Auteurs et autrices / Interview de Alex Nikolavitch

Alex Nikolavitch est un passionné d'histoires. Traducteur de comics, auteur de petits formats, il s'est lancé depuis plusieurs années dans l'aventure de la BD classique et vient de se faire remarquer en co-signant "Crusades".

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Alex Nikolavitch Bonjour Alex. Tiens, pourquoi te fais-tu appeler Nikolavitch ?
Essentiellement parce que mon vrai nom est à peu près imprononçable par des non balkaniques, et que du coup, il est systématiquement écorché. Mon premier boulot publié (un article dans un fanzine) était sorti sous mon vrai nom. J'ai vite opté pour ce pseudonyme, qui signifie tout simplement "Fils de Nikola", ce qui me va bien, puisque justement, mon papa s'appelle Nikola. Voilà.

Dans les années 1990, tu bouillonnes d'activité : nouvelles, articles, fanzineux tous azimuts puis auteur sur pas mal de petits formats comme Rodeo, Kiwi, Mustang… Tu étais crédité à l'époque ?
Fanzineux dans la première moitié des années 90, oui, et assez prolifique, dans le genre. Et des petits boulots de chroniqueur dans la presse et sur une radio associative. Puis une éclipse qui va grosso modo de 1996 à 1999, suite à quelques échecs professionnels et personnels : deux romans refusés, un livre-jeu dont la réalisation avait été chaotique, et divers soucis qui m'avaient conduit à tenter autre chose en termes d'écriture. J'ai commencé une pièce de théâtre et écrit pas mal de nouvelles à cette époque, mais sans plus rien publier nulle part. Les petits formats, c'est venu un peu plus tard, en 2000-2001.

Accéder à la BD Alcheringa En 2000 tu sors ton premier album, Alcheringa, chez la Cafetière… Qu'est-ce qui t'a inspiré cette histoire d'un Aborigène australien ? Avec le recul, que retiens-tu de cette expérience ?
Alcheringa avait été écrit trois ou quatre ans auparavant, en fait, à une époque où je me plongeais dans l'étude du chamanisme, et où j'étais par ailleurs très influencé par le travail de Neil Gaiman. Suite à une discussion avec Fred Grivaud, que je connaissais depuis quelques années, je lui avais donné ce script, et en parallèle, j'en avais parlé à l'éditeur de La Cafetière, qui avait participé aux mêmes fanzines que moi, quelques années auparavant. Ce premier bouquin a été un accomplissement, après plusieurs années de doute. Et dans la foulée, j'ai publié une quinzaine de récits courts dans les petits formats (principalement dans Spécial Rodéo), ce qui m'a permis de prendre mes marques, de développer ma boîte à outils narrative, d'expérimenter des techniques.

Central Zéro, en 2003, est abandonnée dès le premier tome, sans que l'on sache vraiment de quoi cela parle. Que peux-tu en dire ? Visiblement la reprise de la série est en cours ?
Central Zéro, c'était très ambitieux. Trop, peut-être. Beaucoup de facteurs, en premier lieu des ventes décevantes, ont conduit à l'abandon de la série. J'ai longuement bataillé pour relancer la machine, mais le sort s'est acharné. J'ai toujours des plans pour remettre les choses en route, peut-être sous une autre forme. Mais après des années de lutte, j'ai préféré me concentrer sur autre chose. Je continue à penser que j'ai un vrai beau sujet (même s'il n'apparaît qu'en filigrane dans ce premier tome) et un univers riche. Ça reviendra un jour.

Accéder à la BD Central Zéro J'ai beaucoup aimé La Dernière cigarette, une évocation sensible et humble de la seconde guerre mondiale. N'aurais-tu pas envie d'écrire d'autres récits du même genre ?
J'en ai écrit plusieurs, en fait. Mais ce sont des histoires qu'il faut prendre le temps de traiter correctement. Normalement, un nouvel album avec Marc Botta, le dessinateur de La Dernière cigarette, devrait sortir cette année, toujours chez La Cafetière. Le thème en sera l'immédiat après guerre, avec les prémisses de la guerre froide, avec comme prisme l'affaire Roswell. Cela s'appellera Fly me to the Moon, normalement. Avec un traitement très différent. Et en parallèle, j'ai bouclé un script situé pendant le Blitz de Londres, et un dessinateur fait des tests dessus.

Tengu-Do t'a permis de t'essayer à l'exercice du feuilleton pour Shogun mag. Que t'a appris cette période ?
D'autres manières de raconter, une narration plus linéaire, plus démonstrative, parfois. Et le bonheur de prodiguer des fins d'épisode bien tendues, des cliffhangers un peu vicieux. C'était très amusant à faire. C'est un script très manipulateur, celui de Tengu-Do, je me suis amusé à jouer avec les attentes, les frustrations et la perception du lecteur. Ça a eu un côté libérateur, c'est clair. Et le cadre formel que je m'étais imposé (trois fois quatre épisodes, avec un certain nombres de jalons), plus le rythme de publication qui m'obligeait à livrer mes 29 pages de script tous les mois, ça m'a appris à être plus sec dans mes choix narratifs, à moins tergiverser, à trancher. C'était une histoire de maître de sabre, qu'elle m'apprenne à trancher n'était que justice, j'imagine.

Accéder à la BD L'Escouade des ombres Avec L'Escouade des Ombres on est en plein dans Starship Troopers. C'est assumé, j'imagine ?
Complètement. Là aussi, il y avait un défi. J'ai tendance à aimer écrire des histoires contemplatives. L'Escouade, c'était tout le contraire, je m'obligeais à faire de l'action non stop. Avec en plus un arrière plan politique qui me semblait intéressant. De fait, la première version de l'Escouade remonte à avant Shogun, c'était quelques chose que j'avais créé pour me remettre en selle après l'échec de Central Zéro, une tentative de faire un truc plus immédiatement séduisant pour le lecteur, de plus classique dans la forme. Mais le format album franco-belge ne collait pas, ça ne fonctionnait pas. Quand on m'a proposé d'écrire pour Shogun, ça a tout débloqué : c'est le genre de récit complètement taillé pour ce genre de format, en fait.

Tu accumules pas mal de traductions de comics de super-héros ("Batman", Spawn) durant les années 2000. Comment appréhende-t-on le travail de traducteur par rapport à l'écriture pure ?
Deux facettes du même travail. Ecrire, c'est retranscrire, avec des mots, ma vision. Traduire, c'est retranscrire, avec des mots, la vision et les mots de quelqu'un d'autre. Et c'est une bonne école du dialogue, soit dit en passant. D'un autre côté, le fait d'écrire me permet de me plonger dans les processus créatifs de l'auteur que j'adapte, ce qui me permet de creuser le pourquoi des choses, d'aller un peu plus loin dans l'adaptation, en étant parfois moins littéral, mais plus proche des intentions de l'auteur.

Accéder à la BD Tengu-Do Il est remarquable que la plupart de tes scénarios soient aussi éloignés que possible de ces récits de gars en collants. Est-ce une sorte de défi que tu t'es lancé à toi-même, ou un pur hasard ?
Le hasard. J'ai des histoires de super-héros dans mes cartons. Je n'ai juste pas réussi à les placer pour l'instant. Notons aussi que le super-héros classique n'est pas ce que je traduis le plus. On me confie énormément de polars, par exemple. Ou de trucs un peu farfelus, un peu barrés en vrille. Mais de toute façon, je serais bien incapable de m'enfermer dans un genre. J'ai autant de plaisir à écrire de la SF que de l'historique ou du fantastique. Il n'y a que l'humour auquel j'ai peu touché en termes d'écriture.

Cependant en 2004 tu écris une histoire pour Aleksi Briclot dans l'univers de Spawn ("Spawn Simonie", chez Semic) ; la boucle est-elle bouclée ?
J'étais au bon endroit au bon moment. Et de fait, on s'est énormément amusés, sur ce bouquin. Ça avait un côté rêve de gosse, publier un comics américain. Et puis le format comics, c'est vraiment celui dans lequel je suis le plus à l'aise. D'ailleurs, sur Tengu-Do, L'Escouade des Ombres et Crusades, c'est une narration de type comics que j'utilise.

Toi qui as participé à l'expérience Shogun Mag, comment cela s'est-il passé ? Et comment cela fonctionne-t-il actuellement ? Vu de l'extérieur, c'est le grand flou, avec des annonces qui se perdent ensuite dans l'oubli, des projets abandonnés, des séries qui s'entament et puis s'arrêtent sans qu'on soit prévenu ni qu'on sache trop pourquoi. Comment se passe la communication interne entre auteurs et éditeur ?
Le problème, c'est que l'éditeur, les Humanoïdes Associés, a failli fermer boutique. Il y a eu une grosse zone de turbulence qui a entraîné pas mal de problèmes de production. C'est dommage, d'ailleurs, parce que l'expérience était intéressante. Mais le public n'a globalement pas suivi. Le public manga a froncé le nez parce que les auteurs n'étaient pas japonais, le public franco-belge n'a pas été voir parce que c'était au rayon manga. L'éditeur cherche donc un nouveau modèle économique pour Shogun, et c'est un processus de longue haleine. Mais du coup, certains auteurs ont aussi jeté l'éponge, ce qu'on peut comprendre.

Accéder à la BD Crusades L'Escouade des Ombres aura-t-elle une suite, notamment ?
La suite existe. Mais dans le reformatage de la collection, elle sortira peut-être sous une autre forme. Rien n'est complètement bordé pour l'instant, je ne peux pas en parler plus. Mais d'ici la fin de l'année, si tout va bien, on devrait savoir ce qu'il advient de Burke et de ses petits camarades après leur crash.

Comment Izu (qui n'est autre que le frère d'un autre scénariste très connu) et toi êtes-vous venus à collaborer ensemble pour raconter Crusades, cette histoire remplie de Templiers et de démons ?
En fait, l'idée est venue au tout début de Shogun, et la série aurait dû sortir dans le magazine. Izu avait une idée très sympa sur la nature du grand "secret des Templiers". Mais il manquait de temps pour la développer, et il savait, par contre, que j'étais en mesure de la creuser en l'ancrant dans une réalité historique très documentée. On a écrit plusieurs versions du scénario, avant de trouver un bon mode de fonctionnement (on est très complémentaires, ce qui signifie aussi qu'on a des aspirations très opposées, ça a donné une méthode de travail curieuse, et des divergences assez étonnantes en cours de production). Heureusement que, par ailleurs, on est très bons amis. Et puis l'objectif premier, c'est quand même de s'amuser en écrivant, ce qui nous permet d'avancer dans une bonne ambiance. Grosso modo, il gère l'action, et moi je gère les davincicoderies, et ça s'équilibre plutôt pas mal.

Le graphisme de Zhang me rappelle celui de Sergio Toppi, ainsi que des auteurs classiques franco-belges des années 1970 et 80, comme Pierre Frisano… Comment s'est opéré le choix de ce dessinateur ?
C'est marrant, je ne pense pas en priorité à Toppi, mais plutôt à cette école de dessinateurs espagnols, comme Palacios, dont les histoires médiévales sont épatantes (il y a bien longtemps, les Humanos ont publié son Roland à Roncevaux qui est un truc absolument monstrueux, un boulot que je vénère complètement). En tout cas, le choix s'est tout simplement fondé sur sa capacité à assurer le spectacle, le côté superproduction hollywoodienne du truc.

Voir la planche Ce graphisme pourrait paraître daté, mais il se dégage une telle puissance du trait que l'on est parfois fasciné en regardant les planches… Ton co-scénariste et toi les avez-vous vues arriver progressivement ou tout d'un coup ? Comment fonctionnez-vous entre vous et avec le dessinateur ?
Le côté daté ne me gêne pas, bien au contraire, il colle à mes goûts personnels. La production ayant été longue, on a reçu les planches au fur et à mesure. Pour le fonctionnement, c'est compliqué. Tout est traduit en Chinois et envoyé à Zhang scène par scène, donc par tranches de huit à dix pages en moyenne, après validation du script (puisque certaines scènes sont écrites par Izu, d'autres par moi, et d'autres sont le fruit d'un jeu de ping-pong, de retouches croisées). Ensuite, après réception des planches, on retouche les dialogues. Et on a fait une repasse intégrale sur les dialogues en bout de course, quand on a eu la totalité de l'album, histoire que tout soit cohérent.

Le Poing du temple c'est un peu les Douze salopards avant l'heure, non ?
Et l'équipe dans Predator, etc. C'est une convention de film d'action, oui. C'était un peu notre cahier des charges, faire du grand spectacle. Et Pugnus Templi est un bon moyen de prodiguer de belles scènes d'action.

La Commission des Mires dont parle la BD a-t-elle réellement existé ?
C'est un secret bien gardé.
En fait, non, c'est une pure invention. Mais Guillaume de Sonnac et son frère Gautier ont tout à fait existé, par contre. De même qu'un certain nombre d'autres personnages de la série.

Les tomes suivants compteront-ils eux aussi plus de 130 pages ?
Non, le tome de 140 pages, c'était le "pilote" de la série, un moyen de tout mettre en place. Les suivants feront 64 pages.

Combien de tomes pour Crusades ? Est-ce que la suite sera vraiment surprenante et pour quand est-elle prévue ?
Le prochain sort en septembre 2010, et devrait s'appeler La Porte d'Hermès. Quelques surprises, oui, c'est un peu dans la nature de ce genre de série.

As-tu d'autres projets ?
Des tas ! Certains dont je peux parler (une étude un peu érudite, Mythe et Super-Héros, aux éditions Les Moutons Electriques, le prochain album avec Marc Botta, mais aussi une histoire de quête mystique pendant la Révolution Russe, un gros projet de SF à la 2001) et d'autres sur lesquels je dois rester discret pour l'instant. Sans parler des projets qui restent à l'état de projet faute de temps, hélas.

Alex, merci.
Mais, de rien, c'est toujours un plaisir.
Interview réalisée le 01/04/2010, par Pasukare et Spooky, avec la participation de Ro et Miranda..