Les interviews BD / Interview de Luc Brunschwig, Aurélien Ducoudray et Dimitri Armand

Bob Morane rebooté ? Et par un duo de scénaristes aussi talentueux qu’inattendu ? Et avec un jeune prodige du dessin ? Vite, où est mon dictaphone ?

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Luc Brunschwig Bonjour Messieurs, nous allons donc parler de cette reprise de Bob Morane (Bob Morane Renaissance). Qui a eu cette idée folle ? D’où vient-elle ?
Luc : Elle vient du Lombard et de Christophe Bec (voilà, vous tenez les coupables!). Il y a 3 ans et demi, Christophe et le Lombard s'était mis d'accord sur l'idée d'une reprise de Bob Morane. Christophe souhaitait se concentrer sur le dessin à une époque où il était essentiellement devenu scénariste d'un grand nombre de séries à caractère fantastique.

Il fallait donc quelqu'un pour l'accompagner dans cette aventure. Mon nom a été cité. Christophe m'a contacté pour me mettre le deal en main. Je lui ai demandé de me laisser le temps de réfléchir à la proposition. Je n'étais pas un grand lecteur de Bob Morane, donc l'idée ne m'enthousiasmait pas plus que ça, mais avant de dire non, je voulais voir si je pouvais faire quelque chose de cette icône.

La première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est qu'un aventurier avait cet intérêt assez peu courant de traverser le monde et donc l'opportunité de poser un regard sur les grands mouvements qui sont en train de faire évoluer notre planète pour le pire et le meilleur.

Et ça, ça me fascine depuis Le Pouvoir des innocents qui était déjà une première tentative de comprendre le monde dans lequel nous vivons, la place de l'homme dans nos sociétés modernes, etc. Par contre, ça réclamait de ramener Bob Morane dans notre époque, voire même d'envisager un léger saut dans notre futur pour explorer à ses côtés les grands sujets technologiques, socio et géopolitiques qui vont faire notre avenir. J'ai envoyé cette proposition au Lombard.

Gauthier Van Meerbeeck, leur directeur éditorial, s'est enflammé de suite pour cette idée d'un reboot à l'américaine, les Américains ayant depuis des décennies cette capacité à moderniser leurs mythes pour en faire des héros de leur temps. Par contre, mon idée n'a pas retenu l'attention de Christophe Bec qui souhaitait s'en tenir à un Bob Morane vintage, proche de celui créé par Henri Vernes.

C'était légitime et j'ai laissé tomber l'affaire, sans me douter que le Lombard allait me rappeler quelques mois plus tard pour me demander si j'étais toujours prêt à écrire un Bob Morane de 2020 ?

Accéder à la BD Bob Morane Renaissance Et du coup, vous êtes deux co-scénaristes sur le sujet. Comment cette collaboration s’est-elle dessinée ?
Luc : En fait, on m'a fait la proposition à une époque où je traversais une grave crise de confiance, pour ne pas dire une sévère dépression. Je commençais à voir une embellie, mais écrire était devenu tellement ardu et douloureux que j'avais décidé de me donner 5 ans pour boucler mes récits en cours et quitter le métier. Il me semblait donc assez malhonnête d'engager un travail de longue haleine sur Bob Morane en étant convaincu d'arrêter assez vite d'écrire. J'ai donc proposé de m'adjoindre un complice qui serait présent dès la création de cette nouvelle version et qui pourrait en assurer naturellement la continuité si je restais dans le même état d'esprit. J'avais formé Aurélien à ce métier. Nous sommes amis depuis 12 ans et il est bien plus globe-trotter que je ne le serai jamais, ayant baroudé en Europe et en Afrique quand il était reporter-photographe. De plus, c'est un passionné de toutes ces questions géopolitiques que je me voyais bien mettre à l'étude à travers les aventures de notre héros.

Aurélien : Luc m’a appelé en me disant « On m’a proposé quelque chose de vraiment intéressant, mais je ne veux pas y aller tout seul. Je le fais si tu le fais avec moi. » J’ai répondu « oui, pourquoi pas. » Je l’avais rencontré sur le salon BD-Boum, à Blois, et il est devenu mon « prof » de scénario, un peu comme dans le système du compagnonnage. Et puis là, il me demandait de travailler avec lui, pas pour de la recherche de documents ou pour être son adjoint, et j’ai sauté sur l’occasion. Et puis c’était flatteur de bosser avec Luc Brunschwig, scénariste reconnu, célèbre… Il aurait fallu être fou pour dire non. C’était il y a deux ans et demi environ. J’avais donc déjà démarré mon activité de scénariste, et on se connaissait bien avec Luc. Il m’avait suivi sur mon premier bouquin, la Faute aux Chinois, et il a dû lire les 5 ou 6 suivants… Il est moins dispo en ce moment, mais on avait décidé qu’il lirait tous mes scénarios.

Aurélien Ducoudray Comment vous partagez-vous le travail ?
Aurélien : Pour Bob, on a décidé de ce qu’on ne voulait pas, ce qui est plutôt pratique, et on s’est mis d’accord sur ce qu’on voulait, le type d’histoire. Le fait que ça se déroule quelques années dans le futur, avec des technologies plus poussées que maintenant, pour définir ce que pouvait être un héros en 2025. J’ai ensuite passé deux week-ends chez lui, la première fois pour déterminer toute la trame. Luc avait déjà une idée en tête par rapport à ces fameux casques qu’il manipule, et moi j’avais une idée par rapport à l’Afrique. On s’est rejoints là-dessus, on a écrit toute la première histoire. On a détaillé un peu plus pendant le second week-end. Ensuite on a travaillé chacun de notre côté. Je reprends cette base qu’on a développée, et je fais les dialogues, sans direction, suivant l’humeur de la journée ou l’orientation de la scène. Et si ce n’est pas dans les clous, ce n’est pas grave. Luc reprend le tout, sélectionne ce qu’il veut garder, le remodèle, et on reprend ensemble. Chacun a tous les droits sur le travail de l’autre.

Luc, tu indiques dans les remerciements de l’album qu’Aurélien t’a sauvé la vie… Tu peux en dire plus ?
Luc : En fait, durant cette dépression que j'évoquais plus haut, j'étais vraiment désorienté. J'avais régulièrement des grosses crises d'angoisse qui rendaient difficiles le fait de rester seul à la maison. Conscient de cela, Aurélien m'a accueilli chez lui. Ce qui en soi était déjà un geste magnifique d'amitié, mais en plus, il m'a proposé de voir si on arrivait à travailler à deux sur un sujet qu'il avait imaginé mais qu'il n'arrivait pas à développer de façon satisfaisante.

Il s'est avéré qu'en travaillant en binôme, j'étais parfaitement opérationnel, alors que je ressombrais direct dans l'angoisse dès que je bossais tout seul. Sans Aurélien, je ne pense pas que j'aurais eu conscience que toutes ces choses que je n'étais plus capables de faire étaient toujours là de façon latente, en moi... Je lui dois donc la vie... Ma vie d'auteur, mais aussi la vie tout court, car durant cette dépression, j'ai traversé des phases où la vie me semblait être un fardeau trop lourd à porter et à faire supporter à mon entourage.

Une planche de Bob Morane Renaissance Avez-vous des contacts avec Henri Vernes, le créateur du personnage, qui a 96 ans à présent ?
Luc : Nous n'en avons pas eu, malheureusement. C'est Gauthier, notre éditeur, qui faisait l'interface, ce qui a créé pas mal de malentendus avec Henri Vernes, qui n'a pas toujours admis les changements que nous avons apportés à ses différents personnages. Des changements qui nous semblaient pourtant indispensables pour les adapter à notre temps, que ce soit dans leur façon de s'habiller, leur psychologie, leur histoire personnelle.

Allez-vous adapter des romans existants (Vernes en a écrit plus de 200) ou avez-vous écrit un script original ?
Luc : Ce ne seront que des scripts originaux. On a déjà tracé les grandes lignes des 4 premiers diptyques, ce qui fait 8 albums. Dans le premier tome nous évoquons les débuts de Bob Morane, son engagement à 27 ans en tant que militaire dans les Casques bleus en mission d'interposition au Nigéria entre musulmans et chrétiens, jusqu'à la désobéissance de Bob en compagnie d'un sergent Bill Ballantine. De cet événement découleront tout un enchaînement de conséquences humaines et technologiques qui amèneront Bob à devenir l'Aventurier. Mais pour l'instant, c'est juste un jeune homme qui a envie de vivre un engagement fort pour améliorer le sort des autres.

En novembre 2007, lorsqu’on a évoqué devant lui une éventuelle reprise de son héros, il a rétorqué « J’en ai rien à foutre. », peut-être tout simplement parce qu’il ne pensait pas vivre suffisamment pour que cela se produise. Et maintenant, on y est…
Luc : Et comme je le disais, ce n'est visiblement pas facile à vivre. Je comprends ça très bien. Tu as installé toute ta vie un univers, une écriture. Tu as marqué ton temps. La presse, tes fans t'y ramènent en permanence, difficile d'accepter qu'un trio de petits cons sortis de nulle part vienne mettre le bronx dans ce qui a fait les plus belles heures de ta vie. Mais de mon point de vue (et ce n'est qu'un point de vue), le plus grand manque de respect, c'est de ne pas s'investir à 100% dans un travail. Or pour moi, l'investissement, c'est s'engouffrer dans un récit, s'y abandonner et écouter la logique d'une histoire et de ses personnages, la façon dont ces derniers me la racontent.

Une planche de Bob Morane Renaissance Cependant, ma façon d'écouter les choses n'a rien à voir avec celle d'Henri Vernes. J'entends d'autres choses que lui et elles m'emmènent ailleurs, quitte à ce que les lecteurs aient l'impression que j'ai trahi leurs souvenirs. C'est presque inévitable si je joue le jeu et que je me donne à fond.

Par contre, l'histoire reste bien du Bob Morane. Nous avons tenu (mieux encore, ça s'est fait assez naturellement) à ce que la nature des liens unissant les différents héros de Bob Morane, que la nature de leur engagement dans ces récits reste cohérente par rapport à la version originale.

Luc, à travers toute ton oeuvre, tu parles de tes origines, de ton vécu, y aura-t-il une grande part personnelle de Brunschwig à travers un personnage qui ne t’appartient pas ? C'est le versant français de Holmes pour en faire un rapide parallèle ?
Luc : Comme dit plus haut, je n'ai accepté de travailler sur Bob Morane que parce que j'avais des choses à raconter sur le monde d'aujourd'hui par sa voix et à travers son regard. Ça aurait pu être suffisant.

Mais au-delà, du fait qu'il traverse le monde, Bob Morane est un pur, un homme qui veut aider, sauver, améliorer la vie des autres... j'ai longtemps été ce genre d'homme. Fasciné par les super-héros, ma philosophie, c'était de voler au secours des autres, quitte à y laisser des plumes. Je n'ai jamais pensé faire du mal à quelqu'un (à moins que ce soit la pire des ordures... si si, il y en a), mais il me manquait la force physique et un certain courage. Bob, c'est l'homme que j'aurais voulu être à 15 ans.

Par contre, non, je ne dirais pas que c'est le versant français de Holmes... Holmes, c'est plus un regard sur la famille, le rôle des parents, l'incompréhension des enfants par rapport à certains de leurs choix. On est plus proche de La Mémoire dans les poches, d'une certaine façon.

En regardant le listing des albums de Bob Morane, je me rends compte que la série n’a en fait jamais été interrompue, avec un dernier album en 2012, le 48ème, sans compter les récits non repris en albums. C’est un gros héritage…
Luc : Oui. Mais qui ne concernait plus qu'un tout petit nombre de lecteurs derniers à se reconnaitre dans cette approche. Nous espérons que le reboot va convaincre une nouvelle génération de lecteurs de s'intéresser à Bob Morane et à cette idée de moins en moins présente et appréciée dans nos sociétés modernes et cyniques d'un homme qui tend la main aux autres sans rien attendre en retour.

Dimitri Armand Comment le choix de Dimitri Armand s’est-il joué ?
Aurélien : Je ne connaissais pas directement le travail de Dimitri, je ne connaissais pas sa série chez Soleil. C’est le Lombard qui nous a dit qu’ils avaient un dessinateur qui terminait un album et qui ferait « plus que l’affaire » pour Bob Morane. Ça n’a pas été très long pour dire oui, quand on voit son travail… Moi j’avais un peu peur, car dans mon boulot, jusque-là, je ne travaillais pas avec des dessinateurs très réalistes, je cherchais des artistes qui pouvaient « exprimer » plus les choses. Mais quand j’ai vu son boulot qui alliait les deux caractéristiques, j’étais rassuré. Il y a une belle énergie, sur les scènes d’action, ça envoie. Il sort un western en même temps, qui a l’air très très beau.

Dimitri : Au tout début, notre éditeur m’a demandé si j’étais intéressé à l’idée de reprendre Bob Morane. Conscient de ce que cela représentait (les contraintes liées au respect de l’œuvre originale, se confronter aux fans, etc.), j’étais de prime abord plutôt sceptique. Puis j’ai reçu la note d’intention de Luc et Aurélien, et j’ai été tout de suite séduit. Bob Morane ou pas, ce pitch, cette approche des personnages, me parlait, et me donnait tout simplement envie de m’engager dans ce projet. Ma conviction a été totale quand j’ai compris qu’en plus je serais libre d’adapter graphiquement les personnages comme je les concevais.

Une planche de Bob Morane Renaissance Bob Morane est l’une des nombreuses séries patrimoniales de la Franco-belge à connaître un relaunch, après Michel Vaillant, Ric Hochet, La Ribambelle, Achille Talon… - liste non exhaustive, et en attendant "Corentin et Clifton". Comment vous intégrez-vous dans ce mouvement –tout relatif- et que répondez-vous à celles et ceux qui sont scandalisés par ce genre de projet éditorial ?
Luc : Nous tentons quelque chose de rarissime dans le paysage de la BD franco-belge. C'est à dire un vrai reboot, où nous conservons les fondamentaux, tout en réinventant les personnages pour qu'ils s'intègrent naturellement à notre époque.

Mais surtout, nous racontons l'histoire avec des techniques narratives modernes, un gros travail sur la rythmique, des passages fluides d'une séquence à l'autre, des dialogues qui envoient. Il était hors de question de faire une reprise où il fallait se plier à une façon d'écrire les dialogues, les histoires, où il fallait conserver les personnages dans leur jus, alors que ce jus (les années 50) était pertinent raconté et illustré par des auteurs de cette époque mais n'a plus aucun sens sous notre plume.

Quant à ceux qui sont scandalisés, je ne peux que leur demander de juger le travail accompli et pas les rumeurs ou les fantasmes qui ont vu le jour à chaque fois que nous avons accordé une interview évoquant Bob, ces 3 dernières années. Nous avons essayé d'être honnêtes avec Bob et ses amis. A vous maintenant de juger le résultat.

Aurélien : C’est un reboot, on peut faire ce qu’on veut. La série classique peut continuer de son côté sans problème. Batman, Superman, les super-héros existent depuis des décennies, et à chaque nouvelle équipe créatrice on découvre des nouveaux éléments, sans pour autant renier le personnage. Avec un reboot, notre version ne sera pas forcément plus valable que l’équipe d’avant ou celle qui suivra, c’est juste notre version à ce moment-là. Avec Luc on ne voulait surtout pas se poser cette question-là, et se retrouver au milieu d’un panier de crabes nous harcelant parce qu’on ne respectait pas le personnage. On avait une vision, on voulait l’amener jusqu’au bout.

Une planche de Bob Morane Renaissance Dimitri : Pour ma part, et c’est ce qui a contribué à ce que j’accepte de travailler sur ce reboot, je ne me sens pas dans un quelconque mouvement, je me consacre à ce projet comme si c’était un projet 100% personnel et original. C’est d’ailleurs assez déroutant de voir les articles qui parlent des reboots en général, en mettant tous les albums dans le même panier (Michel Vaillant, Ric Hochet, etc.) dans la mesure où ça n’a jamais changé ma façon d’aborder l’album. On reste des auteurs avant tout, et même si effectivement on ne peut nier une tendance aux reboots et autres relances de séries « anciennes », ce qui compte est finalement notre investissement, le cœur qu’on y met. C’est certes un Bob Morane, mais c’est avant tout une histoire 100% Brunschwig/Ducoudray.

Et puis Bob Morane a cette image du héros courageux, indestructible, qui tombe systématiquement la demoiselle en détresse. Comment allez-vous dépoussiérer et surtout réactualiser le personnage ?
Luc : Héhé ! Justement, en en faisant un homme d'aujourd'hui, entouré de femmes fortes avec lesquels il ne pourra pas se montrer paternaliste. Notre Bob Morane est un homme de son temps, plein d'interrogations, des interrogations qui le font évoluer, l'obligent à se remettre en cause. Contrairement à l'approche très monolithique des années 50, nous allons construire petit à petit un homme qui se nourrit et se façonne au fil des choses qu'il voit. Quitte parfois à douter de lui-même.

Aurélien : La question qu’on s’est posée, c’est « est-ce qu’un héros en 2015, c’est un baroudeur irrésistible ? » Le héros n’a plus à se frotter à des guerilleros dans la jungle, l’ennemi se situe beaucoup plus haut. : des factions terroristes, des Etats, des entreprises… On n’est plus dans le mano a mano. On manipule plus des données politiques, économiques, stratégiques, pour changer les choses. Bon, parfois, ça ne marche pas ; avec les meilleures idées du monde, parfois les plus humanistes, ça fait des catastrophes. Bob Morane va morfler, ça va être un punching-bag. Il va se poser toutes les questions, mais il va se prendre tous les coups pour avoir les réponses.

Une planche de Bob Morane Renaissance Aurélien, certains de tes récits ont créé des mondes qui n’appartiennent qu'à ton imagination, inspirée par le réel (The Grocery, Amère Russie). Dans cette série, ton coté humaniste va-t-il passer sur le côté lisse de Bob Morane ou est-ce un fabuleux produit pour dégager tes idées personnelles ? Héros populaire en guise d'étendard d'idées plus personnelles ?
Aurélien : Ça ne fait vraiment pas partie de mes préoccupations de mettre ma marque, en fait. Après, pour le côté humaniste… Ce que j’aime bien dans l’humanisme, c’est les ratés, en fait. Partir d’une excellente idée, et de se rendre compte que quand on l’a appliquée, c’est une catastrophe. L’humanisme béat, je n’en peux plus. Je préfère les humanistes de terrain, qui essayent des choses, quitte à se tromper. Prendre la bonne décision, ça n’existe pas, on prend toujours la mauvaise. C’est le cas de Bob Morane, c’est un homme de terrain. Ce qui me plairait, ce serait de le mettre devant ses contradictions, c’est comme ça qu’on fait évoluer un personnage. Un personnage qui fait des erreurs, c’est passionnant à raconter. On va le voir, son pire ennemi ne sera pas forcément la personne qui a les plus mauvaises idées.

Dimitri, tu es celui de la bande que le grand public connaît le moins… Peux-tu nous parler de ton parcours ?
J’ai toujours dessiné, mais j'ai commencé à étudier le dessin narratif à l’Ecole Pivaut, à Nantes. J’y allais pour faire du dessin animé, mais j’ai vite compris que je m’épanouirais bien plus dans la Bande dessinée, qui me semblait offrir bien plus de liberté, tant graphiquement, qu’en termes de style de vie. J’ai eu la chance d’entrer en contact avec Le Lombard pendant ma dernière année d’école, et j’ai rencontré Jean-Charles Gaudin à mon jury de fin d’année. Un mois après ma sortie des cours, je m’apprêtais à signer Salamandre, au Lombard, et Angor, chez Soleil.

Accéder à la BD Angor Comment s’est passée ton expérience sur Angor ?
Ce fût une super expérience. Jean-Charles a un découpage rigoureux et carré, ça a été un super co-auteur pour débuter. Commencer par de la fantasy très grand public était une aubaine : moins contraignant que du contemporain ou de l’historique, j’ai pu m’amuser tout en me concentrant sur deux aspects importants de mon travail : faire évoluer mon trait, et surtout réfléchir à la narration en bande dessinée.

Mais assez vite j’ai commencé à réaliser qu’en tant qu’auteur, je ne pourrais pas m’épanouir en restant trop longtemps dans ce style. J’avais besoin d’autre chose, quelque chose de plus sombre, plus adulte. Et Sykes est arrivé.

En tout cas j’en garde un très bon souvenir, et je suis assez fier de cette série.

Accéder à la BD Salamandre La série Salamandre est-elle toujours en cours ?
Non. Destinée à être une trilogie, elle n’a malheureusement pas rencontrée son public, et s’est arrêtée au deuxième tome. A l’inverse de Jean-Charles sur Angor, Thomas Cheilan était débutant comme moi sur Salamandre. Et malheureusement, nous n’avions pas le recul nécessaire pour nous rendre compte des problèmes dans nos albums. L’histoire était, je trouve, passionnante, mais les albums étaient beaucoup trop denses pour être lus agréablement par un lectorat non averti. D’ailleurs, il s’est avéré que parmi ceux qui ont adoré la série, il y avait beaucoup de lecteurs de livre de jeux de rôle, habitués à des récits très très denses.

Quel a été ton principal défi sur cette reprise de Bob Morane ?
Le contemporain ! J’appréhendais l’idée de retourner à un univers fait de bâtiments et de véhicules, surtout après avoir passé tout ce temps sur de la fantasy et un western.

J’ai fait contre mauvaise fortune bon cœur ; et je me suis retrouvé face à un challenge que j’ai relevé avec finalement beaucoup de plaisir. Avec le recul de ce premier tome, je suis même extrêmement content d’avoir relevé le défi, tant je sens que j’ai énormément à apprendre aussi dans cet univers.

C’est assez cliché, mais je pense qu’on apprend vraiment énormément en dessin et en narration quand on sort de sa zone de confort. Et Dieu sait qu’un univers contemporain n’avait rien de confortable de prime abord :)

Premières recherches pour Bob Morane et Bill Balantine, D. Armand - 2012 Bob Morane a connu plusieurs dessinateurs : Coria, Vance, Forton, Géron, Attanasio… Duquel te sens-tu le plus proche ?
A vrai dire, je ne les connais que très peu… J’ai eu la chance de rencontrer Gérald Forton très récemment, et j’ai beaucoup apprécié m’entretenir avec lui. D’autant plus que de par son expérience aux Etats-Unis, ce dernier est très proche de l’univers du Comics, et mon trait est très inspiré des comics.

Mais sinon, je ne pense pas pouvoir me sentir proche d’eux graphiquement, tant nos traits sont différents.

Combien de temps ce premier tome t’a-t-il pris ?
Grosso modo, une petite année.

Tu enchaînes sur le second ?
Absolument. Je viens de faire une pause dans la réalisation de la 10ème page pour répondre à cette interview :) A moins d’un problème majeur, je crois même que je ne serai pas en retard pour ce tome 2 !

Premières recherches personnages - Beaky Daffe Question aux scénaristes : Dimitri a déjà commencé le dessin du tome 2. N'est-ce pas un risque que de commencer ce second tome sans être assuré du succès du premier ?
Luc : Je dirais que nous n'avons pas vraiment le choix en fait... Le premier cycle est un diptyque (idem pour les suivants si le succès prête vie à notre Bob Morane) donc le Lombard, quoi qu'il arrive, nous a demandé d'aller au moins au bout de cette première histoire.

Aurélien : On attaque la réalisation graphique du deuxième, mais on a déjà écrit les arcs des huit premiers tomes. On sait où on va. Il y a des petites choses dans le 1 et le 2 qui auront des restitutions ou des répercussions dans le 4, le 5, le 6…

Dimitri : D’un point de vue plus pragmatique, si on attendait les premiers retours des ventes pour se faire une vraie idée du succès du livre, et pour commencer le tome 2, il m’aurait été impossible de faire l’album suivant pour une sortie annuelle. Donc de toute façon, succès ou pas, je n’avais pas le choix.

Ces tomes d'ailleurs vont-ils se lire comme des one shot (à la Blake et Mortimer ou Tyler Cross) ou forment-ils un tout complet ?
Luc : Nous avons décidé de composer les histoires de façon à ce que des éléments amorcés dans un diptyque deviennent l'histoire principale du cycle suivant. De la même façon, des choses qui resteront en suspens à la fin du premier cycle (même si tout sera résolu à la fin du tome 2) nous feront revenir au Nigeria dès le cycle 4.

Dans le même ordre d'idée, des technologies inventées au fil des histoires continueront d'exister sous différentes formes et continueront de bouleverser la vie des gens qui y auront accès ou qui en seront les victimes.

Les diptyques formeront donc de petites histoires qui additionnées les unes aux autres formeront une plus grande histoire plus conséquente et cohérente où les personnages évolueront tout naturellement.

Premières recherches personnages - Bérangère Valence Passons à la lecture proprement dite. Ce qui m’a frappé c’est que cette histoire aurait pu avoir un autre personnage comme héros principal, que Bob Morane n’est en fait là que pour accroître son potentiel attractif… Jusqu’aux dernières pages, où on comprend qu’en fait non, c’est bien une histoire de Bob Morane, et qu’aucun autre n’aurait pu en être le héros.
Aurélien : Tu n’es pas le premier à faire cette remarque. Subitement le personnage se transforme en le Bob Morane qu’on connaît, quand il sauve son pote des drones, dans la jungle… Dans les deux premiers albums, on est presque dans un prequel. Comment Bob Morane est-il devenu Bob Morane ? Comment est-il devenu un héros aux yeux du monde entier ? C’était intéressant de raconter le cheminement qu’il fait…

La pagination est un peu inhabituelle : 54 pages. Est-ce à dire que le Lombard vous a laissé toute latitude pour découper ce premier tome ? Les suivants seront-ils pareils ou auront-ils une pagination plus classique ?
Luc : Oui et non. C'est nous qui avons demandé cette pagination pour pouvoir nous permettre des scènes d'action bien développées, alors que ce sont souvent les premières à être réduites quand on a beaucoup à dire et que la place vient à manquer.

C'est Bob Morane, quoi. Il fallait que ça respire. Le Lombard nous a donné raison et la pagination restera à 54 pour les suites à venir.

Aurélien : Ça dépend des moments. Tout au début du projet, zéro contrainte, totale liberté. On en a profité, on a chargé la mule à fond. Et puis quand les pages ont commencé à tomber, ils se sont aperçus du potentiel, en même temps que nous. La pression est venue petit à petit, et elle n’arrive vraiment que maintenant, en fait. Mais pendant l’écriture, on n’a eu que quelques remarques par rapport, par exemple, à des situations, qui seraient peut-être mieux contextualisées avec des scènes d’action… Ç’a donc été super-léger, et surtout positif. Les échanges avec eux continuent à bien se passer.

Une planche de Bob Morane Renaissance Quant au rythme, je pense que ce sera un par an. C’est du 54 pages, ça prend quand même du temps. C’est un bon rythme, à mon avis, et puis on ne saoûle pas le lecteur en en sortant 4 à la suite.

Pourquoi avoir renommé la série en Bob Morane Renaissance ?
Luc : Pour ne tromper personne sur ce qu'ils allaient acheter : on ne voulait pas laisser entendre aux lecteurs classiques qu'il s'agissait du Bob Morane tel qu'ils le connaissaient et tel qu'ils l'ont aimé. On voulait aussi que de nouveaux lecteurs puissent comprendre que ce tome 1 marque bien un redémarrage et que donc, ils peuvent aborder les aventures de ce Bob Morane sans rien connaître de sa vie passée.

Je ne sais pas si ce simple « Renaissance » suffira à faire passer le message, mais voilà la raison de sa présence dans le titre.

Combien d’albums prévoyez-vous de faire ?
Luc : Au moins 8 comme je te le disais plus haut. Mais ce n'est pour nous qu'une première étape dans une envie plus grosse par rapport aux personnages. Si les gens sont au rendez-vous, on n'aura aucune raison de s'arrêter, car c'est un personnage qui nous offre des possibilités infinies de sujets qui nous passionnent.

Un extrait de Bob Morane Renaissance J’ai pu le lire un peu avant la sortie, et je trouve que c’est du bon boulot, pour une reprise avec une nouvelle vision, de nouveaux auteurs. J’espère que ça va marcher.
Aurélien : On espère aussi, d’autant plus qu’on s’amuse bien à le faire. Et le Lombard a été culotté de nous le confier : on n’est ni des spécialistes, ni des adorateurs. On n’avait pas peur de salir, de brutaliser le personnage, pas de déférence envers lui. Je pense que ç’aurait été une erreur d’essayer de refaire ce qui avait été fait auparavant. Au risque de déplaire, on assume. On s’est déjà pris des volées de bois vert sur les blogs d’amateurs, alors qu’ils n’ont pas lu l’album. Mais bon, c’est un peu le passage obligé quand on fait une reprise. Mais si on n’avait pas eu cette liberté créatrice, on ne l’aurait pas fait. C’est ce que m’a dit Luc tout de suite, d’ailleurs. On aurait pu faire un « vieux » Bob Morane, d’autres y sont bien arrivées, mais bon, ce n’était pas l’idée. Et puis, faire toujours les mêmes histoires, c’est bon pour les nostalgiques, les collectionneurs… Mais il n’en reste plus beaucoup, les ventes de la série classique sont tombées depuis longtemps.

Longue deuxième vie à Bob Morane, donc !
Aurélien : on espère, on espère. Si on arrive à faire nos huit albums, on sera contents. Si on a autre chose à raconter après, pourquoi pas ? Ou alors placer une nouvelle équipe après ces huit premiers albums ?

Messieurs, merci !
Interview réalisée le 26/10/2015, par Jetjet et Spooky.