Les interviews BD / Interview de Michel Suro

Avec Michel Suro, il y eut une première rencontre en novembre 2004. Ce fut dans une crêperie parisienne, pour se remettre d’une rincée de premier ordre. Depuis le Clan des Chimères s’est achevé, place au Siècle des Ombres, avec son cortège d’interrogations et de réflexions…

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Michel Suro Michel, peux-tu te présenter en quelques mots ?
J’ai passé la quarantaine et cela fait maintenant 24 ans que ma première planche BD a été publiée (une pub pour Matra Espace) mon premier album date de 1994. Actuellement, je dessine Le Siècle des Ombres, toujours sur un scénario d’Eric Corbeyran.

Comment as-tu appris à dessiner ?
A la base il y a sans doute une prédisposition, ensuite l’envie, puis le travail.
Bon nombre d’heure à dessiner, à étudier le travail de mes maîtres. Je continue à apprendre chaque jour.

Malgré ton passé d’autodidacte, tu as un style classique, assez Vécu. Est-ce pour cela que tu as travaillé dans cette prestigieuse collection ?
Effectivement, c’est assez curieux d’avoir ce style sans avoir fait les Beaux-Arts ou une école de ce type. On m’a proposé un western très classique. Admirateur de Jerry Spring et autre « myrtille » j’ai accepté avec enthousiasme (Sundance). L’éditeur qui ne savait pas trop dans quelle case ranger ce western a opté pour la collection Vécu, du coup ça changeait l’éclairage sur la série, et ça m’a pas mal embêté au final.

Accéder à la BD Sundance Quelle est ta technique de travail ?
Je mets en place un rapide découpage en brouillon, puis je transpose sur un bristol que je malmène à coup de cutter et de scotch, jusqu'à ce que j’arrive à un résultat à mon goût.
Pour l’encrage je travaille à la plume, ordinaire. J’ai trois usures différentes de plumes. Au fur et à mesure qu’elles s’usent, j’utilise les plus usées pour épaissir le trait, également le pinceau pour d’autres effets.

Comment se passent les relations avec les éditeurs ?
Avec l’éditeur, en l’occurrence, je n’ai pas de soucis. Depuis bientôt 10 ans il n’y a eu aucun rapport conflictuel.
De mon coté je suis assez clairvoyant sur le rôle des uns et des autres, des intérêts communs, des enjeux, donc si on m’explique je suis capable de comprendre… Avec Milan ça été aussi, Glénat à dire vrai je n’ai eu aucun interlocuteur, tout passait par le scénariste, ce qui était assez pénible.
Pour Soleil pareil, avec en plus une urgence souvent désordonnée.

Illustration inédite non retenue du tome 2 du Siècle des Ombres Comment naît un album ?
L’accouchement se fait sans douleur si tu travailles avec des pros, ce qui est le cas présent. Corbeyran a une vue d’avion de son sujet, il livre donc un scénario complet qui précise les plans, les dialogues etc. Ensuite vient le travail d’interprète du dessinateur. Comme un interprète de musique écrite il doit respecter le mieux possible chaque note mais plus sûrement l’intention de l’auteur des textes.
La stricte transposition du script ne suffit pas, sinon on ferait jouer « la pastorale » à des ordinateurs ! Il y a donc une part de créativité importante.
Ce travail de mise en scène terminé, vient la technique basique du dessin avec ses règles, puis l’encrage tout aussi important puisque c’est sur ce critère que l’on juge souvent un dessin, en omettant tout le travail si capital de la mise en scène.

Quels contacts as-tu avec ton public ?
Aucun, en fait. Vu que je ne fais pratiquement plus de dédicaces.

Tu as débuté comme illustrateur dans la presse régionale de Midi-Pyrénées. Qu’y as-tu appris ?
A La Dépêche du Midi, j’ai pu voir comment ça se passait dans la rédaction d’un grand journal. Au niveau bande dessinée, je n’ai pas appris grand-chose, j’étais assez libre de mes mouvements, je m’entendais assez bien avec la dame qui me faisait travailler… Mais je n’y ai rien appris de particulier.

Accéder à la BD Jugurtha Tu as repris "Thunderhawks" derrière Colin Wilson. Tu aimes les avions ? Et tu as conclu Jugurtha pour Soleil… Ces albums marquent tes débuts dans le métier en tant que professionnel.
La suite de "Thunderhawks", c’était une idée de Mourad.
Il a été emballé par mon essai et j’ai donc fait 2 tomes, qui n’ont pas plus marché que celui dessiné par Wilson. L’expérience m’a permit de rencontrer Colin Wilson et de bénéficier des couleurs de Janet Gale. La grande classe pour débuter !
En ce qui concerne Jugurtha, achevé serait le mot juste. C’était encore une idée de Mourad qui m’avait dit avoir racheté les droits. En réalité l’accord engageait l’éditeur et le scénariste, Franz avait été négligé, il a donc naturellement fait valoir ses droits sur la série, ce qui était assez normal, vu qu’il l’a développé sur plus de 10 albums.
Du coup d’un commun accord avec Mourad je n’ai pas dessiné le tome 17 prévu au contrat.

Tu as également réalisé une histoire courte pour Innuat, un simple projet scolaire qui a débordé de part et d’autre de l’Atlantique. Parles-nous de cette expérience. Tu t’intéresses à la cause indienne ?
C’est du bénévolat, en l’occurrence pour des indiens, ceux qu’on appelait des esquimaux dans l’ancien temps…J’ai juste fait 1 ou de 2 gouaches et une planche très mal dessiné, mea culpa aux indiens.

Les projets que tu avais avec Ramaïoli, sur les Sioux et les esclaves noirs en Amérique, découlent-ils de la même révolte ?
Révolte tardive si c’était le cas. Non, le sujet nous intéressait, et logiquement Georges a pris le parti des opprimés. Faire du militantisme à mon niveau serait ridicule, la guerre c’est pas bien, les méchants sont pas gentils… Le vrai courage serait de dénoncer des sujets plus brûlants, d’actualité. Le fait de montrer la terreur des croisades ou les abus de la colonisation c’est juste histoire de ne pas oublier.

Accéder à la BD Le Clan des chimères Comment en es-tu venu à travailler avec Eric Corbeyran ?
Comme je l’ai dit, on se connaît depuis 1993, et on n’avait pas réussi à faire aboutir un projet ensemble. Il n’avait pas fermé la porte, et m’avait rappelé en 1996, mais je n’étais pas libre à l’époque. Son projet sur Le Clan des chimères était en attente, il avait essayé 5 ou 6 dessinateurs. Ils n’ont pas été pris, pour diverses raisons. De mon coté, j’avais l’adaptation d’un roman sur la croisade en cours, ça traînait, j’ai donc re-contacté Eric, je lui ai montré, ainsi qu’à Richard, les premières planches de cet album et je suis reparti avec le scénario de Roquebrune (premier titre du Clan des Chimères). Je me souviens avoir été emballé par la présentation d’Eric sur cette série. Il m’a exposé le concept, plutôt que de me raconter l’histoire. J’ai trouvé ça novateur.

Quel est ton personnage préféré de la série ?
En ce moment je dirais Cylinia, j'ai l'impression qu'Eric est très inspiré par ce personnage, on la retrouve d'ailleurs dans Le Chant des Stryges et maintenant dans le siècle des Ombres.


As-tu participé à l’écriture du scénario ?
Non, pas du tout. Je fais totalement confiance à Eric.

Couverture non retenue pour le tome 3 Tu avais réalisé une superbe couverture pour le tome 3 ; mais c’est une autre qui a finalement été choisie… Pour quelle raison ?
Je trouvais l’idée de départ bonne, l’idée de mettre un stryge en croix. Ca avait bien plu à Guy Delcourt aussi. Le brouillon était bon, et en le dessinant, cela a un peu plastifié l’aspect. C’est Hubert qui l’a colorisé, et le résultat était moins bon que ce que je pensais. Finalement c’est sorti en tirage de tête.

Maintenant que Le Clan des chimères est une série terminée, quel regard portes-tu dessus ?
Je suis dans l’ensemble satisfait du résultat, l’histoire est un conte de fée avec un ancrage historique que j’apporte avec mon dessin. Eric a tenu son sujet sans défaillir, j’espère que le lecteur aura eu autant de plaisir à lire que j’ai eu à dessiner cette histoire. Evidemment en revoyant certaines planches je suis tenté de refaire des choses, serait-ce meilleur pour autant ?

Les changements de coloristes t’ont-ils beaucoup perturbé ?
Non pas trop, Hubert a voulu arrêter au tome 3, Yannick a pris la suite. Entre temps j’ai fait évoluer mon dessin et ses couleurs ne me paraissaient plus trop correspondre à ce que j’espérais, le dernier tome a été confié à Isabelle Drouaillet qui a fait un beau travail, ses ciels notamment tranchent beaucoup avec le ciel de plomb des premiers tomes.

Accéder à la BD Le Siècle des Ombres Passons à ton actualité, surtout Le Siècle des Ombres. Quand as-tu commencé à travailler dessus ?
Eric C et Richard G sont venus m’en parler en 2003 déjà, donc j’ai eu le temps d’y penser, j’ai eu le scénario fin 2006 je crois, Eric planifie longtemps à l’avance.

Es-tu intervenu sur l’histoire ? Sur l’évolution d’Abeau et Cylinia par exemple ?
Pas directement, j’imagine que ma manière d’aborder le scénario de l’interpréter influence le travail du scénariste, et il est certain que dessinées par un autre la série « le clan des chimères « et sa suite aurait été très différentes. J’ai quand même demandé à Eric de me faire dessiner des bateaux, aussi pour l’orienter, lui, vers une narration moins confinée que celle du Clan des Chimères.

Le personnage de Cylinia ressemble totalement à celui du Clan des Chimères tandis que celui d’Abeau est plus proche de celui dessiné par Guérineau dans Le Chant des Stryges. Comment t’y es tu pris pour trouver le bon compromis ?
Le scénario conditionne beaucoup l’approche que j’ai des personnages et de leurs traits. En l’occurrence c’est Cylinia qui porte le pantalon, Abeau est un peu plus effacé. Visuellement il faut qu’ils soient crédibles, et fasse le pont entre les 3 séries.
Pour résumer donc, c’est le profil psychologique du personnage qui détermine son physique, sa gestuelle, ses mimiques.
Même si on a pris au départ une option graphique pour un personnage, il arrive souvent en cours de récit lorsque sa personnalité se dévoile ou s’affirme qu’il évolue aussi graphiquement, insidieusement.

Extrait Le Siècle des Ombres Le fait de connaître le destin des personnages principaux à travers la série mère, ne risque-t-il pas de restreindre les possibilités ? (On sait par exemple à la fin du premier opus, qu’il n’arrivera rien à Cylinia et qu’elle va de toute façon retrouver Abeau…)
Non, je ne pense pas qu’Eric se laisse restreindre facilement :).Tu te rappelles peut être de cette série TV « Colombo » ; on connaissait tout du crime et du coupable dès le début des épisodes, et c’était tout aussi passionnant.

Cylinia reste-t-elle toujours ton personnage préféré aujourd’hui ?
Oui c’est le moteur, le fil conducteur. D’autre part en grandissant elle a pris des formes et je peux érotiser le personnage. C’est un aspect qui m’a manqué dans Le Clan des Chimères avec les gosses.

Le travail sur les couleurs réalisé par Luca Malisan est magnifique. Comment collaborez-vous ensemble ?
Tu as raison, je trouve ça superbe aussi. Luca nous envoie par Internet depuis l’Italie ses couleurs et là, il n’y a plus grand-chose à dire. Nos petites remarques sont suivies à la lettre. C’est une collaboration idéale. Son point fort est qu’il sait dessiner, donc il sait interpréter le dessin, modeler les visages, bref il comprend mes intentions plus facilement. D’autre part il a la courtoisie de me demander lorsqu’il efface certains traits. J’ai eu à travailler avec un coloriste qui demandait à l’éditeur de me faire changer des dessins qui ne lui plaisaient pas ou qui dénigrait mon travail lors d’interviews. Là, ça change en mieux en tout point.

Accéder à la BD Les Hydres d'Arès Les Hydres d'Arès, la quatrième série dans l’univers des stryges, n’a pas réussi à convaincre le public. As-tu des craintes pour Le Siècle des Ombres qui est désormais la 5ème dans cet univers ?
Si tu fais un spin off tu te places d’entrée dans une position de second couteau. Il faut donc doublement se bouger, d’une part pour ne pas décevoir les amateurs de la série mère, d’autre part pour montrer qu’on existe autrement.
Il semble que l’éditeur ne communique que sur 4 séries actuellement, ayant fait le choix d’écarter les Hydres de l’univers des stryges.
On peut toujours se demander si c’est trop, mais un tel sujet doit être étayé de tout côté, nourri, sinon on tombe dans l’erreur de ce film de série B des années 50, ou un monstre tapi dans une grotte fait régner la terreur, jusqu'à ce que finalement au bout d’une heure il sorte de son trou, ridicule…
Pour ce qui est du Siècle des Ombres tout les acteurs du projet ont fait le maximum, c’est au lecteur de trancher.
A ce jour, les échos sont bons, l’album est visible, bien distribué, les aficionados du Chant des Stryges semblent avoir embrayé sur cette nouvelle série.

Couverture Raimond le Cathare Travailles-tu sur d’autres choses à côté ?
Pendant Le Clan des chimères, j’ai réalisé 2 albums par ailleurs, qui sont un peu passé inaperçus, même si « Raimond le cathare » a obtenu un prix de la BD historique en 2007 à Neuilly.
J’avais vraiment ressenti le besoin de dessiner quelque chose de radicalement différent pour me « reposer » un peu des cavernes et autres stryges.
Tout les jours j’ai de nouvelles idées de BD, mais ma motivation s’effrite rapidement, dans l’idéal il faudrait que je sois sollicité, ça dope.
Le Siècle des Ombres s’annonce tellement varié en ambiances et en lieux, que je ne ressentirai peut-être pas ce besoin de variation. Et puis le temps passe très vite, une année j’ai dessiné 3 albums, je ne suis pas sorti pendant les 12 mois ! Et qu’est-ce que j’en ai eu de plus au final ? Rien, même financièrement.

La BD connaît un grand boom sur Internet. Qu’en penses-tu ? Te sers-tu beaucoup de ce media ?
C’est vrai que ça facilite le travail avec le coloriste, mais je m’en sers surtout pour mon courrier et la documentation. J’ai vu aussi que la série Le Clan des chimères était pas mal piratée... Il m’est arrivé une petite anecdote amusante à ce sujet, dans le Siècle des Ombres il y a des flashes-back concernant le Clan des Chimères, il se trouve que je n’ai pas toujours mes anciens albums sous la main, du coup je me suis dit tiens : je vais pirater mon album ! Au moins ça m’aura été utile, mais là je tombe sur une fenêtre me demandant de payer !!!

La BD tend ces derniers temps vers une dénonciation, une révolte (Rural !, Garduno, en temps de paix/Zapata, etc.). Toi-même, as-tu envie de te lancer là-dedans ? As-tu une envie de révolte ?
Au niveau du dessin, je préfère rester dans un style divertissant, pour l’heure du moins. Ce style d’histoire demande un gros travail d’écriture, et je ne me sens pas à l’aise dans cet exercice.

Illustration inédite non retenue du tome 2 du Siècle des Ombres Quel auteur récent admires-tu ? As-tu eu un coup de foudre BD récemment ?
Ce serait plus simple de nommer ceux que je n’aime pas. Je suis assez bon public, je lis tout sans préjugés. Il y a quelques années j’avais remarqué un dessinateur chez les Requins marteaux ; je me suis étonné alors que ce type n’était pas plus connu. Récemment j’ai vu qu’il avait fait sensation avec son Pinocchio… chapeau ! (tu remarqueras que je me suis épargné d’écrire son nom). Mes maîtres restent toujours Giraud-Moebius et Hermann.

Avec qui aimerais-tu travailler ?
Il y en a quelques-uns, je pense que je serais davantage séduit par un projet que par un nom, fût-il prestigieux.

Après le médiéval fantastique, le western, l’aviation et le récit historique, vas-tu t'attaquer à d'autres genres ?
Il ne reste pas grand-chose comme genres. La science-fiction, les romans graphiques ?
Peut-être un sujet dans un environnement urbain, avec des voitures…

Michel, merci.
Merci à vous, Spooky et Ryle.
Interview réalisée le 16/07/2009, par Spooky et Ryle.