Auteurs et autrices / Interview de Vanyda

Je fais la connaissance de Vanyda dans un café à Angoulême. Nous engageons la conversation autour d’un chocolat chaud, chaleureux comme l’est cette jeune femme, naturelle et sympathique, qui aime bien prolonger la conversation après épuisement de la bande du dictaphone.

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Vanyda Bonjour Vanyda. Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Vanyda, j’ai 28 ans et je fais de la BD, plutôt des histoires contemporaines, dans un style mélangé franco-belge et manga, et plutôt semi-réaliste.

L'immeuble d'en face, sauf erreur de ma part, a été d’abord publié à compte d’auteur. Comment t’y es-tu prise ?
On avait monté une association, Bom Bom Prod, aux Beaux-Arts avec François Duprat, qui a été mon scénariste pour L'Année du dragon, et David Bolvin. On a d’abord publié un fanzine, Porophore, où je dessinais des épisodes de L'immeuble d'en face. Il y en a eu un certain nombre, et j’ai fait un recueil. J’ai fait des photocopies, que j’ai pliées, agrafées, et je suis partie sur les routes pour le vendre.

Parle-nous de ta rencontre avec Vincent Henry, ton éditeur…
Viencent, justement, s’occupait du site BDSélection, pour lequel il achetait régulièrement des fanzines. Il est tombé sur Porophore, où il y avait L'immeuble d'en face en version auto-éditée. Il avait depuis longtemps l’envie de monter sa propre maison d’édition. Il m’a demandé si ça m’intéresserait de voir l’Immeuble d’en face publié, et j’ai dit oui. Bizarrement je n’avais jamais pensé le proposer à des éditeurs, je pensais continuer à le sortir à compte d’auteur. En plus c’était en noir et blanc, en petit format, alors que ç’aurait pu sortir en cartonné couleurs, comme pour L'Année du dragon. Ça s’est fait comme ça.

Accéder à la fiche de L'immeuble d'en face Dans L'immeuble d'en face, on ne peut pas ne pas penser que tu utilises en partie ta propre expérience. Est-ce que tu pourrais nous parler un peu de ta façon d'utiliser du vécu pour fabriquer une fiction lors de l'écriture du scénario ?
Il n’y a pas que de mon propre vécu, il y a les expériences des gens autour de moi dans mes histoires. Je pioche dans ces anecdotes qu’on me raconte, ça reste dans un coin de ma tête. Parfois, quand c’est très fort, je le note, comme ça peut arriver dans le métro, dans la rue, je repère des façons d’être des gens… Il peut y avoir un trait de caractère qui me permet de l’utiliser sur un personnage. Par rapport à mon vécu, j’utilise beaucoup des ressentis, des situations. Par exemple dans des situations sentimentales, ou lorsqu’il y a des décalages. J’utilise le ressenti en le replaçant dans un autre contexte, propre au personnage. Je l’ai fait dans le collectif sur la Corée, publié chez Casterman en 2006. J’ai fait un court récit sur le métissage franco-coréen. Je suis franco-laotienne mais j’ai replacé ça dans le contexte du collectif. J’avais été visiter le pays de mon père quelques mois avant ce voyage en Corée, et j’ai utilisé mon ressenti pour mon récit, qui suit le parcours d’une fille qui serait franco-coréenne.

Tu peux nous en dire plus sur ce collectif ?
Frédéric Boilet m’a présenté à Casterman en 2003 ou 2004, pour éventuellement travailler ensemble. Finalement ça ne s'est pas fait pour un projet, mais ils se sont souvenus de moi quand ils ont préparé ce collectif sur la Corée. Ils m’ont proposé de partir une semaine là-bas pour réaliser une courte histoire sur ce sujet. Je suis attirée par l’Asie en général ; j’aurais préféré le Japon, vu que j’apprends le Japonais depuis plusieurs années –même si je suis très nulle-, et je suis partie une semaine avec Hervé Tanquerelle et Guillaume Bouzard à Séoul. J’ai réalisé une vingtaine de pages du collectif qui est sorti en novembre 2006. C’était une très chouette expérience. Pour un prochain projet, je reprendrais bien les deux personnages de ce court récit, un frère et une sœur franco-coréens. J’aimerais aborder le thème du métissage, entre autres.

Accéder à la fiche de L'immeuble d'en face L'immeuble d'en face a eu un très bon accueil critique (et peut-être un succès de librairie ?). Est-ce que tu as noté une différence dans tes relations avec les éditeurs après ça ? Et si oui, de quel genre ?
Pour un album en noir et blanc chez un éditeur inconnu à l’époque, ça s’est très bien vendu. On en est à 8 000 exemplaires environ, ce qui n’est pas mal. On peut parler d’un buzz pour cette BD. J’ai eu l’impression que les gens, après avoir lu cette BD, ont eu envie d’en parler, de faire partager cette lecture. C’est comme ça que ça a commencé. Au début c’était le bouche-à-oreille, puis ça a atteint internet, puis la presse papier, et puis avec ma sélection à Angoulême en 2005, ce sont les télés qui sont venues me voir. Du coup les gens l’ont redécouvert, à nouveau le bouche-à-oreille a fonctionné, etc.

Avec ce succès qui t’a apporté de la notoriété, tes relations avec les éditeurs ont dû changer, non ?
En fait j’ai été approchée par les gros éditeurs avant le buzz. A la sortie de l’album auto-édité, en fait. Dagraud m’a contactée à ce moment-là, Delcourt un peu aussi. C’est marrant parce que ce sont des éditeurs qui m’avaient refusée avec L’Année du dragon. C’était un peu paradoxal. Plusieurs éditeurs m’ont dit « si tu as un projet, viens me voir ». Peut-être que par rapport à un dossier de quelques planches, avec l’album auto-édité, ils se sont rendus compte de ma narration. C’est vrai aussi, que l’Année du dragon était un projet grand format, en couleurs, qui me convient peut-être finalement moins. Peut-être que l’explication tient là-dedans.

On lui a accolé l’étiquette de roman graphique, c'est-à-dire, en gros, un ouvrage racontant les petits riens du quotidien. Revendiques-tu cette marque ?
Je pense que ce n’est pas faux. Pour moi c’est un mélange de roman graphique et de manga, donc j’aime bien cette dénomination.

Y aura-t-il un tome 3 ?
Oui, en 2010. Mais c’est vrai ! (rires). Je travaille actuellement sur une autre série Celle que je ne suis pas, et nous avons convenu avec l'éditeur (Dargaud) de sortir environ un tome par an. Du coup c'est un peu compliqué, de caler L'immeuble d'en face dans ce programme tout en respectant mes délais. Mais j’espère faire cet album en 2010, pour moi, pour les lecteurs et pour l’éditeur, la Boîte à Bulles. C’est prévu comme ça, en tout cas. Ce sera probablement le dernier. Comme je n’ai pas fini d’écrire l’histoire, je ne sais pas combien de pages il va comporter, et même s’il comporte plus de pages, je pense qu’il vaudra mieux le finir comme ça, plutôt que d’attendre encore trois ans pour un tome 4.

Accéder à la fiche de L'Année du dragon L'Année du dragon, sorti à la même époque (2003) chez Carabas, pourrait aussi se retrouver dans cette case roman graphique, sauf qu’il y a un petit bout de fantastique dedans… Comment est né ce triptyque ?
L’origine c’est un concours organisé par les Editions Tonkam, qui proposaient une publication dans un collectif. Le thème c’était les dragons, et j’avais envie de participer. Mais je n’avais pas de scénario à partir de dragons. François Duprat, pour rigoler, avait écrit une petite histoire, mais il disait que tout le monde allait faire de l’héroic fantasy, et il voulait prendre le contre-pied, placer ça dans le quotidien le plus banal possible. Il a introduit les dragons par le biais de l’astrologie chinoise et de ces flashes où le héros s’imaginait en dragon. Comme Tonkam était un éditeur de mangas, on s’est dit qu’avec mon dessin plus typé manga sur son scénario, ça pourrait marcher. On a envoyé l’histoire, et puis on s’est dit qu’on devrait l’envoyer à des éditeurs, au moins on serait payés au lieu de gagner juste une publication dans un collectif. On s’est retirés du concours et on a soumis ça aux éditeurs. Carabas a accepté après que tout le monde ait refusé. En fait ce sont certains de nos copains, publiés chez eux, qui ont présenté notre projet, et ça s’est fait comme ça.

Pourquoi François Duprat dessine-t-il les parties oniriques ?
Au début, j’avais essayé de faire aussi les parties oniriques, en changeant mon style, en faisant du SD (« super-déformé »), mais ça ne marchait pas très bien. Et puis François avait envie de dessiner un peu, donc voilà. (rires)

Accéder à la fiche de Balade au bout du monde Quelles sont tes influences ?
Au tout début, je regardais les dessins animés à la télé. J’étais très fan d’Olive et Tom, Les Chevaliers du Zodiaque, Le Samouraï de l’Eternel… Et en même temps je lisais Thorgal. J’ai mixé les deux influences. En franco-belge, il y a Sambre, Julien Boisvert, Balade au bout du monde. J’étais ado, j’avais entre 11 et 15 ans quand je lisais ça.

Après j’ai découvert Frédéric Boilet, Jean-Philippe Peyraud, des personnes qui racontaient les « petits riens » de la vie. Des auteurs qui racontaient le quotidien sans rajouter de fantastique, de meurtres, ou des choses spectaculaires. C’est à ce moment-là que je me suis dit que c'était ce genre d'histoire que je voulais raconter. Dans mes histoires précédentes, quand j’étais adolescente, je voulais raconter la vie de gens normaux, mais je mettais toujours de l’aventure, parce que je n’avais lu que ça. J’avais l’impression qu’il y avait besoin de ça pour faire une bonne histoire, alors que finalement non. Je me suis aperçue de ça vers 18 ans, avec ceux de ma classe qui m’ont fait découvrir ce genre de récits, les publications de l’Association aussi, les romans graphiques, etc.


Extrait de Celle que je ne suis pas Tu planches actuellement sur un projet qui devait sortir en avril chez Kana… Tu seras la première française à publier dans cette collection habituellement dévolue au manga, non ?
Ça sort finalement chez Dargaud, c’est la même boîte finalement. Ça ne s’est pas fait chez Kana, parce qu’entre-temps ils ont publié un français dans la collection Made in (Chris Lamquet, avec Io Memories). Il faisait partie de ces français qui sont partis au Japon à une époque. Trondheim, par exemple, avait fait La Mouche à cette époque. Lamquet avait commencé un projet, qui a été refusé au Japon, et c’est Dargaud qui a récupéré cette histoire ; Lamquet l’a terminée, et comme c’était en petit format, en noir et blanc, écrit pour le marché japonais, ils l’ont mis dans la collection Made in, chez Kana. Malheureusement, les acheteurs de cette collection sont des fans de manga, en général, et si cela n’est pas fait par un japonais cela ne les intéresse pas. Et inversement, les lecteurs de BD franco-belge « de base » ne vont pas voir ce qui est édité chez Kana non plus. Par conséquent, ils se sont dit que personne ne s’intéresserait à mon album s’il sortait chez Kana. Je me suis donc retrouvée chez Dargaud. Ils se sont dit que les amateurs de franco-belge aimeraient bien, et les amateurs de mangas qui s’intéressent au franco-belge aussi, comme ça s’est produit pour Pixie ou La Rose écarlate chez Delcourt, ou encore Sky-Doll chez Soleil.

Cet album raconte le quotidien d’une adolescente au collège, elle a 14 ans et traîne avec son groupe de copines, et elle vit sa vie. Ça sort en avril et ça s’appelle Celle que je ne suis pas. Le second sera Celle que je voudrais être, et le dernier normalement Celle que je suis. C’est un triptyque, de 192 pages en noir et blanc à chaque fois. C’est moi qui ai demandé cette grosse pagination, parce que j’aime bien avoir la place pour raconter. Ça aura le même format que L'immeuble d'en face. Je viens de finir le premier tome, et je commence le deuxième. Normalement il y en aura un par an, mais si je veux caler L’Immeuble d’en face 3, on verra. Ces albums ne prendront pas de place dans une collection particulière.

Quels sont tes projets ? Où en est "Cheap Motel", que tu devais réaliser avec David Bolvin (Mike Zombi, Oblivion) ?
Il est en train de le finir. Mais il a eu quelques difficultés sur la réalisation de cet album. Sur le chapitre des projets, la suite de Celle que... et L'immeuble 3, et ça fait déjà pas mal de boulot (rires). J’ai toujours des idées qui traînent, je note plein de choses, mais rien de concret pour l’instant.



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Interview réalisée le 13/03/2008, par Spooky, avec la participation de Lui.