Editeurs et éditrices / Interview de Maxime Marion - Manolosanctis

Manolosanctis vient juste de lancer ses premiers albums, fruits d'une initiative très intéressante sur internet. Rencontre avec son directeur artistique.

Voir toutes les séries de : Manolosanctis


Maxime Marion - Manolosanctis Bonjour Maxime. Comment est né Manolosanctis ?
A l’origine Mathieu, Directeur général et technique de Manolosanctis avait un frère qui avait un blog BD, et il souhaitait diffuser plus largement ses planches, plutôt qu’elles soient noyées dans la masse ; il a donc eu l’idée d’une plate-forme qui proposerait les planches, ainsi que celles d’autres auteurs, une sorte de Youtube de la BD… Il nous a proposé, à Arnaud et moi, de participer également, car on avait des profils assez complémentaires. Arnaud avait fait une école de commerce et moi des études artistiques. Et on s’est dit que tant qu’à faire, autant ne pas reprendre un modèle avec de la publicité en ligne comme Youtube, mais éditer ceux qui nous paraissent les plus intéressants et qui marchent bien sur le site.

Pourquoi ce nom ?
C’est en référence à une BD que Mathieu et moi avions débuté étant plus jeunes ; c’était le nom du personnage principal. On a repris ce nom parce qu’en pseudo-latin ça veut dire « la main sacrée », et qu’on ne voulait pas s’appeler « BDweb.com ». On voulait un nom original, comme les maisons d’édition dont on se sent proches. Cornélius, la Boîte à bulles, on voulait un nom un peu comme ça. C’est un peu dur à dire, mais une fois qu’on l’a intégré il ne se retient pas si mal finalement.

D'où vient le logo ? Il représente quoi ?
Ah, c’est un peu comme le logo de Carrefour, il y a un visuel un peu caché, mais une fois que tu as saisi tu ne vois plus que ça. Ce sont deux mains qui se dessinent mutuellement, en référence à Escher, dans une sorte de mouvement perpétuel. Maintenant que tu le sais, tu ne vois plus que ça (rires).

Accéder à la BD Phantasmes Le succès a été foudroyant, puisque la société n’existe que depuis moins d’un an, et que 800 albums sont en ligne avec plus de 500 000 lectures enregistrées.
Une version bêta a été lancée en mai 2009, des auteurs ont commencé à venir de manière un peu confidentielle, et le site été ouvert au public en septembre dernier. Dès le début il y a eu des bandes dessinées de Thomas Gilbert et Renart, qui ont mis leurs albums en ligne, et qu’on a édités par la suite. Ensuite les choses se sont enchaînées assez vite effectivement. 800 albums en 8-9 mois, 500 auteurs, dont une cinquantaine ont été publiés. Le projet Phantasmes a beaucoup aidé au démarrage du site. Commencer par un concours, qui plus est parrainé par Pénélope Bagieu, ça a aidé à lancer véritablement le site.

Tu peux nous parler plus en détails de Phantasmes ?
Une sorte d’appel à contributions, un concours de BD auteur d’un thème. Assez classique sur la forme, avec juste un thème, celui du phantasme. C’était assez risqué, avec l’objectif d’un mois pour recevoir toutes les propositions, avec un thème peut-être un peu racoleur, mais qui au final a bien inspiré les auteurs. Ils ont bien joué le jeu, ce n’est pas bêtement un ouvrage érotique, c’est bien plus riche. Ensuite on a fait "13m28", qui va sortir en juillet, et qui est beaucoup plus novateur.

Extrait de 13m28 Quelle était l'idée de départ du collectif ?
L’idée c’était de profiter de la plateforme qu’on a mise en place, de mettre en œuvre, de partager les outils que l’on avait à notre disposition, pour faire un ouvrage qui sorte des sentiers battus. Là, contrairement à phantasmes, on ne voulait pas un ensemble d’histoires qui se suivaient mais n’avaient rien à voir, mais au contraire d’avoir une vraie histoire qui se déroule, avec 20 auteurs, chacun avec son scénario et son graphisme. On a demandé à RaphaelB (NB : dessinateur de BD zombiesques chez Ankama notamment) de commencer l’histoire. Le sujet c’est la ville de Paris inondée (jusqu’à "13m28", d’où le titre) en référence à la catastrophe de 1910. Les auteurs ont commencé à tous mettre des planches, ils en discutaient sur le forum, sont allés voir les planches des autres, ont greffé les récits entre eux… Au final on a quand même fait un travail éditorial là-dessus, il fallait corriger des choses, tout ne collait pas toujours, par exemple un personnage qui meurt alors qu’il ne devrait pas, il a fallu faire le montage pour que l’ensemble contienne un fil narratif cohérent. Il y a des flashbacks, des spin-offs, mais aussi une vraie évolution des personnages, qui gagnent en épaisseur tout au long du livre… Ca commence sur un ton assez léger, et l’album prend sur la fin une dimension plus grave. Le pari, pour moi, est franchement réussi.

Accéder à la BD A Renaud C’est donc les retours des internautes qui décident, ou plutôt qui orientent la maison d’édition vers une publication papier ou pas. Il y a peut-être moins de risque en termes de succès, non ?
L’édition papier est en fait un processus qui combine les préférences des internautes et ce qui convient à notre ligne éditoriale. C’est plus par la pratique qu’on va se rendre compte de la façon dont ça marche. Le plus simple est de considérer que les internautes sont comme un premier comité de lecture, géant, qui va nous aider à ne pas rater les petites perles, à faire remonter les contenus les plus intéressants. Ensuite nous faisons notre choix parmi ces ouvrages pour les insérer dans nos collections. Au lieu d’avoir un stagiaire qui épluche des dossiers envoyés par la Poste, on a quelque chose de plus objectif et de plus transparent. On ne voulait pas faire un modèle du genre où lorsqu’un un récit obtient tant de votes, on le publie. On ne voulait pas quelque chose de mécanisé, mais de plutôt souple, avec toutefois un vrai regard d’éditeur derrière.

Tu parlais de ligne éditoriale : quelle est-elle ?
Manolosanctis publie de la bande dessinée pour jeunes adultes, entre 18 et 35 ans, avec des dessins « nouvelle école », au trait plus lâché, dans la lignée de Sfar et Trondheim, et des sujets graves, assez matures. Plus ça va, plus j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de références cinématographiques dans ce qu’on publie, des séries B assez décalées… La plupart des auteurs qu’on publie sont des jeunes talents, certains sont tout juste diplômés, d’autres sont encore étudiants, et du coup on a des projets assez barrés, on n’est pas sur de la BD hyper-classique. Cependant on ne veut pas faire de la BD ennuyeuse, il faut que cela reste accessible. On veut pouvoir toucher un large public, mais avec de la qualité et de la profondeur. On est un peu entre Delcourt et Cornélius finalement.

Accéder à la BD Oklahoma Boy Mais les albums édités restent disponibles en lecture numérique sur votre site. N’avez-vous pas peur que finalement les gens préfèrent venir sur le site plutôt que d’acheter les albums ?
Oui, ces albums seront toujours accessibles gratuitement sur le site. Par contre, comme sur le modèle de threadless, un site qui fonctionne un peu comme le nôtre puisque les gens votent pour des motifs de t-shirts, et que les plus populaires sont finalement imprimés, on se rend compte que ce ne sont pas forcément ceux qui vont faire le plus la promotion des motifs qui vont être les acheteurs. Notre projet, depuis le départ, est basé sur la conviction que les gens sont friands de supports numériques ; la BD, art visuel, peut se lire sur un écran, mais pour nous le papier n’est pas mort. On le voit par exemple au fait que la BD indépendante progresse en termes de part de marché. Ça prouve que les lecteurs de BD ont envie de nouveauté, de produits qualitatifs. Notre objectif est vraiment de nous servir de l’outil numérique pour promouvoir le papier payant. On le voit, d’autres maisons d’édition ou des maisons de disques, ont vu leurs ventes boostées lorsqu’elles ont ouvert leur contenu, leur catalogue. Ce n’est pas le même plaisir de lire Oklahoma Boy sur un téléphone que de l’avoir entre les mains. C’est notre conviction. De plus il faut savoir que les versions qui sont en ligne ne sont pas tout à fait celles qui sont éditées. Il y a toujours, systématiquement, des pages bonus, on en fait un maximum pour le bouquin. Pour Oklahoma Boy, la version en ligne est celle, brute, que l’auteur nous a proposé. Par la suite on l’a retravaillée, on a changé du texte, on a fait du travail de correction, on a rajouté des pages ; sur Mon cauchemar et moi, il y a une douzaine de pages qui n’existent que sur la version papier. Il y a eu aussi un gros travail sur la couleur.

Accéder à la BD Mon cauchemar et moi Surtout que le prix de certains est un peu prohibitif… Je pense par exemple à Mon cauchemar et moi, qui est certes une belle découverte, mais vendu 13,50€… Un peu cher pour un album en demi-format, non ?
Non, je ne trouve pas (rires). En fait c’est très subjectif, car quand on aime un album, on rechigne moins sur le prix qu’on a pu payer. D’une manière générale, sur les quatre premiers livres qu’on a faits, on a un petit peu baissé les prix de vente. Ensuite, sur Mon cauchemar et moi, quand tu regardes un album de la collection Bayou, dont le format est comparable, il est à 16,50 euros pour 16 pages en plus… Pareil pour du KSTR… On essaie quand même de faire des beaux objets, avec du carton, du Munken Pure, qui est un des papiers les plus luxueux, utilisé notamment par Futuropolis, il y a des dos ronds... On a une finition qui est quand même soignée, on jour sur le côté collectionneur, on fait des bouquins qui vont tenir dans le temps. Pour toi par exemple, la taille de l’album va jouer, alors que pour d’autres c’est en termes de temps de lecture, de qualité de l’illustration. C’est quelque chose qui est assez difficile, mais oui on est sur de la BD haut de gamme.

Votre « débarquement » en librairie ressemble presque à un bombardement, avec d’ores et déjà plusieurs dizaines d’albums de prévus…
Cinq albums vont sortir en juin. Ensuite "13m28", "Princesse Suplex" et "les Aventuriers du Dimanche" vont suivre en juillet. Notre objectif est d’avoir une quinzaine d’albums édités d’ici à la fin de l’année. On est une start-up, et on essaye d’innover dans le monde de l’édition ; qui dit start-up, dit jeunes nerveux hyper-motivés qui tentent de mettre la pression (rires)… C’est assez apprécié par les auteurs aussi, mais on se rend compte qu’on est assez décalés par rapport au circuit traditionnel du livre. Pour nous il n’y a jamais plus de deux mois qui se déroulent entre la fin d’un album, la dernière main de l’auteur, et sa disponibilité en librairie. Pour un ouvrage aussi ambitieux que 13m28, on a lancé le concours début février, et début juillet il sera en librairie. C’est quand même un projet avec 20 auteurs, un concept innovant… C’est vrai que c’est très serré, on est très exigeants avec nos auteurs de ce côté-là, on leur met la pression… A l’inverse, je crois qu’ils apprécient beaucoup le fait que de notre côté on se bouge aussi.

Extrait de Princesse Suplex Quels sont les projets sur lesquels vous fondez vos plus gros espoirs ?
Tous (rires). Il n’y a pas de livres sur lesquels on fonde plus d’espoirs que d’autres ; on ne fait que des livres qu’on a envie de faire, la diversité présente sur le site nous permet d’avoir ce luxe. Ensuite, pour des collectifs du style de "13m28", on aimerait continuer à en faire ; au début on voulait en faire beaucoup, mais on s’est rendus compte que c’était très lourd comme processus, on ne pourra pas en faire quatre par an. Mais on veut recommencer, car on est très fiers des deux collectifs qu’on a faits. On avait très peur quand on les a lancés, mais finalement c’est très positif, ça représente un premier contact sympa et pour les auteurs et pour nous. Les auteurs qui ont participé aux collectifs sont aussi des auteurs qui nous intéressent séparément, et on va continuer à travailler avec eux. Par exemple avec Léonie, on s’est lancés sur Princesse Suplex, qu’elle nous a proposé. Il y a plein d’auteurs talentueux, comme Woozit, Thomas Mathieu, qui sont aussi des blogueurs, qui nous ont fait la surprise de participer, et du coup on a envie de travailler avec eux. On essaye d’avoir une relation privilégiée avec les auteurs, parce qu’on est quand même une petite maison d’édition, et l’avantage d’une petite structure, c’est qu’on peut avoir une proximité. A Angoulême, les trois quarts des auteurs de Phantasmes étaient présents, on essaye vraiment de jouer sur ce plan-là ; ce n’est pas parce que ça commence sur le web que c’est froid.

De l'eau a coulé sous les ponts, par Thomas Gilbert Il me semble que parmi les projets présents sur le site de Manolosanctis, il y a des auteurs non-débutants ?
Oui, d’ailleurs le premier qu’on a signé, Thomas Gilbert, avait déjà signé Bjorn le Morphir chez Casterman. Renart aussi, avait signé chez KSTR, et dont l’album est sorti après. Maureen Wingrove, alias Diglee, a signé chez le même éditeur que Margaux Motin, chez Marabout. Sur Phantasmes, l’album est parrainé par Pénélope Bagieu, qui commence à avoir pas mal d’albums à son actif, il y a aussi Lommsek chez Vraoum,.. Pour "13m28", on a Leslie Plée, qui a fait un bouquin chez Jean-Claude Gawsewitch, Thomas Mathieu qui a signé pour un Shampooing… Ca reste des jeunes auteurs quand même, avec peu de publications, et la moyenne d’âge doit être en dessous de 30 ans.

Si un jeune auteur souhaite se faire publier chez vous, que doit-il faire ?
On a essayé de mettre le moins de freins possible à quelqu’un qui ne soit pas spécialement technophile, l’inscription prend deux minutes, et ensuite n’importe qui peut charger son album, comme une video sur Youtube, on indique une description de l’album, on donne quelques renseignements, et en cinq minutes l’album est créé, exportable et visible par tous. Ensuite, si l’on aime la BD, qu’on la repère grâce aux votes, on va contacter l’auteur en direct, et on travaille ensemble si le projet s’avère réellement intéressant. Autant lorsque c’est en ligne c’est du creative commons, autant lorsqu’on décide d’éditer l’auteur, ça devient du classique, avec un contrat d’édition, même si c’est plus rapide que chez des éditeurs traditionnels. Et le fait que la BD fasse cinq ou deux cents pages ne nous gêne pas. Parce que si les cinq pages sont vraiment excellentes et que le pitch nous interpelle, on va travailler ensemble. Après, même si nos collections ont quelques contraintes en termes de format, au niveau du nombre de pages on se laisse une certaine souplesse. Un peu comme Futuropolis, avec lesquels on se découvre pas mal de points communs. Même si on a des auteurs qui ont moins de bouteille, on a des parti-pris assez proches. Manolosanctis permet de faire connaître au plus grand nombre son travail, de le partager un maximum, car les auteurs les moins connus qui n’ont même pas de blog profitent de la visibilité des plus connus et qui ramènent du trafic.

Accéder à la BD Base Neptune Peux-tu nous présenter les collections ?
A l’heure actuelle il y a cinq collections. La collection Médée, ce sont des petits formats, des histoires de femmes faites par des femmes ; la collection Agora, ce sont les collectifs, les ouvrages collaboratifs, en général des gros bouquins avec de la bonne finition, cartonnés ; la collection Styx, qui a changé un petit peu de format entre Base Neptune et Mon cauchemar et moi. On voulait une plus grande unité en même temps qu’une vraie identité visuelle sur cette collection, du coup on es passés du souple au cartonné, on a changé d’imprimeur récemment, ce qui nous a permis aussi ce changement. Cette collection regroupe des albums d’aventures un peu sombres, fantasmagoriques… La collection Gemini, qui n’existe pas encore, qui sera dans un grand format, un peu comme Phantasmes mais plus fin, qui aura deux facettes, comme les jumeaux Castor et Pollux. L’idée de cette collection sera de regrouper des récits gais, humoristiques, ou au contraires plus sombres, plus graves, mais en grand format. C’est en conception pour l’instant. "Les Aventuriers du dimanche" devrait être inclus dans cette collection. Et la dernière collection c’est Karma, où rentre tous ce qui ne va pas dans les autres collections. Oklahoma Boy et ses « suites » (c’est une trilogie) vont y paraître ; le premier est broché, les suivants devraient être cartonnés. L’album suivant montrera Oklahoma quand il aura grandi. La collection recevra également les projets un peu barrés, les BDs en format carré, etc.

L’ambition de Manolosanctis au final ?
C’est… de vendre plein de BDs (rires). Plus sérieusement, de se faire une petite place sur le territoire des éditeurs indés, d’avoir des auteurs heureux de travailler avec nous, de faire des livres qui marchent bien, qui plaisent...

Maxime, merci.
Merci à toi.



Lisez toutes les BDs ci-dessus et bien plus encore sur le site de Manolosanctis !
Interview réalisée le 07/06/2010, par Spooky.