette un peu de lui-même dans cet homme et dans ce qu’ils s’imaginent avoir été sa vie. Mais qui est-il vraiment, si ce n’est le miroir de leur âme ? Cette vie qui n’est pas la leur, leur permettra-t-elle de surmonter leurs douleurs, et d’aller au devant de leurs désirs ?

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 07 Février 2024
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série L'Homme miroir © Sarbacane 2024
Les notes
Note: 4/5
(4/5 pour 2 avis)
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29/06/2024 | Blue boy
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
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On ne trouve jamais un Rembrandt dans les combles d’une vieille baraque. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa parution initiale date de 2024. Il a été réalisé par Simon Lamouret, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend deux-cent-trente-deux pages de bande dessinée. Il se termine par une demi-page de remerciements dans laquelle l’auteur précise qu’un livre ça peut prendre du temps et que trois années lui ont été nécessaires à l’élaboration de celui-ci. La couverture présente la particularité que la silhouette de l’homme assis est découpée dans le carton fort, laissant voir la page en-dessous. La Roseraie – Vente domaniale pour cause de succession vacante. Dépendance de la maison de maître début XIXe (la bâtisse principale ne fait pas partie de la vente). Composée de cinq pièces de plain-pied : 108m² plus 300m² de terrain. Cadastré BC 252 lot 153. La propriété est encombrée. Le débarras sera à la charge de l’acquéreur. Le bien est vendu en l’état et situé en plaine agricole et boisée à 10mn de Ste-Chabelle – Accessible par transports en commun, à proximité des autoroutes A48 et A49. Mise à prix : 25 000 euros. En fin de journée, Élise arrive en voiture à Sainte-Chabelle, une petite ville de province. Elle s’arrête devant la dépendance, rentre sa voiture dans la cour, referme le portail. Elle prend sa valise dans sa voiture et rentre dans la maison. Elle appuie sur l’interrupteur : pas de lumière, il n’y a plus d’électricité. Elle utilise la torche de son téléphone et constate le fouillis présent dans chaque pièce. Elle se rend aux toilettes et s’y installe tout en ramassant une carte postale par terre pour la lire, pendant qu’elle urine. Un homme écrit à son amour et il évoque le mauvais temps, ainsi que ses marches qui lui permettent de réfléchir à l’avenir de façon plus sereine. Élise l’imagine dans son bain dans cette même salle de bain et sa compagne qui finit sur les toilettes et remonte sa culotte. Élise tire la chasse d’eau, conserve la carte postale avec elle et continue de visiter les pièces de la maison. Devant le bazar généralisé, elle décide de s’installer sur le canapé. Son téléphone portable sonne : sa mère l’appelle. Élise lui indique qu’elle est arrivée à l’instant. Elle demande à sa mère quand Tom leur amène Antoine. Elle se demande qui achète une baraque sans la visiter. Elle prend le flacon d’armagnac sur la table basse devant elle et elle en boit une gorgée. Enfin, c’est trop tard pour regretter. Elle demande à parler à son père et elle lui fait un état des lieux : on ne voit pas grand-chose, mais ça a l’air à peu près en bon état, enfin pour une maison inhabitée depuis trente ans. Elle continue : les fenêtres n’ont pas l’air cassées, du moins dans les pièces qu’elle a explorées en arrivant. Elle n’a aucune idée s’il y a des vices cachés : elle n’est pas maçon, ni plombier. La maison a l’air de tenir debout, ça sent l’humidité et il y a pas mal de poussière, un peu comme avant chez mamie. De toute façon, ils verront tout ça demain. Elle raccroche, elle s’allonge sur le canapé sous une couverture, et elle éteint la lumière. Quel étrange album : une couverture avec une silhouette découpée, c’est-à-dire une forme ludique plutôt à destination des enfants. Une bande dessinée entièrement peinte, avec un degré de simplification dans les représentations tout en conservant un haut niveau de détails. Des cases sans bordure tracée, des formes sans trait de contour. Une introduction d’une dizaine de pages dépourvues de mots à l’exception de la carte postale. Une période de quelques jours peut-être quelques semaines où Élise s’installe dans une maison achetée sans la visiter au préalable, avec son fils Antoine, et l’aide de ses parents Rachel et Philippe. Les gestes du quotidien pour débarrasser les pièces de tout le bazar qu’elles contiennent, de tous les souvenirs accumulés et laissés en plan. Chaque personnage réagit à sa manière à ces circonstances qui l’amènent à manipuler les vestiges de la vie d’une autre personne, décédée depuis, ce qu’il reste d’une vie. Chacun à sa manière réagit en accordant une importance nulle ou significative à ce qu’il trouve, à ce qu’il manipule, ce que cela réveille ou suscite en lui de manière consciente ou inconsciente. En cela, cet absent joue bien le rôle de miroir, reflétant un trait de caractère ou un souvenir chez l’un et l’autre. L’auteur va un peu plus loin que ça, évoquant quelques bribes de la vie de l’ancien propriétaire, montrant le contexte dans lequel il a utilisé ces objets, ces outils… ou au contraire en laissant le mystère. L’auteur développe cette situation sortant de l’ordinaire, en la racontant de manière pragmatique : la suite de petites actions qui vont permettre de déblayer cette maison, le comportement banal de chacun des quatre personnages : la mère Élise, ses parents Rachel et Philippe, son fils Antoine. Tout comme eux, le lecteur est submergé par la quantité d’affaires présentes dans la maison : il ne semble pas y avoir un seul endroit épargné par l’accumulation de choses diverses, laissant présumer un comportement compulsif. Dans la page douze, il regarde la salle à manger, puis la cuisine en vue subjective, par le regard d’Élise : la table pas débarrassée, l’horloge comtoise, le papier peint aux motifs chargés, la vaisselle sens dessus dessous dans la cuisine. Puis les toilettes : des piles de journaux par terre et sur la cuvette. Puis la chambre : le lit ouvert mais pas défait, les vêtements en désordre. Une autre pile de journaux dans le couloir, des tableaux aux murs, une platine disque dans le salon, un piano, des fauteuils, un chapeau, des guéridons, des lampes, un pot à bonbons, un porte-bougie avec sa bougie, un paquet de cigarettes, un flacon d’armagnac, des revues, etc. Le lecteur finit par être aussi étourdi qu’Élise, par le nombre d’objets, par la perspective de devoir débarrasser tout ça. Alors que les dessins semblent un peu simplifiés, le lecteur constate la densité d’informations visuelles à chaque page. Le grand-père effectue la révision de son camping-car avant d’aller chercher son petit-fils et de se rendre chez fille : l’alignement de pavillons est représenté dans des couleurs gaies, il ne manque pas une brique au pourtour des fenêtres, une poubelle est sortie sur le trottoir, un couple est en train de finir de mettre ses affaires dans le coffre de leur voiture, le lecteur peut également voir le tracé des places de stationnement, un mât d’éclairage, les végétaux dans les jardins, un escalier pour accéder à un perron, les fils électriques et leurs poteaux, etc. Le trajet en camping-car se déroule sur sept pages et le lecteur peut voir le paysage défiler, chaque lieu différent et bien décrit. Le premier midi, la petite famille mange sur une table dans le jardin et tout est là : les couverts, les assiettes, les verres, la bouteille d’eau en plastique, la bouteille de vin en verre, les chaises de jardin, l’herbe qui n’a pas été tondue depuis longtemps, les arbres et leur feuillage, la maison de maître en arrière-plan et sa clôture, le muret du jardin. Il est possible que le lecteur n’y prête pas attention à ce moment-là, toutefois s’il y revient par la suite, il constate que la brèche est déjà bien présente dans cette page cinquante-cinq. L’artiste fait montre du même investissement pour chaque endroit : chaque pièce de la maison dont le garage, le marché, les champs avec les chasseurs, une chambre de bonne pour Hannah et François, la déchetterie, un paquebot, un désert de sable, un paquebot, etc. L’artiste adopte également une approche naturaliste pour les personnages : les gestes mesurés des grands-parents et leur visage creusé par les rides, les postures typiques des enfants pour Antoine et sa bouille ronde, les gestes plus assurés et plus confiants d’Élise. Chacun de ces personnages acquiert une vie propre sous les yeux du lecteur, une belle épaisseur et une forte plausibilité. Il sourit en voyant que la taille de police est un peu plus grande dans les phylactères du grand-père pour souligner qu’il parle un tout petit peu trop fort du fait de son audition défaillante. Il le voit absorbé dans son monde, complètement investi dans la remise en route de la Deux-Chevaux, complètement désemparé par l’absence de son épouse partie passer quelques jours seule au bord de la mer. Il ressent la douleur du faux mouvement d’Élise en déchargeant un frigo neuf. Il compatit à son mélange d’exaspération et d’inquiétude en voyant la réponse négative de la mairie après son entretien. Il éprouve une vive inquiétude en voyant Antoine manipuler un fusil totalement inconscient du danger d’une telle arme à feu. Il est en pleine empathie avec Rachel, la plus affectée par les souvenirs de la vie de cet inconnu. L’auteur sait montrer comment chacun des quatre principaux personnages réagit à différents objets, avec une incidence également de nature différente. Le récit tient pleinement la promesse du titre : les artefacts résiduels de la vie du défunt agissent comme un miroir renvoyant la mère, les grands-parents, l’enfant à une partie d’eux-mêmes. Il montre également ce qu’une partie de ces objets a réellement signifié pour leur propriétaire à une époque de sa vie. Le lecteur ressent que le même processus se produit en lui : les personnages s’apparentent également à un miroir de différentes facettes de sa vie. Une remise en question de sa vie professionnelle, un autre regard sur sa relation amoureuse avec son partenaire de vie, sa passion ou son occupation lors des moments qui lui appartiennent pleinement, ses regrets ou sa nostalgie d’un chemin de vie que le hasard des circonstances l’a amené à délaisser, son rapport à la mort et au temps qui passe. Derrière la banalité pragmatique de faire place nette dans une maison, se trouvent des questions existentielles pour lesquelles il n’existe pas une seule réponse, encore moins une bonne réponse. Un point de départ riche et fascinant : faire ressortir les points saillants de sa propre vie en découvrant des vestiges de l’intimité de celle d’un autre. La narration visuelle s’avère douce et d’une richesse extraordinaire, tant pour les détails, les lieux, l’expressivité de chaque personnage en fonction de son âge. Le récit se calque sur les actions ordinaires consistant à débarrasser une maison, avec quelques événements de la vie de tous les jours, en même temps cette vie intérieure qui réagit par automatisme à ces souvenirs d’un inconnu, renvoyant l’image de ses propres choix, de ses habitudes, de ce qui a été laissé de côté. Profond et sensible.

29/11/2024 (modifier)
Par Blue boy
Note: 3/5
L'avatar du posteur Blue boy

Avec « L’Homme miroir », Simon Lamouret, remarqué avec son album précédent paru en 2020, L'Alcazar, nous livre un récit atypique dans un format très personnel, qui décrit l’emménagement de cette jeune femme, Elise, dans une vieille demeure à l’abandon depuis trente ans. Une situation plutôt banale que l’auteur va tenter de transcender en redonnant vie à l’innombrable quantité d’objets et de biens laissé par l’occupant précédent : des meubles, des peintures, des lampes et mille autres bibelots qui donnent à l’endroit des airs de brocante. L’auteur a mis trois ans pour accoucher de ce projet qui lui tenait visiblement à cœur, projet dont on perçoit en effet une réelle ambition. Celle peut-être de montrer que tout objet, si insignifiant soit-il, n’est plus tout à fait un simple objet dès lors qu’il a été conservé sciemment par un individu, et que tous ces petits bouts de vie fournissent des indices parlants sur son propriétaire. A travers toutes ces reliques peuplant la maison, Elise, son fils Antoine et ses jeunes retraités de parents, vont ainsi peu à peu reconstituer le portrait de l’ancien occupant des lieux dont ils ne connaissent rien. Chasseur de fauves, coureur de jupons, peintre accompli ou voyageur libre, chacun édifiera sa propre vision du personnage… Le sujet de départ est digne d’intérêt, et dès les premières pages, on est intrigué par cette fausse histoire de fantômes qui révèle progressivement tout son charme, notamment par un dessin qui séduit par son côté « artisanal » et ses couleurs chatoyantes. Simon Lamouret fait preuve ici d’un sens du détail absolument insensé. Qu’il s’agisse des objets, du mobilier, de la déco, du papier peint, des vêtements, des habitations, des panneaux sur les routes, aucune hiérarchie ne ressort, on est dans l’égalitarisme absolu, et chaque élément aura l’importance qu’on voudra bien lui donner. Alors bien sûr, on est à mille lieues du minimalisme, mais cela produit quelque chose de très vivant, une approche qui rappelle beaucoup celle de David Sala, qu’on a pu observer dans son magnifique album, Le Poids des héros (Casterman, 2022). Ce souci du détail s’applique également à la narration, et c’est peut-être là que le bât blesse. L’histoire a tendance à s’éparpiller dans de nombreuses digressions, qui passent bien quand elles revêtent un caractère onirique mais génèrent une certaine confusion quand il s’agit de mettre en scène la vie fantasmée de l’ancien occupant des lieux, avec de trop nombreux personnages que l’on ne distingue pas forcément. De même, les dialogues auraient mérité d’être élagués. La trouvaille pertinente — et de fait, indispensable — de choisir une police différente pour chaque protagoniste ne contribue pas vraiment à saisir l’utilité de certaines conversations. Au final, on a un peu l’impression que Lamouret, à trop vouloir dire, a été quelque peu dépassé par son projet. En ce qui me concerne, j’ai réussi à terminer le livre (240 pages tout de même) seulement grâce à ce graphisme qui par certains aspects fleure bon la Madeleine de Proust. Malheureusement, et c’est très dommage (oui, tellement dommage !), j’avoue avoir été gagné par une certaine lassitude, en partie pour les raisons évoquées au paragraphe précédent, mais aussi à cause d’une narration manquant de relief, où un minimum de dramaturgie aurait été bienvenue. Et on ne sait pas trop au juste ce qu’il faut retenir de tout cela. Ce qui n’empêchera pas de croire au potentiel de l’auteur, qui mérite une légitime attention pour sa production future. Notons également la très belle édition des éditions Sarbacane, avec la silhouette découpée en couverture pour laisser apparaître la page de garde. De même, on pourra apprécier l’EP de 4 titres au charme suranné accompagnant l’album (via QR code), avec la très belle voix d’Effamm Labeyrie (Mes Souliers sont Rouges) interprétant des textes de Simon Lamouret.

29/06/2024 (modifier)