Auteurs et autrices / Interview de Etienne M. - Objectif Mars

Après l’aventure Fugues en Bulles, Etienne M. nous revient avec une nouvelle maison d’édition : Objectif Mars. Rencontre avec ce dynamique auteur-dessinateur-éditeur.

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Etienne M. - Objectif Mars Etienne, bonjour. Il y a 15 mois, je t'interviewais pour que tu nous présentes le collectif de Fugues en Bulles (voir ici). Aujourd'hui, j'aimerais que nous parlions de ta propre carrière de dessinateur et de ta nouvelle maison d'édition.
Avec plaisir, Mac Arthur !

Avant toutes choses, pourquoi une nouvelle maison d'édition ? Fugues en Bulles ne répondait plus à tes envies ?
Fugues en Bulles est un collectif d’auteurs que nous avons créé avec Czek et Thierry Boulanger. Je l’ai porté pendant 4 ans et j’ai mis beaucoup de moi dedans. Il était temps de laisser les autres auteurs s’en occuper, apporter un nouveau souffle, de nouvelles idées. J’avais aussi envie de développer d’autres projets : des romans illustrés, de nouveaux projets pour un public plus jeune ou encore des récits plus engagés. J’ai eu envie de développer un vrai travail d’éditeur. Je me suis vraiment aperçu que j’avais le goût de porter des projets, de voir naître de nouvelles histoires, de mettre en place un lien solide avec les auteurs avec lesquels je travaille.

Quels sont les objectifs, d'Objectif Mars ? Les premières productions tiennent plus du roman illustré que de la bande dessinée. Quelle place sera accordée à la bd à l'avenir ?
Oui, il y a pour le moment deux romans illustrés mais les productions à venir sont plus BD, au sens classique du terme, à l’image de la petite collection Astro-Kidd. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas seulement la BD traditionnelle, mais bien la manière de raconter une histoire. Donc mon désir est plus d’explorer différentes façons de conter une histoire, de la mettre en valeur : comment la présenter à un public, comment penser la mise en page, le choix du papier, du type de reliure, du format (format Comics, BD belge, à l’italienne...) travailler l’objet livre en adéquation avec ce que l’auteur voudrait proposer. Trouver l’écrin idéal.

Voir la page de Brumes Sanglantes sur le site de Objectif Mars J’aime l’objet livre. J’ai envie d’éditer des BD très graphiques, des récits engagés, BD jeunesse, carnets de voyage/BD, ...

Et en matière de BD numérique ?
Si l’on parle de BD numérique, je pense que l’optique chez moi est la même. Pour le moment, les éditeurs qui font du numérique proposent une version numérique de l’album papier, alors qu’à mon sens ce média devrait être pris à part entière, c’est à dire exploité, exploré comme un nouveau moyen de raconter une histoire en tenant compte des supports (tablettes de toutes sortes) et de sa richesse narrative (entre le dessin animé et la BD ).

Malgré la généralisation d’internet, la distribution reste un gros problème pour les petits éditeurs. N’est-ce pas paradoxal de vouloir faire de beaux albums, agréables à toucher, et de les vendre sans que le lecteur puisse les tenir en main au préalable ?
Oui, tu as raison, cela semble paradoxal, mais il faut bien utiliser les outils à disposition pour distribuer les albums. À mon échelle, débuter en ayant un distributeur, c'est se mettre une balle dans le pied, dès le départ. J'ai l'habitude de me débrouiller seul pour promouvoir mon travail ; lorsque je veux présenter mes toiles, je trouve un lieu (pas forcément une galerie), j'expose et je vends. J'opère de la même manière pour les albums que je produis avec Objectif Mars. Je vais au charbon. Et c'est pour cette raison aussi que j'essaie au maximum de défendre les albums sur de multiples salons BD et du livre. Cela demande de l'énergie et du temps.

Couverture de Tokyo Story Au fait, comment est-ce que cela fonctionne quand un petit éditeur dans ton genre veut placer ses productions en librairie ?
Je discute avec le libraire directement, je préfère qu'il me prenne peu d'albums et les défende ; c'est une relation de confiance. On discute aussi pourcentage, bien-sûr. Mais avec l'énorme production actuelle, il vaut mieux pour moi faire quasi du porte à porte libraire pour placer quelques albums plutôt que des dépôts systématiques, avec un risque de retour... pas toujours en bon état.

Tu collabores toujours aux collectifs de Fugues en Bulles. Comment les autres auteurs ont-ils vécu ton départ ?
J’ai collaboré avec Fugues en Bulles jusqu’à mai 2011, alors que j’ai parallèlement créé Objectif Mars Editions, en janvier 2011. J’ai mené à bon port, avec Jacques D Portes, les deux derniers projets de Fugues : Betty Story et Tokyo Story. Tokyo Story est d’ailleurs en compétition à Angoulême pour le prix BD alternative de 2012 comme Polar Story le fut en 2011. J’suis assez fier de ça, aussi !

J’ai annoncé mon départ en novembre 2010. Czek et Thierry ont eu du mal à avaler la nouvelle de suite. Et c’est normal. Je portais beaucoup de choses. Il a fallu petit à petit que Fugues se restructure, trouve un nouveau souffle, et ça c’est assez positif ! Fred Martin, mon frère ainé, a repris la tête du collectif.

Et sous mon impulsion, nous sommes en train de travailler à 3 petits éditeurs autour d’un même projet : Les éditions Kotoji, Fugues en Bulles et Objectif Mars... Nous vous tiendrons au courant de l’avancée de ce projet secret, toute cette année 2012 !

Voir la page de Boss & Toinette sur le site de Objectif Mars Ta propre carrière me semble décousue. Dessinateur, peintre, grand amateur de musique, éditeur, n'as-tu pas parfois le sentiment de te disperser dans de trop nombreux projets ?
C’est parce que tu ne me connais pas. Rien n’est décousu, bien au contraire. Tout ce que tu appelles “projets”, c’est ma vie, ma manière de fonctionner. Tout est intimement lié. Maintenant, ne mélangeons pas tout, faire de la batterie ou du saxo, cela reste un loisir. Pour le reste, je peins, j’illustre, je fais de la BD, ou je m’occupe de l’édition d’un album avec le même enthousiasme, le même sérieux !

Toute la difficulté de nos jours, c’est qu’il faut absolument entrer dans une boite, dans une case. Je me sens moi-même en jouant avec les cases, en décloisonnant tout cela. C’est pour ça que je trouve que la BD est encore bien cloisonnée, bien étriquée dans ses petites cases... Les romans illustrés et les petites BD de la collection Astro-Kidd que j’ai édités durant l’année 2011 sont modestement un avant-goût de mon désir de faire voler en éclats toutes ces cloisons !

Pourquoi aimes-tu tant expérimenter dans ton travail ?
Parce que c'est comme ça que je conçois mon métier. Parce que chaque projet est un challenge. Je n'aime pas faire continuellement la même chose. J'ai besoin à chaque fois de chercher le meilleur moyen graphique pour raconter telle ou telle histoire. C'est certes dangereux, mais c'est agréable. C'est comme découvrir un nouveau pays, à chaque fois. Et je ne suis pas le seul, des auteurs comme Yslaire, Larcenet, Cromwell, etc... proposent des approches graphiques différentes presqu'à chaque nouveau projet. Un régal !

Accéder à la BD Brezza (la sirène du GogoSwing) Revenons à ta carrière de dessinateur. Avec le recul, quel regard portes-tu sur Brezza (la sirène du GogoSwing) ? Songes-tu toujours à lui faire vivre de nouvelles aventures ?
Brezza est un personnage que j’ai créé en 1996. Elle a beaucoup évolué, un peu comme mon alter ego. J’ai beaucoup d’affection pour ce personnage. Avec le recul, j’aime encore beaucoup certaines planches du premier album édité chez Fugues en Bulles, et d’autres moins, bien entendu. Mais surtout, cet album a été le premier vrai laboratoire. Je me suis dit : « là, tu peux explorer des pistes ! » J’y ai intégré des toiles. Ça a été une vraie aventure plastique. Le tirage a été assez confidentiel puisque sorti fin 2008 à 500 exemplaires. Presque 400 albums vendus à ce jour pour cette BD bien étrange.

J’ai repris le personnage, il y a peu de temps, avec Céka au scénario. Nous l’avons re-cadré dans un univers plus actuel ; elle est plus femme en accord ou en désaccord avec son époque, intermittente du spectacle. Ce sont de petites histoires d’une page que je présente environ tous les 15 jours sur le site d’Objectif Mars, avec l’idée de l’éditer à la fin de l’année.

Accéder à la BD A vos z'amours Comment es-tu arrivé sur A vos z'amours ? As-tu dû suivre une ligne graphique stricte ou étais-tu libre d'exploiter ton propre style ?
Karine Elghozi, la scénariste, m’a d’abord proposé la suite. Nous étions en contact tous les deux pour un de ses projets, fort bien écrit, mais que nous n’avons pas réussi à développer ensemble.

Pierre Uong avait travaillé le premier tome avec Karine. Après quelques essais, Nathalie Meulemans, responsable des éditions “Les enfants Rouges”, a décidé de me proposer la suite. Pierre avait déjà bien campé les personnages et l’univers noir et blanc très contrasté. Je me devais de respecter son travail pour ne pas déstabiliser les lecteurs du premier tome. Mais j’avais dit aussi que je ne pouvais pas faire du “Pierre Uong”. Il fallait qu’on sente la filiation, mais je voulais apporter ma griffe. Ce travail a été très riche pour moi, mais aussi éprouvant.

Accéder à la BD Contes et Légendes du Moyen âge en bandes dessinées Tu fais une apparition sur Contes et Légendes du Moyen âge en bandes dessinées des éditions Petit à Petit. Que t'apporte ce genre de collaboration ?
Ainsi que “Contes des Indes”, avec Eddy Simon au scénario. C’est toujours très intéressant et excitant de faire des collectifs car sur peu de pages, on peut prendre des risques graphiques ! J’adore ça ! C’est ce que nous avions mis en place avec Jacques D Portes dans la collection “Story” chez Fugues en Bulles. J’aime explorer graphiquement de nouvelles pistes.

Parviens-tu à vivre de ton art ?
Oui, modestement, mais oui, car j’ai justement plusieurs cordes à mon arc. Je fais du travail de communication, des logos, des illustrations de livres pour enfants, manuels scolaires, pubs médicales, plaquettes, affiches, BD, peinture... Mon travail d’éditeur ne me rapporte rien pour le moment. Je fais vivre la structure et je m’acquitte des droits d’auteurs, en fonction des ventes.

Comment juges-tu le milieu de l'édition actuel ?
Vaste question ! D’abord, je ne juge pas, je peux seulement constater.

Il y a surproduction. C’est évident. Est-ce que je participe à cette surproduction ? Je ne le pense pas car ce que je veux, c’est éditer peu d’albums par an pour pouvoir ensuite les porter, les défendre. Je suis aussi assez à part puisque je distribue moi-même, pour le moment, mes albums via le site internet, les festivals et les quelques librairies chez qui je dépose quelques exemplaires.

Cliquez pour voir une planche de Brezza Mais il faut quand-même avouer, qu’il n’y a jamais eu autant d’albums étonnants, passionnants depuis une dizaine d’années ! Mais il faudrait revenir à une production plus réaliste pour que les auteurs soient aussi payés correctement. Je ne sais pas comment fonctionnent les gros éditeurs mais, dans ce monde où le chiffre est roi, leur objectif est sans doute de faire du chiffre. Nous sommes à un tournant. Beaucoup d’auteurs se demandent s’ils ne vont pas arrêter carrément de faire de la BD car il est difficile de vivre uniquement de ce média avec certains salaires à la planche plus que dérisoire.

La BD numérique pointe son nez. Quel effet sur les droits d’auteur ? Quel effet sur les ventes d’albums en dur d’ici 5 ans ? Quel effet sur les imprimeurs ? Sur les prix des albums ? J’observe... je reste attentif et enthousiaste.

Et, enfin, quels sont tes projets actuels en tant qu’auteur dessinateur ?
J'ai terminé il y a peu de temps l'illustration (couverture et illustrations intérieures) d'un roman pour enfants (éditions Averbode, collection Récits Express) et aussi des illustrations d'une histoire courte pour « Tremplin », un magazine jeunesse. D'autres vont suivre. Et pas mal de boulot de pub, aussi.

Cliquez pour voir un croquis sur le Tango Côté BD, je ne présente plus rien aux éditeurs ; j'avance deux projets très personnels : Brezza, avec Céka au scénario pour fin 2012 et un projet BD noir et blanc, (nom provisoire: Luce, Libertad) BD d'anticipation sociale et politique, type manga, très copieux, qui va me prendre pas mal de temps pour la réalisation. Brezza est prévu pour Objectif Mars. Quant au second je ne sais pas encore. Mais je veux mener le projet au bout.

Côté projets collectifs, je prépare un collectif pour Objectif Mars, en noir et blanc sur le thème de l'eau, pour mars/avril 2012, une petite contribution à un collectif « Egoscopic » mené par Jérôme Gorgeot, et une autre, entièrement à l'aquarelle, pour le projet top secret regroupant les trois éditeurs Kotoji, Fugues et Objectif Mars. Voilà une année qui promet d'être bien remplie.

Sans parler de la préparation d'une série de peintures à l'huile sur le thème du Tango.

Etienne, merci et à bientôt.
Merci à toi et à toute l’équipe de bdtheque.com !



A voir aussi :
Le site de Objectif Mars
Le blog de Etienne M.
Interview réalisée le 19/01/2012, par Mac Arthur.