Les interviews éditeurs / Interview de Serge Ewenczyk - Cà et Là

Entretien avec Serge Ewenczyk des éditions Cà et Là, éditeur de « bandes dessinées étrangères destinées à un public ado/adulte ».

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Serge Ewenczyk Bonjour Serge, peux-tu te présenter ?
Bonjour, en quelques mots : j'ai 38 ans, j'ai créé les éditions çà et là en mai 2005 après avoir longtemps travaillé dans la production télé, dont 5 ans en tant que producteur des dessins animés au sein du groupe Millimages.

Comment t’es-tu lancé dans l’édition ? Avais-tu des contacts avec des auteurs avant de te lancer ?
J'étais un peu fatigué de la lourdeur de la production des dessins animés et des diktats des chaînes de télévision qui cherchent à imposer leurs points de vues, et j'avais envie d'un peu de légèreté et d'autonomie. De par mes activités de producteur de dessin animés j'étais en contact avec des auteurs ou éditeurs de bd, j'ai donc pu voir comment ce secteur était organisé.

Par ailleurs, je suis en grand lecteur de bandes dessinées anglo-saxonnes en VO depuis plus de 25 ans, et je trouvais dommage que certains titres que j'appréciais ne soient pas adaptés en Français. J'ai donc décidé de me lancer dans l'édition en créant une structure spécialisée dans l'adaptation de bandes dessinées étrangères.

Tu te spécialises dans la publication de « bandes dessinées étrangères destinées à un public ado/adulte. » Pourquoi ce créneau ? Comment t’est venue ta passion pour la BD étrangère ?
Je n'ai tout simplement jamais arrêté de lire de la bd étrangère depuis que je suis gamin, en commençant par Mickey Magazine, en continuant avec les comics de super héros mainstream, puis le graphic novel à partir de la fin des années 80 avec Batman - Dark Knight, Watchmen, Maus, et tout ce qui s'ensuivit (Dan Clowes, Chris Ware, Seth, Joe Sacco et tutti quanti).

Accéder à la fiche de Nuits blanches Comment t’y prends-tu pour découvrir les BDs et les auteurs que tu publies ? As-tu des contacts à l’étranger ?
Je fouine dans les magasins qui font de l'import, je vais au moins une fois par an aux Etats-Unis, les agents des éditeurs étrangers m'envoient les nouveautés, et surtout beaucoup beaucoup beaucoup de surf sur les blogs et les sites d'auteurs, d'éditeurs ou de journalistes bd étrangers.

Et puis également, depuis quelques temps des auteurs étrangers m'envoient leurs projets parce qu'ils ont entendu parler de « Cà et Là », ce qui me permet de choisir des projets en amont, avant leur publication dans leur pays d'origine. Du coup, nous avons édité cette année quelques titres d'auteurs américains avant leur publication aux Etats-Unis, comme Nuits blanches de Joel Orf, "Pictures of You" de Damon Hurd et Tatiana Gill ou encore "Delayed Replays" de Liz Prince.

Pour le moment tu sembles surtout te concentrer sur des œuvres anglophones. Comptes-tu aussi explorer d’autres filons ?
Je "pratique" la bd anglo-saxonnes depuis assez longtemps et j'aime énormément le travail de nombreux auteurs américains, ou anglais, alors j'ai tendance à privilégier ces livres-là.

Ceci dit, il m'arrive de trouver des ouvrages et des auteurs non anglophones qui me passionnent et que je choisis de publier, comme les Finlandais Ville Ranta et Pentti Otsamo, ou la sud-africaine Karlien de Villiers (une dessinatrice afrikaner qui a écrit "Ma Mère était une très belle femme", l'un des gros succès de « Cà et Là »). En 2008 « Cà et Là » éditera des auteurs israéliens prodigieusement doués, Gilad et Galit Seliktar (ils sont frère et sœur).

Couverture de Ma Mère était une très belle femme Tu sembles utiliser différents traducteurs selon l’œuvre. Comment se fait ce choix ?
Pour les ouvrages de langues anglaise, j'essaie, autant que possible, de travailler avec un petit nombre de traducteurs ou traductrices, qui connaissent les contraintes de la traduction de bandes dessinées, et qui ont un style raccord avec celui des ouvrages publiés par « Cà et là » (qui sont dans la plupart des cas ancrés dans la réalité). En l'occurrence il s'agit de Sidonie van den Dries, Fanny Soubiran et Gabriel Colsim.

Pour les autres langues, il faut à chaque fois trouver un traducteur adéquat, ce qui n'est pas toujours évident, mais avec l'aide d'autres éditeurs on arrive toujours à trouver la bonne personne pour chaque projet.

Le marché de la BD actuel est-il difficile pour un petit éditeur tel que Cà et là ?
C'est sûr ! Le marché de la BD est difficile pour tout le monde en ce moment, les petits comme les gros. Les très gros s'en sortent un peu grâce à la taille de leur catalogue et leur présence dans tous les registres de la bd (franco-belge, comics, manga, roman graphique…). Pour les moyens et les petits indés c'est plus difficile. Les ventes sont très concentrées sur un faible nombre de titres, et de plus les gens achètent moins de livres, notamment en librairie généraliste qui étaient devenues au fils des ans des gros vendeurs de bd indé…

Quels sont tes meilleurs atouts pour faire connaître tes BDs ? Les librairies ? Une présence accrue sur Internet ? La presse écrite ?
Les libraires soutiennent les livres publiés par « Cà et là » depuis le début, et nous avons également plutôt bonne presse, mais je pense qu'il faut surtout un travail de fond, sur le long terme, pour construire une identité, et un catalogue cohérent.

Accéder à la fiche de Château l'Attente La star du moment au catalogue Cà et Là est Château l'Attente : acclamé au USA, récompensé par deux Eisner Award, l’accueil en France semble aussi très enthousiaste (avec entre autre une sélection à Angoulême !). Parle-nous un peu de ce bouquin.
Château l'Attente est un énorme coup de cœur, le premier titre édité par « Cà et là » qui ne soit pas réaliste (jusqu'ici nous avons publié uniquement des autobiographies ou bien des fictions réalistes). C'est un roman graphique remarquable, de l'heroic fantasy intelligente, intimiste et terriblement drôle, par un auteur qui ne prend pas ses lecteurs pour des abrutis. Linda Medley a créé cette série en 1996, et elle l'a autoéditée jusqu'en 2005 (après une brève collaboration avec Jeff Smith l'auteur du magnifique Bone).

"Castle Waiting" (le titre original) a été sélectionné 7 fois aux Eisner Awards et 5 fois aux Harvey Awards (et remporté deux Eisner et un Harvey), avant que le recueil de tous les épisodes précédemment publiés ne soit édité par la très prestigieuse maison d'édition Fantagraphics Books. Je suis très fier de le publier en français.

Sacré tour de force d’avoir réussi à obtenir les droits de publication en France non ? Il y avait d’autres éditeurs sur le coup ?
J'ai lu le recueil en juillet 2006 et j'ai immédiatement fait une offre à Fantagraphics. Comme nous avions déjà travaillé ensemble (pour la publication de Peine perdue de Catherine Doherty) et qu'ils avaient été très contents de notre travail, ils ont dit "banco" (enfin, pas "banco" mais quelque chose dans le genre). Après coup, quelques éditeurs m'ont indiqué qu'ils auraient bien aimé le faire…

Tu as choisi de respecter le format original (couverture cartonnée, dos simili-cuir marquage au fer à dorer, tranchefile et signet). Un pari technique difficile non ?
Techniquement ce n'est pas très compliqué, quand on a un bon imprimeur. Les livres publiés par « Cà et là » sont imprimés par la SYL, un excellent imprimeur espagnol de la région de Barcelone qui travaille avec de nombreux éditeurs français, comme Denoël, Le Seuil ou Panama.

Pas trop compliqué, mais très cher ! Nous avons pu mener à bien ce projet assez lourd financièrement grâce à l'aide du Centre National du Livre et de la Région Ile-de-France. Leur soutien nous a permis de concevoir le livre tel que nous le souhaitions et de baisser son prix de vente, chose à laquelle je tenais beaucoup car c'est un ouvrage véritablement tout public.

Accéder à la fiche de La Fille de Mendel Ne laissons pas Château l'Attente éclipser l’autre nouveauté du mois : La Fille de Mendel.
Tu as raison, il ne faut pas oublier La Fille de Mendel de Martin Lemelman, un magnifique témoignage graphique sur la Shoah. Il s'agit en fait du témoignage de la mère de Martin Lemelman, une juive ukrainienne qui vivait dans un petit village à la frontière avec la Pologne avant-guerre. Martin a mis en images ce témoignage très sobre et très émouvant avec beaucoup de pudeur et de justesse. Je me réjouis d'ailleurs que nous ayons la chance d'avoir une belle préface de Serge Klarsfeld pour la version française de ce livre.

A noter que La Fille de Mendel est présenté dans le cadre de la très belle exposition "De Superman au Chat du Rabbin" qui se tient au Musée d'art et d'histoire du Judaïsme à Paris jusqu'à fin février 2008.

Quels sont tes projets pour l’année 2008 ?
Dormir un peu…
Et publier une petite dizaine d'ouvrages, dont un petit livre très rigolo de Emily Flake, Elles ne vont pas se fumer toutes seules, qui raconte comment elle n'a pas arrêté de fumer… Puis 110% de Tony Consiglio, le comparse d'Alex Robinson (auteur du génial De mal en pis), suivi de Ferme 54 de Galit et Gilad Seliktar, la suite des aventures de Alec de Eddie Campbell…. Ou encore un ovni : The Mourning Star (on n'a pas encore le titre français) de Kazimir Strzepek : de la S.F indé !!!

Merci Serge, et bonne chance pour la suite !
Merci à toi !



A voir aussi :
Le site officiel de Cà et Là
Interview réalisée le 04/12/2007, par Alix.