Les interviews BD / Interview de Nicolas Poupon

Nicolas Poupon est principalement connu pour le Fond du bocal, mais c’est un auteur à multiples facettes, qui se dévoile peu à peu.

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Nicolas Poupon Bonjour Nicolas, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bonjour, je suis donc auteur de bandes dessinées, même si certains de mes bouquins ne sont pas vraiment de la bande dessinée. J’ai fait entre autres Le Fond du bocal, mon « œuvre » la plus connue ou la moins méconnue. C’était du dessin d’humour au départ, avec comme idée d’avoir un dessin un gag. Ça ressemble un peu à ce qu’on trouve dans les journaux, même si on y trouve surtout des strips. Le fond du bocal navigue entre les deux, le dessin d’humour et le strip. En marge de la bande dessinée, j’essaie d’utiliser des styles très différents, je viens par exemple de sortir un livre illustré pour enfants, je travaille en règle générale tout seul. Les rares collaborations que j’ai pu avoir, c’était pour les couleurs, sinon je fais tout le reste, dessin et scénario. Sinon je suis né en 1972.

Accéder à la BD Les petites choses de la vie Tu commences en 1998 par Les petites choses de la vie, édité par treize étrange. Tout de suite tu te positionnes comme auteur d’humour noir. Quelles ont été tes influences à cette époque ?
Je pense que comme pour beaucoup d’autres auteurs, il y a plein de gens que j’aime bien, mais de là à te dire quelle sont mes influences… Par exemple, en 98, je ne sais pas si je connais Gary Larson. En BD d’humour, c’est pourtant l’un des deux noms qui me viendraient spontanément, avec Sempé. Pourtant je ne pense pas que Sempé ait vraiment influencé mes travaux. Mais plus je regarde ce qu’il fait, plus je trouve ça fort. Et pourtant ça joue toujours sur les mêmes ressorts, mais c’est tellement bien fait, et intelligent. Larson, je l’ai découvert au travers de la collection Humour libre chez Dupuis, car je ne lis pas l’anglais. J’ai aussi lu un album carré, une sélection de ses gags, et je trouvais ça fort. J’aime bien aussi les Calvin et Hobbes.

C’est du roman, mais John Fante, ce que fait Brautigan aussi, ça m’influence sans doute. Les chansons de Brassens aussi, même si je l’écoute un peu moins en ce moment, c’est par vagues. Mais bon, quand je travaille sur une BD, je ne me dis pas « ah tiens, je fais un truc comme untel, ou pas du tout »… C’est comme « Les petites choses de la vie », ce n’est pas tout à fait de la BD, c’est des petits textes entre l’aphorisme et le portrait qui faisaient au maximum deux phrases, et le dessin correspondant ; en effet c’était de l’humour très noir.

Tiens d’ailleurs je vais sortir un album chez Même pas mal, un petit éditeur, un gros album qui va mêler plein de choses. Il y aura une trentaine de petits portraits comme ceux des petites choses de la vie, puis une soixantaine de pages de BD, divisées en trois histoires différentes, puis des nouvelles noires que j’ai illustrées après les avoir écrites, puis des comptines noires. Tous les dessins seront en noir, à l’encre de Chine. Je pense que ça va être un bel objet, ils font des chouettes bouquins chez cet éditeur. Je recommence à faire des bouquins chez des petits éditeurs. J’avais envie de faire Fleur de géant, et là après Angoulême je vais filer à Marseille pour finir la maquette de Noir foncé.

Accéder à la BD Noémie contre la Rumeur En 1999 tu exploses de toute part, avec pas moins de 4 albums sortis chez trois éditeurs différents… (Noémie contre la Rumeur, Petits mythes pour la pluie, Un nuage de lait et "Michel et le professeur") Tu explores d’ailleurs plusieurs facettes à cette occasion.
Alors Noémie contre la Rumeur c’était plus ou moins une commande, Treize étrange voulait faire des BDs pour enfants, et ils m’ont demandé si je voulais faire une histoire dans ce cadre.

C’étaient des petits formats, en 30 pages, et il fallait faire très vite. Je pense que j’aurais pu faire un bon bouquin avec cette histoire, le dessin est loin de ce que je préfère dans tout ce que j’ai fait, donc on va mettre cet album un peu à part. Pour le reste, il n’y avait pas de volonté consciente de se diversifier. Si je ne faisais que Le Fond du bocal, il y a longtemps que j’aurais arrêté, parce que ça m’embêterait. D’une manière générale, j’ai toujours fait en parallèle du dessin humoristique et des trucs plus « sérieux ».

A cause du "Fond du bocal", quand je sors un album plus sérieux, on me dit « ah oui, tu essayes de faire autre chose, plus sérieux, etc. » ; alors que je l’ai toujours fait, mais c’était moins visible, moins remarqué. Si je suis productif, c’est parce que je passe constamment de l’un à l’autre.

Il parait que pour Michel et le Professeur, tu as dû redessiner les strips ?
Alors déjà pour cet album, je ne pense pas qu’on en ait vendu beaucoup. C’était un format inhabituel, format carnet de chèques quasiment, chez Triskel. Ça leur aurait coûté trop cher de sortir cet album en couleurs, et comme j’avais fait ça en couleurs directes chez BoDoï, ce n’était pas possible. Donc j’ai redessiné l’ensemble, mais ce n’était pas un sommet graphique. De toute façon j’ai commencé à dessiner très tard, vers 19 ans, et mes premiers bouquins sont sortis quand j’en avais 26. Entretemps je n’ai pas fait d’école de dessin, sauf du nu en cours du soir à Paris, et je dessinais chez moi. Quand je regarde maintenant ces premiers albums, je me dis « houlà ! ». Par contre les petites choses de la vie ou le pigeon de la onzième heure, ça se tient encore, je trouve.

Accéder à la BD Le cri de l'autruche Pour Le cri de l'autruche, tu excelles dans la représentation de l’animal peu réveillé… Cet état me semble assez semblable à celui d'un auteur de BD un matin de festival… Il y a une part d’autodérision dans ces gags ?
Alors il y a eu deux versions de cette série, d’abord deux petits volumes chez Treize étrange, en noir et blanc. Après la maison d’édition est passée chez Milan, la série est ressortie en vrais albums avec 90% de nouveaux gags, et de toute façon j’ai redessiné les autres. Alors effectivement, j’aime bien les animaux mous du genou et pas bien réveillés, les moutons, les escargots, les paresseux… A mon goût j’ai fait pas mal de bons gags avec eux. Par contre je n’ai jamais réfléchi aux auteurs de BD. Je pense assez rarement à eux d’ailleurs, même si c’est vrai qu’en festival on en trouve pas mal qui ne sont pas bien réveillés le matin.

D’ailleurs dans cette série, on trouve dans le tome 1 surtout des autruches, et dans le 2… des mantes religieuses. Pourquoi ?
Alors tu parles sans doute de la première version chez Treize étrange. Je trouvais que le titre sonnait bien, et puis ça se justifiait avec cette forte présence des autruches. Par contre dans la réédition, ou nouvelle édition, toujours chez Treize étrange, maintenant label de Glénat, j’ai gardé le titre, parce que je trouvais que ça sonnait bien, mais les autruches ne sont plus du tout dominantes. D’ailleurs dans la réédition, le tome 1 s’appelle « le zézaiement de l’escargot » et c’est eux qui sont les plus présents. Le deuxième « la harangue du mouton parce qu’il y a plein de gags avec des moutons, et le troisième le chant du kangourou.

Accéder à la BD Kirouek ! Kirouek ! est un chouette petit conte… Qu’est-ce qui t’a inspiré cette histoire de livres disparus ?
Alors je tiens à signaler que ce sont les Editions de la Gouttière, issues de l’équipe du festival d’Amiens qui vont rééditer cet album, mais quand ils me l’ont proposé, j’ai dit d’accord, mais à condition que je redessine certaines planches, qui ont été faites à une époque où je dessinais depuis peu. Finalement j’ai redessiné 7 ou 8 planches, j’ai reposé les noirs sur l’ensemble, et ça va ressortir en mai. J’ai aussi retouché un peu le texte. Je suis content, je pense que l’album sera beaucoup plus beau qu’auparavant, et puis ce sera à nouveau disponible, ce qui n’est pas mal. Cet album est sorti depuis 10 ans, et quand on vient me demander ce que j’en ai fait, maintenant je vais pouvoir leur dire qu’il va ressortir, ça fait plaisir.

Peut-on dire qu’avec ses six tomes, Le Fond du bocal est ton œuvre de référence ?
C’est vrai que c’est le truc qui a le mieux marché. S’il y a des gens qui me connaissent, c’est souvent par ça, on va dire ça comme ça. De mon point de vue, ce n’est pas plus important que Fleur de géant ou que d’autres bouquins que j’ai faits avant. Maintenant c’est le travail qui me rapporte le plus d’argent (rires). Il y a un pilote de dessin animé qui vient d’être réalisé (Bruno Solo fait les voix sur le pilote, et sur la série si celle-ci trouve preneur, et il produit pour moitié) Si la série se fait, ce sera en partie parce qu’il met son nom dessus. Mais ça ne change pas mon avis sur le Fond du bocal : j’aime bien, comme j’aime les autres.

Accéder à la BD Le Fond du bocal Après autant de gags, tu n’as pas eu le sentiment de tourner en rond, comme les petits poissons dont tu décrivais la folle vie ?
Si effectivement je sens que je me répète trop, je m’arrête tout de suite. Mais pour l’heure je continue, j’en ai d’ailleurs fait un peu il n’y a pas longtemps, mais j’ai presque de quoi en faire un tome 7. Il n’y a rien de signé avec Glénat pour l’heure, et ça dépendra du fait qu’ils veulent en faire un ou pas. A une époque j’avais plein d’idées, maintenant moins souvent ; par contre si je sais que le projet est signé, je produis plus.

Drugstore a réédité les six tomes. Une satisfaction pour toi ?
Les 6 tomes du cycliste sont réédités dans les 4 premiers tomes chez Drugstore.
Les tomes 5 et 6 sont des nouveautés.
Autrement, c’est sûr que sentir la structure Glénat derrière le Fond du bocal, ça change par rapport au Cycliste, qui était vachement limité dans sa diffusion. Et puis ça se passe bien, je m’entends bien avec les gens de Drugstore et Glénat. C’est bien pour la série, et c’est agréable de travailler dans ces conditions, même si chez le Cycliste, c’était sympa aussi, les salons, les autres auteurs...

Accéder à la BD Mademoiselle "Mademoiselle" est une bd originale… En effet une seule phrase s’étire sur une vingtaine de pages et autant de dessins, racontant une scène d’amour entre un homme et une femme… Quelle drôle d’idée…
En fait ça ne se termine pas sur une scène d’amour, mais sur le visage du gars, dont on se demande si c’est lui qui dit la phrase en question. En fait on comprend qu’il lui a posé une question, et que pendant qu’elle lui répond, il fantasme. C’est un tout petit livre, qui au départ devait être un portfolio ; et puis chez Loch Ness, en fait Triskel, ils m’ont dit qu’ils en feraient bien un petit bouquin. La difficulté avec un truc un peu érotique comme ça, c’est de trouver le bon équilibre, ne pas verser dans le porno si on ne le souhaite pas. La BD érotico-porno revient en forme en ce moment d’ailleurs. Mais comme pour d’autres bouquins, je ne garderais que 3 ou 4 dessins de cet album. C’est marrant, un éditeur m’a proposé de le ressortir, il faudra voir si je le retravaille des trucs… Ce n’est pas non plus changer pour changer, mais autant ressortir quelque chose dont je sois content. Je pense que si dans 10 ans on me proposait de ressortir des bouquins que je fais maintenant, je pense que les changements seraient vraiment minimes. Mais vu mon parcours, ça se justifie ; j’ai commencé très tard, et j’ai pas mal changé en seulement 10 ans.

Accéder à la BD Super sensible Pour Super sensible, le 3ème tome verra-t-il le jour un jour ?
En fait une intégrale est sortie, dans la collection Discover, et elle comporte ce troisième tome. Super sensible n’a pas très bien marché, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour l’ensemble j’ai touché en tout 5000 euros, pour 150 pages de BD, et sur le dernier j’ai en plus fait les couleurs. Ce n’est pas cher payé, et en plus quand je regarde cette série, il y a des pages que j’aurais aimé fignoler, faire plus de décors sur certaines cases. Mais pour le coup c’est une série que j’aime beaucoup, et c’était important d’avoir les trois tomes, même s’ils peuvent se lire indépendamment. Mais le tome 3 se finit sur une image mettant en scène un personnage supposé secondaire des trois histoires, mais qui est en fait un personnage central. Dans la narration, le scénario, j’aime beaucoup, mais ça n’a pas du tout marché.

En 2009, tu sors ton premier album chez un « grand éditeur », Faire semblant les jours d'orage. Pour le coup ton graphisme a pris un virage plus adulte. Que retires-tu de cette expérience ?
Eh bien, c’est un bouquin qui a eu un super accueil dans la presse, mais je ne sais pas trop quoi dire dessus. Quant au trait adulte, c’est sûrement l’album dans le trait le plus réaliste que j’aie fait. Beaucoup de gens aiment bien cet album, moi ce que je préfère c’est Super sensible. Peut-être qu’avec du recul, je changerai d’avis dans un an.

Accéder à la BD A bâtons rompus En 2010 tu es revenu à ton genre de prédilection, le strip ou la vignette d’humour à contrainte, avec A bâtons rompus, pour deux albums. Il va y en avoir d’autres ?
Oui, il y a un peu de « noir » là-dedans. L’autre jour je dédicaçais à la librairie Impressions à Enghien, et le libraire m’a dit qu’au-delà du jeu sur les bulles, c’était de la sociologie. Le véritable enjeu du bouquin est là, et ça m’a fait plaisir qu’on me le dise. J’espère avoir retranscrit avec justesse les différents comportements humains. Je ne suis pas sûr que ces deux bouquins aient beaucoup marché, je les vois peu en dédicace, mais du coup ça me fait plaisir quand je les vois arriver.

En ce début d’année 2011 tu reviens là où on ne t’attend pas : le livre d’illustration, avec "Fleur de Géant". Qu’est-ce qui t’a convaincu de travailler avec Soline (Scutella, directrice de la maison d’édition du même nom) ?
Oui, c’est bien un album illustré pour enfants. Au niveau du public, je pense que c’est lisible à partir de 5 ans, plutôt que 3 comme c’est écrit sur le catalogue Scutella, jusqu’à 8 ans, quand ils maîtrisent bien la lecture. Pour les plus petits, ça peut être lu en 2 ou 3 fois le soir par papa ou maman, car c’est quand même un texte assez long pour un album pour enfants.

Je suis allé voir les Editions Scutella parce qu’ils font des beaux bouquins, je voulais faire un chouette objet. Au départ je ne voulais pas le dessiner moi-même, mais je suis content des illustrations, la perte au niveau de l’impression est minime. Je commence à avoir pas mal de retours positifs sur le bouquin lui-même mais aussi le texte, et ça me fait plaisir. C’est un projet dont je suis très content, et j’espère que ça va bien marcher, au niveau des Editions Scutella qui sont une petite maison.

Cliquez pour voir la couverture de Fleur de Géant L’idée de départ de l’histoire, en quelques mots ?
J’aimerais qu’on change le résumé visible sur le site de Scutella, parce que ça donne un côté un peu cucul à l’histoire, alors que ça ne l’est pas du tout. En quelques mots, Fleur est une petite bonne femme qui n’a grandi que de deux centimètres et demi depuis qu’elle est née, qui le vit assez bien, mais elle quitte la ville où elle habitait parce que les gens l’évitent du regard ou la regardent un peu trop. Elle vagabonde un peu et finit par se cogner à l’orteil de Gontran, un géant de 17 immeubles de haut, qui va lui proposer de devenir sa souffleuse. Après il faut lire l’histoire pour comprendre pourquoi les géants ont une souffleuse, et ça m’arrange de ne pas en dire plus parce que je ne suis pas très doué pour raconter à l’oral mes histoires (rires). Sans trop y réfléchir, je me rends compte que ça rejoint le thème de Kirouek !, avec la lecture, les livres, les deux histoires ont ça en commun. Comme en plus je suis en train de travailler sur la réédition de Kirouek !, ça se télescope un peu, c’est marrant. Je n’ai pas commencé d’autre histoire illustrée, mais ça ne m’étonnerait pas qu’à l’avenir j’en fasse d’autres.

Cliquez pour voir un extrait de Fleur de Géant Quels sont tes projets ?
Alors en mars il y a Noir foncé, chez même pas mal, en mai je ressors Kirouek ! aux Editions de la Gouttière, ensuite c’est plus flou. Au moment où j’ai rendu le tome 6 du Fond du bocal, mon directeur de collection m’a dit « on fait le suivant à la même époque ? », j’ai dit oui, mais rien n’est signé pour l’instant. Il va donc falloir que j’en discute avec eux pour savoir si c’est d’actualité ; à la fin de l’année il y aura aussi un carnet de voyage chez Scutella… Ce ne sera pas que sur un voyage, mais tous les voyages que j’ai pu faire depuis 10 ans, depuis l’Inde jusqu’à New York en passant par le Mali, le Sénégal, la république tchèque, la Slovaquie, la Hongrie… Je pense que la maquette va représenter beaucoup de boulot. Graphiquement c’est là où je fais les plus beaux trucs. Il n’y aura pas de texte a priori, parce que je trouve que les textes des carnets de voyages sont assez chiants à lire, on oscille souvent entre le Guide du routard amélioré et des textes un peu lyriques sur les pays, lesquels me tombent des mains. Je vais donc essayer de limiter au maximum, voire complètement, au dessin ; il pourra y avoir des indications sur le lieu, et des pseudos titres au dessin, mais ce sera tout. Dernier projet en date, toujours chez Scutella, en 2012, des petits textes que j’ai écrits, avec un titre, avec une illustration. Il y aura un jeu entre le titre, le texte et l’illustration. Ce projet me tient à cœur, c’est pour celui-là que j’étais au départ allé voir Scutella, et c’est celui qui sortira en dernier. Et puis il y a bien sûr le dessin animé, si jamais il sort.

Nicolas, merci.
Merci à toi.
Interview réalisée le 15/02/2011, par Spooky.