Dans l'antre de la pénitence (House of Penance)

Note: 4/5
(4/5 pour 2 avis)

Une maison, une femme et des fantômes.


1900 - 1913 : Du début du XXe siècle aux prémices de la première guerre mondiale Dark Horse Comics Folie L'horreur en bande dessinée [USA] - Côte Ouest

Qui, de la maîtresse ou de la maison, est véritablement possédée ? 1905, San José en Californie. Suite à la perte de son mari et de sa fille, Sarah Winchester se lance dans la construction compulsive de la « Winchester House » : une demeure aussi étrange que démesurée. Un chantier perpétuellement troublé par les lubies de sa commanditaire, qui réveille ses domestiques en pleine nuit, ou ordonne à ses ouvriers de construire des portes et des escaliers ne menant nulle part. On la prétend folle, hantée par les esprits de ses proches disparus. Mais le jour où un étranger fait son apparition sur le pas de sa porte, les démons de Sarah pourraient bien devenir réels... À la fois maison hantée et curiosité architecturale célèbre dans tous les États-Unis, la « Winchester House » forme le point de départ de ce graphic novel qui combine la fiction, l'histoire et l'horreur. Un récit macabre et envoûtant de Peter Tomasi magistralement habité par le trait précis au psychédélisme torturé de Ian Beltram, qui se pose en héritier direct du Moebius de Metal Hurlant.

Scénario
Dessin
Couleurs
Traduction
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 25 Octobre 2017
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Dans l'antre de la pénitence © Glénat 2017
Les notes
Note: 4/5
(4/5 pour 2 avis)
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10/02/2023 | Cacal69
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Par Présence
Note: 4/5
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Obsession - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016, écrits par Peter J. Tomasi, dessinés et encrés par Ian Bertram, et mis en couleurs par Dave Stewart. En 1905, dans le cimetière de Mount Hope, à New Haven dans le Connecticut, un individu costaud creuse pour récupérer deux cercueils. Une semaine plus tard, Murcier arrive à San José en Californie, pour réceptionner les deux cercueils qui sont en train d'être déchargés du train, pour les emmener dans sa carriole. Il se rend alors à la maison des Winchester, où résonnent les coups de marteaux, de manière incessante. Dans une pièce, Sarah Winchester est en train d'aligner des balles de fusil, tout en répétant inlassablement deux mots : cuivre et poudre. Deux ingrédients simples et bon marché pour éteindre des vies. Murcier pénètre dans la pièce et lui indique qu'ils sont arrivés. Elle répond qu'elle va s'occuper elle-même de les enterrer. Effectivement, elle s'en va creuser deux tombes pour y déposer les cercueils : celui d'Annie Winchester, et celui de William Winchester. Une pierre tombale avec leur nom est apposée. À proximité de la rivière San Joaquin, dans le nord de la Californie, Warren Peck s'est installé dans les branches d'un arbre et il tient dans ses mains un fusil à lunette. Il s'en sert pour abattre cinq indiens. Une fois les assassinats commis, il descend de l'arbre, monte sur son cheval et se rend auprès des cadavres. Il y fiche des flèches pour faire croire à une guerre entre tribus. Il est attaqué par un indien qui lui fiche un couteau dans l'épaule droite. Une bagarre s'en suit au cours de laquelle l'indien perd son œil gauche, tout en regardant fixement l'homme blanc. Celui-ci décide de le laisser vivre alors qu'il le tient à bout portant avec son revolver. Il s'éloigne, enfourche son cheval, et s'en va. Dans la demeure des Winchester, les coups de marteaux continuent de résonner en continu, alors que dans sa chambre Sarah s'adresse à son époux et ses enfants défunts. le lendemain matin, il pleut à verse et madame Winchester reçoit les hommes qui arrivent pour être ouvrier, dans la serre. Ils se présentent. Elle leur demande leur nom, la raison de leur venue. Elle leur expose ses trois exigences. Ils ne doivent faire preuve d'aucune violence, ne pas mentir et être ponctuels. Ils doivent également déposer leurs armes, leurs munitions et leur holster et les remettre à Murcier. Puis, comme chaque jour, elle passe en revue les plans de la demeure, et indique à Murcier à quel endroit elle souhaite une nouvelle extension, les pièces qui sont à reprendre, les escaliers à ajouter, ceux à démonter. Lors de la passation de consigne, deux ouvriers s'interrompent : un blanc a commencé à lancer des injures raciales à un afro-américain, un grand costaud. Il semble que la bagarre est imminente. Sarah Winchester s'interpose entre les deux. Si, c'est vrai : Sarah Winchester (1839-1922) a réellement existé et elle a consacré sa fortune à bâtir cette maison aux plans déroutants, pas toujours cohérents. Elle a consacré 70 millions de dollars à cette entreprise pendant les 38 ans qu'elle y a consacré. Les ouvriers devaient travailler en continu, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an. Il y a eu plusieurs hypothèses d'émises sur cette obsession, l'une d'elle supputant qu'il s'agissait d'offrir un abri à l'âme de tous les défunts ayant péri abattus par une Winchester. La mystérieuse maison Winchester est devenue une attraction touristique et cette histoire a fait l'objet de films et de bandes dessinées. En particulier, Alan Moore en avait donné sa version horrifique dans l'épisode 45 de la série Swamp Thing, paru en 1985. Il est donc probable que le lecteur ait déjà entendu parler de cette demeure avant de se lancer dans cet ouvrage. Il vaut effectivement mieux en avoir une vague notion car Peter J. Tomasi utilise l'ellipse à deux ou trois reprises : il ne rappelle pas les faits dans le détail, et il développe son récit sur quelques jours, sans développer le passé qui a conduit à cette situation, sans évoquer ce qu'il est advenu après 1906. le récit se focalise sur trois principaux personnages : Sarah Winchester, Warren Peck et Murcier. Une ambiance morbide pèse du début à la fin, et il apparaît progressivement que la source de la richesse des Winchester pèse également sur Sarah : l'afflux d'argent provenant de la vente d'instruments de mort, ayant causé le décès d'individus par dizaine, par centaine, par millier. Pour donner à voir son récit, le scénariste bénéficie d'un artistique à la vision assez personnelle, sachant faire apparaître la bizarrerie de certains comportements, sachant faire se manifester la folie, ou en tout cas l'obsession qui habite Sarah Winchester, et celle différente qui hante Peck. L'apparence des dessins est un peu particulière. Bertram détoure tous les éléments d'un trait fin et sec, rarement cassant. Il ne s'en dégage donc pas une impression de fragilité, mais plutôt de formes pas toujours bien finies, qui auraient parfois mérité d'être peaufinées. Cela lui permet également de jouer avec quelques exagérations, comme la taille des yeux de Sarah, la forme du visage de plusieurs personnages, la stature de Murcier, des expressions de visage un peu appuyées pour montrer la force d'une émotion, pour conférer la sensation d'une obsession. Il utilise également de très courts traits secs dans les formes détourées pour faire apparaître comme des marques laissées par la fatigue, l'usure, ou un état émotionnel enfiévré. Cette caractéristique fait parfois penser aux dessins de Frank Quitely, ou à ceux de Moebius mais avec un rendu moins aéré et moins élégant qu'eux, sensation renforcée par les bordures de case au tracé irrégulier effectué à la main, sans règle. Une fois qu'il s'est habitué aux caractéristiques des dessins, le lecteur se trouve plus en mesure d'en relever les qualités. Pour commencer, l'artiste s'attache à planter les décors avec soin, et à les représenter très régulièrement. Il soigne les différents aspects de la maison, profitant du fait qu'il n'a pas à maintenir une cohérence parfaite d'un plan à l'autre, d'un jour à l'autre puisqu'elle est sujette à évolution en fonction de ce qui passe par la tête de sa propriétaire donnant l'impression d'être fantasque. le lecteur en a une vision globale dès la deuxième planche, puis il peut voir la pièce où seule Sarah Winchester a le droit d'entrer, un salon avec les ouvriers, les tapis et un escalier qui aboutit dans un plafond, le jardin d'été et sa verrière, la chambre à coucher de la propriétaire, les toits, la buanderie avec sa chaudière, le jardin, la pièce où sont entreposées les armes, etc. La mystérieuse maison Winchester devient véritablement un personnage à part entière. Au fur et à mesure de la progression du récit, des trainées de sang apparaissent, et des lianes entre vrilles et tentacules s'immiscent parfois dans une pièce, sur le membre d'un personnage. Parfois, c'est juste un petit bout qui dépasse, d'autrefois c'est un entrelacs qui peut être présent dans une pièce, ou qui peut avoir des ramifications dans toute la demeure. Il est manifeste que scénariste, dessinateur et coloriste ont travaillé ensemble pour définir la forme de ces vrilles, la façon dont elles se développent dans l'espace. La complémentarité entre traits encrés et couleurs les fait ressortir comme un élément surnaturel, sans que le scénariste n'ait besoin de le dire de manière explicite. Il faut également un peu de temps pour s'habituer à la construction du récit, à la manière dont le scénariste raconte son histoire. Il entremêle les consignes de Sarah Winchester avec ses occupations quotidiennes, les ordres qu'elle donne à Murcier, les tâches des ouvriers, les interventions de Warren Peck et ses tâches quotidiennes, la visite de la sœur de Sarah, etc. Il y a donc ces vrilles rouges qui font leur apparition, sans que leur nature ne soit explicitée. Il y a cette obsession avec les morts, celle avec le fait d'avoir tué des êtres humains, et bien sûr l'obsession d'entendre des marteaux résonner à toute heure du jour et de la nuit. le scénariste ne donne pas de clé de compréhension claire et explicite. Charge au lecteur de rattacher les propos de Sarah ou de Warren à la présence de ces vrilles. Libre à lui d'y projeter une signification ou une autre, d'y voir la manifestation des obsessions, ou effectivement la présence surnaturelle de l'esprit des morts. le récit se termine avec une scène de destruction massive, compatible avec la réalité des événements historiques, et une explication donnée par Sarah Winchester. Il n'est pas possible d'y ajouter foi d'une manière littérale, ce qui renvoie tout le récit dans le domaine du conte. En revanche, la métaphore sur la culpabilité fonctionne du début jusqu'à la fin : ce poids insupportable de l'argent généré par la fabrication et la vente d'arme, et donc la mort de tous ceux atteints par les balles issues de ces armes. le simple fait d'y penser sous cet angle donne le vertige. À l'évidence, ce récit sort de l'ordinaire. Tout d'abord pour son sujet : quelques jours de la vie de Sarah Winchester, dépositaire de la moitié de la fortune de la famille, acquise par la vente d'armes de l'entreprise Winchester Repeating Arms Company. Ensuite, il y a la narration visuelle à la fois claire et personnelle, installant une ambiance pesante et inquiétante par les dessins et les couleurs. En fonction de sa sensibilité, le lecteur s'avère plus ou moins réceptif à la personnalité narrative de Peter J. Tomasi, parfois très inspiré pour l'interprétation de Sarah Winchester, parfois de manière un peu heurtée ou elliptique, ce qui peut s'avérer frustrant.

21/04/2024 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
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Un deuxième uppercut au foie en moins d'une semaine après Aliss, ici ni sexe, ni drogue, mais du fantastique horrifique avec un zeste de western. Un récit basé sur des faits réels, Sarah Winchester perd sa fille unique, Annie, puis hérite à la mort de son mari, William, de cinquante pour cent des parts de la Winchester Repeating Arms Company. Elle tombe dans la dépression et se sent traquée par les personnes tuées par les carabines Winchester. Elle fera construire une maison, pendant 38 années consécutives et 24 heures sur 24, en Californie, pour elle et les fantômes. Une maison qui ne cessera de s'agrandir avec des escaliers et des couloirs qui ne mènent nulle part, des portes qui s'ouvrent sur le vide. La maison existe toujours et peut se visiter, elle se situe à San José, elle est considérée comme hantée. Voici le terreau sur lequel ce récit prend forme et qui mélange subtilement réalité, fiction et fantastique, et quoi de mieux que ces quelques mots de Sarah pour commencer : "Ce qui n'a aucun sens, c'est que tu t'obstines à prendre le parti d'une firme qui fabrique en masse des fantômes qui viennent me hanter et m'empêchent de conduire William et Annie jusqu'à leur repos éternel. Et cela je le prends très personnellement." L'action se situe en 1905, Sarah fait travailler ses ouvriers en 3x8, elle a un besoin irrationnel d'entendre le bruit des marteaux à chaque instant. Tous les ouvriers sont d'anciens criminels, ils sont là pour faire pénitence. Fusils et revolvers sont interdits sur la propriété. Un jour, arrive Warren Peck, un cowboy tout aussi abîmé, et celui-ci va prendre une place importante dans la vie de Sarah, ils vont tenter de se sauver mutuellement. Une histoire triste et émouvante avec la culpabilité et les armes à feu en caisse de résonance. La narration fluide et maîtrisée de Tomasi fait monter crescendo la tension et visite merveilleusement bien la psyché tourmentée de Sarah. Des personnages complexes qui, malgré leurs défauts, restent attachants. Un sacré tour de force. Je découvre Ian Bertram et là c'est le choc, la partie graphique est monumentale dans un style semi-réaliste qui rappelle un peu Moebius, François Bourgeon et Charles Burns, mais avec une patte bien personnelle. Un trait fin, précis, détaillé, dynamique et sale par moment qui donne une texture au dessin, j'en suis tombé amoureux. J'ai adoré la façon dont il représente la folie dès qu'elle apparaît avec ces espèces de tentacules qui sortent de partout. Mais ce qui m'a le plus marqué, c'est le regard des personnages, ils sont si expressifs qu'on en devine leurs émotions. Quelle maestria dans la mise en page, elle est tantôt intimiste, tantôt extravagante avec toujours des cadrages qui font mouches. J'en reste scotché sur ma chaise. Un petit mot sur la colorisation de Dave Stewart, elle est superbe et apporte une intensité émotionnelle supplémentaire au récit. Un trio d'auteurs qui réalisent un petit bijou dans un genre que j'affectionne. J'ai longtemps hésité avec un 5 étoiles, peut-être lors d'une prochaine lecture.

10/02/2023 (modifier)