J'ai tué le soleil

Note: 3.75/5
(3.75/5 pour 4 avis)

Winshluss s'approprie avec brio les codes du récit survivaliste pour mieux le dynamiter, et joue d'une mémoire recomposée dans une narration virtuose. La violence est là, l'humour jamais très loin, le plaisir de lecture omniprésent. Avec J'ai tué le soleil, Winshluss confirme, s'il en était besoin, sa place d'auteur essentiel dans la bande dessinée contemporaine.


Amnésie Après l'apocalypse...

Avec pour unique bagage un sac à dos et un fusil à la main, un homme marche en quête de nourriture. Il tente de survivre jour après jour dans une nature belle mais sauvage. Et il s'en sort plutôt bien, quand il n'est pas surpris par un ours ou par une meute de chiens errants. Calme, il paraît pourtant seul au monde. Qui est-il? Pourquoi son regard vrille-t-il d'un coup lorsqu'il découvre une empreinte de chaussure dans la neige?

Scénario
Dessin
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 26 Mai 2021
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série J'ai tué le soleil © Gallimard 2021
Les notes
Note: 3.75/5
(3.75/5 pour 4 avis)
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14/06/2021 | Jetjet
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L'avatar du posteur Noirdésir

Aaahhh Winshluss. Voilà un auteur de qui j’attends toujours beaucoup, et qui ne m’a jamais complètement déçu. Qui sait toujours, même sur des schémas déjà-vus, renouveler l’approche, et faire preuve d’originalité. C’est encore le cas ici avec ce récit post-apocalypse assez noir, qui vaut essentiellement pour sa construction déstructurant la ligne du temps. Comme pour le génial Smart monkey, on a un début muet énigmatique, violent et désespéré, puis les différentes pièces du puzzle se mettent en place dans les parties suivantes, en même temps que la parole – et une partie de la mémoire – du « héros » reviennent. Winshluss rebondit aussi sur l’actualité (le covid, qui a dû le marquer durant la rédaction de cet album) et nous en donne une vision partielle mais assez noire. La fin est relativement ouverte – en tout cas peut laisser perplexe, comme si lecteur et personnage principal se réveillaient au sortir d’un cauchemar. En tout cas la lecture, relativement rapide, est fluide et agréable. Le dessin, même s’il n’atteint pas les sommets de son « Pinocchio », est plutôt chouette, moderne et torturé. Deux petites remarques pour finir. D’abord que je n’ai pas été emballé par la couverture. Elle ne cache rien de la violence intérieure du personnage principale, mais je ne l’ai pas trouvé « jolie ». Ensuite la surprise de voir Gallimard publier cet album dans sa collection jeunesse, alors que c’est clairement un lectorat adulte qui est visé, et que les « jeunes » peuvent s’y trouver gênés par une certaine violence nihiliste, et par une construction un peu surprenante.

15/12/2022 (modifier)
Par Gaston
Note: 3/5
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Pas le meilleur Winshluss. La première partie montrant un homme survivre dans un monde post-apocalyptique se laisse lire sans problème, notamment parce que le dessin est très bon. C'est juste pas captivant à lire parce qu'il y a rien de nouveau si on a déjà lu des récits du même genre. Cela devient meilleur dans la seconde partie lorsqu'on apprends le passé du héros et là Winshluss s'éclate. Le récit devient beaucoup plus intéressant car le héros est très différent de ce que je me l'étais imaginé. Voir la progression de sa psychologie est très passionnant et l'humour noir marche bien. Bref, j'allais mettre 4 étoiles, mais tout est gâché par la fin que je trouve trop ouverte et aussi trop abrupte. J'ai eu l'impression que cela se terminait lorsque cela devenait très intéressant, je voulais vraiment savoir ce qui allait se produire après que le héros ait retrouvé la mémoire ! Cela reste tout de même un album à lire si on est fan de l'auteur. Peut-être que je vais mieux accrocher durant une relecture, mais pour l'instant je ne mets que 3 étoiles.

30/12/2021 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Blue boy

Diantre ! Mais que s’est-il donc passé dans le monde ? Que fait ce type qui a l’air d’un chasseur égaré dans la nature, obligé de tuer des chevaux sauvages pour se nourrir ? Pourquoi cette luxueuse villa d’architecte, dans laquelle il pénètre sans aucune difficulté, est-elle livrée aux rats et aux cafards ? Et pourquoi ce cadavre figé devant la télé du salon ne le choque-t-il pas le moindre du monde ? Winshluss nous livre un récit survivaliste sombre, entre folie, pandémie et terrorisme. Très progressivement, l’auteur va distiller ses indices dévoilant les causes de cette situation post-apocalyptique, à coups de flashbacks et avec très peu de texte. Karl, le « héros » de ce récit sous amphètes, se retrouve aussi seul que Rick Grimes dans un monde envahi de charognes humaines pourrissantes, à la différence près que celles-ci sont bel et bien mortes. Cela n’en reste pas moins terrifiant car ici, ce sont des meutes de chiens affamés qui veulent lui faire la peau ! Après s’en être débarrassé en allumant un barbecue géant façon puzzle, Karl tombera sur des salopards en train de torturer un type et sauvera ce dernier après les avoir tous dézingués. A bout de souffle après cette succession de péripéties ultra-violentes, il sera secouru et soigné par un groupe de survivants bienveillants en mode secte new-age. Jusque là, rien d’extraordinaire, le récit, plutôt bien mené, est de facture très classique, mais s’il s’était arrêté là, on aurait été bien déçu de la part d’un auteur tel que Winshluss. Cela serait trop vite oublier que notre homme n’a pas conçu cette histoire juste pour faire genre mais plutôt pour nous bousculer et nous interroger, sans pour autant nous faciliter la tâche. C’est du pur Winshluss, du féroce qui fait des trous dans le crâne. L’œuvre est traversée d’une folie trash et jusqu’au-boutiste, non dénuée de l’humour noir propre à l’auteur, qui nous laisse exsangue. Les réponses, il faudra les chercher soi-même. On pourra très bien se dire que c’est du n’importe quoi et que notre franc-tireur « ferrailleur » ne s’est pas foulé avec cette fin qui semble partir en couille. C’est possible. Et pourtant, l’ouvrage fait si forte impression qu’il pourrait bien s’accrocher dans les méandres de notre cerveau, voire nous obliger à le relire (c’est mon cas) pour être sûr d’avoir bien compris où l’auteur voulait en venir. Reprenons. Ce mec, Karl, est sauvé par un groupe de survivants se surnommant « les Graines », représentants de la « nouvelle humanité ». Et c’est à ce moment que le récit bascule vers tout autre chose, lorsqu’il va tenter de fouiller dans sa mémoire d’amnésique, pour faire ressurgir les origines de l’apocalypse et les bribes de sa vie d’avant. Karl, à ce moment-là, n’était pas encore le héros qu’il rêvait d’être. Un vrai loser, le type, boulot merdique, collègues et chef merdiques qu’il envisage de buter en inscrivant leur nom sur des post-its. Karl se voudrait rebelle, mais plus que le système, c’est les gens qu’il déteste. De là, naitra la spirale de la violence pour ce mec un brin parano qui n’a pas été gâté par la vie, père absent et mère dominatrice qu’il voudrait voir crever. Sa seule raison d’être : la rumination d’une vengeance radicale et aveugle pour tuer ses démons. Bien sûr, on ne révélera pas la fin car on ne veut pas spoiler, mais on s’en tape un peu puisqu’en elle-même la trame de l’histoire est plus que secondaire. Ce gros mytho de Karl va évidemment foirer son projet terroriste censé le « faire entrer dans l’Histoire » comme l’homme qui a… éliminé l’humanité ! Notre dingo absolu, profil parfait du fameux « loup solitaire », n’est donc pas un héros comme on aurait pu le croire au début, mais juste un débile survivaliste qui s’armera jusqu’aux dents tout en musclant sa pauvre carcasse, pour au final ne commettre qu’une action à la fois inutile et fortement symbolique, gouvernée par la folie pure : tirer sur le soleil, et à deux reprises ! Comme si dans son délire mégalo, il avait voulu provoquer l’astre divin ! Son imagination démente fera le reste, laissant le lecteur totalement dubitatif sur le cours des événements et leur réalité (d’où une relecture peut-être nécessaire), Mais Karl n’est-il pas juste victime d’hallucinations amphétaminiques, ou serait-il parvenu à faire exploser la « matrice » pour de bon ?… et c’est là que Winshluss frappe vraiment fort, en plongeant le lecteur dans la confusion, incapable par ailleurs de décider s’il peut avoir de l’empathie pour ce personnage profondément traumatisé dans son enfance par le suicide violent du père. L’auteur du grandiose « Pinocchio » va également ajouter au malaise en situant la « vie d’avant » de Karl dans le contexte de pandémie que nous connaissons depuis plus d’un an, « notre vie d’après », avec évocation des masques, des rues désertes et des drones de surveillance, mais une pandémie bien pire, tel un Covid puissance dix qui fait pourrir les gens sur place… Winshluss dessine à la hache, avec une urgence frénétique, pour mieux restituer la violence du propos. La folie hystérique se tapit à chaque coin de page, mais l’auteur a saucissonné l’histoire avec quelques aquarelles, de rares moments de respiration bienvenus où par contraste, ce monde post-apo semble presque apaisé. Au-delà de ces parenthèses colorées, l’ensemble est en noir et blanc, seul le soleil est représenté dans un jaune pâle et usé, peinant à diffuser sa lumière, conversant avec le regard fou d’un Karl noyé dans mille post-its de même couleur mentionnant le nom des personnes à trucider… « J’ai tué le soleil » n’est rien de moins qu’une expérience se poursuivant durablement même après la lecture. Un objet que l’on a envie de détester au départ et qui pourtant s’insinue en notre âme à la façon d’un virus. Un objet troublant et perturbant qui nous hantera longtemps, à l’image du visage diabolique de Karl à la fin du récit, un terrifiant visage de psychopathe, définitivement antisocial, habité par une démence bord de la fission. Un one-shot parfaitement taillé pour son époque et confirmant l’importance de son auteur dans le neuvième art.

24/07/2021 (modifier)
Par Jetjet
Note: 4/5
L'avatar du posteur Jetjet

Avec quelques titres et diverses collaborations pour le cinéma, Vincent Paronnaud s'est rapidement fait un nom. Plus connu sous le pseudonyme de Winshluss, chacune de ses oeuvres développe et revisite une idée pour en proposer une version somme toute personnelle et atypique. La cuvée 2021 sera celle du récit post apocalyptique basé sur une illustration de 2015 "The Man Who Killed The Sun". Y repérant une possibilité pour développer toute une histoire autour, Winshluss en profite pour écrire une histoire rappelant The Road de Cormac McCarthy avant d'en faire une échappée et une sortie de route. Oui "J'ai tué le Soleil" est du Winshluss pur jus en grande forme. Karl est un survivant dans un monde apocalyptique, il est peut-être même le dernier être humain vivant sur terre dans un monde hostile où la nature a repris ses droits dans la civilisation, dans un quotidien où les chiens deviennent agressifs pour se nourrir. Karl ne se souvient que de son propre prénom, il ne comprend pas d'où il vient ni qui il est. Il a juste la volonté de s'en sortir sous cet astre lumineux qui ne réchauffe plus les cœurs et qu'il aimerait éliminer définitivement : le soleil. La première partie est essentiellement sans paroles sauf les états d'âme de Karl. Le dessin de Winshluss est partiellement épuré, le trait gras et la maitrise totale dans un noir et blanc que rehaussent certaines illustrations pleine page en couleur. C'est le quotidien d'un amnésique dans un monde hostile classique comme on l'a déjà moult et moult fois déjà lu ou vu. Puis boum patatras entre la seconde partie où Karl se remémore sa vie d'avant dans un trait gris composé d'ellipses et de flash-backs révélateurs. Le dessin est plus travaillé, l'humour noir propre à l'auteur bien plus reconnaissable et l'histoire est bien plus originale. Sans en déflorer davantage, Winsluss colle à l'actualité post confinement, dresse un portrait de Karl sans concessions et manipule le lecteur comme jamais. Il ne s'agit pas du meilleur bouquin de cet auteur mais il a le mérite d'être suffisamment captivant malgré une certaine austérité narrative comme graphique pour scotcher de nouveau son lecteur et ne le lâcher qu'à la dernière page assez ouverte (en apparences). Winshluss en profite même pour laisser quelques jolies idées et mise en scène pour imprimer la rétine du lecteur. L'Apocalypse selon Saint Vincent a du bon et nous gratifie d'un nouvel ouvrage surprenant pour qui passera outre l'austérité du récit et une couverture fort bien moche et loupée. On a presque frôlé le chef d'oeuvre.

14/06/2021 (modifier)