Auteurs et autrices / Interview de Jérémy Le Corvaisier

Il aurait pu être réalisateur, brodeur de coussins, comédien ou agent de caisse près de chez vous mais c'est par le biais du 9ème art que Jérémy le Corvaisier a décidé d'investir notre quotidien. A notre tour d'observer ce touche-à-tout prometteur.

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Jérémy Le Corvaisier Bonjour Jérémy, ta première bd Fastermarket vient de sortir mais c'est loin d'être la seule corde à ton arc si j'en juge aux vidéos arty que tu as réalisés et dispos sur la toile, peux tu te présenter ainsi que ton parcours ?
Actuellement, j'ai 32 ans, j'habite Rennes et je suis dessinateur et scénariste de bande dessinée. Avant ça, c'est un peu le bordel...

J'ai habité un peu partout et fait un peu n'importe quoi. En gros, j'ai une formation artistique. Un BAC Arts Appliqués, un peu de Beaux Arts et un BTS stylisme de mode. La mode, je n'y comprenais rien, ou plutôt, je n'avais pas envie de la comprendre, donc il a fallu que je me recycle. A partir de là, j'ai entamé une fantastique carrière de caissier (que j'exerce encore un peu d'ailleurs...). Parallèlement j'en ai profité pour explorer un paquet de médiums. J'ai graffé, créé une ligne de coussins brodés, fait un peu de photos et beaucoup de vidéos.

C'est cette dernière pratique qui m'a le plus stimulé et amené à la narration. Au départ c'était très instinctif mais petit à petit je me suis mis à écrire, ce qui m'a poussé à réaliser un moyen-métrage autoproduit « 1979-2019 ». J'ai ensuite écrit le scénario d'un long métrage que j'envisageais de faire produire, mais bon... Le cinéma... C'est un peu compliqué...

Accéder à la BD Fastermarket Après cette contrariété, j'ai mis de coté la vidéo pour pratiquer de façon frénétique le dessin. Assez rapidement j'ai illustré quelques numéros des Inrockuptibles. Ensuite, l'idée de faire une bande dessinée à germé, ce qui donné Fastermarket...

Je suis tombé sous le charme de ton bouquin grâce aux 4 pages du fascicule que mon libraire m'a remis :) Comment arrive t-on à une œuvre aussi singulière ? Est-ce un projet qui te tenait à cœur particulièrement ? Dis nous en quelques secrets...
Comme je l'ai dit précédemment, je suis un « caissier professionnel », donc le monde de la grande distribution, je connais... C'est usant et déprimant mais c'est un formidable vivier de personnalités et de parcours tous très différents. J'ai créé les personnages sur cette base en accentuant le misérabilisme jusqu'à le rendre absurde.

Aussi, il m'a semblé nécessaire d'exporter ce contexte dans un genre narratif identifiable. Le polar était parfait pour maintenir une tension tout en s'autorisant de larges détournements.

Cette galerie de personnages me rappelle pas mal de films indépendants américains, d'ailleurs où situes-tu la ville abritant Fastermarket ?
Effectivement, les protagonistes de Fastermarket ont tous une identité fortement marquée. C'est par exemple ce qui me fascine dans les films des frères Coen. Le soin apporté aux personnages est fondamental et singularise clairement leurs oeuvres.

Sinon la ville, ce serait plutôt Salt Lake City que Dijon...

Une planche de Fastermarket Le choix des couleurs, rouge, jaune, ocre imprime un sentiment inédit dans la bd franco-belge. Tu voulais vraiment te démarquer des autres styles ?
Je ne pense pas avoir essayé de me démarquer, c'était plutôt intuitif. Du reste, j'ai une culture bd assez pauvre. C'est peut-être d'ailleurs pour cette raison que mon travail se détache un peu des autres.

En parlant de style, te comparer à Pierre la Police et Charles Burns est un compliment ou un embarras ? :)
C'est un compliment bien sûr. Ce sont deux artistes que j'admire autant pour leurs dessins que pour leurs scénarios. J'ai eu des crampes abdominales en lisant les « Véridique ». Quant à Black hole c'est la première bd qui m'a réellement retourné et qui m'a donné envie de m'y mettre.

Est-ce un choix conscient ou pas de créer une œuvre indépendante ? Est-ce possible un jour de te retrouver au cœur d'une œuvre mainstream ?
J'avoue ne pas avoir vraiment calculé le degré d'indépendance de Fastermarket. Mais en finissant ce projet, je savais que je ne pouvais pas le présenter à n'importe qui. Je n'ai rien contre l'idée de faire plus « mainstream », mais je ne suis pas sûr de savoir comment faire...

Ces trognes pas possibles aux looks improbables, c'est du vécu ou de la fiction ?
Et bien, la grande distribution ça inspire...

Une planche de Fastermarket Etait-ce un choix spontané que de présenter Fastermarket dans un format à l'italienne avec 2 planches par page ? Le découpage est impressionnant. Que voulais-tu faire ressentir à tes lecteurs ?
A la base, Fastermarket a été conçue de façon classique mais il y avait quand même 258 planches et en couleurs... Tout ça avait un coût. Rapidement mon éditrice m'a proposé ce système de double planche qui marchait très bien puisque de nombreuses séquences fonctionnaient par groupes de 4. Au final, ce principe renforce le découpage initial, la densité des planches intensifie l'oppression ambiante et affirme l'identité graphique.

Fastermarket est une expérience incroyable et concluante, j'en veux encore ! As- tu d'autres projets sous le coude ou souhaites-tu explorer d'autres média artistiques ?
Pour l'instant je préfère continuer à approfondir la bande dessinée. Mon prochain projet est en cours. Là encore il y aura beaucoup de personnages. Cette fois, ils évolueront dans un univers qui rend hommage au mythique « Twin Peaks » de David Lynch. Donc, à suivre...

Quel enrichissement tires-tu d'Angoulême où tu es venu présenter ton œuvre ? D'ailleurs que lis-tu actuellement ?
Angoulême était vraiment une première pour moi. Même en tant que spectateur je ne l'avais jamais fait. C'est très dense et ça donne un peu le vertige. Mais l'expérience était bonne. J'ai pu rencontrer mes premiers lecteurs et les retours étaient franchement positifs.

Une planche de Fastermarket J'ai pu aussi rencontrer les autres auteurs des Enfants Rouges, des gens talentueux avec un GROS capital sympathie.

Coté lecture, je suis entrain de lire un roman, « Lointain Souvenir de la Peau » de Russell Banks. C'est excellent mais j'imagine que tu souhaites connaître mes lectures bd ? Dernièrement j'ai lu les 3 tomes d'un manga, « Nekojiru Udon » de Nekojiru. C'est simple, efficace et terriblement troublant. Je le conseille fortement.

Je verrais bien Aphex Twin illustrer ton travail. Un autre choix ou tu valides ? :)
Hmmm, avec Aphex Twin, il y aurait vraiment de quoi se sentir mal à la lecture...

Je pencherais plutôt pour Richard Gotainer. Une sélection de ses meilleurs titres en guise de bande originale ce serait parfait !

Y a-t-il un artiste pour lequel tu te verrais bien dessiner ou écrire un scénario ?
C'est une idée à laquelle je n'ai pas songé pour l'instant. Actuellement dans mon travail, je ne dissocie pas l'étape écriture de l'étape dessin, l'une nourrissant l'autre et inversement.

Toutefois ça pourrait être une bonne expérience, mais avec qui...? Je suis ouvert à toutes propositions.

Une planche de Fastermarket Si je veux me faire dédicacer mon exemplaire, où puis je te rencontrer dans les mois à venir ? (Personne ne vient dans ma Lorraine snif)
Un dernier mot de la bouche de Marc Poutre mon personnage préféré ? :)
« J'ai une grosse livraison à décharger là. Je vous laisse ...» Marc Poutre

Jérémy, merci et à très bientôt !
Merci à toi !
Interview réalisée le 12/03/2014, par Jetjet.