Auteurs et autrices / Interview de Nicolas Barral

Tour à tour scénariste, dessinateur, et maintenant adaptateur de Léo Malet, Nicolas Barral est un auteur parmi les plus intéressants de la franco-belge.

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Nicolas Barral Bonjour Nicolas, on remarque dans votre carrière des débuts chez OK Podium. Que retenez-vous de cette période ?
Il s'agissait d'un travail de commande, un feuilleton calqué sur Hélène et les garçons. Il fallait rendre 2 planches par semaine, puis le rythme est passé à 4 planches par mois. J'ai produit au total environ 200 planches en 3 ans. Ce fut une période intense d'apprentissage et de stabilité financière. Les pages étaient scénarisées par Laurent Duvault, et Hugues Labiano avait été embauché pour l'encrage sur quelques épisodes. Parallèlement, j'entamais une collaboration irrégulière avec Fluide Glacial pour lequel j'ai animé, sur des scénarii de Stéphane Couston, le personnage d'Ernest Mafflu. Entre Ok Podium et Fluide, c'était le grand écart. J'ai donc appris tôt à être polyvalent.

Chez Fluide glacial, votre humour proche de celui des Britanniques commence peut-être à s’exprimer…
J'étais surtout dans ma période Goossens, même si l'influence d'Uderzo et Morris se fait sentir. Nous n'avons pas réuni le matériel suffisant pour sortir un album. Mais c'est le rédac’ chef de l'époque, Jean-Christophe Delpierre, qui devait plus tard me présenter à Pierre Veys, le scénariste de Baker Street et Philip et Francis.

Accéder à la BD Les Ailes de Plomb C’est pourtant avec un polar d’espionnage que vous réalisez vos premiers albums, Les Ailes de Plomb ; quelle en a été la genèse, avec Christophe Gibelin ?
Je connaissais Christophe Gibelin depuis notre passage commun par l'atelier BD d'Angoulême. Christophe avait une vocation de dessinateur, mais sa rencontre avec Claire Wendling a fait de lui un scénariste, et, très vite, il a été question qu'il m'écrive une histoire. Une première version des Ailes de Plomb, contemporaine celle-là, a été présentée en 1990 à Guy Delcourt dans la foulée du premier tome des Lumières de l'Amalou. Delcourt m'a renvoyé à mes chères études. L'expérience Ok Podium m'a aguerri et une deuxième mouture, située dans les années 50 cette fois, a été acceptée par Delcourt. Le premier tome des Ailes de Plomb a inauguré la collection Sang-froid avec Le pouvoir des innocents de Hirn et Brunschwig.

La mise en couleurs était un peu originale, avec justement assez peu de couleurs… Cela donne un cachet tout particulier à la série...
Oui, Gibelin a utilisé une palette désaturée qui a donné son identité à la série. Cette gamme de couleurs froides collait parfaitement bien à la série et à mon dessin. Je relis toujours le premier tome avec émotion car il s'agit de mon premier album publié, qu'il est la concrétisation d'une histoire d'amitié, qu'il a été nominé à Angoulême, et, cerise sur le gâteau, qu'il paraît l'année où je vais devenir papa pour la première fois.

Vous réalisez les dessins de la série jusqu’au tome 3, puis c’est Gibelin qui les assure au quatrième, sorti six ans après ce troisième tome… Vous ne pouviez plus travailler dessus ?
J'avais commencé une nouvelle collaboration avec Pierre Veys sur la série Baker Street, c'est vrai. J'étais tiraillé entre les deux projets que j'entendais bien mener de front. Mais Christophe a souhaité donner un virage aux Ailes de Plomb dans lequel je me reconnaissais moins. Je lui ai donc passé le témoin.

Accéder à la BD Baker Street Votre goût pour l’humour so british peut enfin s’exprimer au travers de deux séries semi-parodiques, Baker Street et Les Aventures de Philip et Francis. Quel a été l’accueil des fans à ces deux univers très forts ?
Excellent. La SSHF (Société Sherlock Holmes de France) nous a même décerné un prix. Il faut dire que nous sommes des tendres, et qu'à aucun moment il ne s'agissait de heurter les fans. Ces deux séries empruntent autant à l'humour anglais qu'à Goscinny ou Louis de Funès. C'est ce subtil mélange, que l'on trouve dans Astérix ou Lucky Luke, que nous avons cherché à faire revivre.

Vous êtes-vous beaucoup amusé à réaliser toutes ces situations absurdes, ces grimaces et mimiques inimitables ? Tout en essayant de retranscrire le Londres (ou autres lieux) d’époque…
Comme je le dis, les partitions écrites par Pierre Veys me permettaient de convoquer tous mes souvenirs de lecture des albums d'Uderzo, Morris ou Hergé. Mais, partant du principe qu'une parodie fonctionne d'autant mieux qu'elle se déroule dans un univers crédible, j'ai apporté un soin tout particulier aux décors et à la mise en scène. Ma référence cinématographique était La grande Vadrouille, de Gérard Oury, et, pour prendre un exemple plus récent, OSS 117 de Michel Hazanavicius.

Accéder à la BD Philip et Francis (Les aventures de) Y aura-t-il d’autres tomes de Baker Street ? Le dernier commence à être ancien…
Baker Street est en stand by. Il faut dire qu'il a été avantageusement remplacé par Philip et Francis.

Il s’est passé environ six ans entre les deux tomes des aventures de Philip et Francis. Devra-t-on attendre aussi longtemps pour un troisième ?
Non, seulement la moitié.

Comment êtes-vous arrivé à ce style se rapprochant de celui de Jacobs, tout en gardant un côté caricatural qui sert bien l’esprit parodique du récit ?
Encore une fois, et cela peut paraître paradoxal, le décalage fonctionne d'autant mieux que l'on s'efforce de respecter l'univers originel de la série.

Quel titre patrimonial allez-vous parodier la prochaine fois avec Pierre Veys ?
Philip et Francis nous occupent pour l'instant à plein temps.

Comment s’est passée la collaboration avec Tonino Benacquista sur Dieu n'a pas réponse à tout (mais Il est bien entouré) ?
Merveilleusement bien. Je connaissais ses romans et l'homme est exquis. La particularité de cette collaboration est que j'ai affaire à un scénariste qui me laisse une liberté totale concernant la mise en scène, la mise en page. Il me fournit ce que l'on pourrait appeler, en reprenant le vocabulaire cinématographique, une continuité dialoguée. Je fais donc respirer l'histoire comme je l'entends.

Accéder à la BD Mon pépé est un fantôme En 2008 vous vous lancez en tant que « simple » scénariste, avec Mon pépé est un fantôme. On ne vous attendait pas forcément sur le registre de la BD humoristique tout public, laquelle traitait de sujets assez lourds, comme le divorce ou le deuil. Comment avez-vous appréhendé ce concept ?
En chaque dessinateur il y a un scénariste qui sommeille. J'avais donc moi aussi mon tiroir rempli de notes, d'embryons d'histoires. C'est à la suite d'une discussion avec Olivier TaDuc, qui est un ami, que la sauce a pris. Ce n'était pas évident car il vient du dessin réaliste, lui aussi, mais nous sommes tous les deux des hommes de défi. J'avais en tête, dans l'écriture, de ne laisser personne sur la touche. J'ai donc mis au point des histoires à double niveau de lecture, ce qui fait, je crois, que Mon pépé peut être aussi bien lu par un jeune public, auquel il est prioritairement destiné, aussi bien que par leurs parents. J'ai choisi des thèmes forts, graves, en me disant qu'il ne fallait pas prendre les enfants pour plus fragiles qu'ils ne le sont.

Olivier nous a confié que malheureusement, faute de ventes satisfaisantes sur les derniers tomes, la série est probablement terminée…
Nous avons clos le tome 4 avec une fin ouverte. Alors dans une autre vie, peut-être...

Vous êtes depuis toujours un admirateur de Jacques Tardi, et votre trait en est très proche. Commencer à travailler avec lui sur L'étrangleur, puis sur Nestor Burma, doit ressembler à une consécration sur le plan personnel, non ?
C'est exactement ça. Tardi est à l'origine de ma vocation. C'est un peu comme si la boucle se bouclait. Je ne boude pas mon plaisir et je mesure ma chance de pouvoir côtoyer un génie.

Emmanuel Moynot a réalisé les trois précédents albums de la série, comment vous êtes-vous passé le relais, si tant est qu’il arrête de travailler dessus ?
Quand Casterman m'a approché, j'ai pris soin d'appeler Emmanuel, et celui-ci m'a confirmé qu'il souhaitait faire une pause.

Cliquer pour voir la couverture de Boulevard ... ossements (Nestor Burma) Avec Boulevard… ossements, vous êtes pleinement dans le style de Tardi. Pourquoi ne pas avoir insufflé votre style à la série ?
Tardi n'avait pas l'obsession du mimétisme mais il m'a laissé les coudées franches. C'est moi qui ai décidé de marcher dans ses pas, en m'efforçant d'abîmer le moins possible l'univers dont il me remettait les clés. Mais je pense ne pas m'être oublié au passage. J'ai joué sur les mimiques des personnages, et il me semble que la caméra tourne plus que chez Tardi. Ce qui m'a d'ailleurs contraint à définir précisément la topographie du bureau de Burma que Tardi avait laissé dans le flou.

Comment s’est fait le choix de ce roman de Léo Malet à adapter, parmi la vingtaine (je crois) encore non adaptés ?
J'en ai relu plusieurs et j'ai arrêté mon choix sur Boulevard... ossements. Son début est très drôle et très mouvementé. C'était une bonne transition pour passer de la comédie au polar. Et puis dans cet épisode, Hélène occupe le premier plan. Je me suis dit que c'était peut-être un moyen de marquer un peu mon territoire.

Allez-vous en réaliser d’autres ? Si oui, le(s)quel(s) ?
Casterman le souhaite et Tardi me l'a demandé. Le prochain se passera dans le 3ème arrondissement et a pour titre "Fièvre au Marais".

Quels sont vos autres projets ?
Je termine un album avec Tonino Benacquista, qui n'est pas la suite de "Dieu n'a pas réponse à tout", et qui devrait sortir avant la fin de l'année. Un "Philip et Francis" est également en chantier.

Nicolas, merci.
Interview réalisée le 03/06/2013, par Spooky.