Auteurs et autrices / Interview de Roger Leloup

Roger Leloup est connu pour être l’auteur d’une seule série, et quelle série, Yoko Tsuno. Mais son parcours est bien plus riche…

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Roger Leloup Vous avez travaillé au sein du studio Hergé pour participer aux décors de Tintin et faire le design des véhicules. D’où vient cette passion ?
J’ai découvert la BD par Tintin mais parallèlement la science fiction par les romans… Il n’y a pas que la BD dans la littérature… A 14 ans j’avais avalé Dickens, les sœur Brontë et Jules Verne sans parler de Wells et Poe… J’aimais la mécanique qui roule et qui vole… La suite vous la devinez.

Vous avez longtemps assisté Hergé, Jacques Martin, Peyo, avant de finalement voler de vos propres ailes, vers 40 ans… Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
Parce qu’il faut un certain temps pour s’apercevoir que c’est plus stimulant d’utiliser son imaginaire uniquement pour soi… Mais il fallait qu’une bonne fée glisse Yoko sous le sapin pour y arriver…Ceci dit, travailler pour de grands noms est bénéfique dans la connaissance du métier et c’est une source de souvenirs.

Pourriez-vous nous (re)raconter les origines du personnage de Yoko, créée originellement comme un second rôle pour la série de Jacky et Célestin, si je ne m'abuse ?
Elle devait assister Jacky et Célestin qui se trouvaient face à un Japonais pas trop sympa… J’ai donné à ce dernier une sœur qui allait motiver l’aide… Dupuis ne voulant pas de J et C, je les ai remplacés par Vic et Pol… Yoko, Japonaise et électronicienne collait bien pour le trio… On a commencé par des courtes histoires avec Yoko et pour ma joie, c’est elle qui s’est imposée et cela fait 42 ans que cela dure…

Accéder à la BD Jacky et Célestin Réalisez-vous seul le scénario, le dessin et les couleurs ?
Je réalise scénario et dessins plus les couleurs sur photocopie et au crayon de couleur d’une manière très poussée… Le Studio Léonardo les transpose en numérique par Photoshop.

Comme beaucoup de lecteurs, je remarque que plus la série dure, plus Yoko est entourée de nouvelles amies, apparaissant presque à tour de rôle au fil des albums. Les plus anciennes ont tendance à ne plus jouer que des rôles de figurantes au profit des nouvelles. Ces changements dans les acolytes de Yoko sont-ils le reflet des changements de vos goûts, préférez-vous mettre en scène un nouveau type de partenaire féminine à son héroïne de temps en temps quitte à occulter les précédentes ?
J’ai toujours donné à Yoko, dans presque chaque album, une amie qui pourrait être sortie de la série comme héroïne à part entière (Ingrid, Khâny, Monya et Emilia, plus récemment). D’autres (Cécilia, Olga, Hégora et j’en passe) sont des amies ou adversaires de passage… Certains albums voient un nouveau partage avec les premières… Mais j’aime renouveler et non stagner… Jamais je n’ai occulté les précédentes, elles ont chacune leur vie et ne la partagent pas toujours avec Yoko… Yoko ne va pas suivre Ingrid dans ses tournées de récitals d’orgue ! Qu’y ferait-elle ?… Mais il y en a une que j’ai imposée, c’est Emilia… Elle nous a apporté, à Yoko et à moi, un vent de fraîcheur par sa jeunesse et j’y tiens beaucoup… Yoko aussi… Mais je veillerai toujours à ce qu’elle n’occulte pas Yoko sans laquelle elle aurait un rôle bien restreint.

Accéder à la BD Yoko Tsuno Même si j'apprécie le côté très féminin de la série qui comporte bien davantage d'héroïnes que de héros ou partenaires masculins, est-ce que vous n'avez pas peur que cela en fasse parfois un peu trop et qu'il ne respecte plus depuis un moment la parité homme-femme ?
C’est certain, Hélène et les garçons, c’est sur une autre chaîne ! La parité hommes et femmes est évoquée le plus souvent parce qu’il manque de femmes en partage en postes de décision ou politique… Pour une fois que c’est réalisé, je ne vois pas le problème… Il y a beaucoup d’hommes dans les aventures de Yoko mais pas nécessairement de son côté… De plus, j’ai toujours tenu à ce que Yoko soit libre… De ses actes et de ses choix sentimentaux… Lui donner un partenaire masculin qui changerait au gré des albums, la mettrait en position de papillonnage et ce n’est pas dans sa nature japonaise… J’ai voulu une Yoko libre de choix de sa vie courante et sentimentale… Tout lecteur a donc sa chance sentimentale et toute lectrice, ses espoirs d’amitié.

A force de se faire des amies et de gagner de nouveaux biens en héritage ou en cadeaux pour elle et ses proches, Yoko commence à devenir véritablement riche : nombreux avions, voitures, manoirs et autres cottages. La chose a été notamment bien confirmée dans le dernier tome où elle annonce s'être offert une belle voiture en cadeau. Finira-t-elle rentière à la tête d'une association de jet-setteurs milliardaires ?
Cela c’est faux… Yoko a toujours reçu des cadeaux techniques (voitures, avions ) pour des missions où elle risquait sa vie… Le Colibri lui était confié pour l’une d’elles… Le Tsar pour l’amener vers l’aventure à finaliser… L’X1/9 pour une mission… Et si on les lui laisse à disposition, c’est une manière de la remercier… Elle reçoit un vaisseau spatial vinéen (Ryu) et vous pensez-bien qu’elle n’a pas un sou pour payer cela… Pour la Lotus du dernier album… Elle dit bien à Emilia qu’elle a payé une petite partie et son père le reste… Cela veut dire qu’elle n’a pas dépensé plus que pour l’achat d’une Twingo… J’y ai veillé… Quant à son installation à Loch Castle, c’est Cécilia qui lui demande et comme elle a hérité d’actions d’une usine d’électronique d’armement de son ennemi Kazuky (vilaine vengeance), elle vend ses actions et les réinvestit dans les filatures écossaises de Cécilia… Celle-ci lui offrant un partenariat d’affaires et, en amitié, pour une livre symbolique, le cottage où elle habite et vit désormais… Loch Castle est un endroit idéal pour cacher des choses… Mais je n’y vois pas, à part le Tsar et la Lotus de signes de richesses matérielles…

Cliquer pour voir une planche du tome 26 de Yoko Tsuno, Le maléfice de l'améthyste Comment faites-vous pour ne pas vous lasser d'écrire et dessiner les aventures de la même héroïne depuis plusieurs décennies ?
Parce que Yoko est pour moi un fil conducteur. Je me cache derrière elle, hors intention de me mettre en valeur… Chaque album est un défi et j’essaye de le relever et surtout de me diversifier…

Yoko se déplace dans l'espace et dans le temps. De ces deux facultés, laquelle auriez-vous préféré posséder ?
Les deux, j’aime la SF, le temporel et le fantastique et j’ai donné mes goûts à Yoko…

Vous avez également écrit deux romans mettant en scène Yoko, l’Ecume de l’aube et Le Pic des ténèbres ; pourquoi ne pas les avoir adaptés en BD ?
Parce que j’ai écrit des livres pour des récits sans images et dans lesquels on entre dans les pensées des personnages… Dans la BD c’est difficile à transcrire car on met en valeur l’action… Faire penser lasserait… Et adapter ces livres en BD serait les trahir. Tyo, pour ne parler que d’elle, n’aurait plus cette richesse de pensée… On aurait juste une jolie fille dans laquelle il serait difficile de dévoiler une androïde…

Travaillez-vous déjà sur le prochain album ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Le prochain album s’inscrit dans le prolongement des aventures vinéennes… On y retrouvera Khâny en premier plan, Lâthy, la petite Zhyttâ et Balbok son dragon… Yoko, Emilia, Vic et Pol… Sans parler de Rosée et Poky… Bref, il y aura pas mal de monde pour un petit voyage dans notre système planétaire.

N’envisagez-vous pas de passer la main lorsque l’heure de la retraite aura sonné ?
Ma retraite, à moins que je ne décide comme le Pape, sonnera quand je ne pourrai plus assumer… D’ici là, je continue…. Mais une chose est certaine : quand un dessinateur s’en va de ce monde, il emporte avec lui l’âme de ses personnages… Les reprises sont presque toujours des actes commerciaux… et cela ne réussit pas toujours…

Merci M. Leloup.
Interview réalisée le 13/02/2013, par Spooky, avec la participation de Gaston, Mac Arthur, morlaes et Ro.