Comment je me suis radicalisée en féminazie

Note: 3/5
(3/5 pour 1 avis)

On ne naît pas féminazie, on le devient !


Autobiographie Féminisme La BD au féminin Magazine Fluide Glacial

Depuis qu'elle est toute petite, Isa est une femme. Ça peut vous sembler anodin, voire même plutôt courant, mais la vie (et surtout Claire Bouilhac) lui montre que c'est loin d'être de l'ordre du détail... Isa partage dans cet album autobiographique son quotidien plutôt banal de féminazie en construction, de femme engagée, d'autrice en galère ou de tante pas très à jour sur l'actualité gaming (mais qui se soigne !). Spontanément drôle, le regard qu'elle porte sur ses proches, le monde qui l'entoure et sa personne est touchant, parfois grinçant mais toujours d'un naturel déconcertant et jouissif !

Scénario
Dessin
Isa
Couleurs
Isa
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 07 Juin 2023
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Comment je me suis radicalisée en féminazie © Fluide Glacial 2023
Les notes
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16/09/2024 | Présence
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Par Présence
Note: 3/5
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Flagrant délit de manterrupting ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa parution initiale date de 2023. Il a été réalisé par Isabelle Denis & Michel Gaudelette pour le scénario, et par la première pour les dessins et les couleurs. Il comprend cinquante-trois pages de bande dessinée. En l’an 48 de l’ère #metoo, dans la résidence autogérée des viragos éco-wokistes, un groupe de quatre petits-enfants viennent rendre visite à leur tata Isa. Ils lui demandent de raconter les derniers jours patriarcat. Elle leur fait observer que c’est une longue histoire : le mâle blanc cis hétéro n’a pas été cancellé en un jour, on partait de loin. C’est qu’ils faisaient une descente d’organes au moindre point médian à l’époque. Alors #metoo, ils n’étaient pas prêts. Il faut se remettre dans le contexte. Elle accepte de raconter, mais il faut commencer par un bon goûter : qui va chercher la boîte de Palmito ? La fabrique de la monstre : Bin sang, mais c’est quoi cette horreur ? Voilà les premiers mots qu’Isa a entendus. Elle était attendue un vingt-et-avril, mais comme elle était bien au chaud, elle n’était pas pressée de sortir. Elle a été délogée le vingt-cinq. Le problème des séjours prolongés dans le liquide amiotique, c’est que ça donne des bébés tout fripés. Fort heureusement, ça ne dure pas : la peau se retend très rapidement. Mais allez savoir pourquoi, c’est le genre de truc anecdotique qui vient se nicher dans l’inconscient. Et bon, fatalement, ça ressort un jour. À partir de là, c’est open bar pour tout ce qui est déni, frustration et multi-traumatismes. Et c’est comme ça qu’on devient le cauchemar number one de toute société patriarcale : la quinquagénaire sans enfants, avec un chat, auteure de BD (facteur aggravant +1). 100% no life. Au XVIIe siècle, c’eût été le bûcher direct. Assoupie à sa table à dessin, Isa revient à la réalité, alors que son père vient d’entrer dans la pièce. Il lui apporte deux cageots de brugnons qu’ils lui ont ramenés de la campagne. Vu qu’elle ne passe pas les chercher à la maison. Et là, ils s’abiment. Alors faut vite les utiliser pour faire de la compote. Ou de la confiture. Isa objecte que ses pages sont à la bourre et qu’elle n’a pas le temps. Son père perd un peu patience, et lui fait observer qu’elle n’a jamais le temps. Franchement, comment aurait-elle fait si elle avait quatre gosses ? Cette réflexion l’a énervée : typiquement des propos de boomer cis blanc dominant. Et si elle n’avait jamais eu envie d’avoir des enfants ? Ce n’est pas parce qu’on a un utérus qu’on est obligé de s’en servir. Il continue en faisant une remarque sur le fait qu’elle ne passe jamais l’aspirateur sous son canapé. Plus tard, Elle raconte la scène à son amie Claire en prenant un café. Celle-ci estime qu’il est temps qu’elle la présente aux copines. C’est comme ça qu’Isa s’est radicalisée. Claire l’a emmenée dans un club de féministes qui lui ont fait recopier cent fois King Kong théorie. Pour sa première prise de paroles, Isa s’adresse à un troupeau de vaches élevées en batterie. Elles se plaignent qu’elle ne parle pas assez fort. Le titre annonce un programme clair, et vraisemblablement pétri d’autodérision, en utilisant un terme moqueur, et en l’associant au verbe très fort Radicaliser. Il peut paraître étrange qu’Isa tourne en dérision le féminisme dès le titre, en tant que femme, certes avec un co-auteur. D’un autre côté, il s’agit d’un album publié par l’éditeur Fluide Glacial, et le dessin s’inscrit dans un registre caricatural, dès la couverture. L’artiste se positionne dans l’école dite Gros nez, une caractéristique physique typique de l'école belge enfantine, popularisée par des séries comme Astérix, et Spirou et Fantasio. Dans l’avant-dernière histoire, Elfriede, une amie allemande, demande à Isa pourquoi elle se dessine avec un gros nez. La dessinatrice ne répond pas à cette question, mais elle se représente avec une réelle autodérision : en forcissant sa silhouette d’une manière générale, sa poitrine en particulier, avec un imperméable informe, des yeux souvent ronds et vides pour montrer un état d’ahurissement ou d’abrutissement comme s’il n’y avait rien entre les deux oreilles, ou encore un gros nez rouge à cause d’un gros rhume, une posture avachie en train de procrastiner à fond, et bien sûr se montrer complètement gaga avec son chat Kiki. Le lecteur peut voir une forme de filiation avec l’artiste Florence Cestac, dans ce parti pris de dessiner un gros nez aux personnages, dans l’expressivité des visages, et le rendu gentil des personnages. Dans le même temps, il perçoit la personnalité graphique d’Isa : un trait de contour moins gras, une exagération comique moins poussée, une narration visuelle plus posée. Elle gère la densité d’informations visuelles en fonction de la séquence, en maintenant un fort pourcentage de représentation des arrière-plans dans les cases. Au cours de cette dizaine de scénettes, le lecteur découvre Isa dans sa maison de retraite, bien calée dans un large fauteuil et il se retrouve avec elle dans une maternité alors qu’elle vient de naître, à sa table à dessin dans son salon, dans une réunion du Collectif de Féminazies Radicalisées Soon Menopaused, dans un long hangar abritant des dizaines de vaches en élevage intensif, les allées d’un supermarché, un bar où se déroule la soirée de bouclage du magazine Fluide Glacial, les bureaux dudit magazine, une version parodique de jeu massivement multijoueur en ligne, la tablée du repas de Noël chez les parents d’Isa, le plateau de tournage d’un version consentante du film Angélique, les plantations de courgette de Poutine, un épisode la série Wonder Woman des années 1970, un petit village balnéaire du sud de la France, un magasin d’outillage pour le bricolage, les calanques en randonnée pédestre, un séminaire de revirilisation dans la campagne, etc. La narration visuelle est empreinte d’humour visuel : l’œil au beurre noir du mari qui a présenté un autre bébé qu’Isa à son épouse, les vaches qui réclament un autre discours à Isa, la version parodique de World of Warcraft façon vieillotte et sans moyens, Vladimir Poutine en train de récolter ses courgettes, Lynda Carter en Wonder Woman façon Sergio Aragonés, un membre de la rédaction de Fluide Glacial allant chercher des touillettes en rampant, Gaudelette passant la serpillère, un bricoleur au bord des larmes en voyant tout le stock de tubes en PVC de diamètre 160 utilisés pour confectionner des arbres à chat, etc. Le lecteur ressent la dérision présente tout du long de l’album, sans même parler de l’avatar de papier d’Isa, sans enfants, arborant souvent un air ahuri, mémère avec son chat, un peu neuneu, tout en gardant à l’esprit que l’autrice s’autocaricature, mais sans jamais se dépeindre comme hystérique. Bien évidemment elle interagit avec différents hommes. Le lecteur découvre les premiers à la maternité : son père essayant de faire plaisir à sa mère, puis un gros costaud bas du front. Son père très attentionné envers elle, tout en lui demandant comment elle ferait si elle avait quatre gosses. La remarque banale de son père déclenche en Isa une vive réaction durable : ce n’est pas parce qu’on a un utérus qu’on est obligé de s’en servir. Elle s’en ouvre à une copine qui l‘invite à une réunion de féministes. Il est par la suite question de manspreading et de mansplaining, mais aussi d’élevage d’épouses par la métaphore des vaches en élevage de batterie, de male gaze (ce qui aboutit à une séquence de mom gaze), de condescendance des hommes vis-à-vis des femmes, de consentement, de rôle traditionnel, de charge mentale, d’occupation de lieux masculins (un magasin de bricolage) par des femmes, de politiquement correct (on ne peut plus rien dire), de persécution des mâles blancs dominants… Et même, dans une séquence, des femmes supportent stoïquement du mansplaining pour mieux manipuler leur interlocuteur mâle afin qu’il fasse le nettoyage de printemps de l’appartement de l’une d’elle. À l’instar d’une femme dans la dernière séquence, le lecteur peut lui aussi cocher les entrées de sa liste : tout y est dans les thèmes de la dénonciation du patriarcat. Dans le même temps, la charge féministe s’avère assez bénigne. L’humour désamorce toute critique, qu’elle soit contre les hommes ou contre les féministes radicalisées, ne serait-ce que parce que Isa n’est pas vraiment opprimée, et parce que les hommes qu’elle côtoie se conduisent en êtres humaines normaux. Voire la mise en scène gentiment caricaturale fait ressortir, par exemple, que l’explication condescendante d’un homme vis-à-vis d’Isa aurait très bien pu être formulée par une femme vis-à-vis d’elle, ou même par une femme vis-à-vis d’un homme. Dans le même temps, cela ne constitue pas non plus une raillerie contre des hommes tous machos ou bêtas. Virginie Despentes, Raphael Enthoven, Pascal Bruckner, Yann Moix, Chantal Montellier ne sont mentionnés que le temps d’une case chacun, pour la moquerie ou la référence culturelle, juste en passant. La promesse du titre peut se lire comme l’idée qu’Isa se fait de son comportement, trouvant qu’elle se rebiffe contre l’ordre établi qu’elle attribue au patriarcat, alors qu’elle ne fait que réagir à des comportements malpolis sans malice, voire qu’elle s’offusque pour pas grand-chose, ce qui correspond assez bien à la formulation de la quatrième de couverture : un combat en pantoufle armée d’un chat roux au creux de l’épaule. Un titre et une couverture qui captent l’attention du lecteur prêt à plonger dans une féroce critique soit du patriarcat, soit du féminisme radicalisé. Il apprécie tout de suite les rondeurs de la narration visuelle et son sens du détail, ainsi que l’expressivité des personnages. Il se rend compte que l’autrice se positionne sur le terrain de la dérision de la banalité, sans nier les difficultés des femmes dans la société, mais sans les attaquer de front non plus, sans tirer à boulet rouge contre tous les hommes, mais sans chercher à les glorifier non plus. Une vision plutôt attendrie de l’ordinaire banal du quotidien, avec un humour gentil et amusé.

16/09/2024 (modifier)