Wilson

Note: 3.29/5
(3.29/5 pour 7 avis)

Will Eisner Awards 2011 : Best Graphic Album: New ex-aequo Une série d’histoires d’une planche retrace les efforts de Wilson pour reprendre sa vie en main avant de replonger dans sa déprime quotidienne.


Comix Cornélius Drawn & Quarterly Will Eisner Awards

Avec Wilson, Clowes revisite sa thématique fétiche, à savoir la médiocrité humaine. Une série d’histoires d’une planche retrace les efforts de Wilson pour reprendre sa vie en main avant de replonger dans sa déprime quotidienne. Tel Sisyphe poussant son rocher, notre héros sue sang et eau pour remonter la pente avant de se casser le nez et de s’en retourner à la case départ. Abordant des inconnus au café, dans la rue, dans le bus, s’incrustant en famille ou chez ses accointances, Wilson essaie désespérément de renouer le contact avec ses contemporains. Après la mort de son père, irrévocablement seul, il se lance à la reconquête de son ex-femme, Pippi, dans l’espoir de raviver la flamme de cette relation éteinte depuis bien longtemps. Ce faisant, il découvre sa fille Claire, née peu après leur séparation et placée dans une famille adoptive. Prêt à tout pour reconstruire une famille, Wilson se donne pour mission de les réunir tous les trois –un projet encore voué à l’échec et qui ne manquera pas de se retourner contre lui. Clowes utilise une variété de styles pour dessiner son personnage, mais que celui-ci apparaisse sous des traits parfaitement réalistes ou sous la forme d’un cousin éloigné d’Andy Capp, il reste définitivement un loser. Avec ce nouveau livre, Clowes nous offre une tranche de pessimisme brillamment découpée et magnifiquement dessinée. À l’heure où les bons sentiments sont légions, il fait bon de lire ce chef-d’œuvre remarquable de misanthropie.

Scénario
Dessin
Couleurs
Traduction
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 23 Septembre 2010
Statut histoire Histoires courtes 1 tome paru

Couverture de la série Wilson © Cornélius 2010
Les notes
Note: 3.29/5
(3.29/5 pour 7 avis)
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14/10/2010 | John Smith
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Trop conscient - Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre, en couleurs. Elle est initialement parue en 2010, écrite, dessinée, encrée et mise en couleurs par Daniel Clowes. Il est également l'auteur de Pussey (1995), Like a velvet glove cast in iron (1993), Ghost World (1997), David Boring (2000), Ice Haven (2005), Mister Wonderful (2011), The Death-Ray. Ce tome se compose de 71 gags en 1 page, mettant tous en scène un petit bonhomme à la calvitie naissante, avec des lunettes, et une misanthropie à toute épreuve. Wilson n'a pas d'emploi fixe, peut être même pas d'emploi du tout. Il est divorcé depuis plus d'une dizaine d'années. Il est terriblement seul et terriblement hautain et dédaigneux, avec une bonne dose d'égocentrisme. Le premier gag se déroule alors que Wilson promène son chien et qu'il aborde une femme en train de promener le sien en lui demandant comment ça va. Dans le suivant, il se promène à pied dans les rues d'Oakland (en Californie), la ville où il réside. Puis la page suivante, il se promène à nouveau seul et à pied en parlant tout seul à haute voix, de nuit, en évoquant le souvenir du décès de sa mère. Quatrième gag, il promène à nouveau son chien croisant plusieurs personnes s'extasiant dessus. Cinquième gag, dans un café, il prend sa commande au comptoir et va s'asseoir à une table occupé, pour entamer la conversation. À chaque fois, le comique naît de la réflexion finale de Wilson, une courte phrase méprisante ou pensive. Pour pouvoir apprécier cette lecture dès le début, le lecteur doit avoir à l'esprit qu'il s'agit d'une histoire d'un seul tenant, proposant de suivre la vie Wilson, au travers de 71 instantanés, parfois consécutifs, parfois distants de plusieurs années. Ces 71 pages ont été publiées en album dès la première édition, il n'y a pas eu de prépublication page par page. Le premier tiers des gags sert essentiellement à mettre à jour la personnalité abrasive, pénible et misanthrope de Wilson. Les premiers gags sont plutôt basiques, entre amertume, mépris et dédain. Il n'y a rien de révolutionnaire ou de particulièrement pénétrant, simplement un personnage acerbe et suffisant, avec lequel il est impossible de sympathiser. Sans raison apparente, Daniel Clowes fait varier son style de réaliste, à exagéré avec des gros nez et des silhouettes rondouillardes. Visuellement, ces pages sont assez basiques, à la fois par ce qu'elles montrent et par la mise en scène dépouillée : Wilson se promène, il parle à haute voix tout seul pour que le lecteur ait accès à ses pensées. Selon sa sensibilité, le lecteur pourra être sensible à une vacherie ou à une autre. Le gag intitulé "Gate 27" (page 21) est particulièrement pénétrant sur l'impossibilité de comprendre la nature du métier d'un étranger, le manque de sens de ce métier, perdu dans la démultiplication des tâches et une spécialisation toujours plus pointue et absconse pour le béotien. Petit à petit, les gags deviennent plus personnels, plus liés à la vie de Wilson, plus méchants, plus désespérés, plus révélateurs de la condition humaine. Dans "Huddle house" (page 35), Daniel Clowes joue avec les codes de la bande dessinée, Wilson s'exprimant à haute voix, sans prêter attention à la serveuse à ses côtés, mais celle-ci à tout entendu et le reconnaît. D'un point de vue logique, ça ne tient pas debout puisque le lecteur a conscience que ces phrases exprimées à haute voix correspondent au monologue intérieur de Wilson. Mais d'un point de vue narratif, la cohérence es assurée avec les pages précédentes, Clowes jouant sur la convention relative au phylactère, à la fois voix intérieure, et paroles. Dans "Boggie" (page 39), Clowes démonte avec cruauté le besoin vitale de l'individu d'enjoliver sa réalité pour pouvoir la supporter. À nouveau, la perspicacité de Wilson est aussi affutée qu'insupportable. Pages 44 et 45, Wilson franchit un nouveau palier dans son égocentrisme, au travers d'une péripétie plausible, accélérant le rythme de la narration, prouvant que Clowes maîtrise les conventions du genre au point de pouvoir mélanger les genres, sans créer de télescopage, ou sans qu'ils se neutralisent. L'intrigue prend un tournant encore plus inattendu dans les pages 54 à 58, en conservant la logique interne du récit, sans que Wilson ne perde de sa suffisance, ou de son pathétisme. Donc arrivé à la moitié de l'ouvrage, le lecteur a pleinement pris conscience qu'il est dans un véritable récit (malgré sa forme de suite de gag en 1 page), un roman en bonne et due forme consacré à un individu antipathique au possible, mais tellement humain qu'il est impossible de supprimer toute empathie à son endroit. Avec un peu de recul, les fluctuations de graphisme de réalisme à parodique accompagnent la tonalité des gags pour renforcer l'impression d'une suite de pages indépendantes, pour souligner la nature du gag en 1 page. Elles sont plus des indications sur la tonalité de la narration que sur l'état d'esprit de Wilson. Elles incitent le lecteur à penser que Daniel Clowes ne se prend pas trop au sérieux et qu'il souhaite que ces pages conservent un bon niveau de divertissement, elles compensent la noirceur de cette solitude sans espoir, d'un individu pleinement conscient de son état sans possibilité d'amélioration. Daniel Clowes a sciemment choisi une forme déconcertante pour le lecteur : une suite de 71 gags en 1 page, avec des ruptures de style graphique. Cette forme incite le lecteur à prendre chaque page indépendamment des autres, à apprécier chaque gag pour lui-même. Sous cette forme, la lecture de "Wilson" est une réussite partielle : certains gags sont d'une noirceur désespérante, d'autres sont plus communs. Mais alors que l'accumulation des pages finit par former une narration plus traditionnelle, le lecteur perçoit le regard sans concession porté sur la condition humaine, d'une terrible noirceur sans fard. Clowes dresse le portrait d'un fat insupportable, d'un être humain en prise directe avec les limites de l'humanité.

13/04/2024 (modifier)

Je dois avouer que j'étais bien impatient de lire ce Wilson. En fait la dernière fois que j'avais lu Daniel Clowes c'était : Le rayon de la mort ... qui m'avait à la fois laissé sur ma faim et en même temps tout de suite éclairé sur le talent de cet auteur. Ici, on est d'abord surpris. Il s'agit en fait de planches indépendantes avec une chute en bas de page, systématiquement. Et il suffit de 2 pages pour être déjà perturbé. L'angoisse est immédiate. Car le thème est encore et toujours celui de la misanthropie. Wilson est tout de suite drôle, c'est vrai, mais on ne peut pas parler d'humour. On est bien trop loin, on a passé les frontières de l'humour noir ou du cynisme. On peut en rire bien sûr, car certaines planches sont hilarantes. ... On peut aussi se laisser emporter. Car plus Wilson remonte la pente plus on a l'impression d'une descente aux enfers. Son détachement est celui du sociopathe, il peut s'enfoncer à outrance, le plus difficile serait de le suivre. J'ai encore du mal à comprendre ce qui m'a plu mais j'ai n'ai aucun mal à reconnaître un certain génie. Le système Clowes est une fois encore extraordinairement bien foutu. Ça fonctionne vraiment. Et le graphisme porte toujours cet étrange décalage, capable de déranger un peu plus. Tantôt réaliste et à fleur de peau ; tantôt caricatural, comme pour nous laisser souffler, Wilson véhicule le mal de vivre avec brio, et pour de rire en somme ...

14/10/2010 (modifier)