L'Homme du Mexique

Note: 4/5
(4/5 pour 1 avis)

Vers 1910, le Mexique est une immense poudrière : les causes qui déterminent l’explosion révolutionnaire se sont accumulées au cours des quarante ans de dictature de Porfirio Diaz.


1900 - 1913 : Du début du XXe siècle aux prémices de la première guerre mondiale Auteurs italiens Les petits éditeurs indépendants Mexique et mexicains Sergio Toppi

Un jeune cinéaste américain a décidé de rencontrer et filmer le rebelle Pancho Villa…

Scénario
Dessin
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution Avril 1979
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série L'Homme du Mexique © Mosquito 1979
Les notes
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21/05/2025 | Présence
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Par Présence
Note: 4/5
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On ne change pas les choses avec la générosité. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1979 en Italie. Il a été réalisé par Sergio Toppi (1932-2012) pour les dessins, et par Decio Canzio pour le scénario. Il comprend quarante-huit pages de bande dessinée, en noir & blanc. Ce tome s’ouvre avec un court paragraphe intitulé : Un homme, une aventure. L’éditeur explique qu’il s’agit d’une collection lancée par l’éditeur italien Sergio Bonelli en 1976. Il ajoute : Les auteurs ont une très grande liberté créative dans cette série innovante qui comptera trente albums. Elle est inaugurée par Sergio Toppi avec L’homme du Nil (1978, réalisé avec Decio Canzio). Les plus grands auteurs italiens et internationaux de l’époque ont apporté leur talent à cette aventure éditoriale : Dino Battaglia (1923-1983), Guido Buzzelli (1927-1992), Guido Crepax (1933-2003), Robert Gigi (1926-2007), Milo Manara (1945-), Attilio Micheluzzi (1930-1990), Hugo Pratt (1927-1995)… Puis vient un texte de deux pages, rédigé par Marc-Antoine Jans, contextualisant la révolution mexicaine entre 1910 et1920, évoquant en particulier le rôle du président Porfirio Díaz (1830-1915), Francisco I Madero (1873-1913), Victoriano Huerta (1850-1916), Pancho Villa (1878-1923), Emiliano Zapata (1879-1919), Álvaro Obregón (1880–1928), Venustiano Carranza (1859 - 1920). Par une fraîche matinée de mai 1914. La guerre fait rage au Mexique depuis quatre années. Le long du rio Teozongo, sur les derniers contreforts de la Cordillère, un petit convoi ferroviaire suit la voie Ferrocarril Interoceanico. La locomotive ne tire qu’un tender et un wagon armé d’une mitrailleuse. À bord, il n’y a qu’un officier et une douzaine de soldats de l’usurpateur Victoriano Huerta, l’ennemi de la révolution. Pistolet à la main, Pancho Villa s’élance vers la locomotive : sur sa trajectoire se trouve Holly McAllister en train de le filmer. Le premier peste contre le second, mais le caméraman explique que le général ne doit pas se mettre en colère : McAllister vient de tourner une magnifique séquence avec Villa en train de se précipiter sur lui en brandissant fièrement un colt : un sacré bon coup, toutes les salles de cinéma vont se battre pour louer ce film. Pancho Villa revient à son attaque de train et il lance ses hommes à l’assaut. Ceux-ci s’élancent en criant : Mort aux Huertistes ! C’est alors que du wagon s’abat un feu effrayant sur les assaillants. Les soldats se défendent avec acharnement, les révolutionnaires tombent au sol. En bas du terre-plein de la voie ferrée, confiant, le général attend avec une prostituée à son bras. Un homme vient le prévenir du massacre : il ordonne de faire venir les dynamiteurs. Ceux-ci s’élancent à leur tour. Le premier tombe sous les balles de la mitrailleuse, le second atteint son but. Les révolutionnaires terminent leur œuvre : ni les prisonniers, ni les blessés ne sont épargnés, ils sont abattus froidement d’une balle dans la nuque. Plus tard, un homme américain se présente au général. Jimmy Nolan est venu dans le Morelos pour entrer en contact avec Pancho Villa et avec Zapata, mais les hommes de Huerta l’ont capturé. Il tend à Villa la lettre qui l’identifie comme un agent des services secrets américains. Il vient proposer des armes et des munitions au nom des États-Unis. L’introduction de Marc-Antoine Jans constitue une bonne indication de la teneur en faits historiques de cette bande dessinée : elle ne s’inscrit pas dans le genre historique à proprement parler, plutôt elle met à profit des éléments historiques sans les développer pour évoquer le cheminement d’une troupe de révolutionnaires, dans un registre qui évoque un western. L’introduction apporte donc les éléments nécessaires au lecteur qui ne serait pas familier de la révolution mexicaine pour comprendre l’importance et le rôle des personnages, ainsi que ce qui se joue quant au destin du pays. Pas de rappel sur la manière dont Villa fut recruté, sur sa stature nationale et ses faits d’armes, ou encore le contrat passé avec la compagnie cinématographique Mutual Film Corporation, pour l’exclusivité de filmer ses combats (ce qui explique la présence d’un caméraman dans son entourage). Par ailleurs, les auteurs mettent en scène une rencontre entre Villa et Zapata en 1914 dans la ville de Guernavaca, alors qu’historiquement ils se retrouvent le 4 décembre 1914 à Xochimilco. De même, ils ne développent pas l’histoire personnelle de Zapata, ou ses convictions politiques et en quoi elles diffèrent de celles de Villa, même s’il se produit un face à face savoureux dans ce tome. Le récit débute avec un superbe paysage sauvage, une plaine à perte de vue, un fleuve et ses méandres, des cactus, et le passage d’un train : tout est en place pour l’attaque du train, même le caméraman pour immortaliser la scène, et la faire diffuser aux États-Unis. Le scénariste rend compte de l’absence de pitié de part et d’autre, avec pour finir l’exécution sommaire des prisonniers et des blessés. Puis la colonne des guérilleros reprend la marche vers Guernavaca, à travers de nouveaux paysages sauvages magnifiques. Il introduit également un agent des services secrets des États-Unis venu négocier des intérêts économiques, se sachant dans une position de force en tant que fournisseur d’armes et de munitions. Puis le reporter et l’agent suivent Zapata, et ils assistent à l’expropriation des terres d’une hacienda. La séquence est tout aussi sanglante que celle de l’attaque du train, un massacre sans pitié. L’affrontement se termine par l’effondrement brutal de la résistance des Rurales. Les quelques survivants tombent sous les balles des Zapatistes. Ils ne font pas de prisonniers. Le récit se termine avec une tentative d’assassinat, dont la véracité historique n’est pas documentée, dans un site exceptionnel, Teotihuacan, la demeure de Quetzalcoatl le serpent à plumes, un lieu sacré. Aussi, plutôt qu’un récit à proprement parler historique, le lecteur participe à une fiction qui met à profit les zones naturelles, les individus armés qui s’affrontent, et les particularités de ce territoire. Vraisemblablement venu pour le dessinateur, le lecteur accompagne bien volontiers le caméraman reporter américain pour côtoyer ces personnages historiques, tout en se demandant quelle sera la nature de l’intrigue. Il note l’écart par rapport à la vérité historique, et il constate que le face à face entre Zapata et Villa dure tout juste deux pages : le thème principal du récit se trouve donc ailleurs. Il prend un peu de recul par rapport à ce qu’il a lu : deux confrontations sanglantes, l’une contre l’armée du président du Mexique Victoriano Huerta, l’autre opposant les révolutionnaires à des paysans. L’ingérence des États-Unis dans le conflit sous la forme d’une offre très intéressée d’armes et de munitions. Le questionnement de McAllister sur les révolutionnaires, car leurs actions lui font plus penser à des bandits de grand chemin. Le comportement des révolutionnaires lorsqu’ils arrivent et s’installent dans une ville ou un village. La mésentente immédiate entre les deux meneurs révolutionnaires, sans que cela ne dégénère en un affrontement, la dernière séquence dans laquelle Zapata affirme au reporter qu’on ne change pas les choses avec la générosité. Et l’épilogue cinq ans plus tard revient sur le sort d’un des révolutionnaires. Il apparaît que le récit est fermement ancré dans le contexte de la révolution mexicaine, qu’il en choisit des éléments pour mettre en scène des actions concrètes de ladite révolution, pour évoquer ces actions telles qu’elles se déroulent, plutôt que telles qu’elles figureront dans les livres d’Histoire. Dès la première page, la rétine du lecteur est à la fête : il retrouve les caractéristiques des dessins de Sergio Toppi : des traits de contours fins et discrètement irréguliers, des hachures parfois très fines et très denses, des cases généralement rectangulaires qui ne sont pas toujours disposées en bande, qui peuvent disposer d’une bordure ou non, dont certains éléments peuvent déborder sur une case adjacente. En fonction de ses inclinations, il va s’attacher plus à telle ou telle composante de la narration visuelle. Cette manière très particulière de parfois faire poser les personnages pour leur conférer plus d’allure, ou une fibre romanesque. Le traitement des décors :la mise en avant des cactus, les textures des roches, le remblai de la voie ferrée, la chaîne de montagne dans le lointain, la végétation, la magnifique tour en pierre dans le premier village, les arbres, l’arrivée dans la grand-rue de Guernavaca, le champ de cannes à sucre, encore des cactus, et la représentation extraordinaire de la pyramide à degrés de Teotihuacan. L’artiste fait des merveilles avec des traits à demi estompés pour sa première apparition, une tête sculptée à la façon gargouille, la perspective créée par les degrés, les sculptures sur ses flancs, et la rue plus classique en front de mer à Long Island. Le lecteur peut également se focaliser plus sur les personnages. Il se sent impressionné par le sérieux et la sévérité des soldats de l’armée gouvernementale, postés derrière la mitrailleuse à bord du train, avec leurs uniformes officiels. Il peut apprécier le contraste avec la tenue moins formelle des Guérilleros, même s’ils portent tous le sombrero à très large bord, et au moins deux cartouchières, une ou plus à la ceinture et une ou plus en bandoulière. Au milieu de ces individus, il soupire en voyant le sourire enjôleur du caméraman, et sa tenue civile. Il comprend juste en le voyant qu’il ne faut pas accorder sa confiance à Jimmy Nolan, malgré son costume complet avec gilet. Il ne peut pas se retenir de sourire en voyant les deux prostituées qui attendent les clients à la maison close, acquiesçant au jugement de valeur de Villa qui les trouve vieilles et sales. Il voit la différence de prestance entre Villa et Zapata, le premier dans des vêtements ordinaires de paysan, le second dans un très beau costume noir élégant. Après s’être renseigné, il se rend compte que l’artiste a respecté la réalité historique sur ce point. Il revient quelques pages en arrière et a la confirmation que les auteurs ont également respecté et mis en scène le fait que Villa ne buvait pas d’alcool. Le dessinateur impressionne par sa capacité à reproduire les clichés visuels associés aux révolutionnaires mexicains, mine patibulaire, grosse moustache, sombreros surdimensionnés, et dans le même temps il parvient à leur insuffler assez de personnalité pour qu’ils apparaissent comme de vrais individus, et pas juste un empilement de clichés. Une plongée dans la Révolution mexicaine, nécessitant de disposer des très grandes lignes de ce conflit, en particulier sur le rôle de Pancho Villa et d’Emiliano Zapata, et dans le même temps une fantaisie historique ne respectant pas à la lettre les événements. La personnalité graphique de Toppi irradie à chaque page : les magnifiques paysages, les individus à la fois très humains et plus grands que nature, l’expressionnisme sous-jacent et enchanteur. L’intrigue suit un reporter filmant les révolutionnaires, tout en parlant de la réalité des actes révolutionnaires dans ce qu’ils ont de plus concret et violent. Vénéneux.

21/05/2025 (modifier)