L'Histoire d'un vilain rat (The Tale of One Bad Rat)

Note: 3.75/5
(3.75/5 pour 4 avis)

Will Eisner Award 1996 : Best Graphic Album: Reprint Hélène, 16 ans, est une jeune anglaise SDF. Elle mendie dans le métro londonien avec son "vilain petit rat", le seul être à qui elle puisse encore donner de l'amour.


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Passionnée de Beatrix Potter, elle trouve dans les contes et les illustrations de cette célèbre romancière anglaise la force d'oublier son enfance douloureuse, de se reconstruire ...

Scénario
Dessin
Traduction
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution Janvier 1999
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série L'Histoire d'un vilain rat © Vertige Graphic 1999
Les notes
Note: 3.75/5
(3.75/5 pour 4 avis)
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13/02/2013 | Erik
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
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Maltraitance - Cette histoire est parue initialement sous forme d'une minisérie en 4 épisodes, éditée par Dark Horse comics en 1994. L'histoire s'ouvre une publicité murale pour un paysage vert et vallonné ventant le tourisme de la campagne anglaise. C'est l'affiche que contemple Helen Potter (une très jeune femme) ; elle assise en tailleur adossée contre un mur du métro en faisant la manche. Une rame arrive, elle se jette dessous, le sang éclabousse l'affiche sous les regards horrifiés des gens. En fait, Helen est toujours assise, elle a juste imaginé qu'elle se suicidait. 2 ou 3 personnes échangent une ou deux paroles avec elle, jusqu'à ce qu'un monsieur faisant du prosélytisme finisse par la faire fuir à la surface. Elle contemple un instant le sapin géant décorant Trafalgar Square, avant d'aller se débarbouiller dans les lavabos de toilettes publiques et de reprendre sa mendicité à l'air libre. En même temps, elle se remémore la première fois qu'elle a lu un livre de Beatrix Potter. Depuis elle a pris l'habitude de reproduire ses illustrations. Un soir elle est abordée par un grand bourgeois aviné qui lui fait des avances. Une bande de jeunes la tire de cette situation difficile et pénible. Après réflexion, elle accepte d'aller squatter avec eux dans une maison spacieuse inoccupée. L'un des squatteurs construit une œuvre d'art à base d'objets hétéroclites de récupérations qu'il met en couleurs à l'aide de bombes. Mais Helen a du mal à supporter cette forme de société et les démonstrations affectives de tout ordre. Il apparaît qu'elle a été la victime d'attouchements de la part de son père. Elle finit par reprendre son indépendance et son errance l'amène dans le Cumbrie, la région d'Angleterre où s'était établie Beatrix Potter. Bryan Talbot est un créateur britannique avec un parcours atypique (c'est le moins que l'on puisse dire). En 1994, il se lance donc dans cette histoire qui met en scène une très jeune femme qui a souffert de parents indignes (la mère qui lui répète régulièrement qu'elle aurait préféré ne jamais l'avoir et le père qui la contraint par la culpabilité à le toucher), qui vit dans la rue et qui va finir par se débarrasser de sa position de victime pour pouvoir aller de l'avant. En 1994, il n'y avait pas d'équivalent dans les comics (même underground), et encore moins publié par un éditeur majeur comme Dark Horse. Au moment où j'écris ce commentaire, cette histoire est toujours rééditée. Bryan Talbot raconte avant tout une histoire avec une progression dramatique, un début, une fin et des thèmes qui ne se limitent pas à celui de la maltraitance. Le lecteur découvre également une première déclaration d'amour à la campagne anglaise, superbement mise en valeur par les illustrations de Talbot (il ira encore plus loin dans ce sens avec Alice in Sunderland). Il ne s'agit pas d'une ode pastorale, mais simplement de la mise en valeur du plaisir de la proximité de la nature. Ce thème découle naturellement de la passion que nourrit Helen pour Beatrix Potter, une auteure qui a écrit des livres pour enfants avec des animaux anthropomorphes, livres inscrits au patrimoine culturel de l'Angleterre (moins connu en France pour ce que j'en sais). Talbot utilise quelques éléments de la biographie de Potter pour faire grandir Helen. Il attire l'attention du lecteur sur le fait que derrière chaque livre il y a un créateur qui est un être humain. La couverture de ce tome est un hommage graphique aux éditions classiques des livres de Potter. Et Talbot consacre 10 pages à écrire un pastiche intitulé "the tale of one bad rat" qui sera sûrement la première œuvre d'Helen Potter. Il décrit également Helen comme une artiste qui doit s'exprimer par le dessin, qui doit coucher sur le papier les images oniriques qui l'habite. Et puis il y a Helen et la souffrance qui accapare ses forces psychologiques. Bryan Talbot a construit son histoire sur des choix délicats : les parents d'Helen sont uniquement présentés sous le jour défavorable de leurs défauts. Ils sont vraiment les bourreaux qui l'ont torturée psychologiquement, sans même avoir conscience du mal qu'ils faisaient. Bryant Talbot ne se complait jamais dans le voyeurisme, il met en scène la souffrance terrible d'Helen, son cheminement, la culpabilité dont elle s'accable (certainement l'un des aspects les mieux expliqués et les plus éclairants sur les mécanismes psychologiques de la victime) et l'impossibilité d'oublier ces mauvais traitements. Du début à la fin, il utilise un style assez réaliste te méticuleux qui place le lecteur dans les rues de Londres, dans le squat, dans l'auberge de campagne. Il ne joue jamais sur le registre du misérabilisme ou du sordide. Bryan Talbot propose à son lecteur de suivre le chemin qui mène à l'émancipation du statut de victime d'Helen Potter. Le récit comporte d'autres composantes toutes aussi prenantes et éloignées des lieux communs. C'est un récit qui vous fait partager le quotidien d'une jeune femme blessée, avec délicatesse et intelligence, sans recourir à un pathos larmoyant. Dans sa postface, Talbot rappelle la nécessité de dire ces maltraitances, d'en parler pour en reconnaître l'existence, de délivrer les victimes de leur culpabilité (de sortir du "si ça m'est arrivé, c'est que je l'avais mérité").

13/04/2024 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Alix

J’adore la genèse de « L'Histoire d'un vilain rat ». Bryan Talbot voulait écrire une histoire se déroulant dans la magnifique région anglaise du Lake District (où ma femme et moi adorons partir en vacances). Ne voulant pas réaliser un simple reportage, il a commencé à formuler l’histoire d’une jeune femme SDF fuyant Londres pour partir sur les traces de Beatrix Potter, l’autrice des livres jeunesse « Peter Rabbit » (Pierre Lapin en français), elle-même originaire du Lake District. Il ne lui manquait plus qu’une raison pour cette fuite. Suite à des recherches sur les abus infantiles, Bryan Talbot fut bouleversé par ce fléau plus que jamais d’actualité, et en fit finalement le thème central de cet album. L’histoire, fictive mais inspirée de témoignages réels, est parfaitement racontée, et les déboires de Hélène m’ont captivé et beaucoup touché. Il s’agit d’un pur roman graphique qui devrait plaire aux amateurs du genre. Le ton est juste et finalement plutôt optimiste et éducatif, la morale étant qu’il faut parler de ce genre d’abus pour faire avancer les choses. La mise en image est adaptée à ce genre d’histoire, et propose quelques trouvailles originales (le rat géant, les suicides imaginés, les hallucinations). Et puis les paysages du Lake District en deuxième moitié d’album sont un délice pour les yeux. J’ai personnellement passé un excellent moment de lecture.

21/01/2024 (modifier)
L'avatar du posteur Noirdésir

J’ai découvert relativement récemment Bryan Talbot avec sa très chouette série Grandville, et voilà la deuxième série de lui que je lis. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’a rien à voir avec Grandville, que ce soit graphiquement (le dessin est ici réaliste et minutieux) ou au niveau de l’histoire, elle aussi ancrée dans la réalité. Talbot explique à la fin de son livre qu’après avoir envisagé d’écrire un roman graphique s’inspirant de Beatrix Potter et des paysages anglais (superbes au passage !) qu’il connaissait, il a fait de son album une dénonciation (subtile et tout en non-dits, puisque le viol lui-même n’est qu’évoqué) de l’inceste, et plus généralement des violences faites aux enfants – le plus souvent par leurs parents. Je dois dire que son message passe très bien, et il semblerait d’après les infos données en fin de volume, que ce petit album soit devenu un outil pour les organismes et associations luttant contre ces violences. Talbot lui-même semble être devenu un militant de cette cause. Outre l’arrière-plan évoqué, c’est album est intéressant en lui-même. L’histoire se laisse lire agréablement, et on suit la (ré)ouverture à la vie d’Helen au fur et à mesure qu’elle arrive à verbaliser ce qui lui est arrivé, et à en parler avec son père. Elle s’est reconstruite, tout devient plus clair dans sa tête. Pour nous faire bien saisir cette évolution, il n’y a qu’à comparer le paysage de la première page, flou, et le même en fin d’album, plus précis, net, avec une Helen rassérénée qui le dessine… A découvrir !

20/02/2015 (modifier)
Par Erik
Note: 3/5
L'avatar du posteur Erik

De Talbot Bryan, j'avais surtout retenu la série Grandville. En l'espèce, on est loin de cet univers mi-uchronique. C'est une bd qui traite d'un sujet assez tabou à savoir l'inceste sur un mode résolument réaliste. Cette bd semble basée sur des témoignages réels d'enfants abusés sexuellement, l'album est une dénonciation intelligente de l'inceste et des comportements psychologiques qui y sont associés. L'illustration est hyper réaliste, sans que jamais les agressions du père ne soient explicitement montrées. Bryan Talbot a fait le choix d'ancrer son histoire dans la réalité puisqu'il s'est inspiré de modèles vivants et a effectué de nombreux repérages des lieux. Après un chapitre londonien, le récit va se poursuivre dans la campagne et plus précisément à Lake District, la région anglaise des lacs. Un album très personnel qui véhicule un message résolument positif. Notons qu'en Angleterre et aux Etats-Unis, cette bd sert d'outil aux services sociaux et judiciaires pour engager les victimes à ouvrir le dialogue. On estime qu'une fille sur trois serait agressée avant ses 18 ans. Environ 90% des violences sexuelles sont commises, non par le stéréotypes de l'étranger à l'imperméable qui hante les cours des écoles, mais par un parent proche de sexe masculin. Un tel sujet est beaucoup trop important pour rester en marge. Plus on en parlera dans la société, dans les fictions, plus les victimes auront de chance de réaliser que c'est chose fréquente, qu'elles peuvent en parler, qu'on les croira et que cela cessera. Bref, une démarche de l'auteur que je soutiens pleinement.

13/02/2013 (modifier)