Les reportages BD / British International Comics Show 2006

BDTheque se rend à la première édition du festival international de BD de Birmingham (Angleterre). Compte rendu complet du week-end.


The Custard Factory

Introduction

Quelle misère, d’être webmaster d’un site de bande dessinée, et d’habiter en Angleterre, où la BD est marginale : peu de boutiques, presque pas de festivals… Une bien triste disette, uniquement rassasiée lors de mes rares retours en France.

C’est donc avec un mélange de surprise et de joie que j’ai appris le lancement du Birmingham International Comic Show, à une vingtaine de kilomètres de chez moi. Avec au programme de nombreux auteurs anglo-saxons de renom, des présentations, des concours, des attractions en tout genre… le tout dans une salle branchée de Birmingham, The Custard Factory… oui, vous avez bien lu « L’usine de crème anglaise », désaffectée puis entièrement refaite pour accueillir des soirées et évènements en tout genre.
Andi Watson

Andi Watson

1er jour, il est encore tôt, je profite du faible nombre de visiteurs pour me ruer sur Andi Watson avant qu’une queue ne se forme. Je fais dédicacer mon exemplaire de Little Star et achète au passage Breakfast After Noon, dont j’ai entendu beaucoup de bien. J’en profite pour lui poser quelques questions.

Andi, participes-tu souvent à ce genre de festival ?
Non pas vraiment, ils sont assez rares en Angleterre. J’ai déjà fait le festival de Bristol, mais c’est tout… Ceci dit j’aime beaucoup cette 1ere édition du festival de Birmingham.

Et quel est ton programme ce WE ?
Eh bien tu vois, rester assis ici, toute la journée, samedi ET dimanche (rires).

(Andi me rend mon exemplaire de Little Star) J’ai beaucoup aimé ce bouquin, mais le message que tu fais passer m’inquiète un peu… c’est si galère que ça d’avoir un enfant ?
(Long silence) Heu oui… mais ça en vaut la peine, ne t’inquiète pas trop (rires)

Accéder à la série BD Breakfast after noon Bon, j’arrête d’embêter Andi avec mes questions, il a déjà répondu à une interview pour BDTheque il y a quelques semaines (lien ici). Je m’isole dans un coin, et entame la lecture de « Breakfast After Noon ». Une fois ma lecture terminée, je reviens à la charge.

« Little Star » est inspiré par ton expérience personnelle… qu’en est-il de « Breakfast After Noon » ? Le personnage principal semble très différent…
Effectivement, le Simon de Little Star m’est très proche, alors que le Rob de Breakfast After Noon est plutôt une compilation de plusieurs personnes de mon entourage, de leurs problèmes, de leurs soucis… bon bien sur moi aussi j’ai déjà été au chômage, mais la ressemblance s’arrête là…

Merci Andi !
Mais de rien, ravi d’avoir fait ta connaissance…

Le plaisir était bien entendu partagé… Andi est un jeune homme charmant et plein de talent.

Et j’ai eu la surprise de découvrir dans « Breakfast After Noon » qu’il a vécu dans mon quartier ! Ouvrez votre exemplaire de la BD… le « fish and ships », le magasin de légumes, l’arrêt de bus, le pub… c’est chez moi ! « It’s a small world » comme on dit ici…

Ma dédicace de Little Star
Ma dédicace de Breakfast After Noon
Les Editions Fanfare

Les Editions Fanfare

En passant à coté du stand des éditons Fanfare, on m’interpelle : « Viens voir mes Bds… des bds dont la lecture nécessite enfin l’utilisation de son cerveau ! »

Intrigué par cette déclaration un peu bateau, je m’approche… et là, surprise, je découvre sur l’étalage de nombreux mangas « adulte » déjà paru en France, dont plusieurs Taniguchi… Enfin quelqu’un se décide à les publier en Angleterre !

Bonjour, êtes-vous l’éditeur de tous ces bouquins ?
Oui oui bien sûr. (Me répond-il enfin après m’avoir raconté, en français, qu’il a habité pendant plusieurs années vers Béziers, puis en Corse).

Votre spécialité est la publication de manga plutôt adulte ?
Oui, je ne lis personnellement pas que ça, je lis aussi beaucoup d’autres choses, mais en tant qu’éditeur, je me suis spécialisé dans ce genre de manga. Voici notre catalogue… (il me tend un très joli catalogue) C’est un catalogue à deux faces… un côté anglais, et un côté espagnol, car nous travaillons avec un éditeur espagnol pour publier ces très bons bouquins dans les deux pays… A noter que le coté espagnol contient plus de titres… je n’arrive pas toujours à obtenir les droits de publication pour l’Angleterre.

Les Editions Fanfare Ah bon ? Comment ça se fait ?
Les détenteurs de droit japonais s’imaginent que les marchés anglais et américain sont énormes, de l’ordre de 30 000 exemplaires par ouvrage… quand je leur dis que pour ce genre d’œuvre, c’est plutôt de l’ordre de 2000-3000 exemplaires, ils préfèrent vendre les droits à quelqu’un d’autre, malheureusement.

Le marché limité est donc la principale raison pour laquelle il est difficile d’obtenir les droits ?
Oui… ça, et le fait que certains droits soient liés à d’autres. Par exemple un gros éditeur anglais comme Viz achète les droits de toute un catalogue, mais n’en publie qu’une infime partie, qui correspond à leur public… Ils détiennent donc les droits de beaucoup de livres de qualité, mais qu’ils ne publieront jamais, car ça ne correspond pas a leur public cible : les enfants. Et je ne peux absolument rien faire pour débloquer ces droits.

Accéder à la série BD Quartier lointain Je remarque dans le catalogue la version anglaise de Quartier Lointain, mais le livre n’est pas présent sur ton étalage. Pourquoi ?
Ah ben voilà un bon exemple. Ils nous ont d’abord dit qu’on pouvait avoir les droits de publication de ce bouquin, mais une fois que le catalogue fut imprimé, les droits se sont trouvés mêlés à un gros marché entre Viz et le détenteur des droits japonais… Ce marché est principalement pour vendre du merchandising de Dragon Ball, comme ces t-shirt (il me montre des tshirts avec dédain), mais les droits de Quartier Lointain se sont retrouvé dans le même panier.

Donc cela veut dire que Quartier Lointain ne sera jamais publié en Angleterre ?
Oh je suis sûr que ça sera publié un jour ou l’autre… mais pas maintenant, et pas par moi ! C’est un peu frustrant, parce que ça fait 3 ans qu’on essaye !

C’est dommage parce que c’est peut-être son meilleur ouvrage…
Oui, je sais, il a gagné beaucoup de prix… Mais bon, j’aime aussi beaucoup celui-ci, L’homme qui marche. Apres une journée stressante au bureau, rien de tel que de prendre 10 minutes pour lire quelques pages, relaxation garantie !

Merci beaucoup pour toutes ces informations très intéressantes !
Mais de rien, ce fut un plaisir…

Accéder à la série BD Le Terrain vague Allez, j’achète un exemplaire de « A patch of dream » (Le terrain vague), il faut bien les encourager ces courageux petits éditeurs. Et je la tiens enfin, la réponse à la question que je me pose depuis un moment : pourquoi Quartier Lointain n’est pas encore publié en Angleterre ? La réponse est navrante : parce que les droits reviennent à Viz, un éditeur anglais qui n’a que faire de ce genre de manga…

Détail du catalogue :

Kinderbook, de Kan Takahama
Mariko Parade, de Boilet et Takahama
Yukiko’s spinach, de Boilet (L'Epinard de Yukiko)
Blue, de Kiriko Nananan
The walking man, de Jiro Taniguchi (L'Homme qui marche)
Doing time, de Kazuichi Hanawa (Dans la prison)
The times of Botchan, de Jiro Taniguchi et Natsuo Sekikawa (Au Temps de Botchan)
A patch of dream, de Oda Hideji (Le terrain vague)
Japan, collectif (Japon)
The building opposite, de Vanyda (L'immeuble d'en face)
Two Espressos, de Kan Takahama

Site web : http://www.fanfareuk.co.uk/
David Hitchcock

David Hitchcock

En me promenant dans les allées du festival, mon attention est attirée par le travail d’un dessinateur, David Hitchcock. J’aime beaucoup le côté noir et l’ambiance victorienne de son dessin, et les commentaires élogieux de Alan Moore et Dave Gibbons sur la couverture me donnent envie d’en savoir plus. J’achète un exemplaire, et pendant que David me le dédicace, j’en profite pour lui poser quelques questions…

Bonjour David, pourrais-tu me parler de ton livre s'il te plaît ?
Bonjour, il s’agit de l’édition intégrale de ma mini-série « Springheeled Jack », qui raconte l’histoire d’une créature « du diable » qui a semé la terreur dans Londres au 19eme siècle. Enlèvements, cadavres mutilés, témoignages mystérieux, enquêtes… tous les ingrédients du genre horreur/paranormal sont présents ! A noter que je l’ai fait imprimer en Europe de l’Est… les coûts d’impression sont beaucoup trop élevés ici en Angleterre…

Je ne vois que des commentaires élogieux sur la couverture, Alan Moore, Dave Gibbons…
Et Don Murphy !… Tu connais ce gars ?

Heuuu non (air gêné)
Et bien moi non plus je ne le connaissais pas. Il a commencé à m’envoyer des emails assez malpolis, sans dire bonjour, où il me demandait des exemplaires de mon travail… Je l’ai ignoré, n’appréciant guère le ton de ses messages. J’ai même partagé mon désarroi avec un ami, « t’as vu un peu ce type, il est gonflé ». Et mon ami de me répondre « Don Murphy ? Le réalisateur de Hollywood ? Le réalisateur des adaptations cinématographiques de From Hell et League of extraordinary Gentlemen ? » Inutile de te dire que je me suis précipité sur mon ordinateur pour lui répondre, m’excusant pour le retard, prétextant un problème avec ma boite mail !

Springheeled Jack Excellent, ta BD va être adaptée en film alors ?
Oh ça, je ne sais pas, rien n’est sûr… mais en tout cas Don Murphy est intéressé, et réfléchit à la question. Je croise les doigts, ça serait fantastique… Affaire à suivre !

Penses-tu que ton travail sera publié en France ? L’histoire de ta BD me semble parfaitement adaptée au marché français.
Je ne sais pas, j’espère, j’ai beaucoup de respect pour la BD française, tout est fait avec tellement de professionnalisme, il y a tellement de talent, de variété, ça serait un honneur.

Tu as l’air de bien connaître le marché français…
Oui, je suis un fan… je possède notamment tous les livres de François Schuiten… j’adore ses cités obscures, c’est tellement créatif. Certains exemplaires que j’ai sont en français, je ne peux donc pas les lire… mais j’admire son dessin, il est extraordinaire, on sent qu’il vient d’une famille d’architectes.

Merci David, et bonne chance pour la suite de ta carrière !
Merci à toi.

Pour des extraits et plus d’informations, rendez-vous sur le site officiel de l’auteur :
http://www.blackboar.co.uk/
Oliver Smith

Les Minicomics

Ce genre de festival est aussi l’occasion pour les amateurs de faire découvrir leur travail aux professionnels de l’industrie. Ils sont nombreux, entassés derrières des tables recouvertes de « minicomics », petites BD imprimées et reliées à la main…

Il y a de tout, et la variété des œuvres présentées est incroyable… Deux jeunes auteurs ont retenu mon attention, et gagnent ainsi le privilège d’avoir leur photo et leur lien sur le site !

Laurie Commençons par Oliver Smith, auteur notamment du superbe « Hazy Thursday », dont la couverture à elle seule a retenu mon attention… Le reste de l’œuvre est aussi réussie, et l’histoire est très poétique. Un jeune auteur à découvrir !
http://www.idlechild.co.uk/

Et comment ne pas s’arrêter à la table de Laurie, « spécialiste des dessins d’animaux disant des gros mots » ?!
Je lui demande un petit dessin d’un animal s’exprimant sur la couleur marron de BDTheque… et voilà le résultat ! Merci Laurie :)
http://www.veryworrying.com/
Dave Gibbons

Dave Gibbons

Deuxième jour de festival… je pénètre dans la salle, et aperçois une table avec un dessinateur en train de dédicacer un ouvrage… pas de file d’attente, alors je m’approche… « Tiens, il dédicace Watchmen dis donc, c’est quand même pas… je… mais… ah ben si, c’est Dave Gibbons ». Son nom était certes sur le programme, mais je n’y croyais plus… Je me fais dédicacer mes exemplaires de Originals et Watchmen (gasp), et en profite pour lui poser quelques questions :

Comment vis-tu le fait d’être le coauteur de Watchmen ? Es-tu flatté que les gens t’en parlent tout le temps ? Ou en as-tu un peu marre de parler d’un bouquin que tu as dessiné il y a quand même 20 ans de cela ?
Je vais te dire, je suis reconnaissant et honoré.
Reconnaissant parce qu’il faut quand même avouer que le succès de Watchmen a été pour moi l’opportunité parfaite de me faire connaître dans cette industrie très compétitive, et de gagner ma vie en faisant le métier que j’adore.
Honoré parce que Watchmen fait maintenant partie de l’Histoire de la bande dessinée, et est souvent pris en exemple, cité dans des livres et autres documentaires, et que cette renommée m’apporte beaucoup de fierté. Alors c’est sûr, je n’ai pas fait que Watchmen… mais ça ne me dérange pas du tout que les gens m’en parlent aussi souvent !

Accéder à la série BD Watchmen Watchmen, c’était il y a 20 ans… tu as évidement progressé et évolué depuis… que penses-tu maintenant de ton travail graphique sur Watchmen ?
Tout dessinateur te répondra sans doute la même chose : On est des maniaques, et quand on regarde notre propre travail, on ne voit que les défauts, et on voudrait recommencer en améliorant tel ou tel détail…
C’était encore pire pour Watchmen parce que les versions finales des pages m’avaient été présentées sur grand écran, sans couleur, mettant vraiment en évidence toutes ces petites erreurs que nous, dessinateurs, craignons tant.
Mais globalement je suis fier de mon travail sur Watchmen, et je ne pense pas que j’aurais pu faire mieux, dans le temps qui m’avait été donné à l’époque… je suis même surpris d’avoir réussi à finir toutes les pages dans les temps !

Dans un autre registre, tu as travaillé sur un jeu d’aventure « point and click » dans les années 90 : Beneath a Steel Sky. Quel était ton rôle dans ce projet ?
Ah, j’étais « conseiller artistique ». Je donnais mon avis sur la direction artistique du jeu. J’ai aussi dessiné les décors (qui ont ensuite été peints par un autre artiste) et toute la séquence d’introduction (des images fixes qui se succèdent, un peu comme une BD !).

Beneath a Steel Sky Pourquoi ce projet jeu vidéo ? Est-ce que ça t’a plu ?
C’est une opportunité qui s’était présenté grâce à mon éditeur, et j’ai sauté sur l’occasion ! C’était du travail intéressant, qui me faisait découvrir un autre univers, celui du jeu vidéo… Et je me suis éclaté comme un fou ! Les programmeurs de l’époque étaient comme nous, auteurs de comics : des originaux déconneurs, passionnés par leur travail… le marché du jeu a bien changé depuis, c’est devenu une vraie machine à pognon… C’est pourquoi je ne pense pas y retravailler de sitôt, malheureusement…

J’ajouterai que j’adore créer des mondes riches et cohérents, et que mon travail sur Beneath a Steel Sky m’a permis de mettre ça en application dans un jeu, et de prouver qu’il était possible de créer des jeux vidéo au contenu et au background aussi riche que d’autres médias…

Merci Dave, et bonne continuation !
Merci à toi Alix…

Et bien, il est vraiment sympa Dave Gibbons… pas la grosse tête du tout, super intéressant, bavard, souriant… Je m’isole dans un coin et passe les 10 minutes suivantes à admirer béatement ma belle dédicace de Rorschach…

Quelques liens utiles (en anglais) :
Retrouvez plus d'images du jeu Beneath a Steel Sky ici.
Lisez la mini-BD réalisée par Dave Gibbons, ayant servi pour la séquence d’introduction du jeu.
Pour jouer au jeu, visitez cette page.

Et voici ma dédicace de Watchmen !
Aurevoir !

Conclusion

Le festival se termine sur une présentation de moi-même et de différents auteurs européens… au programme : la BD européenne (notamment Française, Belge, Allemande et Italienne)… J’en ai profité pour encourager le public à aller acheter les versions anglaises du Combat ordinaire et de l’ascension du haut mal… J’espère les avoir convaincu…

Paul Birch, l’organisateur, me remercie chaudement et m’annonce que le festival est un succès… Il me donne rendez-vous l’année prochaine pour la seconde édition… J’y serai !
Reportage réalisé le 10/12/2006, par Alix.