Auteurs et autrices / Interview de Etienne Davodeau

Etienne Davodeau a remis au goût du jour un genre bien délaissé dans la bande dessinée, la BD-reportage. Avec Rural !, les Mauvaises gens et Un Homme est mort, il a écrit de belles pages, historiques pour le 9ème art. Entretien.

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Etienne Davodeau Bonjour Etienne, un retour sur vos débuts dans la bande dessinée ?
Rien de très original, je le crains. Enfant lecteur intensif, et dessinateur compulsif. Ado fanzineux. Une sorte de cliché. Je n’ai cependant jamais été un collectionneur de bande dessinée. Juste un lecteur avide, et un dessinateur autodidacte.

On a fait votre connaissance avec Les Amis de Saltiel en 1992. Cette série « Génération Dargaud » en trois tomes vous a mis le pied à l’étrier pour réaliser Le Constat, en 1996. Très remarqué, cet album vous a permis d’enchaîner de nombreux projets. Un petit retour sur ces premières œuvres ?
Les Amis de Saltiel, c’est trois ans de travail trop rapide et sans recul. C’est aussi la joie d’être enfin publié, de connaître enfin ce moment qui nous fait tant fantasmer auparavant : entrer dans une librairie et y trouver ses propres livres. C’est aussi une cruelle découverte : un auteur peut ne pas s’entendre bien avec ses livres. C’est souvent mon cas. Surtout pour ces trois premiers.

Il y a quelques années, Dargaud les a retirés de son catalogue, je n’ai pas protesté. Depuis, d’autres éditeurs m’ont proposé de les rééditer. J’ai parfois hésité, mais jamais accepté. Un jour, peut-être…

Je rentre du Québec et j’ai une bonne nouvelle pour les quelques lecteurs français qui me réclament parfois ces bouquins : ils sont encore dispos là-bas, à ma grande surprise.

Le Constat, c’est un livre que j’ai réalisé plus tranquillement, plus librement, sur une pagination que j’ai choisie. Un travail sans doute un peu plus maîtrisé.

Pourquoi avoir choisi le medium de la BD pour faire passer vos messages souvent très engagés ? Seriez-vous tenté de changer de media pour vos documentaires ? A quand un "docu vidéo" de Davodeau ?
Étrange question. Demanderiez-vous à un cinéaste pourquoi il ne fait pas de la bande dessinée plutôt que des films ?

Accéder à la fiche de Chute de Vélo Est-ce que Chute de Vélo est tiré de faits réels voire autobiographiques ou est-ce de la fiction ?
Comme il existe des yaourts avec des vrais morceaux de fruits dedans, mes livres de fiction (car c’en est une) sont toujours constitués d’authentiques éléments (auto)biographiques.

Pour dire les choses plus clairement, non, Jeanne, Clément et les autres personnages de Chute de Vélo n’existent pas, mais oui, cette maison existe, oui, j’ai assisté au naufrage qu’est cette saloperie de maladie, oui j’ai aussi assisté au calvaire d’un jeune apprenti sous les aboiements d’un maçon et oui, j’ai fait, très exactement, cette magnifique chute de VTT dans les vignes.

C’est ma méthode et je n’en ai pas d’autres : je recycle dans mes livres ce qui se passe autour de moi. C’est ce qui explique qu’on y croise aussi peu de gros barbares, d’extraterrestres, ou de play-boys multimilliardaires.


Accéder à la fiche de Rural ! Après Rural !, Les Mauvaises gens, et Un homme est mort, la BD fiction c'est définitivement fini pour vous ?
Non, pas du tout. Mes prochains livres seront des fictions. J’aime alterner les deux.

Travailler sur un reportage et/ou un documentaire absorbe terriblement. C’est une masse de travail énorme, qui s’ajoute au travail déjà volumineux inhérent à la bande dessinée « classique ». Il faut rencontrer des gens, les faire parler, chercher des archives, comparer, vérifier etc.

Et puis, quand le livre est sorti, il nous mobilise beaucoup. Je participe à de nombreux débats etc. C’est très stimulant. J’adore ça. Et ensuite, j’aime beaucoup aussi retrouver la quiétude de mon atelier, et la liberté que procure la fiction, où les personnages ne nous appellent pas au téléphone pour préciser un point de détail.

Après Les Mauvaises gens, puis Un homme est mort, je suis donc actuellement dans une période « fiction », peinard. Mais je sais déjà que je reviendrai avec appétit au reportage.


Depuis quelques années vous êtes directeur de collection chez Delcourt, veillant plus particulièrement sur des projets relatifs au « récit du réel ». Que pensez-vous de l’expression « roman graphique » ? Cela correspond-il bien à vos œuvres, à celles que vous accompagnez ?
Je ne suis plus directeur de collection chez Delcourt depuis longtemps, j’y ai renoncé assez vite, tant cette tâche empiétait sur mon travail d’auteur.

Quant à l’expression « roman graphique », je m’en fous un peu. Je laisse ces classifications aux historiens et aux sémiologues de la bande dessinée. La seule chose que je sais, c’est que je fais des livres de bande dessinée.

J’ai parfois besoin de dessiner des livres de 150 ou 200 pages en noir & blanc, parfois des livres en couleurs. Je trouve très bien que les auteurs se soient libérés du fameux « 48 CC ». En tant qu’auteur et en tant que lecteur, j’ai un goût certain pour les récits longs, mais je ne m’interdis pas les formes plus classiques. Nous avons désormais le choix, c’est très bien.

Accéder à la fiche de Les Mauvaises gens Dans Les Mauvaises gens, vous aviez sollicité vos parents sur leur vécu dans le milieu syndicaliste. Apparemment, ceux-ci avaient exprimé une certaine pudeur et même une certaine récalcitrance quant à voir leur vie retracée ainsi dans un album BD. Qu'ont-ils pensé du résultat ? Est-il conforme à leurs attentes ?
Leur opposition à mon projet a été réelle. Il m’a fallu beaucoup de temps pour les faire céder. Entre autres choses, je leur ai promis une totale tranquillité après la sortie du livre.

Considérons donc que leur sentiment actuel face à cette expérience relève de leur vie privée. À titre personnel, je peux cependant préciser que, pendant la réalisation de Les Mauvaises gens, les personnes que je sollicitais en tant que témoins, nourrissaient de réels doutes quant à l’intérêt de ma démarche. « On n’a rien fait d’extraordinaire. », « Ça va intéresser personne. » sont des phrases que j’ai très souvent entendues. Le parcours du livre leur a prouvé qu’ils avaient tort. C’est ma petite victoire.

Etes-vous surpris par le succès et les prix qui ont récompensé cet album ?
J’assiste à ça en spectateur. Je reçois beaucoup de messages de gens qui ont croisé dans mes pages leur propre histoire, et de gens dont c’est souvent le premier livre de bande dessinée, et qui sont surpris que la bande dessinée, « ça puisse aussi être ça ». S’engagent parfois de beaux dialogues.

Vu le côté engagé de vos productions, vous retrouvez-vous souvent forcé de devoir défendre vos points de vue et votre intégrité ? (je pense notamment à l'affaire Un homme est mort, qui avait agité les forums il y a quelques mois).
« Une affaire Un homme est mort » ? De quoi s’agit t-il ?

Accéder à la fiche de Un homme est mort Il s'agit d'un échange de messages entre Michel Corre, écrivain, et Kris par l'entremise de plusieurs forums de sites sur la BD.
Qualifier ce micro-incident d’ « affaire », c’est accorder beaucoup d’importance à ce type venu de nulle part qui a balancé 2-3 contrevérités grotesques sur notre livre avant de se faire proprement et définitivement renvoyer dans les cordes par une réponse argumentée, précise et irréfutable de Kris, passablement énervé par ce genre de malveillances et par Pierre Le Goïc, l’historien, LE spécialiste de l’histoire brestoise qui nous a beaucoup aidés à réaliser Un homme est mort. Mais, oui, c’est vrai, ces livres-là sont souvent en prise réelle avec l’actualité ou l’histoire d’une région ou d’une époque. Et ils sont toujours délibérément subjectifs. Alors, parfois, il faut argumenter, expliquer. J’aime bien le débat contradictoire, donc je ne fuis pas les questions, ni les désaccords.

L’honnêteté m’oblige néanmoins à avouer que les débats organisés autour de ces livres le sont souvent par des gens qui en ont apprécié le propos. Ainsi, rencontrer des lecteurs d'Un homme est mort, avec Kris, à la Fête de l’Huma Bretagne, a été un très beau moment, mais moins sportif que si le débat avait eu lieu à l’université d’été du MEDEF.

Cet album a été l’objet d’un film réalisé par Bénédicte Pagnot, Avril 50. Pouvez-vous nous parler de ce film ?
C’est une amusante boucle qui se termine. Un film disparu est l’objet d’un livre, qui est à son tout l’objet d’un film. Irai-je jusqu’à faire un livre documentaire sur le tournage ? L’existence de ce film est due, entre autres, à l’intérêt croissant qui se manifeste autour de l’œuvre (plus nécessaire que jamais) de René Vautier. Avril 50 est, en quelque sorte, le journal filmé de notre travail, des premiers contacts de Kris jusqu’à l’imprimerie. Bénédicte n’était pas déjà là lorsque Kris a initié cette aventure, quatre ans auparavant, mais elle su retranscrire la longue marche de ce breton têtu. Elle nous a fait un beau cadeau.

Un homme est mort et Les Mauvaises gens ont une perspective historique certaine. N'êtes-vous pas tenté d'aborder, toujours avec le même regard militant, des questions plus directement contemporaines (les banlieues, par exemple) ? Après tout, Sarkozy vient d'être élu avec 53% des voix, cela ne titille-t-il pas l'homme de gauche que vous êtes ?
Comme je vous l’ai dit plus haut, je compose mes livres de ce qui m’entoure. C’est mon point de vue. C’est de là que je parle. Je ne me sens guère plus autorisé à raconter les banlieues en 2007 que le Kansas en 1889. Je n’y ai qu’assez peu foutu les pieds. Ceci dit, vous avez raison : que 53% de mes compatriotes aient voté pour ce petit clone énervé de G.W. Bush me plonge dans une grande perplexité. Pour autant, je ne suis pas sûr d’avoir envie, ni d’être capable d’aborder ce sujet en bande dessinée. Les dessinateurs de presse sont plus réactifs et plus synthétiques que nous. Je les vois, sur ce genre de sujets, comme de redoutables sprinters. Moi, je suis un marathonien. Et les quelques coups éditoriaux publiés à l’occasion de ces élections me confortent dans cette idée.

Accéder à la fiche de Max et Zoe On connaît le Davodeau dessinateur du quotidien et de ses petits ou gros travers, mais moins le Davodeau scénariste de séries jeunesse, comme Max et Zoe, une série dessinée par votre vieux complice Joub. D’où est venue cette envie d’écrire pour les plus jeunes ? Et pourquoi la série s’est-elle arrêtée en 2003, après 5 albums ?
J’ai eu envie d’écrire pour les enfants parce que ce sont des lecteurs très gratifiants. Là où l’adulte filtre (volontairement ou non) ses lectures à l’aide de sa culture, de ses a priori, de ses références, l’enfant plonge. Sans élastique. En confiance. C’est très agréable –et très responsabilisant- pour l’auteur du livre.

Guy Delcourt a arrêté Max & Zoé parce qu’il estimait les ventes insuffisantes.

Couverture de Geronimo Quels sont vos projets BD à venir ? A nouveau une BD documentaire ? Si oui, sur quel thème ? Et chez quel éditeur (Delcourt ou Futuro) ?
Géronimo est un triptyque écrit et dessiné à quatre mains avec Joub. Le premier volume sortira en septembre 2007 chez Dupuis Expresso.

Lulu Femme Nue est un long récit en deux volumes que je destinais à Aire Libre, la belle collection qu’animait Claude Gendrot. (Voir extrait)

C’est toujours lui qui l’édite, chez Futuropolis. Le premier volume sortira en 2008. Pour plus de détails sur ces livres, j’invite ceux que ça intéresse à visiter la page Projets de mon site : http://www.etiennedavodeau.com/

Etienne, merci.
Merci à vous.
Interview réalisée le 28/05/2007, par Spooky (avec la participation de Alix, angus, ArzaK, cac et pigou).