LIP (des héros ordinaires)

Note: 3.6/5
(3.6/5 pour 5 avis)

D'avril 1973 à mars 1974, à Besançon, les salariés de LIP vont s'opposer aux licenciements et au démantèlement de leur entreprise. Ordinaires et anonymes, ils vont développer des trésors d'imagination et de courage pour résister au rouleau compresseur du capitalisme financier naissant.


1961 - 1989 : Jusqu'à la fin de la Guerre Froide Documentaires Grand Est Luttes des classes & conflits sociaux

Besançon, avril 1973. A l'usine LIP, où sont fabriquées chaque année 500.000 montres réputées pour leur qualité, des rumeurs évoquent un risque de dépôt de bilan et des licenciements. Chez les salariés, l'inquiétude se fait chaque jour plus pesante. Décidés à ne pas se laisser faire, et plutôt que de se mettre en grève, ils choisissent de ralentir les cadences de production pour dégager du temps et organiser la mobilisation générale. Solange, une jeune ouvrière d'abord réticente à s'engager, se laisse convaincre de la nécessité de défendre son outil de travail. Actrice du mouvement, elle en devient également un témoin privilégié en le photographiant à la demande d'un journaliste.

Scénario
Dessin
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 21 Mars 2014
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série LIP (des héros ordinaires) © Dargaud 2014
Les notes
Note: 3.6/5
(3.6/5 pour 5 avis)
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05/04/2014 | Mac Arthur
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Par Ro
Note: 3/5
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Je connaissais le nom de LIP et d'un mouvement social le concernant, mais je n'en connaissais pas du tout l'histoire et à vrai dire je croyais même que c'était un événement bien plus récent. Cela se passe donc en 1973, sous Pompidou, et c'est un exemple de confrontation intransigeante des ouvriers d'une usine de Besançon face à ses actionnaires qui font tout pour la couler, la liquider et récupérer uniquement les intérêts financiers et la marque commerciale. Sujet à la fois social et très politique à cette époque tout juste sortie de Mai 68, elle résonne avec l'actualité et en même temps on peut se dire que les employés de nos jours sont bien moins optimistes et plus résignés face au monde capitaliste de nos jours qu'à l'époque où l'on espérait encore la possibilité d'une autogestion et de révolutionner la société. C'est une lecture bien faite, évitant tout côté documentaire et didactique laborieux. On est vraiment plongés au sein de cette population ouvrière grâce à une héroïne qu'on va suivre de près, à la fois dans ce conflit social mais aussi dans ses impacts sur sa vie intime. C'est instructif et cela évite un jugement trop manichéen. Tout au long de l'album, on se demande bien comment le mouvement initié par ces ouvriers par pouvoir aboutir à quelque chose de concret et de bénéfique pour eux. Et finalement, c'est avec le sourire qu'on constate qu'ils ont réussi à atteindre quasiment leurs objectifs... sourire un peu amer quand on lit l'épilogue en texte qui explique ce qu'il s'est passé dans les trois années qui ont suivi la fin du récit.

28/02/2020 (modifier)
L'avatar du posteur Noirdésir

En mêlant des acteurs fictifs aux protagonistes réels de cette triste et symbolique histoire, les auteurs ont réussi à bâtir un album intéressant, dont la lecture est fluide (le dessin efficace de Damien Vidal y étant aussi pour quelque chose). Ce qui est arrivé aux « LIP », leur combat en effet symbolique d’un changement de société. Si le mouvement par plusieurs aspects peut être rattaché à celui de Mai 1968, il est plutôt annonciateur de la mainmise du capitalisme boursier (ou ultra libéralisme) qui va peu à peu vampiriser nos sociétés (l’avènement des Reagan et autres Thatcher n’en sera qu’un signe visible un peu plus tard). En effet, la lutte de ces ouvriers pour garder leur travail, pour conserver leur outil de travail -avec une activité tout ce qu’il y a de plus viable économiquement- est devenue symbolique. Et donc c’est justement la force de leur lutte, le côté symbolique de celle-ci qui les a condamnés. En effet, ils devaient perdre pour ne pas donner le mauvais exemple. La postface rappelle à juste titre que cela s’est reproduit continuellement depuis (Florange ou d’autres sites moins médiatisés), les actionnaires sacrifiant des usines viables, qui ne rapportent pas les 15% annuels, ou alors des industriels achetant des sociétés pour les piller, licenciant ensuite les ouvriers devenus inutiles. Bernard Tapie s’en était fait le spécialiste, mais Bernard Arnaud, aujourd’hui l’un des hommes les plus riches de France, en a fait de même avec les usines textiles du Nord de la France. A chaque fois avec la complicité de dirigeants (quand bien même ceux-ci annonçaient-ils que « la finance est leur ennemi » !). Il n’y a qu’à voir ce que fait l’avocat d’affaires aujourd’hui au pouvoir en France… Un sujet sensible donc, traité sensiblement, sans pathos, avec une bonne mise en perspective finale : c’est un album à lire et qui doit nourrir les discussions. Comme le conclut le postfacier – ancien dirigeant de LIP, tout le monde doit lutter pour que ce libéralisme prédateur ne nous mène pas à l’enfer. Cet album montre aussi que les médias – relayant là la doxa des dominants, présente systématiquement ce genre de révolte sous le prisme de la violence (voir les Gilets jaunes actuellement), alors que la casse sociale – à la violence bien plus grande et durable – n’est jamais éclairée par les médias – le Monde diplomatique et quelques rares autres exceptés.

30/03/2019 (modifier)
Par Erik
Note: 3/5
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Je n'avais jamais entendu parler de ce conflit social bien avant Florange d'où une certaine utilité pour rafraîchir la mémoire collective. On se rend compte que la classe ouvrière a beaucoup souffert de la transformation du tissu économique de notre pays. Nous sommes passés par une désindustrialisation au profit des services du tertiaire. Cependant, comme le dit Jean-Luc Mélanchon dans sa préface, la logique reste la même et cette disparition de classe ouvrière ne serait qu'une illusion dans un monde où le marché des actionnaires domine la planète. La lutte des classes continue selon certains. J'ai toujours eu le plus grand respect pour des gens qui se battent pour conserver leur droit à l'emploi et avoir ainsi une vie décente. Il est clair que dans le cas présent, le démantèlement de l'entreprise ne s'imposait pas comme le soulignera d'ailleurs Claude Neuschwander (PDG de LIP) dans la postface. Le point de vue sera celui d'une femme ordinaire qui va s'émanciper. Cette bd semble clairement destinée à un public de gens votant à gauche car les valeurs représentées ne sont pas celles de la droite. Le gouvernement de Pompidou sera d'ailleurs fortement critiqué. Bref, c'est clairement orienté avec un seul son de cloche. C'est un choix des auteurs certes respectable. Une chose est certaine. Je ne verrai plus jamais les montres LIP de la même façon. Bon, personnellement, je m'accroche à Festina depuis des années. C'est une affaire de goût.

29/03/2015 (modifier)
Par Blue Boy
Note: 4/5
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A partir de documents et de témoignages, Laurent Galandon a su tirer de ce mouvement social emblématique des années 70 une fiction bien construite, par le biais d’une jeune femme ouvrière, Solange. Car ce sont en fait deux histoires, l’une publique et l’autre plus intime, qui s’entremêlent dans cet album, en suivant la même trajectoire. D’un côté, celle des salariés qui vont prendre conscience de leur pouvoir au fur et à mesure de leur combat, parvenant à s’émanciper d’une tutelle patronale devenue superflue. De l’autre, celle de la timide Solange, qui va progressivement s’affranchir de son mari rétrograde en faisant l’apprentissage de la lutte et de la solidarité aux côtés de ses collègues militants. Dans les deux cas, ces « héros ordinaires » susciteront l’incompréhension et la désapprobation de la partie « adverse », qu’il s’agisse du pouvoir politique et patronal ou du mari habitué à une épouse docile. Quant au dessin de Damien Vidal, très plaisant, tout en sobriété et sans ostentation, il révèle chez son auteur une certaine sensibilité doublée d’un sens du détail (fringues, enseignes, affiches, pochettes de disques…) pour évoquer l’ambiance seventies. L’humilité du noir et blanc convient parfaitement à cette histoire profondément humaine et confère une touche « roman graphique » bienvenue. En conclusion, un ouvrage hautement recommandable qui, s’il titille notre fibre nostalgique (avec un double effet chez moi, l’expat’ Bisontin), reste d’une actualité vivace en regard des plans massifs de licenciement qui viennent périodiquement nous rappeler que le capitalisme financier, visant à remplir les poches des actionnaires tout en vidant celles des salariés, demeure un système inique, brutal et mortifère. Lip reste le mouvement le plus symbolique en matière d’autogestion, même si l’expérience s’est soldée par une liquidation deux ans après et le rachat de la marque en 1984. Néanmoins, cet ouvrage montre bien comment l’initiative a été perçue comme étant extrêmement subversive par le patronat et l’Etat (y compris la gauche mitterrandienne qui eût tôt fait d’enterrer toute réflexion sur le sujet et la possibilité de développer un tel modèle). Préfacée par Jean-Luc Mélenchon, qui vivait à Besançon en 1973, cette BD se termine par une postface étonnante de Claude Neuschwander, le PDG issu de la frange progressiste du patronat et qui tenta de sauver Lip, postface dans laquelle il encourage chacun, en s’inspirant de cette lecture, à devenir militant, rien de moins, pour changer la société qui, sinon, risquerait bien de « nous exploser à la figure et à la figure de nos enfants. » On ne pourra qu’abonder dans son sens, mais je compléterai seulement en disant qu’elle a déjà commencé à le faire…

06/10/2014 (modifier)
L'avatar du posteur Mac Arthur

Les récits traitant de lutte sociale, si, dans la majeure partie des cas, ils présentent un intérêt historique réel, ne sont pas toujours les plus agréables à lire. Trop formels, ils peuvent vite se révéler assommants. Il existe cependant de belles exceptions, comme « Un homme est mort » ou… « LIP » ! Intelligemment construit autour du parcours d’une jeune femme que cette lutte ouvrière va émanciper à tous niveaux, ce récit se révèle aussi instructif que prenant. Le chemin emprunté par Solange et ses compagnons ne peut qu’interpeller à une époque où les délocalisations et la mainmise des actionnaires sur les travailleurs sont devenus plus qu’un simple fait. D’autant plus que ce récit est celui d’une réalité. Les évènements qui nous sont ici relatés sont bien réels. Mais si j’avais entendu parler de cette occupation d’usine, devenue un symbole et par là même presque une utopie irréelle, les faits exposés par Laurent Galandon et Damien Vidal, avec ce souci de documentation et de véracité, ont réveillé ma conscience. Le choix d’un noir et blanc sobre est de nature à accentuer encore ce côté « reportage » et convient donc parfaitement au récit. Les nombreux personnages sont extrêmement bien typés, au point qu’il est impossible de les confondre en cours de lecture. Le découpage et l’emploi d’un journal intime favorisent encore l’immersion dans le quotidien de ces travailleurs. Intelligent, opportun, interpellant, soigné, agréable à lire… je me demande vraiment ce que vous attendez pour y jeter plus qu’un œil… surtout si la politique économique et l’évolution de la société sont des sujets qui vous intéressent (superjé, ce livre est pour toi ;) ). Même la postface de Claude Neuschwander mérite que l’on s’y attarde… contrairement à la préface de Jean-Luc Mélenchon sur laquelle j’avoue m’être endormi. Une belle réussite pour un sujet plus que jamais d'actualité (difficile de croire que ces événements se sont déroulés il y a déjà 40 ans !)

05/04/2014 (modifier)