Editeurs et éditrices / Interview de Fabien Vehlmann - 8 comix

Huit auteurs, dont certains très connus, ont lancé une expérience en ligne, en proposant des BDs gratuites, libres de droit ou inédites, pour voir quel impact cela pourrait avoir sur d’éventuelles ventes des albums papier. Tâchons d’en savoir plus.


Fabien Vehlmann Hello Fabien, on vient vers toi concernant 8 comix. Alors, c’est quoi ?
C'est un site mettant en ligne des BD gratuites, faites par des professionnels (Cyril Pedrosa, Alfred, David Chauvel, Efix, Gess, Jérôme et Oliver Jouvray, Les frères Salsedo, moi…) quasiment toutes dans leur intégralité et proposées par épisodes chaque semaine ou chaque mois.

Comment vous positionnez-vous dans la foule d’éditeurs qui sont d’abord présents sur Internet, comme Sandawe, Manolosanctis, etc. ?
Eh bien déjà, nous ne sommes pas un éditeur. Nous sommes un regroupement d'auteurs qui avons eu cette envie de tenter quelque chose sur le net, et qui avons ensuite évoqué cette possibilité avec des éditeurs classiques. Mais nous ne sommes pas une entreprise.

Cliquez pour voir un extrait de la BD ARA (Chapitre 1), par McBurnie/Chauvel/Ankama Vous déclarez la guerre aux éditeurs classiques ?
Justement pas. Certains internautes ont tendance à le penser parce que de nombreux membres de 8comix sont aussi au syndicat des auteurs de BD ("Groupement BD du Snac"), mais la réalité est sensiblement différente. La preuve, c'est que nous avons lancé ce site en accord avec certains gros éditeurs, qui ont financé la création de quelques projets. Notre démarche ne consiste pas à entamer un combat frontal, mais à tenter de faire bouger les lignes traditionnelles qui séparent éditeurs et auteurs, ou auteurs de "livre papier" et blogueurs. C'est une sorte d'expérimentation douce, qui se fait pour l'instant en accord avec tout le monde.

Au départ vous étiez huit (d’où le nom du site-projet), mais j’imagine que vous allez être rejoints par d’autres ?
Peut-être en partie, nous verrons plus tard, mais en fait nous engageons surtout les auteurs intéressés par une telle démarche à lancer leurs propres sites (que nous mettrons bien sûr en lien avec le nôtre).

Nous voudrions en effet que 8comix ne présente qu'un nombre limité d'œuvres à la fois, ce afin d'éviter la saturation du lecteur qui viendrait visiter notre site. C'est une des limites d'internet : comme on peut tout y trouver, on a vite tendance à s'y perdre, et c'est un écueil que nous voudrions éviter.

Accéder à la BD L'Île aux cent mille morts Certaines des BDs présentes sur le site vont-elles être publiées en albums, comme L'Île aux cent mille morts, qui est sorti chez Glénat ?
Tout à fait. C'est un exemple d'une des collaborations effectuées avec des éditeurs traditionnels. Ici, Jason et moi avons démarché Glénat en leur demandant s'ils accepteraient de tenter cette aventure avec nous, en finançant la création de "L'île aux 100 000 morts" afin d'en faire un album papier, tout en acceptant une mise en ligne gratuite sur le site 8comix, ce afin de voir si la gratuité a un impact négatif ou positif sur les ventes du livre. Franck Marguin a accepté de jouer le jeu.

Mais je dois aussi préciser que certains auteurs de 8comix ne se sont pas faits financer par des éditeurs, et ont choisi de produire par eux-mêmes leur BD, pour voir comment elles seraient perçues par le public. Si jamais le succès est au rendez-vous, ces auteurs seront donc en pleine possession de leurs droits d'édition, numériques et audiovisuels. C'est un pari qui peut être intéressant à moyen ou long terme.


Pourquoi d’ailleurs, proposer en ligne un album trouvable en librairie ? Ca ne pose pas de problème avec l’éditeur ?
C'est un des intérêts de cette expérience. Jusqu'où la gratuité de lecture (très commune sur internet) peut elle impacter la vie d'un album "papier" ? C'est une question qui anime beaucoup de débats sur le piratage, et je ne pense pas que la réponse soit simple à apporter. A titre personnel, je pense qu'un peu de piratage ne fait pas tant de mal que ça aux œuvres, mais leur permet parfois au contraire de se faire connaître. Par contre, un piratage massif pourrait effectivement avoir un effet lourd de conséquence. Ici, nous essayons de prendre le problème dans l'autre sens, en proposant nous-mêmes de lire nos BD gratuitement, au moins cette fois, avec tel ou tel de nos albums… Dans le cas de "l'île aux 100 000 morts", si j'en juge des premières ventes faites à Angoulême ou ces dernières semaines, le site 8comix n'a pas l'air de faire du mal aux albums papier. Mais on y verra plus clair dans quelques mois.

Accéder à la BD Lili & Winker On y trouve aussi Lili & Winker, épuisés chez Delcourt et introuvable dans le commerce.
C'est un autre intérêt de 8comix : faire revivre des BD introuvables en librairies et libres de droits. Comme vous le constatez, nous tentons un peu tout ce qu'internet nous permet, nous "bidouillons"… Par exemple, il est aussi prévu de traduire certaines des BD d'8comix en Anglais. Une autre manière de voir ce qui va se passer !

La bande-annonce sur la page d’accueil est sympa… Comment est venue l’idée d’exploiter les talents de comédien d’Olivier Ka ?
Parce que c'est un vieux pote d'Alfred, et qu'ils nous ont fait le plaisir de fabriquer cette chouette bande-annonce bien débile, rien que pour nous.

8comix s’est aussi décliné en blog, qui annonce l’état d’avancement des différents récits et les mises à jour, et on le trouve aussi sur Facebook, dans un groupe dédié, via des flux RSS. Vous êtes partout !
A vrai dire, ce type de positionnement multiple est un peu obligé si on veut avoir un minimum de visibilité sur internet. Olivier Jouvray s'occupe du webmastering de 8comix et nous a donc rendu ce fier service. Et nous, en échange, essayons de mettre régulièrement des bêtises sur le blog, en abordant des sujets brûlants, tels que le nombre de lapins présents dans les pages de Cyril Pedrosa, inventeur du genre littéraire appelé "Immigration-kawaii".

Cliquez pour voir un extrait de la BD Portugal Certains, dont toi, doivent avoir un emploi du temps bien compliqué ; pourtant vous arrivez, tes camarades et toi, à soutenir un bon rythme de publication et trouvez même le temps de vous balancer des piques sur le blog. J’imagine que la calendrier de publication est prévu d’avance ?
Il est prévu dans un joyeux bordel... Les BD dont la publication est la plus régulière ("Portugal", ou "L'île aux 100 000 morts" par exemple) sont des albums déjà amplement avancés, voire terminés. Les autres auteurs apportent leurs pages au fur et à mesure de leur réalisation, parfois assez rapidement. Nous savons donc comment se dérouleront les prochains mois, mais nous naviguons à vue, en essayant de garder un certain état d'esprit, et par exemple en montrant aux lecteurs du blog le type de camaraderie idiote qui peut animer nos mails quand nous nous balançons des vannes entre nous. C'est une autre forme de partage, assez marrante à animer.

Cliquez pour voir un extrait de la BD Au royaume (Chap.1), par Salsedo/Jouvray/Salsedo ed. Lombard Quels sont les premiers retours des lecteurs, des autres auteurs, des éditeurs ?
Plutôt bons. Les lecteurs semblent ravis, le taux de fréquentation du site est bon, les éditeurs-partenaires ne semblent pas se plaindre. La Fnac s'est même déclarée très intéressée par notre aventure, et nous a proposé des échanges de bons procédés.

Sinon, certains auteurs se demandent s'ils ne vont pas essayer aussi de se lancer dans une aventure similaire.

D'autres nous disent que nous pourrions aller plus loin, en créant un site payant ou semi-payant (freemium). Ce sont effectivement de bonnes idées, mais plus compliquées à mettre en œuvre et qui se feront sans doute en dehors de 8comix.

Enfin, certains blogueurs ont parfois eu l'impression que nous nous présentions abusivement comme des "pionniers" de la BD en ligne, ce que nous ne sommes pas du tout : nous arrivons bien après moult œuvres très excitantes créées directement en ligne. Mais une fois passé ce léger malentendu, ils ont majoritairement compris que notre principale innovation, outre le fait de bosser main dans la main avec des éditeurs traditionnels, consistait en réalité à venir du monde de la BD et de faire un pas vers la blogosphère. C'est une petite différence, mais elle nous semble importante.

J’espère en tous les cas que cette expérience incitera d’autres auteurs à faire comme vous, c’est assez chouette. Merci d’avoir bien voulu nous consacrer un peu de temps, Fabien.
De rien !



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Interview réalisée le 15/02/2011, par Spooky.