L'Abbé Pierre - Un homme engagé

Note: 4/5
(4/5 pour 1 avis)

A travers sa rencontre avec l'abbé Pierre, Edmond Baudoin, avec sa pudeur, conjugue les moments de silence et d'émotion.


Documentaires Les petits éditeurs indépendants

Il dépeint un homme au service des plus démunis. Il parle de son enfance, de ses combats, de son indignation. Il sait être heureux de la joie de l'autre. Edmond Baudoin observe, il partage avec l'abbé Pierre des instants de grande intimité sur ses chemins de marche.

Scénario
Dessin
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 12 Avril 2024
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série L'Abbé Pierre - Un homme engagé © Alter Comics 2024
Les notes
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13/05/2025 | Présence
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Par Présence
Note: 4/5
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Mais le coupable le plus grand, c’est l’inactif. - Il s’agit d’un ouvrage mêlant éléments biographiques, réflexions sur la spiritualité et ressenti de l’auteur. Son édition originale date de 1994, et il a bénéficié d’une réédition en 2024, après que la vérité ait été exposée concernant les crimes sexuels commis par l’abbé Pierre. Il a été réalisé par Edmond Baudoin, pour le scénario et les dessins. Il s’agit d’un ouvrage en noir & blanc. Il comporte cinquante-neuf pages de bande dessinée. Cet ouvrage ne fait pas état des accusations de violences sexuelles sur des femmes, y compris sur des mineurs. C’est en 1992-93 qu’Edmond Baudoin a été contacté pour faire une bande dessinée dont le héros serait l’abbé Pierre. Il était honoré et étonné. Étonné parce qu’à son avis, il était difficile de trouver plus mécréant dans le monde de la B.D. En effet, de plus loin que Baudoin se souvienne, jamais l’existence de Dieu ne l’a effleuré. À l’époque, l’abbé voulait laisser quelque chose de son testament philosophique en trois livres. L’un avec Bernard Kouchner, un livre pour le grand public. Un autre avec le professeur Albert jacquard, plus intellectuel. Et le troisième en bandes dessinées pour les enfants. Pour les enfants !!? Edmond n’était pas le bon cheval. Il était donc étonné qu’on le choisisse pour ce travail. Alors il a demandé pourquoi ? Et l’explication était : Son illustration de Théorème de Pier Paolo Pasolini, chez Futuropolis–Gallimard. Les chemins qui mènent à Dieu sont impénétrables. En 1993, dans les rues de Paris, Céline, une jeune femme accompagnée de son amie, remarque une personne à la rue allongée à même le sol sur le trottoir, face contre terre. Elle s’en approche, et s’agenouille, mais n’ose pas la toucher. Elle se relève, son amie lui demande s’il est mort, Céline ne sait pas. 1949. C’était il y a plus de quarante ans, c’était un suicidé… rescapé. C’était un assassin. Vingt ans avant, il avait tué son père dans un moment de colère désespéré. Gracié après vingt ans de bagne, la situation familiale qu’il retrouvait était atroce. Il tenta de se tuer. On appela l’abbé Pierre à l’aide. C’est alors que leur Emmaüs est né. Parce que dans la réflexion, l’abbé a agi au-delà de la bienfaisance. Au lieu de dire à l’autre qu’il était malheureux et qu’il allait lui donner un logement, du travail et de l’argent, les circonstances ont fait dire à l’abbé exactement le contraire. Il ne put dire au suicidé que ce dernier était horriblement malheureux, et que lui, l’abbé, ne pouvait rien lui donner car il n’avait que des dettes. Il a donc proposé à son interlocuteur de donner son aide pour aider les autres. Ce fut la naissance d’Emmaüs. 28 mars 1993, résultats des élections législatives françaises, l’abbé Pierre effectue un discours à la télévision. Il déclare qu’il est français, mais il est aussi européen et planétaire. Si on pouvait faire l’unanimité sur l’inventaire des souffrances de ces neuf pourcents de mal-logés et de ces trois millions de chômeurs, quatre cent mille sans-abri… C’est dingue ! Et il est malheureux que douze pourcents des Français se fassent duper par quelqu’un qui éditait des chants nazis. Il y en a marre ! Une étrange idée de rééditer cette bande dessinée, juste après la révélation au grand public des exactions commises par Henry Grouès (1912-2008), dit l’abbé Pierre. Le lecteur remarque que les noms de Georges Carpentier et d’Alain Royer ont disparu de l’ouvrage, ils ne sont plus cités comme auteurs. En revanche le texte de la quatrième couverture a été conservé en l’état, identique à la première édition, rendant hommage aux valeurs d’humilité et de partage de l’abbé Pierre, surtout ses combats pour protéger les plus démunis. Le lecteur peut s’interroger sur ce qui a motivé l’éditeur à proposer une nouvelle édition de cet ouvrage, forcément lu différemment à la lumière des agissements de l’individu dont l’auteur brosse un portrait respectueux et admiratif. En fonction de son seuil de tolérance, la tolérance du lecteur est soumise à plus ou moins grande épreuve à (re)découvrir ces déclarations et ces pensées philosophiques, en contradiction avec une partie des actes de ce monsieur, et en phase avec une autre partie de sa vie. Cela génère un effet contradictoire, entre la répulsion contre l’hypocrisie de ses propos, et l’admiration sincère d’un homme comme Edmond Baudoin, réellement en empathie avec le vieil homme, impressionné par la cohérence entre ses actes et ses valeurs, alors même que l’auteur se présente comme le premier des mécréants. Sous réserve qu’il puisse faire fi de cette contradiction, le lecteur côtoie un homme pour le moins singulier. Dès la première page, la liberté de ton narrative saute aux yeux du lecteur : du texte manuscrit avec des lettres en capitale, trois illustrations sans bordure, quatre phylactères avec du texte en lettres en minuscule. Puis une forme narrative classique : des cases rectangulaires alignées en bande. Et dans le même temps, des représentations à base de traits de contour très gras, de visages esquissés, de dessins pouvant aller vers l’expressionnisme, des phylactères en cartouche de textes tapés à la machine à écrire, avec des modifications apportées à l’écriture manuscrite, et quelques panoramas prenant la forme de dessins en double page. La personnalité d’Edmond Baudoin exsude de chaque case, de chaque trait, et de chaque phrase, aussi bien dans la forme que dans le contenu. Pour autant, il se plie à l’exercice biographique, réalisant des segments intégrés dans d’autres composantes de la narration. Ainsi le lecteur voit apparaître l’abbé Pierre en planche quatre pour sa déclaration à l’issue des élections législatives françaises de 1993, puis le premier entretien entre lui et l’auteur en août 1993 à Esteville jusqu’à la prière devant un autel improvisé avec une lampe de poche, l’été 1942 en Suisse et l’aide apportée à deux Juifs pour fuir, l’engagement dans la Résistance, le travail dans la maison de retraite d’Esteville en 1993, l'appel du premier février 1954. Dans chaque situation, le lecteur y regarde à deux fois tellement la ressemblance de l’abbé Pierre est frappante : lorsqu’il s’y arrête il voit un assemblage de traits de pinceau donnant une sensation d’esquisse, et dans le même temps un tout d’une incroyable justesse, tellement vivant. De la même manière, les éléments visuels faisant œuvre de reconstitution historique semblent épars, parfois dissociés, parfois fondus ensemble, et pris dans leur ensemble ils deviennent un lieu singulier et une autre époque. L’auteur l’annonce dès la première page : il est vraisemblablement le plus grand des mécréants des bédéastes. Il enfonce le clou quelques pages plus lors d’un dialogue avec l’abbé : l’idée de l’existence de Dieu ne l’a jamais effleuré, même enfant. Plus loin il écrit qu’il n’aime pas beaucoup les religions, qu’il les déteste même quelquefois. Or il converse avec un homme qui a prononcé ses vœux, et qui croit en Dieu. Baudoin respecte cet aspect de la personnalité de celui dont il brosse le portrait, et il l’inclut dans sa bande dessinée, tout en conservant sa propre sensibilité. Il rend donc compte de la spiritualité de l’abbé Pierre, dans la mesure de ce dont il perçoit, en effet Baudoin n’éprouve pas de doute sur la sincérité de son interlocuteur lors de leurs entretiens. Il est donc question de religion : la prière à genou devant l’hostie pour une demi-heure quotidienne d’adoration, les sept années passées chez les Capucins, le fait que l’abbé emploie rarement le mot de Dieu, parlant plutôt de l’éternel qui est amour, l’esprit (Spiritus) qu’il voit comme le vent (Le vent, c’est ce qui n’est rien s’il cesse de bouger, s’il cesse d’aller.), la possibilité d’un vrai œcuménisme, etc. À nouveau, la narration visuelle reste à un niveau pragmatique, descriptif, parfois avec de simples têtes en train de parler. Dans le même temps, les dessins contiennent en eux la sensibilité d’Edmond Baudoin, son empathie pour ses interlocuteurs qui lui permet d’en saisir la personnalité, son regard sur le monde et sa propre personnalité. Le récit contient également l’exposé de valeurs, celles de la morale chrétienne bien sûr, exprimées par l’abbé Pierre. Aussi, cela dépasse les simples notions de partage et d’amour. L’abbé raconte cette rencontre avec une personne ayant tenté de se suicider, à qui il n’a rien à donner, et à qui il propose d’aider plus démuni que lui. Cette forme d’entraide constitue le cœur de ses valeurs (celles qu’il affiche), une démarche ultime qui fonde sa démarche publique. L’abbé évoque également sa conviction que l’humain va vers du Un. Bien sûr, Edmond Baudoin, étant ce qu’il est, raconte, lui aussi à sa manière, intégrant un exemple très actuel (à la date de réalisation de la bande dessinée) d’entraide. Au travers de Céline et de ses amis, il commence par opposer la vie aliénante dans les cités de béton, et la sérénité générée par la contemplation de la mer, dans un milieu naturel. Il devient beaucoup plus simple d’être aimant dans ce cadre apaisant. Pour autant, les sentiments de Céline vont l’amener plus loin que cette amélioration procurée par le changement d’environnement. La narration comprend encore d’autres expressions très personnelles de la sensibilité de l’auteur, de sa façon d’habiter le monde, de la forme de relation qu’il lie avec autrui. Le lecteur peut être déconcerté par une page dans laquelle Baudoin parle à une vache, pour autant un moment révélateur de sa relation au monde, tout comme il peut être enchanté par ces dessins en double page où l’abbé marche dans un paysage de campagne, illustrations magnifiques de naturel et d’évidence. Si sa sensibilité lui permet de lire un ouvrage non critique sur l’abbé Pierre, le lecteur peut garder à l’esprit les crimes qu’il a commis et prendre cette bande dessinée comme un témoignage de l’engagement public de cet homme et de ce qu’il irradiait. Il découvre alors un récit qui comprend des composantes biographiques, religieuses, spirituelles, d’engagement, philosophiques, dans une narration visuelle qui est l’expression même de la personnalité d’Edmond Baudoin, d’une justesse et d’une force incroyables. Une expérience de lecture très étrange, entre voyage spirituel pragmatique et effarement de la dichotomie entre personnage public et individu méprisable. Choquant.

13/05/2025 (modifier)